Réalisée par :mail
Date :janvier 2004
Cest encore avec un grand plaisir que nous vous proposons une interview dun jeune auteur français ; Léo Henry, a accepté de répondre à quelques unes de nos questions et voici le résultat de cet intéressant échange :
Allan : Léo Henry, tout dabord bonjour et merci davoir accepté le jeu de linterview pour Fantastinet.
Léo Henry : Bonjour bonjour, merci pour laccueil.
Allan : Pour commencer, pouvez vous vous présenter en quelques lignes.
Léo : Je mappelle Léo et je vis à Strasbourg de boulots alimentaires (en ce moment dans une bibliothèque). Je suis rôliste et ai été auteur de jeu de rôle (sur la gamme INS/MV). Il marrive aussi décrire des histoires.
Allan : Il me semble avoir lu que lécriture nétait pas votre seule passion mais que vous étiez aussi un grand passionné de voyage : les deux sont-ils liés ? Voyage du corps et de lesprit ?
Léo : Pour moi ils sont liés, tout simplement parce que les deux font partie de ma vie.
Je ne crois pas que le voyage soit indispensable à lécriture je sais très bien que lun peut aller sans lautre. Mes escapades sont juste le moyen que jai trouvé pour « découvrir » de nouvelles choses, ce qui est à mon sens un des moteurs de la fiction. Mais on peut explorer tout aussi bien sans se déplacer physiquement, que ce soit avec un livre, dans une université, sur un lieu de travail, le quai dune station de métro ou au-dessus du siège de sa propre pensée
Allan : Vous ne cachez pas que vous êtes un grand lecteur, et bien que cette question est assez “bateau” et récurrente, puis-je vous demander quels sont les uvres ou auteurs qui vous ont marqués que ce soit au niveau littéraires ou cinématographiques ?
Léo : Rapidement sur les livres : Borges, Flaubert, Nabokov, Perec, Calvino. Jaime le fantastique borderline, le poétique qui va quelque part, lexpérimental. Je suis fan des bédés de lAssociation, des livres du Diable Vauvert, des comics de ABC, du théâtre de chez Actes Sud, de Piranese, M.C. Escher et surtout, surtout du tiramisu.
Au cinéma récemment, jai beaucoup aimé Kill Bill et Lost in translation, deux films ambitieux, qui visent haut, et sen sortent à merveille. Night on earth de Jarmush est un de mes films favoris.
Allan : Je vous ai découvert à travers les cahiers du labyrinthe (paru aux Editions de lOxymore) mais, si cest votre premier roman solo, ce nest pas votre première publication : pouvez nous parler de vos écrits antérieurs ?
Léo : Jai publié quelques nouvelles dans de précédentes anthologies de lOxymore dont Notes pour un labyrinthe, le seul texte repris dans le recueil. On retrouve dans ce récits le personnage de Marcheterre héros de Inspire un arbre de béton, une ville dans le désert et une marqueterie Art Déco
Je me suis aussi amusé avec le mythe de Faust dans une anthologie sur le rock chez Nestiveqnen.
Que ce soit dans les Cahiers ou au sein douvrages collectifs, je pense que mes textes se ressemblent assez.
Allan : Dans chacune des nouvelles, on se retrouve à se demander si vos personnages sont fous ou bien sil existe une autre réalité quon commence tout juste à percevoir : pourtant, on reste un peu sur notre faim, on na pas la solution à cette énigme Si on prend lexemple de la première nouvelle où un homme est persuadé davoir tué sa maîtresse, à la fin on en reste à se demander sil la vraiment connu ou sil a besoin dun internement ; est-ce pour vous important de laisser au lecteur le choix et linterprétation finale de lhistoire ?
Léo : Je ne crois pas que le lecteur ait réellement le choix dinterpréter lhistoire comme il veut. Il ne va pas se dire en terminant la nouvelle : « cet homme est fou » ou « cette femme existe ». Si jai bien fait mon boulot, les deux fins existent en même temps et aucune nest plus juste que lautre ; les options sont proposées mais il nest pas possible de trancher entre elles de façon définitive.
Cette démarche me semble intéressante, dans la mesure où je cherche moins à raconter une histoire au lecteur quà lui faire ressentir quelque chose. Le fait quon ne puisse pas tirer de morale de certaines chutes me satisfait pleinement, cela empêche peut-être le récit de se refermer trop rapidement après le point final.
Allan : Vous avez une haute estime de lécriture : vous dites vous même je ne suis pas certain de lêtre (écrivain). Quels sont les différences que vous mettez entre un écrivain et quelquun qui écrit ?
