Pour cette cinquième année consécutive, Les Hypermondes se tenait à Mérignac, en périphérie de Bordeaux. Pour cette édition, Anne Besson, professeure de littérature comparée et spécialiste des littératures d’imaginaire, était marraine de l’évènement. L’occasion pour nous te partager quelques questions autour de nos littératures, sous un angle recherche.
Voici la retranscription
Bonjour Anne. Merci d’accepter cette interview sur le Festival d’Hypermonde. Pour ceux qui ne te connaîtraient pas, quel a été ton parcours ?
Aujourd’hui, je suis professeur des universités et spécialiste de littérature de l’imaginaire, en particulier de fantaisy. Je travaille à l’université d’Artois et en même temps, je publie pas mal d’essais et des dictionnaires et des recueils d’anthologies d’articles, etc, autour de nos auteurs favoris depuis maintenant une bonne vingtaine d’années. 25 même, plus des années 2000. Et pour en arriver là, j’ai un parcours universitaire d’excellence classique. Je suis normalienne, je suis agrégée, j’ai eu une thèse. Et voilà, depuis la fin des années 90, je travaille à la fac et je ravis les échelons de cette carrière-là.
[Et du coup, avec une une formation d’excellence, qu’est-ce qui oriente vers les littératures d’imaginaire ?
Moi, en plus, je ne suis pas une énorme geek ou fan au départ. J’ai grandi dans les années… J’étais petite dans les années 80 et donc je n’étais pas encore… J’ai un peu vu passer les phénomènes jeux de rôle, etc, à cette époque, mais à peine. En fait, moi, ce qui m’amène là, c’est vraiment l’intérêt de la découverte et puis la lecture, parce que je suis une très grosse lectrice et donc j’ai la capacité, c’était un de mes points forts, de pouvoir lire énormément et donc travailler sur des massifs…
Et donc j’ai décidé de travailler sur les romans à suivre, les cycles. Et c’est quand même en science-fiction et en fantaisy que ça s’est avéré le plus intéressant. J’avais déjà lu les cycles réalistes, les Zola, les Balzac, les grands du XIXᵉ. Et je me disais: Il y a vraiment quelque chose à faire après. Qu’est-ce que ça devient cette grande tradition des romans qui, mis ensemble, vont former tout un monde ? Et j’ai trouvé là un sujet passionnant sur les mondes expansifs dans les genres de l’imaginaire. Non seulement des romans à suivre, mais des adaptations médiatiques dans tous les sens. En fait, je n’ai jamais arrêté de travailler là-dessus.
J’avais envie de trouver un sujet qui ne me lasserait pas au bout de quelques années de thèse, parce que c’est quand même long, une thèse. Donc, je me suis dit: Je prends un gros truc sur lequel j’aurais plaisir à travailler. Je ne m’étais pas rendu compte à quel point j’entrais le trou du terrier d’Alice dans un univers en soi qui me cesserait de s’étendre autour de moi et je n’en ai toujours pas fait le tour.
Du coup, tu n’as pas trouvé de frein dans le milieu universitaire pour dire, finalement, est-ce que c’est un bon sujet ?
J’ai eu de la chance. Pour entrer à l’université, parce qu’il y a tellement peu de postes, il faut à la fois un parcours d’excellence, ce que j’ai, et être au bon endroit au bon moment.
J’ai été au bon endroit au bon moment parce que quand je finissais ma thèse, c’est le moment, à la toute fin des années 90, au début des années 2000, où explosait le genre de la fantaisy avec la sortie des films un adapté de Tolkien, la Trilogie du Seigneur des anneaux, avec le moment où les Harry Potter de J.K. Rowling sont devenus vraiment très connus à partir du quatrième volume et des premières adaptations cinées. Moi, j’arrive avec ma thèse à ce moment-là et donc tout de suite, j’ai l’opportunité qu’on s’intéresse à ce que je fais, que mon sujet soit à ce moment-là très central. Et puis, j’entre dans cette université, l’Université d’Artois, où il y a tout un programme autour de la littérature de jeunesse. Et mes sujets, c’est ici, prêtaient très bien parce que les cycles, les romans à suivre qui vont accompagner un personnage au fur et à mesure qu’il grandit, C’est un classique absolu de la littérature de jeunesse.
Ce sont des choses, là encore, sur lesquelles il y avait peu de travaux, sur le vieillissement du personnage sérielle, par exemple. En littérature de jeunesse, il y aura toujours très peu de choses. Voilà comment j’ai pu faire ma place, parce qu’en fait, il y avait un besoin, il y avait une demande à laquelle je me trouvais pouvoir répondre à ce moment-là, quand je suis arrivé. Maintenant, ça n’est pas simple. Ne vous lancez pas forcément là-dedans.
