Retrouvez l’actualité des littératures de l’imaginaire (Science-Fiction, Fantastique, Fantasy, et autre) ainsi que des interviews de celles et ceux qui les construisent.

Floriane Soulas aux Utopiales : de l’écrivaine à la co-direction artistique !

Depuis plusieurs années déjà, Floriane se démarque sur les littératures de l’imaginaire. Récipiendaire de plusieurs prix littéraires dont un prix imaginales et un prix Utopiales, on lui doit des romans et des nouvelles dans la fantasy, le fantastique et la Science-Fiction.

En 2024, elle prend, en plus de son rôle d’écrivaine, le rôle de Directrice Artistique des Utopiales, conjointement avec Eva Sinanian, Yann Olivier et Nicolas Martin.

J’ai pu la rencontrer lors de la dernière journée du festival…

A noter les prix reçus :

  • Prix ActuSF, Imaginales et Chrysalis Award pour Rouille,
  • Prix européen des Utopiales pour Les oubliés de l’amas,
  • Prix poche de Ouest Hurlant pour Les noces de la renarde.

Depuis, nous lui devons Tonnerre après les ruines chez Argyll et Les filles de Freya chez Rageot en roman ainsi que Planète 9 dans Nous parlons depuis les ténèbres chez Goater ou encore La Faiseuse dans l’Anthologie 2024 des Utopiales.

Découvrez l’interveiw sur Spotify

Et la retranscription

Bonjour Floriane.

Bonjour.

Donc, aux Utopiales cette année, ça fait quoi d’être de retour aux Utopiales ?

J’étais déjà là l’année dernière, mais cette année, c’est particulier quand même. Oui. C’est chouette. C’est toujours une grande famille et c’est vraiment un endroit où je me suis… Moi, ça fait 13 ans que je viens, donc je me suis toujours sentie bien ici. Mais cette année, j’ai beaucoup couru, mais c’est toujours aussi agréable.

Tu es codirectrice artistique avec tes camarades. Comment ça s’organise ? Comment on tient quatre jours ? Cinq jours même ?

Au début du cinquième, ça se trouve, je ne vais pas tenir jusqu’à la fin. Moi, personnellement, en ne buvant pas d’alcool cette semaine. Et en me couchant toujours avant minuit et demi, ce qui est dommage parce que je pense que je rate pas mal de soirées assez intéressantes, mais il faut tenir.

Mais le comité, c’est super. On est quatre cette année, pas pour remplacer, mais on a pris la suite de Jeanne A. Débats cette année. Ça s’est étonnamment bien passé. Je pense que beaucoup de gens ont été sceptiques de savoir qu’on allait être quatre pour diriger un festival, parce que c’est vrai qu’on a plutôt l’habitude que ce soit une seule personne qui fasse ça.

Pour nous, c’était très évident et on ne s’est vraiment pas posé la question. On se connaissait tous plus ou moins de loin. On s’était déjà tous croisés au moins une fois où on avait des connaissances en commun. On a très vite compris qu’on était très alignés sur ce qu’on voulait faire, sur les valeurs qu’on voulait défendre et la manière dont on voulait les défendre.

Ensuite, ça a été vraiment une décision collégiale de se dire qu’on était quatre et que c’était un avantage, que si quelqu’un n’était pas là, les autres pouvaient prendre le relais et que si au moins deux personnes d’entre nous prenaient une décision, on faisait confiance pour dire que c’était cette décision-là qu’il fallait prendre. Que si on avait été quatre, on aurait pris la même.

On a eu très peu, je crois, de moments où une décision nous a mis suffisamment le doute pour qu’on se dise qu’on allait attendre d’avoir tout le monde pour prendre une décision finale. Moi, je suis très contente. Ça m’a permis de découvrir Eva, Nicolas et Yann, vraiment, et de montrer aussi qu’un travail en collectivité peut être aussi efficace qu’un travail avec une seule personne. Je pense que c’est vraiment un avantage, on ne dit pas que deux cerveaux valent mieux qu’un pour rien, je pense. Ça, c’en est vraiment la preuve et l’exemple. Ça a été vraiment une aide incroyable parce que dès que quelqu’un n’est pas là, il y a toujours quelqu’un pour prendre la place.

