Retrouvez l’actualité des littératures de l’imaginaire (Science-Fiction, Fantastique, Fantasy, et autre) ainsi que des interviews de celles et ceux qui les construisent.

Echange avec Aurélie Wellenstein

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L’actualité d’Aurélie cette année, c’est la réédition de Le Dieu Oiseau chez Pocket en mai 2020 et la parution de Yardam chez Scrinéo en mars 2020. Deux romans sortis en plein confinement et dont le second, Yardam donc, a reçu le prix Imaginaire de la 25ème heure du livre du Mans. Une récompense méritée pour un roman différent des écrits habituels de l’autrice.

Nous vous proposons ici de d’en apprendre plus sur Aurélie.

Bonjour Aurélie, peux-tu te présenter à nos visiteurs ? 

 Bonjour Allan, je suis donc Aurélie Wellenstein, autrice de romans dans le genre imaginaire principalement.

Cette année est un peu particulière, ce qui n’a pas empêché de pouvoir avoir 2 romans de ta part mis en avant : la réédition de Le Dieu Oiseau chez Pocket et la parution chez Scrinéo de Yardam. Une actualité riche et d’ailleurs, je constate que tu as une régularité en sortant un roman par an : une discipline que tu t’imposes ? 

 Oui, c’est vrai qu’il y a une forme de discipline, mais autour d’une activité plaisir, c’est pourquoi je compare volontiers l’écriture à la pratique d’un sport, comme la course à pied par exemple. C’est parfois dur de se motiver à aller courir / écrire, mais une fois qu’on est dedans, dans cet effort-là, on est dans l’instant présent, dans une intensité particulière qui ne ressemble à rien d’autre. Personnellement j’écris pour ça, pour ce moment-là, suspendu. Pour filer la métaphore sportive, quand on a terminé sa séance, il y a du bien-être, comme une libération d’endorphines. L’écriture se muscle aussi. Avec la pratique, cela devient un peu plus facile de parcourir de longues distances. L’écriture d’un roman nécessite pas mal d’endurance justement, mais bon, c’est là tout l’intérêt : dans le parcours.

J’ai eu l’occasion de lire les deux romans cette année et j’ai trouvé deux mondes totalement opposés : dans Le Dieu Oiseau, nous sommes dans de grands espaces et, bien que bénéficiant de scènes un peu plus dures, j’ai trouvé que dans Yardam, nous sommes dans un lieu plus fermé et avec un texte clairement destiné à un public adulte… Ce sont deux pendants de ton écriture que tu revendiques ? 

 Yardam est à part. J’aime les grands espaces, le voyage, l’évasion que procure la fiction et surtout la fantasy. Avant Yardam, j’ai publié 5 romans chez Scrineo où les personnages voyageaient. Mon éditeur m’a proposé de changer de rythme pour le sixième, et après un moment de perplexité, j’ai trouvé une idée stimulante : exploiter le huis-clos en fantasy. J’ai donc eu cette idée de cité en quarantaine – que je trouvais super originale à l’époque !

Pour commencer par Le Dieu Oiseau nous suivons le personnage de Faolan, condamné à subir jour après jour les humeurs du précédent vainqueur de l’événement et malgré tout, nous sentons une forme de proximité entre les deux garçons : comment expliquer cette relation particulière ?

 Je mets souvent en scène des relations d’emprise, j’ignore pourquoi exactement. Dans le Dieu-Oiseau, elle est au cœur du roman, car je voulais en premier lieu écrire sur le trauma, et le trauma de Faolan est lié à Torok. Torok a une importance capitale dans la vie du héros, à l’origine de sa fracture mais aussi de sa possible reconstruction, le tout entremêlé à la crainte de devenir comme lui, destructeur.  

Le monde que tu as construit semble avoir concentré  toute la violence de la société sur des périodes très courtes, faisant un peu écho à mon sens, au message de la série de films American Nightmare. Doit-on comprendre que la violence est inhérente à l’humanité et qu’il faut lui donner des exutoires ? 

 C’est une question compliquée. D’un côté, j’ai l’impression qu’on avance dans le bon sens avec par exemple la lutte sociale et les mouvements d’anti-domination au sens large : anti-racisme, anti-spécisme, anti-patriarcat, anti-capitalisme… Mais pour prendre l’exemple du droit des animaux puisque c’est une cause à laquelle je suis sensible, en même temps que la prise de conscience s’accélère (sentience animale, etc), la condition animale continue de se dégrader : la consommation croît, la destruction de l’environnement se poursuit (élevage concentrationnaires, extinction des espèce, destructions des forêts tropicales, mort des océans…) C’est pas toujours facile de garder la foi en l’humanité.  

