Retrouvez l’actualité des littératures de l’imaginaire (Science-Fiction, Fantastique, Fantasy, et autre) ainsi que des interviews de celles et ceux qui les construisent.

Interview : Oksana & Gil Prou

Bonjour Oksana et Gil. Je vous laisserai d’abord, si vous l’acceptez, passer par la terrible épreuve de l’auto-présentation, pour nous indiquer votre parcours si cela ne vous gêne pas.

Gil : Après des études supérieures en Egyptologie à la Sorbonne et une participation à l’aventure de la revue Actuel au début des années 70, j’ai occupé plusieurs postes à la FNAC. J’ai dirigé le Département Disques de la FNAC Montparnasse, puis la filiale chargée de l’importation de tous les produits culturels. Fin 2000, j’ai entamé trois tours du monde -une quarantaine de pays visités- en privilégiant l’Asie du sud-est et la zone Pacifique (principalement Mélanésie et Micronésie).
J’écris des romans avec Oksana depuis 2007.
Je me passionne pour les sciences de la Nature, la philosophie, la poésie. J’aime aussi les musiques sombres (Dark ambient, Doom, Dark metal) et le contact avec les civilisations oubliées (Antiquité) ou que l’Homme moderne souhaite oublier et qualifie parfois de « peuples premiers ».

Oksana : Epicurienne, j’aime les plaisirs de la vie. Je suis connue pour avoir tourné dans des films à caractère pornographique. J’ai participé également à des clips musicaux (Tony Sad, Stumy Bugsy), rédigé des chroniques pour la version française de Penthouse, présenté la dernière des Nuz avec Laurent Weil.
J’ai eu aussi un petit rôle dans le film Truands de Frédéric Shoendoerffer aux côtés de Philippe Caubère et Benoît Magimel.
J’aime ce qui est insolite. L’exhibition et les jeux entre partenaires par exemple sont des choses qui pimentent ma vie. Pour moi la provoc… c’est naturel ! Sans cela, la vie paraît si terne et tout le monde se préoccupe stérilement de son voisin pour choisir son chemin. Après des études scientifiques, j’ai mis en pratique mes cours de philosophie et j’ai cherché le sens absolu de l’expression « libre-arbitre »…

Pouvez-vous nous raconter comment s’est déroulé votre rencontre ?

Oksana et Gil : Nous nous connaissons depuis plusieurs années. Constatant que nous avions de nombreux points communs et une vision totalement désinhibée de la vie, nous avons rapidement forgé le projet d’écrire ensemble. En fait, nous n’avons pu concrétiser cette ambition qu’à partir de 2007. Depuis cette date nous avons donc coécrit deux romans parallèlement à nos autres activités.
Et nous ne comptons pas en rester là si le public accueille favorablement nos deux premières fictions.

Oksana, cela n’est pas trop dur de faire passer le message que ton parcours ne se limite pas au cinéma adulte ? Quel accueil reçois-tu en général quand tu parles de tes projets d’écriture ?

Oksana : J’adore quand c’est dur ! Non, ce n’est pas un problème. J’assume pleinement mes choix. Chacun voit en moi ce qu’il a envie de voir. J’aime diversifier mes activités, quelles soient érotiques ou non. Ce n’est vraiment pas un obstacle pour moi. Nue ou vêtue, je me sens la même personne…
Nous avons reçu beaucoup de messages d’encouragements et d’admirations pour ce projet totalement atypique. Jusqu’à présent, mes interlocuteurs ont été séduits autant par le concept que par le contenu en lui-même.
La diffusion d’un premier chapitre sur le site de l’éditeur à été une étape test qui s’est révélée très positive.

Vous êtes tous deux férus de cosmologie : pour les novices, pouvez-vous indiquer ce dont il s’agit ?