On était quatre quand même pour pouvoir lire tous les livres des gens qu’on voulait inviter. C’est quand même plus facile que d’être une seule personne qui doit se farcir les livres de 110 tables rondes quand même. Et vraiment, ça a été un travail, moi, j’ai trouvé d’une facilité déconcertante. Et en plus, dans la joie et la bonne humeur, tout le temps, on a énormément rigolé et j’ai découvert plein de choses et on s’est recommandé des livres parce que certains avaient lu plus que d’autres certains auteurs.

Et donc vraiment, c’était… Moi, j’ai passé un moment, une année incroyable.

Et je pense que le public a passé un très bon moment sur ces Utopiales.

J’espère, en tout cas, j’ai tout donné.

Tu es aussi évidemment écrivaine. C’est ta principale raison aussi, aux Utopiales. Quel est ton parcours qui t’a amené autant professionnelle aujourd’hui que sur le territoire de l’écriture ?

Moi, Je suis ingénieure dans l’aéronautique, donc j’ai fait une école d’ingé, puis un doctorat et depuis, je travaille dans l’aéronautique.

J’ai commencé à écrire pendant ma thèse. J’avais toujours eu cette envie d’écrire et j’ai eu une espèce de révélation. J’en ai déjà parlé dans des interviews, mais j’ai eu une espèce de révélation pour ma thèse où je me suis dit : Floriane, si tu n’écris pas maintenant, personne ne le fera à ta place. Du coup, je me suis dit : OK, je vais le faire.

En fin de première année de thèse, j’ai commencé à écrire des nouvelles. Je répondais aux appels à texte que je trouvais J’écrivais tout, tout ce qui passait, vraiment tout, tout, tout, parce que je ne savais pas écrire. J’écrivais beaucoup de poèmes ou de cours textes, mais je n’avais jamais écrit une histoire avec un vrai milieu, un vrai début, une vraie fin. Là, j’ai fait mes armes sur pas mal de nouvelles qui ont été refusées. Jusqu’à ce que j’en ait une qui marchait. Là, je me suis dit : OK, ça y est, j’ai compris comment on fait. Il faut un milieu, un début, un milieu, une fin. J’ai eu un prix à Geek polis à l’époque, à Paris.

Puis, j’ai publié dans deux anthologies coup sur coup. Un an après, je me suis dit : Je crois que là, je sais ce que je veux écrire, je sais que je peux écrire. J’ai une idée, je vais tenter le roman. C’était Rouille. J’ai écrit Rouille sur la fin de ma thèse. Et après, je l’ai envoyé en maison d’édition et l’aventure a commencé. Après, je me suis dit : En fait, ce que j’aimerais vraiment faire, c’est de la science-fiction. Je vais faire de la science-fiction.

Tu parles de prix et du coup, c’est un sujet qui m’intéresse, parce que tu as quand même eu pour Rouille le prix actu SF de l’uchronie, le prix Imaginale et Chrysalis. Tu as eu, pour Les Oubliés de l’amas, il y a deux ans, le prix des Utopiales et tu as eu, il y a deux ans aussi, à Ouest-Hurlant, le prix Poche pour Les noces de la renarde. En tant qu’ autrice, ça fait quoi d’être récompensé pour son travail ?

Ça fait toujours plaisir. Après, c’est vrai que… C’est ma chance, je vais le dire, tous les prix ne se valent pas. Non, en fait, moi, les deux prix qui m’ont vraiment marqué, c’était le prix Imaginale des lycéens, parce que pour le coup, c’était vraiment un prix de jeune lecteur et je ne m’y attendais pas du tout.

