Du 26-01-2006 au 29-01-2006
ngoulême, fin janvier, c’est la grande fête de la bande dessinée.
En tant qu’agent secret surentrainée, j’ai été envoyé pour le compte du Bureau des Découvertes et Enquêtes Spéciales, sur le lieu du festival.
Le Parti se méfit de cette surabondance et de cette concentration de fanatiques armés d’exemplaires de BD, de Cartes bleues, et de patience. Ma mission est de découvrir si la BD est dangereuse pour les esprits naïfs trop sensibles ou trop ouverts aux messages subversifs qui risquent de s’y dissimuler.
Mon colonel m’a mise en garde : le médium BD est surpuissant. Couleurs, caractères de dessins, personnages héroiques et extravagants, histoires qui vous emennent au bout du monde, vous ouvre l’esprit sur d’autres univers, d’autres points de vue. Le danger est là, nul doute, à chaque page.
Je prépare mon paquetage et lis la fiche de mon contact. Lolo dit « le Bô », agent infiltré dans le milieu angoumoisin depuis plusieurs années maintenant. Il sera mon guide. Il m’accueillera à la base du Parti dans la ville. Heureusement, car tous les hôtels sont complets. Mauvaise surprise en faisant les reservations de train : tout est quasiment déjà complet. Pour arriver à destination, il me faudra 12 heures, et prendre 3 trains. Le Jet du Bureau est déjà réservé, il faudra me résigner à ce très long voyage.
Pour le paquetage, j’essaye de faire léger. Des gros pulls, des pantalons épais, il fait froid à Angoulême, en janvier, mais pas autant que dans ma Sibérie natale. Gants et écharpes sont pourtant de rigueur. J’emporte l’appareil photo, pour illustrer mon rapport au colonnel.
Premier jour :
J’arrive à Angoulême en miette, et je murmure en mon for intérieur : « ma fille, ça commence bien ! » 12 heures de train, 2 changements, des zozos qui ont fait la foire toute la nuit dans le train couchette… Arriver est déjà un exploit ! Je crois que je ne ressemble à rien en déboulant sur le quai, mais peu importe : je ne vais pas à un défilé de mode, après tout. J’ai simplement l’air de quelqu’un qui a fait des pieds et des mains pour arriver jusqu’ici. Le camouflage est donc parfait.
La vie d’agent secret est rude, mais je l’ai choisie. Je suis sur le quai, l’oeil hagard, quand je reconnais mon contact, le dit « Lolo le Bô ». Il reconnait que j’ai une sale tête, et cela le fait rire. Je ris aussi. Rapidement, il m’amène à la base, où me sont remis les codes secrets d’entrée dans l’antre sacrée et protégée. Armée de mon Passeport trois jours, un brin plus fraîche, nous tentons une exursion pour trouver de la nourriture dans l’environnement hostile. Nous trouvons notre bonheur dans une gargotte qui sert des spécialités locales. Les spécialités locales sont particulièrement savoureuses, foie gras poelé à la sauce au Pinaud, pourquoi se priver ? Mais cela n’endore en rien ma vigilence experte. A la fin de cet excellent repas, nous repérons la première cible. Je n’en crois pas mes yeux. C’est bien lui ! Celui qui m’avait échappé déjà une fois, lors d’une précédente mission au festival de BD de Chambéry. Coyote ! Il est là pour l’évènement. Nous chercherons les heures de ces dédicaces pour lui tendre un piège…
Voulant me familiariser avec l’environnement avant de dresser mon plan d’attaque, je demade à Lolo le Bô de faire un repérage du terrain avec moi. Nous nous attaquons aux Bulles.
Ce sont des immenses tentes qui ont un côté « supermarché de la BD ». Chaque éditeur a une partie des différentes Bulles, où il présente ses publications. Je vois les caisse enregistreuses qui fonctionnent à bloc. Angoulême a à cette période un véritable air de supermarché géant, c’est indéniable. Si le côté ouvertement mercantile pourait donner la nausée aux âmes sensibles, si la majoration des prix des BD est souvent scandaleuse (plus de 10€ que sur monlibraireenlignepréféré.com pour certaines) l’avantage qu’y trouvent les fanatiques psychopathes de la BD est la concentration des éditeurs, des volumes, des oeuvres. Il est possible de tout trouver, ici. Quasiment tous les titres, la très grande majorité des éditeurs.