Oksana et Gil : La cosmologie est la branche de l’astrophysique qui étudie l’ensemble de l’univers, ses origines et son évolution. La cosmologie est en relation directe avec la gravitation quantique qui élabore les théories d’unification des quatre grandes forces universelles. Elle s’inscrit aussi dans une logique d’ensemble qui intègre les plus récentes découvertes de la Physique fondamentale ; la Théorie des cordes en constituant le plus illustre exemple. Les théories cosmologiques les plus avancées examinent les scénarii décrivant ce qui a pu se passer avant le big bang, tout en s’efforçant d’élucider la nature réelle de l’énergie sombre et de la matière noire qui représentent 96% de la masse totale de notre univers.
Cette matière scientifique innovante, déroutante et parfois totalement fantasmagorique (imaginer ce qui a pu se passer avant le big bang aurait été presque blasphématoire il y a une trentaine d’années), est pure délectation pour nous…

Comment travaillez-vous ensemble ?

Oksana et Gil : Nous partons d’une idée simple, puis nous examinons différentes péripéties qui structurent peu à peu l’intrigue. De discussion en discussion nous élaborons le profil des principaux personnages, leur caractère, leur histoire. Puis, chacun travaille de son côté. Lorsque la synthèse nous convient, nous rédigeons un premier jet.
C’est à cet instant que le gros travail commence, car il faut revoir sans cesse ce qui a déjà été écrit, étoffer l’ensemble, éliminer les parties inutiles, chasser les répétitions. Cela prend beaucoup de temps…
Quelques mois plus tard, le récit définitif prend progressivement forme et tous les efforts préalables disparaissent. Seul reste alors le plaisir.

Comment vous partagez-vous le travail ?

Oksana : Je m’occupe principalement de l’humain, des émotions, de la sensualité. Je veille aussi à la crédibilité de nos personnages en laissant toujours transparaître les faiblesses, les fêlures intimes. Je travaille et peaufine les caractères en tenant compte des interactions entre les personnages.
La démarche est différente -mais tout aussi exaltante- dans le cas de créatures extraterrestres. Là je laisse parler totalement mon imagination…

Gil : Je prends en charge le contexte matériel et la mise en Œuvre de nos idées communes. En liaison avec Oksana, j’élabore aussi les enchaînements entre les différentes péripéties tout en validant nos choix techniques et scientifiques. J’assume aussi le choix d’un vocabulaire, parfois issu du domaine poétique, qui s’efforce de traduire au mieux les métaphores que nous affectionnons tout particulièrement.

Votre actualité immédiate va être marqué par la parution dans la collection Rivière Blanche de Black Coat Press de “Cathédrales de Brume”. Comment le définiriez-vous ?

Gil : Cathédrales de brume est simultanément une odyssée cosmique et une ahurissante errance intime. Condamné à survivre plusieurs millions d’années sans pouvoir bouger ou mettre fin à ses jours, un naufragé de l’espace recrée des univers personnels muables et luxuriants : ses « cathédrales de brume ».
Parfois la réalité heurte l’onirisme en créant une étrange eurythmie. Avant la chute…

Oksana : Une « sentinelle » électronique et sensuelle établira une vraie complicité avec le naufragé de l’espace et du Temps. Elle le stimulera et l’aidera à optimiser son imagination afin de créer des mondes oniriques et flamboyants.
Ainsi, la réalité et le rêve se mêlent inextricablement jusqu’à l’instant magique où tout devient possible…
Dans notre roman, nous avons voulu mettre en valeur la notion de grandeur infinie, combinant étroitement ainsi l’émerveillement de l’esprit et la beauté du cosmos.

Que vouliez-vous essentiellement montrer à travers ce roman : la peur de l’homme face à l’éternité ou la fragilité de l’homme dans l’univers ?

Oksana et Gil : Le point de départ de notre démarche fut le suivant : la pensée humaine se heurte toujours à trois barrières infranchissables :

  • la brièveté de la vie,
  • la faiblesse du corps par rapport aux potentialités de l’esprit,
  • le carcan des verrous intellectuels et des barrières psychiques que nous consolidons sans cesse autour de nous.