Surtout qu’en plus, j’étais en compétition avec Aurélie Wellenstein, qui était là…  Moi, je venais d’arriver, c’était mon premier roman, je lisais Aurélie avant. C’était quand même une autrice qui était très installée, qui était très aimée, qui l’est toujours, elle n’est pas morte, qui est très aimée et dont j’adore les textes. En plus, son livre qui était avec moi en finale, Le dieu oiseau, c’est un de mes préférés de ce qu’elle a écrit. Je trouve qu’il est incroyable. D’ailleurs, je me rappelle très bien avoir dit à l’époque : Que ce soit moi ou elle qui gagne, je serais trop contente parce que ces deux romans sont incroyables et Aurélie est une personne incroyable.

C’est vrai que j’avais été assez étonnée que ce soit moi, mais j’étais très contente. J’avais été étonnée parce que oui, c’est quand même un roman qui n’est pas facile : on parle de prostitution, d’émancipation des femmes.

Les lycéens, ils se sont vraiment emparés de ce roman-là et ça m’avait beaucoup touché. C’était une de mes tous premiers prix et j’étais là, vraiment, ça m’avait beaucoup touché. Après, le prix Utopiales, c’était important, mais c’était important, je pense, d’un point de vue presque militant, parce qu’on dit souvent que c’est assez difficile d’être une femme qui écrit dans la science-fiction, même si j’aimerais que ce ne soit plus un sujet aujourd’hui, c’est encore un peu le cas.

Et l’année d’avant, en 2021, c’était Auriane Velten qui avait eu le prix. Et là, j’étais la deuxième à avoir eu le prix. Et depuis, il y en a eu encore deux autres. On est sur une lignée de quatre déjà ininterrompues de femmes qui gagnent le prix des Utopiales. Et j’étais hyper fière de pouvoir dédier ce prix à toutes les femmes de l’ombre de l’édition, qu’on ne voit pas, mais qui m’ont encouragé à aller faire de la SF alors que je pensais que je n’avais pas le droit de le faire, que ce n’était pas un sujet pour moi, alors que je suis quand même ingénieur, donc c’est un peu dommage. Ça, c’était un moment C’est important de montrer que nous, on est là et qu’on ne va pas partir et qu’on va écrire de la SF.

L’année dernière, deux actualités. Je commence par Planète 9 dans l’anthologie, nous parlons depuis les Ténèbres chez Goater et Tonnerre après les Ruines chez Argyll. Si on commence par le roman Tonnerre après les Ruines, on est dans un monde post-apo et on suit Férale et Lottie. On a l’impression que Férale est vraiment en quête d’identité.

Ça, c’est un motif qui revient souvent dans mes romans. Dans Rouille, c’était ça aussi. Dans Les Noces de la Renarde, Mina aussi, en fait, elle cherche sa place entre le monde des humains, le monde des yukais, elle ne sait pas trop comment se placer là-dedans.

Mais oui, Férale et Lottie, ce sont des personnages que je traîne avec moi depuis 2018 et que j’avais beaucoup de mal à écrire. Je pense que c’était une grande chance que ce projet-là était accepté et encouragé par Argyll et par mes éditeurs parce qu’ils ont compris ce que je voulais faire avant moi. Ils m’ont vraiment poussé… Parce que c’est un peu un roman jusqu’au-boutiste quand même. Ils m’ont poussé à écrire ce que je voulais vraiment faire alors que j’avais un peu peur de le faire. J’aime beaucoup ce roman. Je pense que c’est mon préféré. Je pense que c’est aussi le plus difficile pour rentrer dans ma bibliographie parce qu’il est vraiment très violent et pas seulement parce que c’est gore parfois, mais aussi par les thèmes qui l’abordent, parce qu’encore une fois, on parle du corps de la des mutilations, on parle d’anthropophagie. Je pense que, moi, ce sont des sujets que je trouve hyper intéressants, cette part de noirceur qu’on a en nous et comment on définit qu’est-ce qui est une action monstrueuse et jusqu’où on est prêt à aller pour sauver quelqu’un et quelles sont les lignes qu’on est prêts à franchir, à partir de quelles lignes ?