C’était la question qui arrive juste derrière. Est-ce que finalement, aujourd’hui, et après 25 ans de travail autour du sujet, tu as le sentiment que les littératures d’imaginaire ont gagné des titres de noblesse ou est-ce qu’il y a toujours une défiance de ton point de vue universitaire, vis-à-vis des gens ?
Elles ont gagné des lettres de noblesse incontestablement, c’est-à-dire que toute la génération qui a grandi depuis la fin des années 90 et le début des années 2000, il a complètement baigné culturellement dans ces gens-là. Ils ont grandi avec Harry Potter, quoique maintenant, ils le rejettent et c’est bien. Les tables des librairies se sont couvertes de couvertures de fantasy et puis de dystopies, puis de bit-lit, et ça n’a pas cessé depuis 25 ans. Ce sont des gens qui étaient marginaux, qui sont devenus vus Donc, y compris pour les universitaires, y compris pour tous les jeunes médiévistes aujourd’hui, les jeunes, ils ont aujourd’hui une bonne trentaine d’années, ils sont venus en général à la littérature médiévale à travers la fantaisy.
Donc, ils connaissent et ils aiment. Là où il y a une limite, c’est pour se spécialiser là-dedans et pour en faire son objet de recherche et trouver un poste. Parce que les postes sont tellement rares qu’il peut y avoir des spécialistes de littérature médiévale qui vont faire un peu de réception du Moyen Âge dans la fantasy. Ça, ça va intéresser les étudiants, etc. Mais ils sont quand même recrutés sur un poste de littérature médiévale et il faut qu’ils aient fait leur thèse en littérature médiévale.
C’est la limite de la chose. Si on n’a travaillé que sur les littératures de l’imaginaire, ça reste vraiment compliqué. Mais il y a des bons universitaires. Simon Bréand, qui est un spécialiste de science-fiction français. Il a été à la Sorbonne et maintenant, il a été élu la première année sur un poste à Paris 3, qui est un poste très prestigieux. On voit bien que c’est possible. Il y a des parcours comme ça qui sont possibles. Anaïs Goodman, qui est une grande spécialiste de culture médiatique, elle est à la Sorbonne aussi. En fait, on est quand même de plus en plus nombreux, petit à petit, mine de rien.
Il y a beaucoup de questions autour de la définition des genres, notamment avec la parabole du chat ou autre. Est-ce qu’aujourd’hui, aujourd’hui de vouloir définir les genres des littératures d’imaginaire, Fantasy, SF, etc. ? Est-ce que finalement, on ne s’enferme pas nous-mêmes dans une dimension excluante pour les autres en ayant des propos de spécialistes ?
Moi, je plaide pour un continuum au sein des littératures de l’imaginaire. C’est-à-dire que pour moi, la frontière entre fantasy et science-fiction, notamment, fantastique et fantasy aussi, elle est très poreuse et elle n’a pas grand sens.
Ceux qui la défendent le plus, ce sont les amateurs de science-fiction en vertu d’une scientificité qui leur serait exclusive et qu’ils ne retrouvent pas dans les autres genres, que du coup, ils vont moins apprécier. Après, le besoin de classer, de classifier, c’est un besoin cognitif qu’on a tous. C’est pour s’y retrouver. C’est partagé par les éditeurs en premier lieu, parce qu’ils ont besoin d’avoir des collections qui sont repérables avec une identité esthétique particulière.
Et puis, beaucoup par les lecteurs, mine de rien, qui en fait, disent que ça ne les intéresse pas, mais quand ils cherchent quelque chose à lire, ils vont quand même se rapporter à des grandes catégories ou à des auteurs modèles en disant: J’ai aimé ça, j’ai aimé ça et ça. Qu’est-ce que vous me proposez maintenant ? Ça revient à se faire une petite clairière au milieu de la jungle des genres, systématiquement. Pour moi, on a besoin d’un système de classification. Maintenant, est-ce que c’est ça qui nous exclue par rapport à la littérature blanche, à la littérature non marquée ?
Là encore, c’est étrange parce que les frontières, à la fois, elles sont complètement artificielles et très minces. C’est-à-dire qu’il y a vraiment des gens qui écrivent en blanche, qui font de l’imaginaire. Et puis, il y a beaucoup d’auteurs d’imaginaire qui ont une excellence stylistique et une exigence expérimentale qui est largement au niveau de la blanche.
