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Interview : nicolas cluzeau

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Christophe : Bonjour Nicolas Cluzeau, tout d’abord, peux tu présenter ton parcours? »

Nicolas : Mon parcours a été un peu chaotique, non que je m’en plaigne : il en a été que plus enrichissant. Né à Paris d’un père ingénieur du son et d’une mère restauratrice, j’ai vécu la plus grande partie de mon enfance à la campagne, dans un hameau qui était aussi un restaurant au bord d’une nationale – d’où me vient peut-être mon amour des grands espaces et de la nature. J’ai commencé à lire très tôt des choses un peu fantastiques, comme les Contes du Chat Perché et d’autres contes de fée, mais j’ai aussi fait la connaissance avec la littérature policière lorsque j’ai eu dix ans : ma grand-mère collectionnait tous les livres du Masque, et j’en ai dévoré des centaines avant de découvrir, à treize ans, la Science-fiction et la Fantasy, cette dernière par le biais de Tolkien, puis ensuite de Jack Vance et Philipp José Farmer. J’ai fait une fac de philosophie à Paris, et même si j’ai lamentablement échoué cette période d’étude, il en est ressorti un goût pour l’interrogation perpétuelle. J’avais déjà essayé quelques écrits, des petits bouts de textes que je préfère oublier, mais je ne pensais vraiment pas devenir écrivain à cette époque : contrairement à beaucoup d’auteurs, je n’ai jamais eu le goût de l’écriture tout petit, et je n’ai jamais rempli des cahiers d’histoires diverses et variées. Surtout, après la fac de philo, je me suis plongé dans le jeu de rôle et je crois que c’est là qu’est venu le déclic : l’organisation et l’écriture de scénarii et de campagnes de jeu de rôle m’a donné une certaine discipline que je ne possédais pas avant. En fait, pendant des années de jeu de rôle, je n’ai rien gardé par écrit ou presque des très nombreuses sessions mémorables que j’ai vécues ou faites vivre aux autres. Alors m’est venue l’idée de retranscrire ces sessions, d’abord en résumés, puis en petites histoires. Puis un jour, je me suis demandé si je pouvais écrire un roman en entier : de là est né « Embûches », mon premier grand récit, un peu loufoque, très influencé par Jack Vance en plus bavard. Après quelques déboires avec deux maisons d’éditions, j’ai eu la chance d’être retenu par Nestiveqnen pour leur collection Fantasy naissante à peu près en même temps que Fleuve Noir acceptait un gros manuscrit que moi et un ami avions écrit en commun, « Les Chroniques de la Terre Déchirée ». Ensuite, tout s’est enchaîné rapidement : la suite d’Embûches, « Erika », est sortie chez Nestiveqnen, ainsi que le recueil des enquêtes d’Harmelinde et Deirdre, que j’avais écrites pour diverses revues ou anthologies durant les deux années qui avaient précédées. Cela a facilité mon entrée comme scénariste dans une boîte de jeux vidéo, ce qui m’a donné une grande liberté financière pour pouvoir voyager. J’ai continué à écrire au compte-gouttes, mais pas assez à mon goût. Finalement un peu déçu par le milieu du Jeu Vidéo et aussi parce que j’avais rencontré ma future femme à Istanbul, j’ai démissionné et suis parti m’installer en Turquie, où j’ai repris une activité d’écriture à plein temps : à part le premier tome, « Le Dit de Cythèle » a été écrit entièrement à Istanbul et Ankara. A présent, tout en continuant dans la Fantasy, j’essaye de me tourner aussi vers le roman semi historique et le récit policier.

Christophe : Effectivement, on sent l’influence du JDR dans tes écrits. Est ce pour cette raison que tu as décidé de commencer par la Fantasy, alors que ton style très riche, te destinait à un genre plus « littéraire »?