On réfléchit plus aux lignes qu’on franchit et jusqu’où on peut aller. C’est vrai que c’est un roman que j’aime beaucoup, qui ne sort pas forcément au bon moment, parce qu’en ce moment, les gens ont besoin d’harmonie, n’est-ce pas ?(Note : Harmonie était le thème des Utopiales) Et de douceur. Je sais qu’il trouvera son public. Il l’a déjà trouvé, mais qui trouvera vraiment son public dans le temps. Je suis contente d’avoir réussi à faire ce livre-là, parce que je ne pense pas que j’aurais pu le faire ailleurs que chez Argyll.

C’est vrai que tu parlais du côté violent. Ça détourne un peu par rapport à ce que j’avais comme question, mais c’est aussi cette violence du texte par moments, le traitement du corps, etc. On la retrouve aussi dans la nouvelle que tu as, la faiseuse dans l’anthologie. Dans une moindre mesure, dans Planète 9, je trouve que c’est moins marqué que dans les autres. C’est important pour toi de montrer cette maltraitance, finalement, qu’on impose au corps féminin ?

Oui, c’est mon sujet. J’adore ça. Non, mais tu vois, par exemple pas dans Planète 9, mais dans La Faiseuse, on parle d’avortement quand même. Je fais beaucoup de liens avec d’autres textes que j’ai écrits, notamment Les enfants prodiges, qui est un texte qui parle d’une femme qui pense que les gens, avant, ne pouvaient pas faire des enfants avec leur corps.

Je pense que maintenant, on fait des enfants en cuve. Il y est dit : C’est impossible que des femmes puissent… C’est absurde, c’est barbare. Pour prouver si c’est vrai ou pas qu’avant, les humains étaient enceints, elle décide d’essayer de tomber enceinte elle-même et de monitorer son expérience en tant que chercheuse pour montrer ce que c’est d’être enceinte et si c’est viable ou pas. Elle trouve ça horrible. Elle dit : Pourquoi les gens s’infligeaient ça ? C’est complètement affreux. Et pareil, dans le tonnerre aussi, il y a cette question du corps de la femme avec tous ces accouchements et tout. J’avais vraiment envie de montrer qu’on a longtemps considéré que le corps de la femme était sale et que les accouchements devaient être médicalisés, rendus propres et tout. Mais en fait, un de mes accouchements, c’est sale.

Et ce n’est pas grave. Ce n’est pas grave. Et c’est la nature. Et si la nature a fait ça comme ça, même si je trouve que maintenant, on ne devrait plus faire, ça fait un peu… Mais si la nature a fait ça comme ça, c’est qu’il n’y avait pas de meilleurs moyens de faire. On excrète des choses tout le temps et c’est OK. Et j’ai envie de réhabiliter un peu ce truc. En fait, un accouchement n’a pas à être tout propre, tout mignon. Oui, il y a des fluides, il y a de la merde, il y a du sang. Ce n’est pas grave. C’est très étonnant parce que les femmes qui lisent Tonnerre, le plus souvent, ont la réaction de dire : Oui, je reconnais ça ou par exemple aussi, dans Tonnerre, il y a une scène de fausse couche qui passe comme ça. C’est vraiment juste, on la voit et elle dit : Je n’avais jamais vu ça. Ça m’a fait du bien.

Il y a des femmes qui me disent : Non, mais les accouchements, ce n’est pas comme ça. Je dis : Peut-être que ton accouchement n’était pas comme ça, mais en fait… Parce que tu vis dans un monde où tu as la de pouvoir aller à l’hôpital, d’être pris en charge par des médecins, qu’on te montre un bébé qui est nettoyé et qui n’est pas couvert de muqueuse et de fuites et tout. Mais dans plein de pays du monde, un accouchement, c’est sale et ce n’est pas grave. C’est la vie.