Léo : Une différence de statut. « Ecrivain » cest une médaille, une décoration. Dans ma tête, quand je pense « écrivain » je vois Kafka ou Proust ou Hugo
Après, il ne fait aucun doute quécrire cest essayer de devenir un écrivain.
Le gros problème que ce terme pose est de savoir où poser la frontière entre « écriveur » et « écrivain ». Est-ce simplement le fait décrire ? Dans ce cas, nous sommes vingt millions décrivains en France. Est-ce le fait dêtre publié ? Dobtenir un prix littéraire ? De vendre beaucoup dexemplaires ? De faire des colloques ?
Ma réponse (toute personnelle) à cette question serait de dire quun écrivain cest quelquun qui écrit bien. Ne pouvant être juge de ma production, jai du mal à affirmer que jen suis un.
Allan : Quels sont les projets qui vous tiennent actuellement à cur et que vous souhaitez voir aboutir ? des projets décriture sont-ils actuellement en prévision ?
Léo : En ce moment je travaille sur une bande dessinée crépusculaire, qui est un source de joie et de crainte. Je suis très content de participer à cette aventure, ravi davoir rencontré un dessinateur aussi talentueux que celui avec lequel je bosse, mais aussi fort inquiet de my casser les dents. Un scénario na pas grand chose à voir avec un récit de fiction : cest un travail de beaucoup plus longue haleine, qui laisse la part belle aux détails, aux questions et aux doutes.
Je croise donc les doigts et en regardant le mur foncer sur moi
Allan : Quel effet cela fait-il de voir son nom publié sur un livre, et comment percevez vous les retours de vos lecteurs ?
Léo : Avoir son nom sur un livre, ça fait plaisir et ça fait bizarre : jai parfois limpression que ce nest plus tout à fait mon nom, quune dissociation sest produite entre le Léo qui écrit et le Léo qui existe.
Pour relativiser, il faut aussi comprendre quavoir son nom sur un bouquin nest pas une fin en soi (sinon je pourrais aussi bien marrêter décrire). Ce qui compte ce sont les mots imprimés dans les livres et ce quen retirent les lecteurs. La satisfaction de lego dun auteur peut lui servir de carburant pour persévérer, mais il serait dangereux dy voir une finalité de la littérature.
Borges affirmait être meilleur lecteur quécrivain. Je suis assez daccord avec cette petit blague.
Allan : La littérature dite de limaginaire est souvent mise en marge de la littérature dite classique et jaimerais connaître votre point de vue sur les causes de ce phénomène. Pensez vous à certaines grandes parutions actuelles qui pourraient donner les titres de noblesse à ces genres ?
Léo : Je suis assez mal placé pour pontifier sur les « littératures dite de limaginaire » pour plusieurs raison. Dabord parce que je naime pas les chapelles, les querelles de clocher et les dogmes littéraires. Ensuite parce que je mintéresse plus aux frontières des « genres » quà leur noyau dur. Enfin parce que jaime la littérature dans son ensemble et que le genre « de limaginaire » nest pas celui qui me semble en plus grand péril en tout cas commercialement.
Respecter les règles dun genre nest jamais un gage de qualité. On peut faire des bouquins de daube en littérature générale comme en fantastique ou en fantasy, et on peut tout aussi bien y produire des chef duvres. Ceci étant posé, je ne vois pas bien lintérêt de défendre la SF contre le théâtre, la poésie contre la fantasy ou le polar contre lautofiction
Lécriture est un grand bateau et ce nest pas en y déclenchant des mutineries quon va réussir à le faire avancer.
Allan : Actualité oblige, que souhaiteriez vous pour cette nouvelle année qui commence
Plein de bons bouquins sur les étals, la naissance de librairies indépendantes et de maisons déditions exigeantes, une pluie dauteurs ambitieux et une foule de lecteurs curieux et exigeants.
Allan : Si vous avez eu le temps de circuler sur Fantastinet, quavez vous pensé du site ?
Léo : Cest en forgeant quon devient formidable ! Ne lâchez pas la barre : Internet peut être un lieu formidable de circulation dinformations. Nhésitez pas à affirmer vos choix, à défendre vos coups de cur, à exprimer vos coups de gueule. Avoir une ligne éditoriale marquée et des positions affirmées peut vous aider à vous différencier de vos camarades.
Allan : Un petit mot de conclusion ?
Léo : Merci pour votre accueil. Je vous souhaite plein de bonnes choses pour cette nouvelle année !