Jean-Laurent Del Socorro nous propose régulièrement de découvrir des éléments de notre histoire sous un angle plus “féminin”. Ce fût déjà le cas avec l’excellent Boudicca qui nous emmenait déjà sur l’île de Bretagne ou encore Je suis fille de rage qui nous propulsait durant la Guerre de Sécession américaine. Le mélange histoire et imaginaire sera là encore au centre de l’intrigue avec Morgane Pendragon qui revisite la légende arthurienne pour devenir la légende morganienne. Contrairement aux autres titres qui étaient édités par les éditions ActuSF, Morgane Pendragon est pour sa part la première parution 2023 des éditions Albin Michel Imaginaire : une sortie annoncée et attendue avec beaucoup d’impatience par de nombreux et nombreuses lecteurs / lectrices.

J’hésite à parler d’Uchronie là où nous partons d’une base qui n’est pas l’histoire réelle mais une légende, même si cette légende sonne pour beaucoup comme notre histoire…

Et si l’épée n’avait pas été libérée par Arthur ?

Le récit de Jean-Laurent s’appuie sur la légende arthurienne et s’appuie sur une documentation très riche dont il met l’exhaustivité en référence bibliographique en fin de roman. Si vous deviez avoir un petit rappel de cette légende, souvenez-vous que le roi Uther Pendragon avait uni les Royaumes de l’île de Bretagne sous son égide. Aidé grandement par Merlin, un magicien et conseiller, cette union ne survit malheureusement pas à sa mort, faute de descendance.

Je ne suis que Morgane, une femme qui s’est emparée d’un destin trop grand pour elle en même temps que de l’épée de son père.

Uther savait pourtant qu’il en avait une, non officielle, qu’il ne pouvait par conséquent pas affiché et à contourner cette problématique de façon magique. Son épée est plantée dans un roc et seul sa descendance sera en mesure de l’en extraire et pourra, ainsi, légitimement revendiquer le royaume de Logres.

Nous voici donc en 601, devant cette pierre, et conduit par Merlin l’enchanteur, plusieurs chevaliers sont en passe de tenter d’extraire la fameuse épée d’Uther. Le Royaume a en effet besoin d’union pour réussir à repousser les différents ennemis qui voudrait soumettre la Bretagne : entre les saxons et l’arrivée du christianisme, la Bretagne est vraiment à une époque charnière… Parmi les présents, nous retrouvons Merlin qui verrait bien son champion Arthur retirer l’épée et devenir souverain, Arthur donc, Morgane et son père adoptif Auctor, fidèle d’Uther, Kay, le fils d’Auctor.

Parmi les éléments notables pour planter le décor, il est important de noter que dès leur première rencontre, une relation amoureuse s’est construite entre Morgane et Arthur, et cette relation ne sera pas anodine comme vous vous en doutez dans la suite des événements.

Le moment est venu de retirer l’épée de son socle mais contrairement au souhait de Merlin, c’est bien Morgane qui réussit là où Arthur, passé en premier, a échoué. Il est donc temps d’annoncer au Royaume que Morgane est la nouvelle souveraine de Logres et que toutes et tous lui doivent allégeance !

La (re)construction d’un royaume

Comme on s’en doutera, il est plus facile de dire que de faire et la légitimité de la jeune femme va être très tôt remise en cause. Alors qu’elle demande à chacune des couronnes de se joindre à la coalition, elle verra que cette cohésion ne pourra passer que par une guerre, à son plus grand désarroi. Voulant fonder un royaume sur la base de la confiance et du respect, elle mettra tout en œuvre pour créer une adelphité entre les chevaliers et chevalières des différentes couronnes. C’est ce qui conduira à la création de la table ronde, où nous retrouverons des noms bien connus, équitablement répartis entre femmes et hommes : Lancelot qui a une amitié très profonde avec Guenièvre, elle aussi à la table ronde, Méléagant, Gauvain, Arcade, Tristan, Elaine et Yseut.

Au-delà de ce désaccord entre les rois et les reines, il est à noter que l’île de Bretagne vit un autre événement majeur : l’arrivée du christianisme. Cette arrivée, qui se traduit par la présence d’instance religieuse, a un impact fort sur les croyances historiques des habitants et certains royaumes, à commencer par le Royaume du Kent, se sont convertis… C’est donc avec toutes ces dimensions que la jeune femme, pas forcément préparée à diriger, va devoir jongler pour protéger la grande île de Bretagne.

