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Macha ou le IVè Reich de Jaroslav Melnik

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Le titre du roman et sa couverture attire définitivement l’oeil et attise la curiosité de façon plus que significative.

Le IVème Reich est devenu au 39ème siècle la réalité politique de l’Etat et, ce qu’il n’a pas réussi à faire au cours de la 2nde Guerre Mondiale, il l’a réussi à la fin du 3ème millénaire : il est devenu mondial…

Mais le Reich que nous découvrons est un peu différent de ce que nous imaginions et tout au long de ce récit de l’auteur ukrainien, nous allons découvrir le parcours qui a transformé définitivement notre société dans un futur dystopique effrayant.

La phrase suivante résume un peu l’idée qui court tout au long de ce récit à savoir que la réponse de l’humanité dans ce futur dérangeant n’est pas dans le rejet de l’autre mais bien dans la prise en compte que ce n’est pas l’enveloppe qui fait l’homme. C’est la raison pour laquelle, ces bêtes d’élevage qui servent de base alimentaire à la population ne doivent plus être vus comme des hommes mais bien comme des animaux qui ressemblent aux hommes…

Nous rejetons le bolchevisme, le fascisme et le nazisme comme des phénomènes cruels, inhumains. Chez nous, les hommes ne s’entretuent plus depuis des siècles. Mais l’idée nietzschéenne même des nazis, selon laquelle une similitude extérieure, corporelle, n’influe que facultativement sur la définition de l’être humain, s’est avérée fructueuse.

Et c’est dans ce monde que vit Dima, journaliste dans le grand quotidien d’état La Voix du Reich et dans le même temps reste un très grand spécialiste du découpage de Stors… Les Stors, si vous ne l’aviez pas compris, ressemblent très fortement à des hommes, et nous comprenons très vite qu’ils le sont, qui pour une raison que nous ne tarderons pas à comprendre, sont désormais un bétail comme un autre. D’ailleurs, Dima a son propre cheptel et il doit s’assurer autant de garder son garde manger en bonne santé que de s’assurer de trouver le bon reproducteur.

Pour autant, on sent aux questionnements et à la façon de ce comporter que Dima s’interroge sur cette très grande proximité d’aspects des stors vis-à-vis des mots et notamment du fait de l’apparition d’un parti “humaniste” qui compare l’alimentation à base de stors à une forme de cannibalisme institutionnalisé. Ce discours va bien entendu, si on le lit à un autre degré, rappeler les discussions autour de la consommation de viandes animales et je pense qu’il s’agit d’une des deux thématiques importantes du récit.

La distanciation qui est prise vis-à-vis des stors est surtout question de vocabulaire permettant de prendre la distanciation nécessaire pour garder la morale un peu plus loin…

Il y a des services spéciaux qui veillent à la bonne utilisation des mots, qui protègent les concepts véritables de notre civilisation. “Donnez-moi deux kilos de mains de femme, s’il vous plaît”, c’est affreux. Seul un être humain ayant des mains peut être qualifié de femme. Les stors n’ont pas de mails, mais des pattes. Les gens disent : “Donnez-moi deux kilos de pattes de stors”.

Mais Dima va se trouver attirer d’une façon anormale par un membre de son cheptel, Macha, et va tenter de s’opposer à cette attirance contre-nature, notamment en faisant preuve d’une violence qu’il ne se connaissait pas. Macha n’a pourtant rien de bien particulier, elle est une stor qui se balade nue comme ses congénères, n’est pas en mesure de parler et n’a aucun problème à déféquer là où elle mange… Et pourtant, il y a quelque chose dans son regard ou dans sa posture qui va faire tourner la tête de notre journaliste, le poussant à aller de plus en plus loin dans ses interrogations jusqu’à lui faire prendre place dans un journal dissident. Sa vie va rapidement devenir compliquée, l’éloignant de sa famille qui ne comprend pas son changement d’état d’esprit et le rendant marginal par rapport à une société que nous sentons malgré tout prête à se poser les bonnes questions à condition qu’elles y soient un peu poussées.

Je ne vais pas vous en révéler plus, ce roman est vraiment une très bonne surprise, écrit par un auteur-philosophe ukrainien qui nous fait donc réfléchir sur la condition humaine et surtout animale mais aussi sur la gestion de notre héritage. En effet, les différents protagonistes du roman ne sont pas directement responsable de la situation, qui était déjà existante au moment de leur naissance, mais est-ce une raison pour ne pas agir ?

MAIS CE N’EST PAS NOUS, NOTRE GENERATION, NI LA GENERATION DE NOS GRANDS-PARENTS ET MÊME DE NOS ARRIERE-GRANDS-PARENTS QUI ONT COMMIS CETTE VIOLENCE. Ce qui est fait est fait. Nous sommes palcés en face du fait de l’existence d’une nouvelle race d’animaux anthropomorphes. Les nazis étaient des nazis parce qu’ils humiliaient les hommes en créant une “race inférieure”. Mais ils avaient cessés d’être des nazis dès que la “race inférieure” créée étaient passée au rang de véritables animaux. Et dans notre comportement envers les animaux, nous ne nous distinguons pas particulièrement des représentants de l’époque humaniste qui contraignaient les animaux à travailler pour eux et se nourrissaient de leur chair.

Un récit impressionnant qui va bousculer pas mal nos idées reçues et notre côté passif par rapport à la grande question sociétale autour de l’alimentation, la place de l’animal et notre rapport au vivant. A noter que dans le récit, nous ne rencontrons aucun autre animal que les stors, comme si notre usage déraisonné des ressources avait condamné la faune…

Actes Sud (Juillet 2020) – 283 pages – 22 € – 9782330134921
Traducteur : Michèle Kahn
Couverture : DepositPhotos

3896. Le IVe Reich étend son pouvoir sur le monde entier. La société est divisée en deux catégories : les humains et les stors, êtres d’apparence humaine mais qui au fil des siècles se sont mués en bêtes de somme, privés de langage, corvéables à merci, et transformés en viande de boucherie quand ils ne satisfont plus aux besoins de leurs maîtres ou quand ils sont trop vieux.

Dima est journaliste à La Voix du Reich. Parfaitement intégré dans cette société pacifiée, il est même spécialisé, comme tous ses ancêtres, dans la découpe des stors voués à l’abattoir, ce camp de la mort pour animaux, jusqu’au jour où il ressent un trouble étrange à l’égard de l’une d’entre eux, la jeune et belle Macha. Lorsqu’il commence à soupçonner que les stors ne sont peut-être pas si éloignés de la race humaine qu’il le pensait, il prend le maquis pour tenter d’échapper aux post-nazis et de sauver Macha.


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