Et ce qui est intéressant, parce que c’est aussi ce qu’on va retrouver en écho sur l’objectif – je ne sais pas si c’est le bon terme – de nous parlons depuis les ténèbres. On n’est pas habitué à ce que des femmes s’emparent de ce côté un peu de gore, sale, je ne sais pas comment le dire.

D’autant plus que pour le coup, l’anthologie est plutôt soft, je trouve, de ce côté-là. Oui, c’est vrai. C’est d’ailleurs un des seuls reproches qui a été fait, je crois, moi, qu’on m’a fait, c’est de me dire… Beaucoup de gens m’ont dit : Non, mais en fait, ce n’est ni gore ni trash, ce n’est pas du slasher, ce n’est pas de l’horreur. Je dis : Vous n’avez pas compris le projet. Parce que vraiment, le problème, c’est justement de dire : arrêtons de mettre tout dans des petites cases comme ça. Oui, des femmes peuvent faire de l’horreur et non, l’horreur, ce n’est pas forcément du gore et des tripes à l’air tout le temps, même si personnellement, j’adore les tripes à l’air.

Mais ce n’est pas que ça. Et notamment dans l’antho, je trouve qu’il y a énormément de nouvelles d’horreurs très psychologiques ou qui frisent plus avec le fantastique ou avec des peurs un peu plus douces. Et je trouve que c’était hyper intéressant et c’était vraiment le projet. Et c’est d’ailleurs ce qu’on a dit aux autrices quand on leur a demandé d’écrire, on leur a dit : Il n’y a pas de thème. Moi, personnellement, je veux vraiment que vous écriviez ce que vous avez envie d’écrire et que je veux que vous vous éclatiez.

Parce que c’est avec cet état d’esprit d’écriture qu’on va produire ce qu’il y a de mieux. Quand un auteur écrit quelque chose qui l’éclate vraiment, ça se sent. Moi, je voulais qu’elle soit contente de leur texte, fière de leur texte et qu’elle me dise : Moi, c’est ça mon univers, ce que j’aime faire. Et montrer tout le panel qu’il peut y avoir dans ce qu’on appelle l’horreur et pas juste des slashers avec tripes et boyaux dans tous les sens. Je pense qu’on a plutôt bien réussi de ce côté-là l’anthologie. Je suis très contente d’avoir pu montrer qu’il y avait un public pour ça. Comme le disait Estelle en conférence hier, notre éditeur, il a fait ça parce qu’il nous aimait bien, je pense. Il pensait qu’il croyait au projet aussi, mais il s’est dit : Je ne vais pas faire d’argent avec ce projet.

Oui, et il prend beaucoup de risques.

Il prend des risques et en fin de compte, on a fait un salon, on a vendu 200 exemplaires la première journée et Il a fallu aller en rechercher et on fait de l’argent. Pas énormément, mais on a remboursé toutes les avances qu’on avait et on a gagné un prix aussi pour cette anthologie à Sirennes cette année. On a fait de l’argent avec cette anthologie et personne n’y croyait.

Autour de cette thématique-là, on voit que tu as un engagement autour de la place de la femme, etc. Moi, j’ai deux sujets. Je vais venir tout de suite sur la faiseuse. Il y a une espèce de twist. On a une première action qui se passe début 19ème. Et comme en écho, aujourd’hui, on a l’impression que rien n’a changé.

Oui, c’est Triste. En plus, cette nouvelle, je l’ai écrite en 2020. Je ne l’avais jamais sortie, je ne l’ai jamais publiée. Et là, quand on m’a demandé de l’écrire pour l’antho, je me suis rappelé que j’avais cette nouvelle-là, donc je l’ai reprise pour la réactualiser, mais il n’y avait pas grand-chose à faire, en fin de compte, parce que comme tu dis, rien n’a changé.

