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Interview : Danielle Martinigol

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Allan : Bonjour à vous et tout d’abord merci de nous accorder un peu de temps. Pour Alain, il s’agit d’une première alors que Danielle, nous avons déjà pu t’interviewer en 2005… Alors, que diriez vous d’une petite présentation / complément de présentation ?

Alain : Volontiers ! L’homme est né en 1956, est barbu, pèse au delà du quintal, adore les plaisirs terrestres et est cependant attiré par tout ce qui pourrait se passer hors de notre système solaire ! J’ai été pendant un quart de siècle critique SF au magazine Lire et j’écris pour la jeunesse depuis vingt ans maintenant.

Danielle : La moitié féminine possède une carte senior depuis peu, est en retraite de l’éducation nationale et écrit de ce fait avec moins de contraintes qu’avant. Du coup, je diversifie mes activités, collaboration, solo, anthologiste, jeunesse, peut-être adultes. Pas mal de cordes à mon arc, tout compte fait.

Allan : L’écriture à 4 mains est quelque chose que vous pratiquez régulièrement ensemble : que vous apporte cet exercice ?

Alain : J’écris souvent avec d’autres, par exemple Susie Morgenstern pour des romans ados ou Carl Norac pour des albums. J’adore cela. Je trouve que partager son écriture est un acte fort. C’est permettre à un autre de rentrer dans son imaginaire non pour le piller mais pour le complémenter. Avec Danielle, on est dans l’exceptionnel car notre création est devenue au fil du temps fusionnelle. On ne s’interroge jamais pour savoir qui a fait quoi, nous agissons telle une seule entité. Il faut dire que tous les deux nous sommes des structurants, cela aide beaucoup. Nous passons de longues heures au téléphone à bâtir notre histoire avant de l’écrire. Ce qui nous paraît banal est carrément impossible pour d’autres.

Danielle : J’abonde dans le même sens qu’Alain. Nous n’aurions jamais écrit seuls certains de nos romans parus en collaboration. Beaucoup de nos lecteurs se disent incapables de dire qui a écrit quoi dans nos livres en commun. Tant mieux si nous avons réussi cette fusion littéraire.

Allan : N’est-il pas difficile de s’entendre sur le scénario et/ou les personnages ?

Alain : Jamais nous ne nous sommes fâchés à propos d’un scénario. Si ce que bâtit l’un ne plaît pas à l’autre, on laisse tomber, point final. Ce n’est pas grave, notre imagination rebondit et nous confirme souvent que l’idée ne tenait pas la route. Pareil pour les personnages, sauf que Danielle est une grande spécialiste pour tout de suite leur trouver un nom, un passé, un physique.

Danielle : C’est Alain qui est le créateur des décors. Il aime aussi étoffer l’intrigue avec un background socio culturel et religieux. Je me sens moins à l’aise pour cette partie du travail. Donc nous nous complétons.

Allan : Donc vous vous répartissez le travail ?

Alain : Une fois notre structure mise en place, on se répartit effectivement les choses. Chacun travaille sur ce qu’il a envie. Cela peut être au milieu ou à la fin du livre. Qu’importe puisque nous connaissons toute l’histoire. J’avoue que chacun a ses spécialités. Danielle, bien évidemment est très forte sur les sentiments, moi je me garde la bagarre…et la bouffe !

Danielle : Mais parfois, comme par défi, nous aimons empiéter sur le domaine de l’autre et manifestons le désir d’écrire, moi un passage de baston et Alain un passage romantique. Evidemment, l’autre ajoute sa patte et le tour est joué !

Allan : Ce mois-ci paraît «Sens Interdit »dans la collection Ukronie de Flammarion dirigée par Alain : alors Alain, pourquoi avoir attendu si longtemps pour faire paraître ton nom dans la collection ?

Alain : J’ai toujours eu horreur des directeurs de collection qui s’autopublient, et il était donc hors de question que je fasse de même. Mais chez Flammarion, on m’a répondu qu’on se fichait bien de mes états d’âme, ce qui les intéressait c’était un ouvrage du tandem Martinigol-Grousset. Finalement, de bonne grâce, je me suis exécuté pour deux raisons. Cette collection manquait terriblement de femme et je savais que Danielle se passionnerait pour ce sujet uchronique.

Danielle : En 2009 à Epinal, j’ai dit lors d’un débat sur Ukronie, qu’il serait peut-être temps d’inviter des femmes dans cette collection. Alain m’appelle deux semaines plus tard pour me dire : ta remarque a fait mouche. Ils veulent une femme. Toi, mais pas toute seule, avec moi ! J’ai dit banco ! ravie, bien sûr.

Allan : Pour ceux qui ne connaîtraient pas la terminologie, pourriez-vous donner chacun votre définition du courant ?

Alain :L’Uchronie est pour moi l’occasion de montrer que rien n’est vraiment figé, que rien n’est certain ni définitif. La démocratie, la plupart des gens la pensent désormais éternelle. Et bien non ! Tout peut basculer si l’on n’y prend pas garde. L’uchronie sert à le démontrer. Rien de nostalgique donc !

