Retrouvez l’actualité des littératures de l’imaginaire (Science-Fiction, Fantastique, Fantasy, et autre) ainsi que des interviews de celles et ceux qui les construisent.

Rencontre avec Rui Zink

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L’Installation de la Peur a été la surprise du Prix des Utopiales 2017 : cet oeuvre de Science-Fiction parue aux éditions Agullo va vous mettre face à une société qui a décidé par décret d’installer la peur dans tous les foyers…
Rencontre avec Rui Zink, son auteur, qui a gentiment accepté de répondre à nos questions  – et en français s’il vous plait (Rui est portugais).

Bonjour Rui, je vous remercie d’avoir accepté de répondre à quelques unes de nos questions.  Je commencerai par la traditionnelle : pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Rui, 56 ans, encore beau.

J’avoue que L’installation de la peur est le premier roman de Science-Fiction portugais que je lis. Pouvez-vous nous parler un peu de la littérature de l’imaginaire au Portugal ?
Il y a un petit réseau. Il y a quelques mois j’ai eu l’honneur de présenter Terrarium, un méga-roman à deux mains par deux excellents écrivains : João Barreiros et Luís Filipe Silva.

Avant de parler du roman en lui-même, parlons un peu de ce prix que vous avez reçu durant les Utopiales. Félicitations d’abord et que représentes ce prix ?
Un prix est toujours une joie et un outil de travail pour aider le livre à bouger un peu plus. Ce prix est spécial, parce que c’est les Utopiales, c’est à l’étranger (de mon point de vue), donc le jury ne connaît pas l’auteur.

Donc l’Installation de la peur nous présente l’arrivée de deux hommes, fonctionnaires, qui viennent installer la peur chez une femme… Surprenant comme idée, d’où vient-elle ?
Du dialogue entre le stylo-qui-pense qu’est mon corps et les convulsions du monde dans ce début du XXe siècle.

Si je ne me trompes pas, le récit date de l’époque où le Portugal a souffert d’un certain nombre de contraintes du FMI entre autres, c’est bien cela ?
Et oui.

Votre livre fait froid dans le dos car, malgré un aspect “fictionnel”, nous retrouvons tous les discours que nous entendons en boucle sur les chaînes d’information en continue : votre livre est-il vraiment uniquement une fiction ?
Non. C’est une collection de papillons de nuit, un recueil de mots-cercueil et idées-zombie. Je le crois très réaliste, en fait.

La mise en œuvre de cette peur est faite par deux fonctionnaires… Vous êtes donc convaincu que ce climat de terreur est une volonté des gouvernements et non une conséquence des temps actuels ?
Pas exactement. Je ne suis convaincu de rien. Un écrivain, tel que je le vois, est l’opposé de quelqu’un de « convaincu », voire « sûr ». Le bouquin m’a forcé à simplifier les choses, pour pouvoir stimuler l’imagination et la lucidité intérieure de ceux qui le lisent. Je crois que les « pouvoirs sur terre » bénéficient de l’installation de la peur, même quand ils ne la provoquent pas. C’est un « crime d’opportunité », comme quand un cambrioleur trouve un touriste avec le portefeuille mal caché. Mais… aujourd’hui j’ai vu que l’affaire Kim Jong-un a apporté un joli pognon extra au complexe militaro-industriel des États-Unis. Serait-ce une si grosse surprise si on découvrait qu’en cachette le jeune ogre avait touché un joli pourcentage ?

D’ailleurs, à un moment, vous faites dire à vos personnages que la femme doit accepter de participer à cette installation. Finalement, votre message est aussi d’une certaine façon, nous sommes responsables de cette spirale de peur, acceptant de tomber dans le piège ?
Oui. Nous sommes complices, même quand nous sommes victimes. Ce que je dis n’est pas tellement nouveau. Machiavel l’expliqua il y a cinq siècles, Aldous Huxley aussi, en 1932, dans Le Meilleur des Mondes. Voyons, le recours à la violence est toujours peu agréable, même pour les bourreaux ! C’est beaucoup plus paisible pour tout le monde quand les victimes sont sages.

Vous ne laissez aucune peur de côté : violence, marché, santé, terrorisme, … Vous cristallisez dans ce court roman tous les sujets anxiogènes : une volonté d’ouvrir les yeux de vos lecteurs sur le côté exagéré de cette situation ?
Je compte sur ça. Les deux hommes ont la parole, 90% du temps. J’aime beaucoup le principe esthétique de l’Aïkido : laisser l’adversaire nous attaquer et utiliser sa force pour le faire tomber. J’ai laissé parler les deux installateurs tant qu’ils veulent. À un moment je voulais intervenir mais ils ont dit : «Toi, le p’tit Portugais, la ferme ! » Je n’ai pas aimé mais j’ai obéi. Curieusement, c’étaient les mêmes mots que le FMI chuchotait à mon pays.

Nous avons finalement peu d’informations sur la situation au Portugal : est-ce que le Portugal subit aussi cette ambiance ?
Mon avis ? Non. La réalité n’a pas tellement changé, mais la façon donc nous la percevons, si. Donc, la réalité a changé. Ça va mieux, même avec la vague d’incendies et la sécheresse.

Pourquoi avoir utilisé le jeu de la Science-Fiction pour faire passer votre message ?
Jeune homme, j’ai été marqué par Abattoir 5, un récit où Kurt Vonnegut utilise la grammaire de la science-fiction pour parler d’une réalité qu’il gardait en soi depuis 20 ans : l’horreur de la guerre. Il était muet jusqu’au moment où, avec l’aide des gentils Tramafaldoriens et sa stupéfiante notion de temps. N’oublions pas que l’utopie et la dystopie sont, avant tout, des concepts politiques. Comme la plupart de la SF, je crois. Prenons la discussion sur les androïdes – si ce n’est pas de la politique, c’est quoi ? La SF qui m’intéresse en tant que lecteur pense le présent en parlant du futur.

Avez-vous d’autres projets en cours ?
Oui. Je suis en train d’écrire un récit autour de l’Alzheimer, sujet qui me touche beaucoup, et qui a un côté intime, personnel (un bon livre doit livrer nos fantasmes au lecteur, c’est mon credo), mais c’est aussi une métaphore de ces années folles.

Je vous laisse le mot de la fin
Merci. Vos questions m’ont aidé à penser un peu avant de m’endormir.


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