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Vigilance de Robert Jackson Bennett

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Les novellas publiées dans la collection Une Heure Lumière de Le bélial sont souvent de qualité, et cela est encore le cas avec Vigilance de Robert Jackson Bennett. Nous avions déjà parlé de cet auteur pour American Elsewhere paru il y a deux ans.

Si le quatrième de couverture peut laisser penser à du déjà-vu, tant le sujet a été rebattu à plusieurs reprises, le traitement qu’en fait Robert Jackson Bennett est vraiment intéressant à plusieurs niveaux et surtout parce que le centre du livre n’est finalement pas le déroulé du Viligance mais beaucoup plus la préparation du côté de John McDean, producteur du real-game et ses équipes et de l’autre côté, la montée en tension des futur.e.s spectateurs et spectatrices, qui se demandent si ils / elles feront parti.e.s à leur corps défendant de l’émission.

Le fond de l’histoire est le déclin de l’Amérique en faveur de la Chine et cette persistance dans l’esprit collectif états-uniens que tout ne peut se régler qu’à coup de gros calibres et que chaque américain.e doit être prêt.e à tout pour défendre sa vie. D’ailleurs, il ne fait aucun doute dans l’esprit collectif que les personnes qui périssent au cours de Vigilance en sont responsable car pas prêtes.

Nous voici donc plongée dans cette Amérique qui a peur et qui considère que sa survie ne peut dépendre que de sa capacité à être prête à l’imprévisible. La violence reste le cœur de cette Amérique, craignant à tout moment d’être attaquée.

Ainsi les soldats de la Seconde Guerre Mondiale, à l’époque où les hommes en étaient des vrais, avec un pays qui valait le coût qu’on le défende. Comment ont-ils fait ? Comment ont-ils repoussé les vagues du mal pour apporter au monde démocratie et liberté, pour empêcher les forces du fascisme de s’emparer de l’Amérique elle-même ? Avec tout un tas de putains de gros canons.

Et c’est là qu’intervient Vigilance, programme de télé-réalité qui se veut être à vocation patriotique en montrant de façon ultime le risque à ne pas être vigilant. Imaginez, vous choisissez quelques quidams, triés sur le volet par rapport à ce qu’ils sont, leurs capacités à exercer un massacre de masse et prêt à mourir pour décrocher le gros lot. Et nous arrivons à un moment où le programme Vigilance va être lancé.

Les deux axes narratifs choisis par l’auteur sont d’un côté le producteur qui est en train de finaliser les derniers ajustements pour le déclenchement et Delyna, une serveuse afro-américaine en service dans un bar qui pourrait être une des cibles du jeu.

Nous voyons la tension monter au fil des pages, les contacts avec les différentes équipes en charge de faire de cette nouvelle session une réussite. Le choix du lieu se révèle particulièrement intéressant, frappant l’Amérique dans ce qu’elle est fondamentalement tout en appuyant très fort sur l’aspect manipulation des médias. Là où l’objectif était d’inciter les américain.e.s à rester attentif à leur environnement et à être prêt.e.s à défendre leur pays, nous nous rendons compte très vite que, et cela ne surprendra personne, c’est bien l’argent qui mène le tout…

Ce cynisme est omniprésent, Robert Jackson Bennett nous plongeant dans l’esprit des protagonistes. Le producteur a vu l’Amérique évoluer vers ce qu’elle est désormais et chacune de ses décisions (lieux, tueurs, publicités) font écho à cette connaissance des attentes du public américain.

car si l’Amérique ne fabrique plus grand chose, elle produit à coup sûr quantité d’enfants morts : abattus à l’école, chez eux, sur les terrains de jeux ; abattus par des flics, par eux-mêmes, par leurs parents, par d’autres enfants… Des tas et des tas de petits corps angéliques, tous perforés par des balles, tous immobiles, froids, parfaits.

Et c’est dans cette Amérique en attente de l’événement que Delyna tient son service dans un bar, chaque client craignant que le lieu ne devienne le terrain de jeu des tireurs.

Vous l’aurez compris, Vigilance va mettre en exergue ce qu’il y a de pires dans le comportement humain : cette violence latente et souhaité par les auditeurs et auditrices du média ne peut que faire écho à l’actualité telle que nous la découvrons jour après jours, et sonne peut-être encore plus étrangement aujourd’hui. La montée en pression est progressive et à la lecture, nous nous retrouvons dans la même position à savoir l’impatience que le “jeu” se lance pour voir si une issue favorable en ressortira. Et le jeu commence, ajoutant au cynisme de la situation, la manipulation permanente de la part de la régie de l’émission, prête à tout pour maintenir l’audience et l’état d’esprit de son public.

Les publicités s’enchaînent probablement aussi vite que les morts, la vie privée des tueurs et victimes s’étalent pour permettre de vendre encore plus, de durer plus longtemps et de ne surtout pas dénaturer le message…

C’est devenu un classique : montrez un enfant mort à la Personne Idéale de John McDean et elle haussera les épaules. Montrez-lui l’image d’un Noir (ou d’un Mexicain, ou d’un musulman) avec un flingue, et toutes les aiguilles danseront comme des ballerines.

Un sentiment de dégoût nous anime mais toujours avec cette curiosité de la chute, d’un possible revirement de situation. Et bien que pourtant exécrable au possible, John McDean a lui-même ses propres faiblesses parmi lesquelles la soif de pouvoir et d’emprise ne sont pas les dernières, et cette faiblesse aura un coût… Mais loin de moi l’idée de vous divulgâcher la fin donc ruez-vous chez votre libraire préféré pour découvrir un titre glaçant.

Le Bélial (Juin 2020) – Une Heure Lumière – 165 pages – 10,90 € – 9782843449710
Traducteur : Gilles Goullet
Titre Original : Vigilance (2019)
Couverture : Aurélien Police

Trois tireurs armés jusqu’aux dents lâchés dans un « environnement » public aléatoire délimité. Un but : abattre le plus de personnes possible. Une promesse : un énorme paquet de fric pour celui qui quitte les lieux indemne. Si l’une des « cibles » met hors d’état de nuire l’un des tireurs et survit, une part du pactole lui échoit. Des règles simplissimes, et des dizaines de drones qui filment le tout pour le plus grand bonheur de millions de spectateurs hystérisés, d’annonceurs aux anges et de John McDean, producteur et chef d’orchestre de Vigilance, le show TV qui a résolu le problème des tueries de masses aux États-Unis…


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