La relation humaine comme centre de l’histoire

L’histoire va alterner entre les points de vue de deux personnages : Morgane et Arthur. Cela semble cohérent pour permettre de mettre en balance le personnage qui fût roi dans les légendes connues et celle qui l’est dans la vision de Jean-Laurent. Cela permet aussi de bien montrer les jeux de pouvoir car, bien que dans une relation amoureuse, l’échec d’Arthur et les manigances des différents protagonistes vont mettre en difficulté la prise de poste (si on peut le dire ainsi) de Morgane.

Les jeux de pouvoirs, les tromperies et trahison vont jalonner le parcours de la nouvelle souveraine qui va devoir tenir le délicat équilibre entre confiance et méfiance, coincé entre différents proches qui semblent avoir des objectifs bien différents.

Que veux tu, Arthur ? Que veux tu maintenant ?

Changer d’histoire. Ne pas suivre celle qui a été décidée pour moi.

Alors, raconte-la toi-même.

Dans ce jeu de pouvoir, nous suivons bien sûr avec beaucoup d’attention l’enchanteur Merlin qui reste un personnage énigmatique, impliqué dans de nombreux événements de l’histoire bretonne, pas toujours forcément pour de bonnes raisons. Nous suivons aussi les manigances de l’Eglise pour étendre son pouvoir sur les différentes zones de Bretagne, dans leur volonté de faire reculer la féérie et de s’approprier un certain nombre de symboles…

Les décisions de chacun des membres de la Table Ronde pourront avoir des conséquences sur l’avenir et le devenir non seulement des Royaumes mais aussi sur la magie, magie qui est essentiellement porté par le Royaume du Pays de Galles. La vision proposée ici par Jean-Laurent est intéressante et rend son Roi garant de la magie, des créatures féériques et garde-fou de leurs possibles dérapages.

Une vision féministe du mythe arthurien

Il n’échappera pas que le choix de féminiser le mythe concoure à une volonté de mettre les femmes un peu plus en avant mais pas que. Jean-Laurent fait le choix de mettre à la Table Ronde des chevaliers et des chevalières, renversant l’image habituelle de la femme qu’il faut sauver ou qu’il faut protéger d’un monde masculin au possible. Cela passe aussi par le rappel que le mythe arthurien passe aussi par de la maltraitance vis-à-vis des femmes, à commencer par le subterfuge qu’utilisera Merlin pour permettre à Uther Pendragon d’abuser d’Ygerne… et à croire que Merlin ne savait pas se tenir, puisqu’il sera impliqué dans une histoire similaire aux conséquences dramatiques.

Autre sujet très présent aussi est la notion de couples et l’absence de règles imposant à un·e souverain·e d’être avec une personne du sexe opposé. Avec beaucoup de naturel, des couples homosexuels se créent jusqu’au plus haut niveau de l’état, sans que cela ne choque particulièrement, à l’exception bien sûr des converti·e·s au christianisme… Rajoutez à cela les amants qui ne se cachent même pas et vous risquez de faire hurler quelques bien pensant·e·s.

Pour autant, bien que ces éléments ne sont pas présents par hasard, l’essentiel tient bien à cette histoire de femme qui doit porter un lourd héritage et donner sa vie pour le bien commun. Avec une alternance de chapitres courts et percutants, l’auteur nous fait découvrir une autre histoire, proche de celle que nous connaissons tout en lui donnant une nouvelle dimension, riche de son humanité, de ses doutes et porteuse d’espoir.

Un roman à ne pas manquer en ce début d’année !

Un peu en mode post-scriptum mais pourtant essentiel : je trouve la couverture de Didier Graffet absolument magnifique !

Albin Michel Imaginaires (18 janvier 2023) – 356 pages – 22,90 € – 9782226479693
Couverture : Didier Graffet

Les légendes sont écrites à l’image des hommes, aussi, comment pourrais-je en être l’héroïne ?

An 601. Île de Bretagne.

Depuis la mort d’Uther Pendragon, souverain du royaume de Logres, aucun héritier n’est monté sur le trône. Pour cela, il faudrait réussir à extraire l’épée du défunt monarque, enchâssée dans la pierre.

A l’aube de ce nouveau siècle, les prophètes en sont pourtant persuadés : un nouveau roi va naître. Le puissant Merlin a la certitude qu’il s’agit de son protégé, le jeune Arthur. Mais c’est Morgane, la fille cachée d’Uther, qui s’empare de l’épée.

Réussira-t-elle à faire face aux guerres, aux intrigues et aux trahisons, et à s’imposer comme une souveraine légitime ?

La légende morganienne ne fait que commencer.