Mais oui, c’est vrai qu’on le voit. Je l’ai écrit à l’époque sans savoir, mais depuis, quand on voit la régression des droits des femmes, notamment aux États-Unis, c’est très actuel de devoir avorter aujourd’hui et que les femmes puissent avoir le contrôle de leur corps et le choix de ce qu’elles font de leurs utérus, est encore une question éminemment politique, en fin de compte. Et le combat n’est pas fini. D’ailleurs, c’est de pire en pire, j’ai l’impression. Mais oui, au début, je me suis dit : Est-ce que vraiment je ne change pas la forme du texte parce qu’il n’est pas très tendre pour Gloria, l’héroïne qui se fait avorter dans les années 20. Et en même temps, ce n’est pas une mauvaise fin non plus pour elle. Je voulais plus garder à l’idée qu’en fait, rien ne se perd et tout se transforme et qu’il y a cet endroit où les choses continuent et qu’il y a une chance pour tout le monde et qu’en fait, probablement, cet enfant-là, elle ne l’aurait pas abandonné s’il avait pu avoir le choix de vivre autrement et si son indépendance financière n’avait pas dépendu du fait qu’elle soit mariée ou pas.

Je n’ai rien changé au final de la fin. Je me rends compte aujourd’hui que c’est normal parce que c’est toujours comme ça aujourd’hui dans beaucoup d’endroits dans le monde. Ça, ce sont des choses qui reviennent tout le temps. Ça me fait penser à des discussions que j’ai souvent avec des femmes qui font des sciences, qui ont lu les objets de la main, où il y a une scène pareille de sexisme très ordinaire dans le milieu des sciences. Et à chaque fois, elles me disent : moi, j’ai connu ça aussi.

Et là, encore hier, j’ai connu ça, j’ai vécu ça et je le vis encore aujourd’hui. Et d’un côté, je ne peux pas m’empêcher de penser… J’ai une espèce de soulagement à me dire : en fait, ce n’était pas que dans ma tête, ce n’est pas moi qui me suis imaginé que j’avais vécu des choses comme ça, parce qu’on l’a toutes vécu. En même temps, je me dis : Moi, c’était en en 2016 et en 2024, et c’est toujours pareil.

Et dans nos littératures, science-fiction notamment, est-ce que tu sens quand même une bonne tendance ? Tu parlais de la succession de prix côté Utopiales.

Oui, je pense qu’on a amorcé un truc qui est amorcé depuis 20 ans. Là, on est sur la quatrième femme d’affilée à recevoir le prix Utopiales, mais moi, je suis trop fière. Je suis trop, trop fière. Et en plus, vraiment, c’est mérité. Mais je pense aussi que les Utopiales, c’est un microcosme particulier parce qu’il y a toujours eu des femmes aux Utopiales. Il y en a de plus en plus. C’était aussi un des enjeux qu’on a eu cette année au comité d’encore accentuer cette balance pour arriver à une parité.

On n’y est pas exactement, mais on voulait vraiment déjà que dans nos modérateurs, on ait 50% de modératrices. Et ça, je crois qu’on y est parce que c’est important, parce qu’il y a énormément de femmes très qualifiées que les gens ne connaissent pas et que nous, on connaissait et qui étaient extrêmement pertinentes pour les sujets qu’on voulait traiter. Donc c’était une évidence qu’il fallait qu’on arrive à la parité là-dessus. Pareil pour les auteurs et les autrices, on a essayé d’arriver à la parité. Comme je l’ai dit : on n’a pas exactement réussi, mais on a énormément augmenté le nombre de femmes qui viennent, et notamment dans tout ce qui est littérature jeunesse.

J’ai eu des échos, notamment de viseurs qui disaient qu’une autrice qui nous disait qu’une lectrice était venue nous dire qu’elle venait depuis 10 ans et que c’était la première fois qu’elle se faisait dédicacer un livre. Parce que c’est la première fois qu’elle se reconnaissait dans une littérature d’imaginaire, vraiment. Et ça, c’est la jeunesse, c’est le young adult.

