Retrouvez l’actualité des littératures de l’imaginaire (Science-Fiction, Fantastique, Fantasy, et autre) ainsi que des interviews de celles et ceux qui les construisent.

Interview : Laurent Genefort

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Le mois dernier est paru aux Editions Octobre, Le Nom Maudit premier volume des Eres de Wethrin… Laurent nous en parle un peu plus…

Allan : …Quel a été ton parcours pour parvenir à devenir un écrivain  » connu  » et reconnu ?

Laurent : Tout de suite les mots qui fâchent ! Mon parcours a été celui de la plupart de mes confrères : j’ai beaucoup lu dans ma jeunesse, jusqu’à un livre par jour au collège. Et quand ces livres sont signés Asimov, Wul, Bradbury, Lem, Brussolo, Dick, Vance, Sheckley, Farmer et les autres, on imagine les dégâts neurologiques… Je crois que la lecture est la seule formation qui tienne en matière d’écriture. Les études de lettres que j’ai suivies par la suite ne sont pour rien dans ma vocation. J’ai publié mon premier roman de SF à l’âge de vingt ans, en 1988. Il s’inscrivait déjà dans ma métahistoire de Space opera, que je poursuis encore aujourd’hui.

Allan : Fais-tu partie de cette minorité d’écrivain de  » genre  » à pouvoir vivre de tes écrits ou as-tu encore un travail alimentaire ?

Laurent : En littérature, vivre c’est arriver à survivre. Ce que je fais bon an mal an. Mais le secret réside peut-être dans le fait d’être suffisamment inconscient pour ne pas se demander ce qui arrivera l’année prochaine. Voilà pas mal d’années que ça dure, et je parviens toujours à boucler les fins de mois. Grâce aussi à des travaux annexes : scénarios de BD et de films, rewritings, récemment une exposition d’architecture.

Allan : Tu écris autant en littérature jeunesse qu’en littérature adulte : les procédés d’écriture sont-ils pour toi les mêmes ?

Laurent : Je n’en sais trop rien. J’avais pas mal d’appréhensions quand on m’a proposé de faire une série jeunesse : pour moi les enfants sont des extraterrestres bizarres, et je ne m’entendais pas très bien avec eux quand j’étais moi-même gamin. J’ai eu de surcroît une mauvaise expérience d’écriture il y a plusieurs années avec Denis Guiot, qui m’avait découragé de persévérer dans cette voie. Bref, je me suis tout de même lancé et, à ma grande surprise, ça a fonctionné ― autant pour moi que pour mes lecteurs, d’après les réactions que j’ai eues dans les salons pour la jeunesse. Pour moi, le secret a été de foncer sans me préoccuper des attentes supposées du lectorat.

Allan : Quelles sont les écueils à éviter quand on passe de la littérature jeunesse à la littérature adulte et vice versa ?

Laurent : J’aime beaucoup les aventures d’Alaet : chaque aventure a été pour moi un espace de récréation entre deux romans de SF sérieux. Les histoires sont modulaires et très linéaires : ainsi, le plaisir d’écriture n’est pas parasité par des préoccupations de structure. Alors que dans mes romans de SF (pour adultes, donc), je suis constamment à l’affût de la complexité.

J’ai tout de même l’impression parfois qu’en jeunesse le résultat est trop  » propre « . En jeunesse il y a une tradition d’autocensure ― dans le délire, le politiquement correct, etc… ― dont il est difficile de s’abstraire. Même si ça a beaucoup évolué depuis Bob Morane : il suffit de lire Gudule pour s’en convaincre. Mais je crois que c’est en littérature adulte que je m’exprime le mieux.

Allan : On te doit une trentaine de romans dont une majorité orientée Science Fiction : est-ce à dire que tu as une prédilection pour ce genre ?

Laurent : C’est plus qu’une prédilection ! D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours adoré la SF et je ne cesserai jamais de m’en réclamer. J’ai la conviction qu’elle est le genre littéraire de l’adolescence par excellence : là où le réel est questionné, à ses niveaux les plus intimes. La fantasy est à mon avis un genre structurellement plus enfantin, même si les thèmes abordés ou le style s’adressent parfois aux adultes. Mais cela pourrait être amené à changer.

Allan : Pourtant tu reviens sur un monde que tu avais exploré dans l’édition jeunesse : le monde de Wethrin… Pourquoi le choix de reprendre ce monde plutôt que d’en réinventer un ?

Laurent : Cela s’est décidé dans l’urgence : Pierre Grimbert m’a contacté pour me demander un roman pour la maison d’éditions que sa femme et lui étaient en train de monter. J’ai alors repensé à un projet que j’ai proposé à un autre éditeur il y a deux ou trois ans (mais qui remonte en réalité à bien plus longtemps). Cet éditeur n’avait pas du tout été emballé et j’avais laissé tomber. J’avais donc un synopsis tout prêt pour Pierre. Je le lui ai soumis et il s’est montré enthousiaste. Le contrat a été signé tout de suite, et le roman écrit dans la foulée.

Allan : Espères-tu retrouver pour une part, les jeunes lecteurs qui avaient suivi les aventures d’Alaet et qui ont du grandir maintenant ?