Pour répondre plus directement à ta question sur la violence et les exutoires, je redoute les penchants les plus noirs de l’être humain. Même dans notre France contemporaine, il existe encore des exutoires sanglants et dégueulasses, comme la corrida. On avance, mais on a encore du chemin à parcourir.

Parlons maintenant de Yardam paru en mars aux éditions Scrinéo. Nous plongeons là dans une ville confinée à cause d’un virus : l’idée du roman et son écriture datent pourtant de bien plus longtemps que les prémices de la Covid non ?

 Oui, tout à fait, de juin 2018 pour être exact. Comme je le disais précédemment, je cherchais à enfermer mes personnages, et une cité en quarantaine me paraissait un terrain intéressant à travailler. Il se trouve que malheureusement notre réalité a rattrapé la fiction.

Tout commence par la découverte de Kazan, un personnage finalement peu recommandable, qui se retrouve doté d’un don ou d’une malédiction suivant le point de vue que nous prenons. Cette maladie complexe que nous pourrions résumer au fait que le malade  peut “aspirer” l’âme de ses victimes, en les laissant comme des coquilles vides, et de son côté, l’être aspiré devient composante de son esprit, menaçant de le faire exploser. Il peut limiter la casse en transmettant le virus (en se libérant d’une âme)… D’où as-tu sorti une maladie si étrange ? 

 La maladie que je mets en scène est une hybridation de la schizophrénie et du sida. Je me suis demandé ce qui se passerait si la psychose était sexuellement transmissible. Kazan est une sorte de vampire psychique, mais chaque personnalité qu’il ingère reste en lui, à le hanter. Ce sont des voix qu’il entend, persécutrices et accusatrices. Il atténue la cacophonie grâce aux opiacés, mais elles reviennent toujours le tourmenter, et déclenchent des hallucinations visuelles et auditives qui l’entraînent au bord du gouffre. 

  Pourtant, nous aimons à penser lorsque Kazan décide d’aider deux médecins à entrer pour contribuer à vaincre la maladie qu’il n’est pas aussi mauvais que nous pourrions le penser et on se met à l’aimer pour cela avant de le détester juste après par rapport à ses actions / décisions… Alors on se raccroche à l’idée que ce n’est pas grave, d’autres personnages seront plus sympathiques et non, ils ont tous leurs travers. Tout.e homme / femme a sa part d’ombre ? 

 J’ai toujours construit mes personnages comme cela. J’ai assez peu de « héros » dans mes romans, ils traînent toujours leurs casseroles et essaient de s’en sortir tant bien que mal. Je trouve cela plus réaliste, et en tant qu’auteur cela permet aussi d’écrire des intrigues surprenantes et inattendues : absolument tout peut advenir, aucun personnage n’est épargné, l’un d’eux peut mourir dans le premier tiers du roman, brutalement. Il ne s’agit jamais d’une opposition un peu plan-plan du bien contre le mal. On est à hauteur d’hommes, sans gentil, sans méchant, juste avec les gens. Je trouve que cela permet aussi de fouiller la psychologie des personnages. Dans Yardam, par exemple, les actions de Kazan trouvent  notamment une explication dans son enfance, dans son rapport à sa mère, à son père. J’ai essayé de faire un développement assez complet.

Pour ce titre, tu as reçu le prix de la 25ème heure du Livre du Mans mi-octobre : est-ce une surprise pour toi et comment as-tu reçu la nouvelle ? 

 Oui, totalement ! Je connais bien le festival, parce que c’était mon premier salon du livre où je me déplaçais en tant qu’auteur-invité, il y a 8 ans, je crois. Je m’en souviens très, très bien. Du coup, c’était génial de recevoir ce prix. Et cela permet de faire un peu exister ce roman qui est sorti dans des librairies fermées, en mars dernier.

Maintenant, comment se passe ton travail d’autrice durant le confinement et comment appréhendes-tu la suite ? 

 Durant le premier confinement, j’étais très déprimée, sidérée. Cela m’a complètement asséchée. Je travaillais pour mon autre travail, en addictologie, mais c’est tout. Je n’ai pas écrit. Mais c’était une expérience, car je me suis jurée de ne plus me laisser atteindre comme ça. Maintenant, je travaille mes projets, j’écris, je corrige. Enfin, j’essaie.

Quel sera ton prochain roman ? 

 Un roman très différent de Yardam. Yardam est nocturne, étouffant. Le prochain est solaire, baigné de lumière et de vent. Il se déroule dans un désert. Le sable s’attaque à la mémoire des hommes. Tout s’efface et disparaît. Que reste-t-il de l’humanité dans la désertification ? Est-il encore temps d’en sauver certains, de préserver quelque chose de nous ? 

Que peut-on te souhaiter ? 

 D’être heureuse et vous aussi.

Je te laisse le mot de la fin. 

 Tout simplement, merci ! 🙂


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