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Jusque dans la terre de Sue Rainsford

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Jusque dans la terre est le premier roman traduit en français de Sue Rainsford, autrice irlandaise. Pour cette rentrée littéraire, Aux Forges de Vulcain a tout prévu pour que personne ne manque ce court roman. L’autrice a d’ailleurs fait un séjour à Paris pour rencontrer les journalistes et accorder des interviews, et Fantastinet faisait partie du lot. Mais de quoi s’agit-il ?

Ada, une créature non-humaine

Ada et son père possèdent d’étranges pouvoirs : ils ont la capacité de soigner les différentes personnes qui les consultent – appelées des “Cures” – en extrayant la maladie. Ces pouvoirs, tout comme leurs origines, sont totalement obscurs, même s’il est rapidement évident et annoncé comme tel, que ce ne sont pas des humains. D’où vient cette étrange famille et quel type de créatures sont-ils ne nous sera jamais expliqué : tout juste comprenons nous que la fille est une création du père, comme la créature de Frankenstein par le docteur du même nom. Ce n’est pas le seul élément de contexte qui reste vague : le lieu d’installation du père et de la fille peut ressembler à n’importe quel lieu de campagne, avec son lac sombre et ses légendes. La période historique non plus n’est pas mise en avant : l’existence de la voiture est le seul indice de civilisation offert, une voiture qui va permettre aux “Cures” de rejoindre leurs soignants.

Car, la réputation d’Ada et de son père ne sont plus à faire dans la région. Même si leurs pouvoirs effraient plus qu’ils ne rassurent, nombreux sont ceux qui viennent consulter pour extraire une maladie… Pour extraire les maux, père et fille utilisent différentes méthodes : cela peut passer par une simple imposition, comme par l’ouverture – à mains nues – du corps ou encore par l’enterrement pendant une période plus ou moins longue de la personne.

La vie des deux “êtres” est cadencée par les demandes des Cures, jusqu’à ce qu’Ada souhaite plus, et notamment une relation de couple avec Samson qui la poussera à se transformer elle-même pour tenter de vivre son couple de la façon la plus “naturelle” possible.

Un roman à plusieurs niveaux de lecture

Ce qui est le plus surprenant avec ce court roman, est le nombre de niveau de lecture que nous pouvons y découvrir sans pour autant dénaturer l’histoire en elle-même. Alors, bien sûr, cette histoire est avant tout une histoire de relations, j’oserai dire humaine même si les personnages ne le sont pas. Nous pouvons voir ce rapport à la différence, cette différence qui fait peur à la plupart des habitant·e·s environnant sans pour autant les empêcher de recourir aux précieux pouvoirs du père et de la fille. Nous ne pouvons que penser à ce qu’on vécu les sorcières et nous retrouvons dans l’isolement d’Ada et de son père, le côté cabane dans la forêt qu’on prête généralement à l’habitation des sorcières. Cette dimension “mise à l’écart” est très présente aussi dans la façon dont nous voyons certains intermèdes, les craintes que font remonter les “Cures”… D’autant plus vrai d’ailleurs lorsque la jeune femme ramène de loin un enfant mort-né.

J’y ai trouvé aussi une vraie notion d’humanité dans le côté gratuit de l’aide qu’apporte père et fille. Rejeté·e·s par une partie de la population, cela ne les empêche absolument pas de se mettre au service de ceux qui viennent les solliciter, sans rien attendre en retour. Et en cela, ils font preuve d’une abnégation qui questionne et qui est probablement ma plus grosse interrogation sur l’histoire : pourquoi ?

Mais surtout, il y est question de la femme et de ce que cela représente pour Ada. Comme vous l’avez donc compris, Ada n’est pas une “femme”, elle est une créature dont l’origine est inconnue et plus “féminine” que “masculine”. Pour pouvoir vivre sa relation et pour pouvoir en profiter, elle va devoir se “transformer”. Pourtant, et contrairement peut-être à ce que nous voyons dans nos sociétés, cela n’est pas le résultat d’un conditionnement mais bien d’un choix d’Ada, un choix guider par ce qu’elle pense vouloir être, notamment dans sa sexualité. Cette transformation physique pourra surprendre, néanmoins, elle choisit de réaliser la transformation de son corps.

Une forme de huis clos oppressant

L’histoire dans laquelle nous entraîne Sue sera confidentielle : tout se joue essentiellement entre Ada et son père d’un côté et Samson et sa sœur de l’autre. Chacun des proches du couple rejetant cette relation qui leur semble dangereuse. Et nous avons d’ailleurs le sentiment que la sœur de Samson, tout comme Samson ont eux aussi des secrets… Qui sont les réels monstres fait partie des interrogations qui jalonnent tout le texte.

Le récit que nous propose les Forges de Vulcain en cette rentrée est un immanquable… J’ai été complètement captif de l’histoire du début à la fin, m’interrogeant tellement sur ce qui entoure les créatures tout en ayant bien conscience que ce n’était pas le sujet du roman….

Un roman riche en thématiques, percutant dans son écriture (et donc sa traduction) et qui va certainement marquer la rentrée littéraire.

Aux Forges de Vulcain (26 août 2022) – 20€ – 9782373056389
Traduction : Francis Guévremont (Irlandais)
Titre Original : Follow me to ground (2020)
Couverture : Elena Vieillard

Ada vit avec son père dans une clairière, en bordure d’une forêt, non loin de la ville. Ils passent leur temps à soigner les habitants qui leur confient leurs maux et leurs corps, malgré la frayeur que ces deux êtres sauvages leur inspirent parfois. Un jour, Ada s’éprend de Samson, un de ces habitants. Cette passion, bien vite, suscite le dépit voire la colère du père de la jeune fille et de certains villageois. L’adolescente se retrouve déchirée par un conflit de loyauté entre son héritage vénéneux et cet élan destructeur qui l’emmène loin de tout ce qu’elle a connu.


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