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Underground Airlines de Ben H. Winters

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Durant les Utopiales, j’ai pu rencontré et échangé (interview à venir) avec Ben H. Winters et c’est vrai que le sujet qui traite n’est pas aussi simple que le laisse le côté Science-Fiction / Uchronie. Nous sommes dans notre monde contemporain, si ce n’est que l’histoire a dévié durant la Guerre de Sécession puisque, contrairement à l’Histoire avec un grand H, elle n’a pas débouché sur la fin de l’esclavage mais sur une espèce d’équilibre où quatre états conservent le droit d’utiliser l’esclavage.

Et dans ce monde, Victor est un homme  noir libre qui travaille pour les U.S. Marshals à la traque des esclaves en fuite. Sa mission actuelle consiste à traquer un homme qui s’appuie sur l’Underground Airlines pour rejoindre le Canada. Pourtant, Victor suspecte que tout n’est pas clair dans cette traque, les informations qu’il obtient sont parcellaires, comme si on essayait de lui cacher la vérité.

Si nous nous plongeons dans un thriller uchronique, j’ai largement été surpris par la richesse du roman de Ben H. Winters. On commence par progresser en ayant conscience que ce monde n’est pas le notre, et nous repérons deux-trois éléments qui nous permettent de nous rassurer quant à la distance avec notre réalité. Car, si les Etats-Unis n’ont pas totalement aboli l’esclavage, cela a eu pour conséquence de les marginaliser sur la scène internationale, avec pour deuxième effet d’avoir un pays totalement renfermé sur lui-même. Sans oublier que la façon dont sont traités les “Noirs”, avec une classification suivant leur peau est peu compatible avec le monde civilisé.

Cette description, “miel d’automne”, vous trouvez que ça sonne comme de la poésie, mais ça n’en est pas. “Miel d’automne, chaud, #76” est l’une des cent soixante-douze nuances de peau afro-américaine recensées dans le manuel du Bureau des U.S. Marshals et rassemblées au chapitre 9 (“Identifier et décrire”) dans la charte dite de “Taxonomie pigmentaire”. Moi, je suis “charbon moyen, reflets bronze, #41”

Pourtant… Pourtant, l’histoire se passe dans un premier temps dans  le Nord, dans la zone qui a totalement supprimé l’esclavage. On s’attend donc à ce que la situation des afro-américains ne soit pas différente de l’ensemble de la population, mais rapidement, au travers du regard de Victor, nous découvrons des contrôles au faciès, des arrestations arbitraires, des tirs aussi… Finalement, l’Amérique telle qu’elle nous est décrite ressemble farouchement à celle que nous connaissons. Et rapidement, nous comprenons que la société dépeinte par Ben H. Winters n’est pas si différente de celle que nous connaissons, en tout cas que les américains connaissent : l’abolition de l’esclavage n’a pas pour autant améliorer la vie des afros-américains. Et cette réalité que l’on se refuse à accepter est reflétée la aussi dans les propos des esclaves sudistes qui interrogerons Victor sur la différence entre sa situation et la leur.

Et comme ça, l’idée se diffuse dans toute la société, comme la fumée d’une usine : Noirs=pauvres et pauvres=dangereux et, petit  à petit, les mots se mélangent pour devenir une seule et même idée sombre, un nuage noir dont les fumerolles nocives viennent planer dans le ciel du pays tout entier.

Bien entendu, c’est aussi l’histoire d’un homme, Victor, qui se croit libre de ses gestes, qui essaie de vivre avec un passé qui le tourmente mais aussi qui a bien conscience de la violence des ses actes.

Un sujet donc difficile à traiter, qui questionne sur notre monde actuel. Un livre terriblement d’actualité !

ActuSF (Octobre 2018) – 440 pages – 19,90€ – 9782366299311
Traduction
: Eric Holstein (Etats-Unis)
Titre OriginalUnderground Airlines (2016)
Couverture : Diego Tripodi
Postface : Bertrand Campeis
Amérique. De nos jours. Ou presque.
Ils sont quatre. Quatre États du Sud des États-Unis à ne pas avoir aboli l’esclavage et à vivre sur l’exploitation abjecte de la détresse humaine. Mais au Nord, l’Underground Airlines permet aux esclaves évadés de rejoindre le Canada. Du moins s’ils parviennent à échapper aux chasseurs d’âmes, comme Victor. Ancien esclave contraint de travailler pour les U.S. Marshals, il va de ville en ville, pour traquer ses frères et soeurs en fuite. Le cas de Jackdaw n’était qu’une affaire de plus… mais elle va mettre au jour un terrible secret que le gouvernement tente à tout prix de protéger.


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