Nicolas : C’est une des raisons, en effet, qui m’a poussé dans les bras de la Fantasy, mais pas uniquement. Avant même de faire du jeu de rôle, j’ai été passionné par les écrits de Tolkien et Vance, de Farmer, en tout cas ceux qui relèvent de la Fantasy, et j’ai toujours été fasciné par les mythologies et les légendes dont elles dépendent. En ajoutant à cela que j’ai toujours été gêné, dans l’écriture, par la technologie jusqu’à il y a quelques années, je peux à présent dire que oui, la Fantasy m’a toujours tendu les bras. C’est sans doute pour cela que tout ce qui pourrait être technologique dans mes écrits Fantasy est remplacé par une magie ressemblant à une science… Pour ce qui est d’un style littéraire riche, cela m’a joué des tours et continue de m’en jouer : les lecteurs proches de la littérature blanche me reprochent de faire de la Fantasy, et les lecteurs proches de la Fantasy me reprochent d’être trop littéraire dans mon écriture. C’est un paradoxe que je n’ai pas pu résoudre, puisque j’écris comme j’en ai envie. C’est peut-être aussi pour ça que j’ai commencé à écrire autre chose que de la Fantasy, mais je pense que cela a plus de rapport avec mon envie de m’essayer hors du genre.

Christophe : C’est ce qui fait aussi ton originalité. Effectivement, la magie de ton multivers permet à certains mondes d’avoir des technologies qui n’ont rien à envier au notre. D’ailleurs si nos ancêtres voyaient nos avions, ils utiliseraient certainement le même genre de description que tu as fait pour les navires volants. Considères tu notre science comme une sorte de magie, finalement ?

Nicolas : La science n’est une magie que par les moyens qu’on utilise pour la rendre magique et méritante, à mon avis – désolé pour cette parole facile. Il est difficile de répondre à cette question sans évoquer les avantages et inconvénients de la science : une meilleure qualité de vie avec comme prix une dégradation catastrophique de l’environnement si l’on est pas attentif à la manière dont on gère les applications scientifiques. Avec la magie que j’ai mise en place, ressemblant à une science sans y ressembler non plus à cent pour cent, il y a aussi ce prix à payer. Plus la magie est utilisée pour créer des merveilles, plus elle draine les ressources du monde sur lequel elle exerce son influence : elle n’est pas sans limites. Aussi, pour moi les deux sont liées, science et magie, et d’ailleurs c’est une récurrence dans mes récits, surtout la Saga du Dit de Cythèle et dans les cycles à venir.

Christophe : La quête de Cythèle est pour le moins originale : retrouver les âmes de sa famille. Comment t’es venu cette idée ?

Nicolas : En fait, la Ronde des Vies Eternelles devait être une novella que je destinais à publier dans un fanzine en 1996, mais au fur et à mesure de l’écriture, de nouvelles idées se sont greffées, et c’est devenu un roman – il y a quelques passages que je réécrirai bien, à présent, mais c’est un autre débat. Pendant que j’écrivais ce roman, je ressentais la frustration de Cythèle au travers du personnage, et sa rage d’être ainsi manipulée, son amertume d’avoir ainsi perdu son mari et ses enfants. Lorsqu’elle revit sa vie antérieure, elle entrevoit ce qu’elle avait été, ainsi que les membres de sa famille tels qu’ils furent, ceux dont les âmes ont été éparpillées… et se met en branle dans son esprit une volonté de partir à la recherche de ceux qui furent les siens, d’au moins retrouver leurs âmes pour réunir sa famille une dernière fois avant de les emmener avec elle dans le « Royaume des Morts » des justes, les Îles des Bienheureux. Toi qui as lu le cycle, tu as compris que l’idée même était plus compliquée que ça, puisque derrière Cythèle se profile toujours l’ombre de sa divinité et de son projet. Lorsque j’en étais aux trois quarts du premier tome, j’avais déjà tracé les grandes lignes des trois autres volumes et la quête de Cythèle. Le quatrième tome était même trop important, j’ai coupé à la fin de la quête de Cythèle, et ce qui se passe derrière le Mur des Ouragans sera révélé dans les deux premiers tomes du prochain cycle.