Dans Cathédrales de brume, nous façonnons la destinée d’un humain débarrassé des deux premières contraintes. Nous avons examiné ce qu’il pourrait faire de cette liberté nouvelle, désormais affranchie des contraintes du temps. Le résultat est déroutant car l’âme humaine est toujours infiniment plus complexe que le fallacieux jeu des apparences.
Optimisant les possibilités offertes par l’ahurissant postulat de départ que nous avons choisi, nous avons développé cette idée jusqu’à son paroxysme en forçant notre héros à revivre tous les moments cardinaux vécus par les cent milliards d’êtres humains nés avant lui.
Ce supplice sans nom (car les moments de plaisir sont infimes en regard des souffrances subies) symbolise la réflexion de René Char : « le visible n’est que l’épiphanie de l’invisible ». En revivant fugacement les destinées de tous les hommes, notre héros explore les labyrinthes d’une créature incroyablement fascinante, riche et inquiétante… lui-même !

L’intelligence artificielle qui accompagne Amaranth, notre survivant va d’une certaine façon “s’éprendre” de ce dernier : c’est le franchissement ultime de l’homme par rapport à la machine ?

Oksana : L’Amour se joue des apparences. Humain ou intelligence artificielle… quelle importance ! Dans notre roman, nous poussons jusqu’au bout cette quête d’altérité qui va bien au-delà de l’humain. Seule notre capacité de transgression permet d’avancer et de s’exhausser au-delà de la lie du quotidien. Cathédrales de brume symbolise donc l’absolue nécessité de transgresser afin d’endiguer l’horreur d’un châtiment sans fin.
Pour prendre un exemple que je connais bien, l’univers du X, du sexe et de la séduction, symbolisent souvent des choses qui nous dépassent. Nous formons notre éducation sur des acquis que nous ne remettons jamais en cause. Nous façonnons ainsi des « verrous intellectuels » qui sclérosent nos possibilités et nous empêchent de penser par nous-même.
Or -à l’échelle humaine, comme à l’échelle de l’univers- la réalité est bien différente. Beaucoup plus riche que le simple miroir des apparences, elle est complexe, pétrie d’émotions ; envoûtante.

Amaranth va d’ailleurs être coincé entre une réalité difficile à appréhender (l’éternité) et un monde onirique qu’il va pouvoir modeler au travers de ses cathédrales de Brume : cela pourrait donner une impression de “lâcheté”, non ?

Gil : Exact. Mais dans sa situation (prisonnier emmuré vivant pendant plusieurs millions d’années) qui pourrait lui en tenir grief ? Par ailleurs, la connivence liant réel et virtuel émerveille sa vie et lui donne enfin un sens congru.

La préface est écrite par l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet, connu pour ses publications sur les trous noirs : ce doit être pour vous une grande source de satisfaction de voir ce spécialiste préfacer votre roman ?

Oksana et Gil : Absolument. Mais cette démarche est assez logique si l’on prend en compte la diversité des écrits de Jean-Pierre Luminet. Il s’intéresse à la poésie, à l’art, à la science-fiction, à la musique. Jean-Pierre illustre cette capacité d’acquérir une vision holistique du monde que nous mettons en exergue dans notre second roman.
Nos chemins devaient se rencontrer…

Vous évoquez régulièrement dans votre récit la Théorie des cordes et celle du multivers. Pourquoi ?

Oksana et Gil : Ces deux théories fondamentales sont particulièrement fécondes pour des écrivains de SF. Par ailleurs -et en complément de la préface de Jean-Pierre Luminet- nous avons rédigé une courte postface qui donne quelques informations utiles sur ces sujets.

En parallèle du roman sortira un disque s’appuyant sur l’univers de Cathédrales de Brume : le disque sera vendu avec ?

Oksana et Gil : Non, et ceci pour des raisons techniques. Mais notre partenariat avec le groupe « Dawn et Dusk Entwined » nous permettra de promouvoir simultanément le disque et le roman. Nous sommes très satisfaits de cette synergie nous permettant de créer un lien entre le monde de la musique et celui des littératures de l’imaginaire. Comme nous avons écrit aussi un screenplay complet d’après l’intrigue de « Cathédrales de brume », la musique de « Dawn et Dusk Entwined » concrétise ce que pourrait être la musique d’un film reprenant le même thème.