L’autre avantage important est aussi de pouvoir approcher, voir, parler, presque toucher, les créateurs. Il y a déjà des queues devant les comptoires dévolus aux dédicaces. Un grand problème se pose alors. Il n’y a aucune transparence dans l’organisation des dédicaces. Chaque éditeur organise cela à sa guise, soit avec un système de ticket, permettant d’éviter les files d’attentes interminables, soit il faut prendre son mal en patience et piétier des heures en attendant le dessin tant espéré. Certains s’arment de tabouret pliant et de casse-croûtes gigantesques pour patienter jusqu’au moment où ils vont sortir les tas immenses d’albums que contiennent leurs valises à roulette. Je me demande si certains n’ont pas un sac de couchage et un réchaud caché quelque part. Terrible fanatisme.
Qui veut une dédicace doit dans tous les cas se renseigner très tôt, pour savoir où, quand et comment obtenir une dédicace de son auteur favori.
J’apprends avec dépit qu’il n’y a plus de ticket pour les dédicaces d’Eric Liberge, auteur de Monsieur Mardi Gras des Cendres. La puce de ma CB a déjà partiellement fondue, mais je pense qu’elle y survivra. Je pense avoir déjà réussi à comprendre l’esprit du festival : j’ai déjà acheté des BD, et j’ai cherché frénétiquement la dédicace.
Ce jour-là, il n’y a pas trop de monde, cela reste vivable. Contraitement à ma précédente mission à Chambéry, nous pouvons découvrir la terrible propagande qui se cache entre les pages des BD sans mourrir étouffés. Sauf dans la Bulle des éditions Soleil, où après avoir fait quelques pas, nous renonçons, tellement c’est noir de monde, bondé, infernal.
Je me suis apperçu que j’étais du plus haut niveau de bouletude dans le domaine de l’espionnage : l’appareil photo numérique non prêté par Fantastinet est resté à la base. Donc, il me faudra réaffronter tout ça demain, pour donner au chef un apperçu plus visuel.
Avec Lolo le Bô, nous avons établit le plan d’attaque pour demain…
Deuxième jour :
En me réveillant dans la fraîcheur de la base, je me suis posée une question fondemmentale : le festival de la BD d’Angoulême, est-ce uniquement ça ? Une débauche d’argent et de couleur, organisée autour de petites stars ? Une grande foire aux planches multicolores ? Je fais part de mes interrogations à Lolo le Bô.
Nous décidons alors de nous mettre en route vers l’autre attrait du festival : les expositions et les rencontres avec les auteurs. Elles prennent de l’ampleur au fil du temps, afin de proposer une alternative à la débauche commerciale.
Le forum des « rencontres internationales » nous comblera sans doute. Nous allons à l’a rencontre avec Enki Bilal. Il semblerait qu’il faille encore des tickets pour entrer dans la salle. Ceux-ci sont obtenu sans difficultés. Il s’y est dit beaucoup de choses très intéréssentes particulièrement sur l’influence de la guerre en Yougoslavie sur son oeuvre. Bilal à signifié sa desception par rapport à son dernier long métrage, en particulier. Suite aux question du public, il semblerait qu’il n’ai pas de roman en cours ou prévu, au regret de certains amatteurs. Il envisage, éventuellement, le développement d’un nouveau style dans l’avenir, dépassant le mélange rétro-futur jusqu’à présent développé. Chose que je trouve intéressante, dite par monsieur Bilal : La BD et la science fiction française semblent être toujours considérées comme des incogruités, mais nous vaincrons.
Les questions du public m’intriguent un peu. Il y a ceux qui cherchent à poser des question intéressantes pour tous, il y a ceux qui veulent montrer leur travail à l’auteur après le débat (et qui font rire tout le monde avec une certaine tendresse), et il y a ceux qui ne posent leurs questions que pour le plaisir de poser une question tarabiscottée, de se faire valoir en montrant à la face monde une espèce de science très pédente.
Je garde cependant un bon souvenir de cette expérience.
Les nouvelles découvertes en perspectives passent par le pavillon de la Chine. La BD chinoise semble être, d’un côté, très influencées par le manga. On y retrouve certains traits, une exubérance dans le dessin. A coté de cela, des titres conservent un trait « typique », dans la droite lignée du dessin traditionnel. Peut-on parler d’un choc de cultures ?
Ensuite, nous avons visiter l’exposition sur l’oeuvre de Kotobuki Shiriagani, un dessinateur japonais qui sait faire dans le design « manga » ou traditionnel. Ses dessins de jeunesse sont sur ce plan assez édifiant. Il semble être un artiste vraiment complet, dessinant aussi bien des peuvres très travaillée que des strips vraiment drôles (qui paraissent dans la presse quotidienne, illustrant parfois des thèmes d’actualité) contenant de vraies critiques de société. J’ai été admirative devant un court métrage vidéo adapté de ces strips vraiment amusant, sur le métro et les fans hystériques de rockeurs glam rock. Le tout enrobé dans une style « Sankukaï » qui allit la parodie, l’exagération, et le trait humouristique sur les moeurs bizarres de ses contemporains.