Pour en revenir à l’idée, s’est rajouté à cela l’envie de montrer une petite partie de mon multivers : j’ai donc fait traverser à Cythèle deux des trois mondes titaniques et divers plans, strates inférieures démoniaques et plans divins, pour que le dépaysement soit au rendez-vous à chaque tome.

Christophe : Ce cycle met en place un paradoxe intéressant : La volonté de Cythèle de retrouver sa famille est infiniment louable par contre, cette quête entraîne parfois des bouleversements dans les mondes qu’elle visite. Qu’as-tu voulu nous faire ressentir en développant cet aspect ?

Nicolas : Je crois que c’est une constante dans l’Histoire telle que nous la lisons et telle que nous la vivons : les grands bouleversements mondiaux sont souvent causés parce qu’un homme ou une femme en sont les causes. Quelque soient les événements, une personnalité imposante, charismatique, en est souvent l’origine. Rares sont les moments où l’Histoire a été faite par un ensemble de personnes, c’est du moins ce dont je me rends compte en lisant les livres des événements mondiaux dans l’Histoire. Bien sûr, souvent derrière la personne charismatique il y a un groupe qui agit dans l’ombre, n’en est-il pas ainsi depuis la nuit des temps ? Cythèle, dans le cycle, est ainsi : elle agit ainsi parce qu’elle n’a pas le choix dans son action ; c’est aller au bout de sa quête sans se poser de questions ni voir les dommages collatéraux, ou ne pas partir en quête. Et derrière elle se profile l’intérêt d’une divinité dont elle a cru s’affranchir, mais qui en fait contrôle presque totalement ses actes. On pourrait presque dire que c’est une analogie entre les dirigeants qui ne prennent leurs décisions et ne font des lois qu’en fonction des lobbies qui les influencent. Peut-être est-ce une comparaison osée, mais inconsciemment, peut-être est-ce le schéma que j’ai voulu reproduire ? De plus, dans le récit, Cythèle traverse les mondes, mais les changements ne sont pas tout à fait de son fait aussi : ils étaient déjà présents dans le coeur et l’âme de ceux qui y président. Elle ne fait qu’accélérer les choses, mais il est vrai aussi qu’elle met en branle des mouvements dont on verra les répercussions plus tard dans d’autres écrits.

Christophe : En observant ton multivers, je me suis aperçu qu’il est tout sauf manichéen. Les intrigues politiques qui s’y passent, rappellent souvent les nôtres. Par ton multivers as-tu voulu montrer comment notre propre monde au fond fonctionne ?

Nicolas : Ce qui se passe dans un livre sorti de l’imagination d’un écrivain est – idéalement et le plus souvent – le résultat des relations qu’il entretient avec le monde tel qu’il est, et ses observations, déductions, reproductions de modèles politiques, sociaux, religieux, économiques ne peuvent qu’être influencés par lui. Je peux même peut-être te donner une interprétation spécieuse et très succincte du cycle de Cythèle : le premier tome semble être la destruction du modèle familial (une constante chez moi), le deuxième tome est l’apologie des compromis politiques inévitables, le troisième une critique féroce de la guerre à outrance et le quatrième se penche sur la déshumanisation des hommes au pouvoir. Je l’imagine comme ça après coup, parce que lorsque l’écrivain rédige son oeuvre, il n’est pas entièrement au fait de ce que son imagination lui souffle. Ce n’est qu’après, lorsque les lecteurs lui disent : « Lorsque vous écrivez ça, vous voulez dire que… » qu’il se rend compte des idées subconscientes qu’il a faites passer dans son texte. C’est pour ça qu’il est important de se relire de nombreuses fois, et d’avoir toujours un directeur littéraire d’une grande perspicacité. Et pour répondre à ta question, maintenant, à chaque fois que j’écris, je me pose la question de savoir pourquoi et quel rapport cela a avec la vie que je mène, les choses que j’observe et les gens que je fréquente. La réponse est donc oui, j’essaie de faire passer des messages, je pense, en transposant notre monde dans ceux que je décris : d’ailleurs, comme pour la vie que nous traversons, il est rare que mes récits se finissent bien pour tout le monde.