Donc, ce n’est pas du tout ça la question. Mais ça reste de… C’est plus des mondes sociaux au sens de la sociologie, voire des cadres de pensée au sens de Goffman. C’est-à-dire des espèces de systèmes symboliques qui sont très forts et qui font que cette frontière à beau ne pas exister en réalité, elle reste quasiment infranchissable parce que ce sont deux mondes qui s’ignorent, qui ne veulent quasiment pas se parler en réalité, sociologiquement, parce que les auteurs d’imaginaire, ils n’ont pas envie de faire semblant de s’intéresser. Ils se sentent méprisés, ils n’ont pas envie de faire le premier pas. Et beaucoup d’auteurs de blanches se sentiraient ou prendraient des risques à aller vers l’imaginaire. Je pense à la carrière de Volodyne. J’étais à une soutenance de test sur Volodyne il y a peu de temps, qui n’a pas voulu justement s’enfermer dans ce qu’il appelle le gueto de la SF et qui est allé continuer son œuvre post-exotique chez des éditeurs de Blanche parce que ça lui ouvrait accès à un autre public, pas forcément plus large, mais en tout cas plus mêlé.
C’est une question de perception sociale, essentiellement. Ça, on peut essayer de lutter contre, mais… C’est plus compliqué. C’est plus compliqué que ça.
Dans le cadre de ton activité à l’Universé de Vers toi, j’ai moi-même participé aux deux MOOC que tu as créés. Quel était l’objectif derrière le MOOC ? De vulgariser, de donner envie ?
Oui… Il y a tout un pan de mes activités qui consiste à faire connaître et reconnaître les genres de l’imaginaire et à montrer à un public amateur qui est avide d’en savoir plus, qui a vraiment une appétence pour un savoir analytique, pour des connaissances qui lui sont pas forcément apportées parce qu’il y a pas beaucoup d’essais, parce qu’il y a pas beaucoup de cours là-dessus. Alors qu’il y a vraiment plein de gens qui ça passionne et j’ai pu m’en rendre compte.
Donc, j’ai lancé Il y a tout un tas d’activités. Il y a le gros site de la BNF aussi, sur lequel j’ai travaillé, par exemple, qui ont pour but, effectivement, de donner accès à des connaissances et puis de susciter des débats entre amateurs, parce que c’était aussi une des forces de ce format MOOC. On sait qu’il y a des super forums où les gens peuvent interagir. À l’époque, ça m’avait semblé un bon support original pour toucher avec mes cours et les cours de mes collègues, un public auquel on n’a pas accès depuis seulement une salle de cours et avec des nouveaux outils d’évaluation qui permettaient d’avoir des milliers d’inscrits en même temps.
Oui, c’était une belle expérience.
Ils étaient très sympas. Il y avait un SF et un Fantasy, si je ne dis pas de bêtises.
Oui, tout à fait. Il y avait eu trois ans Fantasy, puis trois ans SF. Je continue à avoir régulièrement des gens qui me demandent si on le refait. Il faudrait complètement déjà le mettre à jour. C’est énormément de boulot. C’est énormément de boulot. Et puis, ce n’est pas juste on met des vidéos en ligne. Il y a justement toute une animation qui nous prenait plusieurs mois par an.
Ça prend du temps. Il faut faire des choix.
Oui.
Aujourd’hui, tu es marraine du Festival Hypermonde. Quelle est la place des salons d’Hypermonde, Utopia, etc, dans le monde de l’imaginaire, de ton point de vue ?
Justement, quand je parlais de monde socio tout à l’heure, les genres de l’imaginaire sont sans doute… Non, c’est vrai, du polar aussi. Toutes les littératures de genre, ce sont vraiment des communautés. Ce sont des genres qui fonctionnent sur une conversation, sur des connaissances partagées autour du genre.
Simon Brean, les théoriciens appellent ça le méga texte. Et le fait que tout le monde s’entrelie et discute des tropes, des thèmes du moment, s’inscrit dans des nouveaux sous-genres, dans des nouvelles tendances, dans des nouveaux mouvements. Et pour ça, cette sociabilité interne au genre qu’incarnent les festivals, les conventions, etc, c’est quelque chose qui est absolument majeure, mais même historiquement, pour la SF en particulier, puis pour la fantasy d’une autre manière et un peu plus tard. C’est là que se sont créés les premiers fandoms, les premiers fanzines, les premières conventions.
C’est vraiment quelque chose qui appartient à l’identité du genre et les festivals français qui sont si nombreux et divers et de toutes tailles, des énormes aux plus petits, etc, continuent vraiment à porter cette identité et à faire que la conversation autour du genre existe et qu’il y a un vrai renouvellement permanent de ce que les artistes peuvent produire et de ce que les chercheurs peuvent, du coup, en tirer.
Merci à eux.
Anne, je te remercie beaucoup pour cet échange passionnant. Merci. Tu es la première universitaire que j’interviewe pour Fantastinet !
Quel honneur ! C’est le week-end pour ça. Je suis marraine et tout.
Merci beaucoup à toi.
Merci beaucoup d’avoir laissé la place aux universitaires sur Fantastinet.
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