Cette année, à la librairie, ils ont déplacé les tables jeunesse vers l’entrée. Ils ont été razziés. Il ne reste rien. Parce qu’il y a une vraie demande pour les plus jeunes et pour les jeunes femmes aussi de trouver des littératures qui leur ressemblent. Et moi, ce que je veux, c’est qu’elles viennent ici parce qu’elles ont vu des livres qui les intéressent, qu’elles connaissent déjà et qu’elles reportent avec d’autres livres d’autres gens qu’elles ont vus sur scène et qu’elles se rendent compte qu’en fait, il y a plein de femmes qui font de la SF et qu’il y a plein de livres pour elles. Alors qu’avant, probablement, elles n’osaient pas rentrer ici parce qu’elles identifiaient ça comme des livres qui ne leur parlaient pas. Je pense qu’on est en train d’amorcer un truc.

En tout cas, nous, on essaye, de toutes nos forces, de pousser vraiment encore cette petite amorce. J’ai envie d’avoir confiance. J’ai envie de me dire que ça va prendre et je vois qu’il y a de plus en plus de femmes qui font de la SF, que c’est toujours difficile, mais un peu moins de se faire publier, que des collections d’imaginaire, même institutionnalisées, cherchent des jeunes autrices. Je vais noter toutes mes copines, mais il y a Robert Laffont qui vient de publier une novella de Chloé Chevalier qui est incroyable. Les Essaims, il faut absolument aller lire ce texte. C’est incroyable. Qui ont publié aussi Catherine Dufour (Note : Les champs de la lune). Il y a Argyll qui lance la collection RéciFs, qui sont des textes qui ne sont écrits que par des femmes ou des personnes non-binaires.

Dont Ketty Steward (Note : Foodistan).

Dont Ketty Steward, dont Mu Ming, qui est une d’autrice chinoise qui était là cette année. C’était incroyable. Je ne sais pas si vous avez vu les conférences, mais allez voir les captations parce qu’elle est incroyable et tout ce qu’elle dit est merveilleux.
Il va y avoir plein de textes hyper différents, de plein d’autrices françaises, étrangères. Cet amorce-là, elle se fait parce que je pense que même les éditeurs ont compris qu’on avait des choses à dire, qu’on avait envie de les dire, qu’on n’avait pas arrêté d’écrire, et qu’il y a un public et que notre vision, elle est complémentaire, elle n’est pas là pour supplanter quelque chose, elle est là pour compléter. Compléter ? Compléter, tout à fait. Ça fait une semaine, je ne peux plus parler là, je n’arrive plus à me dire. Pour compléter vraiment l’offre qui est déjà présente. Je pense que beaucoup de lecteurs ne peuvent pas venir si on ne leur offre pas la possibilité de lire des choses qui les intéressent. Pour moi, la demande découle de l’offre aussi. Si les gens n’ont jamais vu de livres d’horreur en librairie écrits par des femmes, ils ne peuvent pas savoir qu’ils ont envie de lire.

Et à fortiori, d’écrire. Du coup, c’est ça. Moi, je veux inonder les tables de livres écrits par des femmes, que ça ne devienne même plus un sujet et qu’on se rende compte que si l’offre est là, la demande va suivre. C’est sûr, il y a des livres pour tout le monde, donc c’est évident que l’offre va suivre et la demande va suivre.

Une dernière question, qu’est-ce que je peux te souhaiter là, déjà ?

Cette année, j’ai eu deux sorties quand même. Mon premier roman jeunesse, donc souhaitez-moi que ça marche bien parce que ce n’était pas facile d’écrire un livre où personne ne meurt. J’ai sorti mon premier roman graphique. J’espère que ça va bien se passer parce que c’est un texte que j’aime beaucoup et un nouveau format qui me plaît beaucoup aussi. C’était très intéressant de travailler différemment la narration, le texte. Souhaitez-moi qu’on fasse plein de nouveaux beaux textes et qu’on fasse une belle dernière journée des Utopiales et qu’on revienne l’année prochaine.

Merci beaucoup, Floriane.

Merci.


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