Christophe : Tout le long du cycle, les héros semblent ne pas avoir de liberté d’action, malgré leur volonté. De plus lorsqu’un choix se pose à eux à la fin du cycle, il leur est presque impossible de prendre une décision. Vois tu ton multivers comme un monde déterministe, où tout est joué d’avance?

Nicolas : Tu vas me trouver très pessimiste, mais cela doit être encore inconsciemment en parallèle avec le déterminisme de notre propre monde – ou par exemple rien n’est fait, RIEN, pour enrayer le réchauffement climatique. En fait, je pense que le monde dans lequel nous vivons marche à cause d’une série d’engrenages incroyablement résistants aux changements, déterminés par des groupes d’hommes et de femmes au pouvoir ou dans les coulisses du pouvoir qui, une fois leur décision prise, ne peuvent absolument plus arrêter la machine qu’ils ont mise en route, même s’ils le veulent. Il est très rare qu’un élément unique puisse enrayer la machine, et souvent l’individu se fait écraser par la masse des troupeaux entraînés dans une voie unique et irréversible.

Ainsi, dans le cycle, il est impossible à Cythèle de sortir de son engrenage sans renier sa divinité et oublier les âmes de sa famille. Les personnes qui l’entourent essayent parfois de faire en sorte de changer les choses, mais leurs efforts sont écrasés – l’exemple d’Ambre Shanael est frappant, ou ils se sentent une dette envers Cythèle – Triliock et Scafrix, ou alors ils voient en Cythèle une reproduction de leur mode de vie basé sur l’honneur et la vertu de la quête – Merraz Tekkaro. Tous ces éléments font qu’il est impossible à la machine lancée par Plutonis et Eréas de s’arrêter. Dans le prochain cycle, on verra jusqu’à quel point elle va affecter Thorion Weir tout entier.

Christophe : Justement, peux tu nous parler de la suite: quand sortira t’elle? Y retrouverons nous la plupart des personnages du dit de Cythèle?

Nicolas : « Les Chroniques Iliatiques », le prochain cycle, prend place cinq années après le Dit de Cythèle, et on y retrouvera Cythèle et Merraz au moins, héros ou personnages en retrait suivant les volumes, Harmelinde et Deirdre de même (même si cette dernière est très malade), un certain Starkad qu’on voit dans le petit cycle « Nordhomme », on y retrouvera aussi Tlézijane et Iskander, dans un rôle presque permanent de volume en volume – surprise, surprise. Kylandiel Degethar (qu’on voit peu mais sûrement dans le quatrième tome de Cythèle) aussi aura une destinée dans les deux premiers volumes des Chroniques, et un certain Lynor Shanael, qu’on voit juste dans des notes ou des exergues du Dit de Cythèle, aura sa place dans les deux premiers tomes. Je n’ai aucune idée d’une date de sortie, rien n’est prévu pour le moment chez l’éditeur car étant sur plusieurs projets à la fois, je n’ai pas fini le premier volume, même si le plan de tout le cycle est déjà sur papier. La grande saga des « Chroniques Iliatiques » est encore plus ambitieuse que le « Dit de Cythèle », nous verrons bien si je peux arriver à la mesure de mes ambitions.

Christophe : L’attente va être difficilement supportable! Je vois que les personnages d’Harmelinde et Deirdre vont garder de leur importance. J’ai remarqué que tu aimais bien mettre en avant les personnages féminins et que ces 2 héroïnes ont non seulement un rôle capital dans « le dit de Cythèle » mais sont également les « vedettes » d’un certain nombre d’histoires. Comment est née l’idée de ces 2 femmes hors du commun?