Sinon, et pour finir, nous sommes allé voir le « mur éphémère », soit quelques planches de BD mise en amination et projetée sur un mur, en face de la fresque d’Yslaire sur Sambre . Très joli, quoiqu’un peu court.
Fatigués et frigorifiés, nous rentrons vers la base. Angoulême, c’est bien, mais ça donne faim.
Troisième jour :
Hier, la « tempête de neige » qui s’était abattue sur Angoulême n’avait pas freiné nos véléités bédé-èsques. Pour nous, espions du grand froid, les deux centimètres tombés et voir tout ces gens mettre les chaînes aux voitures pour deux malheureux floçons nous avait fait rire. Moi au moins. Lolo le Bô s’est ramolli au contact de la déchéance consumériste capitaliste.
Programme chargé et lourd, dans le monde des fous de la BD. Première cible, le CNBDI (centre national de la bande dessinée et de l’image, l’équivalent de la BNF pour la BD au niveau de la conservation des oeuvres). Des expositions, à nouveau. Nous n’en aurons jamais assez. La premières nous en a déjà mis plein les yeux. Beaucoup de noir d’un côté, beaucoup de couleur de l’autre, des femmes pulpeuses, et beaucoup de monstres cachés dans les placards : Buzzelli, auteur italien (paix à son âme), pose horreur et fantasmes sur ses planches, surtout des démons que l’on peut supposer presque personnels. La couleur n’est pas un adoucissement, dans les planches que j’ai pu voir, mais au contraire une manière de mieux exprimer encore la violence, extérieure ou intérieure.
Dans un registre plus léger, nous avons dirigés nos pas vers l’expo « peur(s) du noir », où comment créer des animations à partir de quelques planches. Intéressant, mais j’ai ressenti comme une insuffisance, l’envie de plus d’explications. Je m’attendais à la création d’un véritable court métrage, et non d’uniquement quelques petites séquences de quelques secondes.
Dans un registre encore plus léger, l’expo Wolinski, président du jury de cette année. Son oeuvre y était retracée, entre l’Echo des savanes, Paris Match, Hara-Kiri, et Charlie Hebdo. Il est spécialiste de la politique et du cul. Je me demande ce que le parti penserait de ses épanchements orgiaques en couleur.
Nous nous sommes ensuite dirigé vers le temple de la consommation, vers ses distillateurs du nouvel opium du peuple que nous les produits dérivés des BD. Il y en avait partout, du sol au plafond, un poster aux figurines en passant par les porte-clés, et j’en passe. Un frisson fait trembler mon âme, fervente croyante en la victoire du Peuple Eclairé.
Un tour aux « Jeunes talents », afin de voir ce que les jeunes graines du capitalisme effréné nous prépare pour les prochaines années. De très très bonnes surprises, de l’imagination, de très bons coup de crayons qui feraient pâlir certains professionnels. Mais aussi une certaine vague de « politiquement correct » que j’ai trouvé étrange. Beaucoup d’oeuvre sur l’insertion, la-violence-c’est-pas-bien, etc. Bien sûr qu’il est important que les jeunes soient sensibles à ces thèmes, mais je ne les attendais pas en dessins. J’y attendais l’expression d’une vérité des jeunes gens, et non de dessins que l’on sent pour certains téléguidés par des adultes.
Aujourd’hui, les dédicaces étaient moins bondées, au moins chez Delcours. Nous avons renoncé un nouvelle fois chez Soleil, car nous étions menacés d’étouffement et nos organes internes ont failli imploser plusieurs fois… J’ai besoin des grandes steppes de Sibérie pour me ressourcer après une expérience si traumatique.
Nous y avons entr’apperçu Mandryka, créateur du Concombre masqué, un dieu, une icône, me dit Lolo qui avait déjà bu trop de vodka. Il est d’ailleurs resté une demi heure devant ce monsieur, les yeux grands ouverts, la bave aux lèvres, alors qu’il n’avait pas de BD à faire dédicacer. Il faudra définitivement que je parle du cas « Lolo le Bô » au colonnel…
De retour à la base, la mission est presque terminée. Il me reste encore un long voyage pour retouner au pays du froid, demain. Il me faudra aussi transmettre mon rapport au colonel.
Laisser un commentaire