Laurent : Je n’ai pas fait d’étude marketing (sinon, je n’aurais jamais écrit de SF !). A vrai dire c’est l’inverse qui s’est produit : j’avais fait paraître deux romans et plusieurs nouvelles pour adultes ayant Alaet pour héros. Ensuite, j’ai rajeuni mon héros pour en faire une série jeunesse. Le montrer à nouveau adulte ― et même vieillissant ― est plutôt un retour aux sources.

Allan : Donc, nous voici arrivés au premier volume des Eres de Wethrin et la première chose qui me frappe est que tu ne fais pas dans le classique : ce n’est pas une trilogie mais une duologie (est-ce ainsi qu’on le dit ?)… Pourquoi ce choix de ne pas poursuivre la longue tradition trilogique de la fantasy moderne ?

Laurent : Il me semble que la norme s’achemine vers la décalogie, non ? Sérieusement, un jour un éditeur m’a dit que les meilleures trilogies étaient en deux tomes, alors je l’ai pris au mot. (Ah zut, je ne suis toujours pas sérieux.)

Allan : Plaisanterie mise à part, j’ai été totalement pris dans l’action et dans l’histoire de Démétrien et de son petit groupe… Comme je ne connaissais pas cet univers (honte à moi), je m’attendais à avoir quelques difficultés à intégrer ce nouveau monde et il n’en est rien… Cela veut-il dire que tu as repris  » à zéro  » l’univers pour ceux qui sont passés à côté de tes précédents volumes ?

Laurent : Oui, mais sans en avoir conscience. C’est plus un réflexe hérité de l’époque de mes livres pour  » Anticipation « , où la clarté était de règle. J’ai appliqué la même méthode que sur mes bouquins de SF.

Allan : Alors, il y a encore un autre point sur lequel ce roman se démarque : d’habitude, lorsque prophétie il y a, il est difficile de la contrer et toi boum tu tues le principal bras de la prophétie… Tu voulais absolument rendre le tout imprévisible ?

Laurent : Argh, je suis percé à jour. C’est exactement ça. Même dans la fantasy que j’aime, je suis très rarement surpris. Alors, pour Le Nom maudit, je me suis dit qu’il serait marrant de pervertir la base même d’une quête. Aussi, dans le prologue l’élue de la quête meurt. En principe le livre devrait s’arrêter là, et le zélateur de Tolkien aller se faire hara-kiri. Mais mon esprit tordu m’a soufflé que c’est précisément à ce moment-là que ça peut devenir intéressant pour un auteur. J’ai pensé alors à cette sorte de quête de substitution, avec des  » élus de rechange « . Quand on brise les règles établies, alors seulement on fait Œuvre de créateur. Toute ma fantasy est irriguée du désir de faire autre chose que ce qu’on trouve habituellement dans ce genre littéraire. Mais sans pour autant le mépriser ; en s’y inscrivant au contraire pleinement. Je crois qu’à un moment ou un autre, la fantasy finira par se métisser avec d’autres genres, comme la SF le fait depuis longtemps avec le polar, le thriller, le roman social, etc.

Allan : Alors moi je suis resté scotché sur le personnage d’Alaet… Tu as du mettre du temps pour  » régler  » sa personnalité ?

Laurent : Je  » vis  » avec Alaet et le monde de Wethrïn depuis plus de quinze ans. Mes premières nouvelles dont il était le héros remontent à 1988. Certaines ont été publiées depuis. A l’origine, Alaet était surtout inspiré du Cugel de Jack Vance et du Souricier gris de Leiber. Depuis, il s’est beaucoup orientalisé et tient plus de Sinbad ou d’Aladin.

C’est un personnage qui vit au jour le jour, et son indécision même le maintient en vie, un peu comme le chat quantique de Schrödinger (pour reprendre une métaphore science-fictive)…

Allan : Maintenant que nous sommes bien avancés dans l’histoire – pour ceux qui l’ont lue – pourquoi cette réponse étonnante à la fin ? Doit-on penser que l’ensemble de Wethrin est passé à coté de quelque chose ? (sans rien dévoiler of course); A quoi devons nous nous attendre dans le deuxième volume ou autrement dit, qu’es-tu prêt à nous dévoiler ?

Laurent : Il s’agit réellement d’un cycle en deux volumes, donc tous les mystères seront éclaircis !

Allan : As-tu d’autres projets en cours ?

Laurent : En cours : Je suis en train d’écrire la fin des Eres de Wethrïn, qui paraîtra en avril prochain sous le titre La Guerre de l’aube. Un roman de Space opera, Memoria, vient d’être accepté par un gros éditeur et devrait paraître courant 2006. Le cycle d’Omale se poursuit sous forme de nouvelles, elles aussi à paraître en 2006. Et La Muraille Sainte d’Omale sera rééditée en poche chez J’ai lu en avril prochain.

Les projets : J’aimerais écrire une uchronie  » gaspunk  » à laquelle je songe depuis pas mal d’années. Et j’ai dans un coin de la tête un autre roman de SF très éloigné de mes habituels space operas, qui me titille les neurones. Une sorte de techno-utopie. Son titre : Le Parc humain.

Allan : Nous as-tu rendu visite et si oui, que penses-tu de notre site ?

Laurent : Oui tout au début. Il a bien évolué, bien que je trouve son look un peu rétro aujourd’hui. Mais le contenu est super.

Allan : Que peut-on te souhaiter ?

Laurent : La même chose que ce que je vous souhaite : une vie pleine de bons livres ! 🙂

Allan : Le mot de la fin sera :

Laurent : Qa’Pla !

Non, je rigole…


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