Nicolas : Eh bien, c’est assez simple en fait : pour une partie de jeu de rôle, une amie avait créé une magicienne nommée Armelinde (sans le H, donc), et avait décidé de lui donner un âge d’une quarantaine d’années et une famille : mari, enfants. En effet, pourquoi les magiciens n’auraient pas de famille aussi ? De là ma cervelle s’est mise en route, et j’ai repris le nom. J’ai tout changé, mais en fait je me suis demandé ce que donnerait une mère et sa fille, toutes deux magiciennes, qui s’efforceraient de résoudre des mystères basés sur la magie, l’intérêt étant d’ajouter aux enquêtes en elles-mêmes une relation mère fille parfois tendue, parfois tendre, en essayant de garder une touche d’humour – et surtout un secret tabou autour du père de Deirdre, secret lié à l’ouvrage « Chroniques des Franges Féeriques » et qui sera d’ailleurs révélé dans le prochain cycle. Je pense que les nouvelles tournant autour du couple mère fille d’Harmelinde et Deirdre sont celles que j’ai écrites avec le plus de plaisir, et je suis heureux de voir que les lecteurs les aiment bien.

Christophe : On a pu voir dans ta présentation que tu vis en Turquie, écris tu des livres exclusivement réservé à ce pays et arrives tu à y éditer tes livres de Fantasy?

Nicolas : Non, je n’écris pas des livres réservés à ce pays, mais j’utilise ce que j’apprends ici, les nouvelles, les histoires colportées par les turcs, le fait que ce pays soit au croisement historique le plus dense de l’Histoire, pour m’en inspirer. Directement pour ce qui est de mes histoires contemporaines situées en Turquie, indirectement pour tout ce qui est Fantasy. J’utilise le folklore d’Asie Centrale (d’où viennent les turcs) pour créer des civilisations nomades ou non (les Arwhéris) qu’on retrouvera d’ailleurs au premier plan dans les deux premiers volumes des Chroniques Iliatiques. Pour ce qui est de mes livres, je n’ai pas réussi à les placer là-bas. D’ailleurs, à part Brussolo, je n’ai pour le moment vu aucun français en fantastique publié en librairie turque. Des auteurs français de littérature blanche, par contre, sont légion.

Christophe : J’avoue ne connaître que tes livres médieval-fantastiques, et d’après ce que j’ai compris tu as écrit des histoires plus contemporaines. Peux tu nous en dire plus ?

Nicolas : Je n’ai pas écrit énormément de choses plus contemporaines : une nouvelle fantastique parue dans Ainsi soit l’Ange d’Oxymore – et republiée dans Faeries, « Le Voyage de Mary Ann Brown » (un hommage au groupe Kansas avec un jeu de mot), une autre novella fantastique, « Le Collecteur », qui n’a jamais été publiée dans sa dernière version mais qui est lisible sur la noosfere. Et, dernièrement, un petit roman policier contemporain et une nouvelle se déroulant en Turquie, de nos jours. La nouvelle devrait paraître en juin, comme je l’avais déjà dit, et le roman, pour le moment, attend sa publication chez un éditeur du Sud de la France (il est accepté avec deux réécritures, donc cela devrait rouler). Pas d’autres écrits contemporains pour le moment, même si j’ai des tonnes d’idées. En attendant, elles sont dans le tiroir.

Christophe : J’ai cru comprendre que tu vis de ta plume. Quelle méthode applique-tu pour écrire un livre ?

