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L’installation de la peur de Rui Zink

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Avant toute chose, je dois préciser que je ne connaissais pas les éditions Agullo avant de me rendre aux Utopiales et de découvrir aux travers de la remise des prix, ce court roman portugais que nous pourrions classer en Science-Fiction / Anticipation.

L’Installation de la peur est un roman choc pour moi et une réelle bonne surprise : imaginez-vous recevoir la visite de deux agents du gouvernement qui viennent vous installer la Peur conformément à des directives législatives.

Madame n’est pas sans savoir que l’installation de la peur est un objectif patriotique. Directive n°359/13. Arrêté 8 : “La peur doit être installée dans tous les foyers dans un délai de cent vingt jours”. Vous connaissez l’arrêter, n’est-ce pas ?

Cela vous semble étrange n’est-ce-pas ? Pourtant, c’est ce qui semble se produire pour cette femme dont nous apprendrons peu de choses si ce n’est qu’elle n’a eu que le temps de cacher un enfant pour une raison qui nous semble totalement obscure.

Nous ne savons que peu de choses sur le lieu (on se doute que nous nous situons au Portugal au vu des prénoms et de la langue, mais nous pourrions tout aussi bien être en France qu’ailleurs), nous ne savons rien de la situation économique, politique, sociale du pays et toute l’histoire se déroule en huis-clos.
Trois personnages donc : une jeune femme qui doit accepter l’installation de la peur, un beau parleur, Carlos, chargé de vendre le produit pendant que Souza va procéder à l’installation technique.

Mais cette peur qui est nécessaire pour le gouvernement, que cache-t-elle réellement ? Nous sentons bien que la visée du gouvernement n’est pas le bien être du peuple mais bien une sécurisation / concentration de ces pouvoirs. On se souviendra aussi de la situation du Portugal  qui a du prendre des mesures drastiques suite à la crise de 2008.

Alors, pourquoi ce livre est percutant ?

Parce que nos deux installateurs, dans des échanges vifs, et brusques, ne laissant aucun temps à la femme vont lui assener un ensemble de vérités ou de ce qui passerait pour des vérités pour insuffler la peur. Rien n’est laissé au hasard et l’objectif est bien de renfermer la population sur elle-même et de l’inciter à ne pas à l’encontre du bien être de l’Etat qui n’existe d’ailleurs plus pour n’être qu’un pantin du marché.

Madame n’est pas sans savoir que l’installation de la peur est un objectif patriotique

Il est percutant aussi parce que sous couvert de fiction (rappelons nous que nous sommes dans un roman de SF), nous avons l’impression de voir la succession des reportages / informations / désinformations poussées par nos différentes chaînes d’actualité en continu…
Tout y passe, aucun sujet n’est laissé aux hasard. On notera notamment les questions liées à l’ “autre”, incitant à accepter que le rejet de l’autre est normal, parce que c’est un fait avéré que l’autre abuse…

La censure est dans votre tête, bien entendu, ce sont les autres dans votre tête, car vous n’osez pas dire ce que vous pensez, avec le politiquement correct de nos jours on ne peut meme plus dire ce qui tourmente notre âme, on aimerait bien mais on ne dit pas, on se tait, ils sont arrivés ici sans rien et sans rien ils sont restés, mais ils ont tout comme s’ils étaient les maîtres ici

Rien n’est oublié, la menace virale, la menace économique, mais aussi la peur terroriste qui va nous emprisonner…

Mais le plus important : la peur ne peut s’installer que si NOUS acceptons qu’elle s’installe et c’est peut-être l’élément le plus positif de ce roman. NOUS avons le pouvoir de rejeter cette peur que l’on veut nous imposer. Et peut-être que cette femme que l’on sent pas tout à fait dans l’esprit de la loi va-t-elle nous réserver quelques surprises.

Si le propos est on ne peut plus sérieux, et le livre clairement politique, le talent de Rui consiste à nous faire réfléchir dans un roman donc percutant, vif, saisissant, à base de dialogues bourrés de paroles toutes faites et convenues mais que nous entendons malheureusement trop souvent.
En conclusion, le principal ressort qui permet à la peur de s’installer tient malgré tout à cette simple réplique

Même lorsqu’ils ont déjà presque tout perdu, les gens ont toujours peur de perdre encore davantage

Editions Agullo (septembre 2016) –  Broché : 192 pages – 17,50€ – 9791-95718062   / Epub : 145 pages – 11,99€ – 979-10-95718-07-9     
Traduction (portugais) : Maïra Muchnik 

La sonnette retentit dans l’appartement d’une femme vivant seule avec un enfant. Ignorant qui se trouve derrière la porte, la femme, méfiante, décide de cacher son enfant dans la salle de bains avant d’aller ouvrir. Sur le perron se trouvent deux agents du gouvernement qui l’informent de leur mission :
la mise en application de la directive n° 359/13 exigeant l’installation de la peur dans chaque foyer. Faisant irruption violemment dans le salon, les deux visiteurs se lancent dans une inquiétante performance : tour à tour, ils haranguent la pauvre femme, dressant un tableau horrifique des maux de notre temps. Dans leur discours halluciné, tout y passe : crise, épidémies, catastrophes naturelles, misère sociale, guerre et torture, terrorisme… Ils agrémentent leur diatribe d’histoires effrayantes jouant sur les peurs primales de l’homme (peur de l’autre, de la maladie, de la folie…), qu’ils mettent en scène pour un effet d’épouvante maximum. Petit à petit, ils installent ainsi une violence sourde dans la pièce, entraînant la femme – et le lecteur – dans leur délire paranoïaque. Mission accomplie? Pas sûr. La peur a une vie propre, et ses ravages peuvent parfois se montrer inattendus…


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