Vous avez écrit un scénario s’inspirant de Cathédrales de brume… Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Oksana : L’intrigue du roman ayant été conçu d’une manière très « visuelle », l’écriture d’un scénario s’inspirant étroitement de cette ahurissante odyssée devint rapidement une évidence pour nous. Nous avons donc écrit un screenplay complet avec les dialogues.
Le roman étant assez long (200 000 mots) et l’intrigue s’étirant sur trois millions d’années, le screenplay est structuré en deux scénarios se complétant. Si un producteur s’intéresse vraiment à ce projet très atypique, il concrétisera probablement cette adaptation cinématographique en deux films.

Gil : Les quelques professionnels du cinéma qui ont déjà lu ce scénario évoquent un « Mahâbhârata du futur » ou une « Odyssée intérieure ». La comparaison est probablement excessive, mais nous l’apprécions à sa juste valeur…

Votre deuxième roman, « Katharsis », est prévu pour avril 2010 aux éditions Interkeltia. Pourquoi dans si longtemps ?

Oksana et Gil : Afin de ne pas égarer nos futurs lecteurs car les deux récits sont fondamentalement différents.

La thématique est plus immédiate, puisqu’abordant des notions écologiques d’une part et économiques d’autre part : la multiplication des romans sur l’urgence écologique est-elle à votre sens une prise de conscience de la situation actuelle ?

Oksana et Gil : Probablement. Et si de nombreux auteurs évoquent les drames latents qui obscurciront l’avenir de nos descendants, cela provoquera peut être un électro-choc.
Chaque goutte d’eau est utile à l’océan…

Il s’agira à la lecture de la quatrième de couverture d’un roman tant politique que de SF : doit-on comprendre que pour vous la SF est engagée ?

Gil : Certains auteurs de SF sont engagés. Pour nous, la politique, le dogmatisme et l’idéologie ne présentent aucun intérêt.
Le contexte actuel est gravissime et la 6eme extinction de masse est peut être déjà en marche. Il est évident que la politique n’apportera aucune solution pérenne car les hommes politiques sont tous obnubilés par une chose : leur élection ou leur réélection. Or les mesures à prendre afin d’être réellement efficaces seraient tellement impopulaires qu’aucun d’entre eux n’acceptera de prendre un tel risque.
Le problème de notre planète et de la Nature est dans l’Homme ; et la solution est dans l’Homme.
Chercher ailleurs serait inutile ; voire dangereux.

Oksana : C’est pour cette raison que nous avons demandé au philosophe et écologiste Yves Paccalet de rédiger la préface de notre second roman. Après l’avoir lu, il n’a pas hésité car notre récit éclaire d’une façon complémentaire et crue son célèbre essai : « L’humanité disparaîtra, bon débarras ! ».
Là encore, notre rencontre avec Yves nous permit de concrétiser une ambition qui se symbolise avec la notion d’ouverture aux autres, de quête d’altérité et l’émergence d’une véritable vision holistique du monde.
Et ce n’est certainement pas du côté des militants politiques que l’on peut trouver cette « ouverture » aux autres…

Vous êtes présents sur Facebook mais surtout sur votre blog mis à jour régulièrement avec des articles notamment sur la cosmologie : tout cela doit vous prendre un temps fou non ?

Oksana et Gil : Nous travaillons 365 jours par an…

Maintenant, je suppose que vous avez d’autre projet en cours… Pouvez-vous nous en parler ?

Oksana et Gil : Si nos lecteurs apprécient nos deux premiers romans, nous n’en resterons pas là. Mais ce n’est pas à nous de préjuger.

Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?

Oksana et Gil : De rester nous-même tout en apportant du plaisir et du divertissement à nos futurs lecteurs. Ce sera déjà beaucoup…

Le mot de la fin sera :

Oksana et Gil : Dans nos romans, nous nous employons à « hausser le réel d’un ton » pour reprendre la synthèse de Bachelard (L’air et les songes) tout en gardant notre capacité d’émerveillement devant la beauté du monde.
Si quelques uns de nos lecteurs partagent cette ambition après avoir lu nos romans, nos efforts n’auront pas été vains. Et nous serons contents.


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