Danielle : Pour moi l’uchronie se rapproche beaucoup des univers parallèles. Un petit crochet dans le passé et hop, nous voilà sur une autre voie de l’Histoire. C’est jubilatoire de pouvoir se promener un présent différent.

Allan : «Sens Interdit »s’intègre donc parfaitement dans ce thème, la grippe espagnole ayant entraîné un déficit d’odorat chez l’humanité… Pourquoi l’odorat, qui n’est pas forcément le sens qui nous semble le plus primordial à première vue ?

Alain : L’odorat n’a plus la place primordiale qu’il avait du temps de la préhistoire pour chasser ou détecter une présence ennemie, par exemple. Certains s’en servent pour influencer les autres. Regardez les terminaux de cuisson qui recrachent leurs odeurs de pain ou de pâtisserie en façade afin d’aiguiser l’appétit du chaland. Le parfum est là aussi pour séduire. De même que le toucher, autre sens oublié, qui est LE sens le plus important contrairement à ce que l’on pense habituellement. Ne plus rien ressentir grâce au toucher conduit à l’immobilité puisque pour tenir debout, le cerveau analyse en permanence la pression d’une multitude de points sous la plante des pieds. Je ne vous parle pas du chaud et du froid ! Pour en revenir à l’odorat, il reste malgré tout très important dans notre quotidien relationnel. Sens Interdit cherche à le démontrer.

Danielle : J’ai entendu une info toute récente comme quoi l’analyse par des capteurs de l’haleine pourrait peut-être permettre de détecter des maladies, en particulier le cancer. J’étais sidérée en entendant cela car c’est exactement comme ça que fonctionnent nos Odorants Humaniques dans Sens interdit.

Allan : Ce que l’on voit encore, est une prise de pouvoir d’une minorité qui «profite »d’une faiblesse pour s’approprier le contrôle… Est-ce un cycle destiné à se reproduire éternellement ?

Alain : Si la technicité évolue, l’Homme reste malheureusement dans des schémas ancestraux de pouvoir et de contre pouvoir. La crise par exemple montre bien qu’elle agit sur des millions de personnes qui ont perdu leurs emplois, leurs économies, alors que d’autres y voient une formidable opportunité de faire des bénéfices colossaux. Cela me semble immuable.

Danielle : Alain a raison, hélas. Je partage son point de vue. Dans tout roman, il faut une dialectique. Des gentils contre des méchants, ça semble basique, mais rien ne fonctionnerait s’il n’y avait pas opposition. Nos extrémistes religieux ne sont pas sans rappeler certains de nos contemporains. Et nos héros les combattent.

Allan : L’ironie veut que ces mêmes religieux qui «contrôlent »recèlent en leur sein, celui qui est destiné à les faire tomber… Le ver est dans le noyau ?

Alain : Plutôt dans le fruit qui va le faire pourrir. Là encore c’est gravé dans le marbre. Un groupe de requins a toujours un requin plus malin en son sein.

Danielle : Ici rires de Danielle. En fait de requin, c’est une superbe nana imaginée par Alain qui va pourrir le système de l’intérieur.

Allan : Paradoxalement, ce sont ici les firmes pharmaceutiques qui pourraient sauver le monde de la tyrannie sans que l’on y voie réellement une volonté financière alors que dans la «vraie vie « , ces mêmes firmes sont montrées du doigt pour ne penser qu’au profit … Est-ce pour redorer un peu le blason ?

Alain : Juste un peu d’optimisme au sein des hommes ! Regardez les dernières infos : 40 milliardaires s’engagent à donner la moitié de leur fortune à l’humanitaire. Parmi eux, George Lucas ! Je suis heureux d’avoir payé ma place de cinéma pour aller voir Star Wars, sachant maintenant qu’une moitié ira au bien des plus démunis. Pour les labos pharmaceutiques, je me dis qu’un jour, un des dirigeants osera servir le bien commun en se foutant un petit peu des bénéfices.

Danielle : Ma fille est ingénieur chimiste, chercheuse dans un laboratoire pharmaceutique. Je vois quelle énergie elle met à trouver de nouveaux médicaments pour éradiquer certaines maladies. Ceci explique sans doute cela. Dans chaque livre il y a un peu du vécu de l’auteur.

Allan : «Sens Interdit »ne se termine pas réellement : avez-vous le projet d’écrire une suite ?

Alain : La porte est ouverte. Sait-on jamais !

Danielle : Ce sont nos lecteurs qui décideront, comme toujours. Tout dépendra de la puissance de leur voix à réclamer une suite.

Allan : Et sinon, quels sont vos projets personnels et en commun ?

Alain : Aller rendre ensemble avec nos conjoints une petite visite à Christian Grenier et son épouse, histoire de partager à six quelques foies gras et magrets. Il n’y a pas que la nourriture de l’esprit, que diable !

Allan : Un mot pour finir ?

Alain : Merci !

Danielle : Bonne lecture «sensuelle »!



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