Nicolas : Vivre de ce que j’écris, tout est très relatif, mais c’est un autre sujet. Pour moi, le plus important est déjà de prendre plaisir à raconter une histoire. Cependant, il est vrai qu’une méthode est nécessaire, et elle est à chaque fois unique à chaque écrivain. La mienne consiste à penser énormément à l’avance à l’histoire, à me documenter si c’est nécessaire et surtout, de faire un plan de presque tout ce qui va se passer. Il n’a pas besoin d’être très détaillé, il doit surtout me discipliner et me focaliser pour que je n’erre pas trop loin de l’histoire et des personnages. Ceux-ci m’échappent rarement, car je connais trop bien leur psychologie, même si parfois ils peuvent s’en échapper pour faire ou dire quelque chose qu’on aurait jamais pensé d’eux – ils ont le droit de péter les plombs, eux aussi. Une fois le plan fait et mis par écrit, s’il y a besoin d’une carte, je la fais, pour me rendre compte des distances et pour rester cohérent avec ma chronologie. Pendant l’écriture, néanmoins, des tas d’idées s’accumulent de côté, et parfois l’histoire peut changer l’espace d’un chapitre ou d’une partie, mais il est rare qu’elle ne réintègre pas la trame principale. Ce que je prends un plaisir particulier à improviser suivant la personnalité des personnages, ce sont la plupart des dialogues. Certains sont des passages obligatoires pour expliquer certaines choses, mais beaucoup ne sont pas pensés à l’avance, et me permettent de garder des moments insolites ou imprévus qui augmentent mon plaisir d’écriture. C’est à peu près ma méthode. Je dois toutefois avouer que tout ce que j’ai écrit dans le Multivers Fantasy mis en place dans mes romans et nouvelles vient d’un multivers fort détaillé que j’avais créé dans mes quinze années jeu de rôle. Donc, rien d’improvisé, tout était déjà en place en ce qui concerne géographie, politique et histoire. Seuls les personnages en général sont inventés, à part quelques-uns inspirés par des personnages de joueurs.

Christophe : En début d’interview, tu as parlé de « déboires avec 2 maisons d’édition ». Il est vrai que le monde de l’édition est très particulier. Quels conseils donneraient à des jeunes écrivains qui veulent se lancer?

Nicolas : Eh bien, cela varie avec le caractère du « jeune écrivain ». Mais mon premier conseil est de persévérer, durant des années s’il le faut, si l’on pense avoir quelque chose à apporter au monde de la littérature, qu’elle soit de genre ou non : il est rare de réussir si on écrit juste « pour le fun », si on n’a pas de message, à quelque niveau que ce soit – même très profondément enfoui, dans l’humour ou la tragédie, et si l’on est pas cohérent et sérieux dans la persévérance. Le deuxième est de continuer à écrire quelles que soient les réponses des éditeurs – on écrit d’abord pour soi, parce que quelque chose au fond de soi pousse à écrire, et si on en a le temps, jusqu’à ce qu’on reçoive sinon une acceptation, du moins une réponse encourageante. Le troisième conseil est d’essayer de publier d’abord des nouvelles pour se faire connaître. Les manuscrits dont le nom de l’auteur est déjà apparu quelque part dans une publication, fanzine, prozine, magazine, vont déjà un peu plus attirer l’oeil et la curiosité d’un directeur littéraire ou d’un lecteur de maison d’édition. Quatrième conseil : si l’on veut avoir une chance de publier, il faut savoir cibler les maisons d’éditions avec lesquelles on a le plus d’affinités stylistiques ou de genre. Et enfin, dernier conseil, et le plus important, celui que je n’ai pas vraiment suivi dès le début de mes présentations de manuscrit, c’est de mettre son orgueil de côté.

Le jeune écrivain doit se mettre dans l’idée qu’être choisi pour être publié est la conjugaison d’une dose de talent, de chance et de persistance : être au bon moment au bon endroit avec le manuscrit adéquat. Si ces trois critères ne se rejoignent pas à un moment donné, il est rare – mais je peux me tromper – de publier un jour. Autre chose : les éditeurs sont agacés par les auteurs qui les harassent sans cesse à propos du manuscrit qu’ils ont envoyé, ou qui essaient de faire jouer leur influence par des gens qui bossent déjà dans la boîte : c’est un comportement à éviter (je connais un auteur qui avait sa chance avec une grande maison d’édition, mais qui a tout gâché parce qu’il était très impatient, et un autre que je trouvais vraiment très doué dont le caractère moi-ce-que-j’écris-est-parfait-je-changerai-pas-une-ligne a énervé un directeur littéraire, qui l’a envoyé bouler).

Il faut aussi bien souligner qu’on ne peut pas, sauf si la chance fasse qu’on soit une J.K. Rowling en puissance, vivre de l’écriture. Personnellement, je n’en vis pas bien, et je ne vis pas en France, où je ne pourrais même pas payer mon loyer avec ce que l’édition de mes livres me donne.

Je serais bien présomptueux de voir en mes propres conseils une bible, mais comme je les retire d’expériences que j’ai vécues ou que j’ai vu d’autres vivre – et parce que j’ai suivi le fonctionnement interne d’une maison d’édition de très près en créant Faeries avec Nestiveqnen -, je pense qu’une petite partie au moins est pertinente.

Christophe : Sur Internet, plusieurs mises en garde circulent sur le « compte d’auteur ». Certains éditeurs peu scrupuleux l’utiliseraient abusivement pour gagner de l’argent sur le dos des auteurs. Connais tu ce type de contrat et quelles sont les règles à appliquer pour éviter les escrocs ?

Nicolas : Je ne connais pas le milieu des éditeurs à compte d’auteurs, heureusement. La seule chose qu’il faut retenir si l’on veut publier professionnellement, c’est que l’éditeur doit payer l’auteur et prendre en charge tous les frais de publication, autrement ce n’est pas de l’édition, mais une escroquerie. Car les éditions à compte d’auteurs sont tenues par des personnes qui n’ont aucun intérêt à voir l’auteur avoir du succès : cela réduirait leur marge et permettrait à l’auteur de récupérer la somme fort coquette qu’il a versé pour être publié. D’ailleurs, les éditeurs à comptes d’auteurs n’ont pas du tout de distributeurs, même s’ils font croire à l’auteur qu’ils en ont et qu’ils se battent.

Mais encore une fois, il faut se remettre dans la perspective de l’auteur lui-même : nombreux sont ceux qui attendent depuis des années la réponse des éditeurs traditionnels, ou qui se sont vus refusés des dizaines de fois leur manuscrit. Alors ils sont de plus en plus tentés par le compte d’auteurs, qui ne leur refusera pas la publication, bien au contraire, et qui ne fera même pas l’effort de corriger l’ouvrage. Souvent les maquettes sont ignobles – du simple Word même pas paragraphé, les dessins de couverture sont même à la charge de l’auteur et sont souvent très laides.

De plus, l’auteur est livré à lui-même pour la distribution, ce qu’il fait qu’il ne vendra jamais plus de deux cents d’exemplaires au maximum (dans les meilleurs cas). Certains auteurs qui désespèrent en sont même à prendre des dizaines de pseudos différents et à mettre des critiques plus qu’élogieuses à leurs livres sur les sites de la Fnac et d’Amazon, dans l’espoir de faire vendre un peu plus.

Les règles à appliquer, donc, pour éviter les escrocs du compte d’auteurs c’est : ne pas publier à compte d’auteur. Dès qu’une maison d’édition vous dit que vous devez payer pour être publié, eh bien la réponse normale devrait être un grand éclat de rire suivi d’un claquement de porte.

Christophe : Merci pour ces précieux conseils. Je vais maintenant poser une question plus traditionnelle: une nouvelle année riche en publication commence. Peut espérer voir un nouveau livre de Nicolas Cluzeau sortir en 2006?

Nicolas : Eh bien, peut-être le petit roman policier dont j’avais parlé plus haut, mais pour ce qui est de la Fantasy et mon prochain cycle, comme le premier tome n’est même pas terminé et que la mise en place d’un roman prend du temps au niveau d’un éditeur, je n’en sais vraiment rien. J’espère, mais cela dépend aussi du temps que je mettrai à terminer ce premier volume des « Chroniques Iliatiques ».

Christophe : Je n’ai pas cru voir de référence à ton site Internet dans tes livres. En as-tu un ?

Nicolas : Non, je n’ai pas de site Internet, juste un forum pour mes campagnes Neverwinter Nights, qui accueille aussi le forum des Editions Nestiveqnen et des petits forums pour les auteurs que j’aime, et les auteurs de Nestiveqnen, bien sûr. Il s’agit de www.triliock.com.

Christophe : Je crois qu’on commence à te connaître. As tu un mot à ajouter aux lecteurs de Fantastinet avant qu’on se quitte?

Nicolas : Oui bien sûr : lisez en paix, mes très chers frères et soeurs de Fantastinet. C’est tout le mal que je vous souhaite.


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