Réalisée par :mail
Date :juillet 2006
Christophe : Tout dabord une question rituelle : peux-tu te présenter ?
Emmanuelle : Papivore de nature, je me définis volontiers comme « poisson exotique », car si japprécie la compagnie de mes pairs, je savoure ma solitude, la présence de mes félins ainsi que la vue sur mon aquarium.
Grande voyageuse
de limaginaire, je consacre la majeure partie de mon temps libre à la lecture et à lécriture. Dailleurs, mes étagères ne tiennent plus que par la force de lesprit, et jappréhende le jour où il me faudra déménager, faute de ne plus disposer du minimum vital de place.
Dorigines françaises, je réside à Genève depuis ma tendre enfance, soit une quarantaine dannées. Et il est vrai que, même si jai bien malmené cette ville dans mon dernier roman, Résurgences, jy suis très attachée.
Christophe : Justement peux-tu nous parler de tes 2 « bébés » : « la Croix du Néant » et « Résurgences », quelles sont leurs principales caractéristiques ?
Emmanuelle : En quelques mots, ce qui est un peu réducteur pour deux fois trois cents pages mais, cest bien connu, les yeux se fatiguent plus vite sur un écran que sur le papier :
La Croix du Néant évoque une malédiction familiale qui puise ses sources au XVe siècle pour trouver son dénouement à notre époque. En filigrane à ce thriller fantastique, jaborde les thèmes de la différence, du mal-être de ladolescence, du rejet, mais aussi les relations intergénérationnelles. Sans compter les notions de bien et de mal, léveil de la sexualité ou lépanouissement personnel.
Une étape de plus est franchie, puisque ce qui nétait quune menace dans la Croix du Néant devient une réalité dans Résurgences, bien que ces romans naient en commun que le nom de leur auteur
plus des sujets récurrents tels que la différence, le passage de ladolescence à lâge adulte, les relations entre mère et fille ou la féminité. Lhistoire de Résurgences sinspire en partie du mythe des enfants indigo. Cette fiction, que je classifierais comme un thriller danticipation, évoque également les dangers des dérives sectaires, les notions de morale, la religion, pour dépeindre un futur qui, je lespère de tout cur, naura rien de prophétique.
Christophe : En effet, ces romans sont très différents, tant du point de vue de lhistoire que du point de vue de lambiance. Par contre, un des points communs de ces 2 romans est un vivant appel à la tolérance. Que ça soit dans « la Croix du Néant » ou dans « Résurgences », chaque personnage ayant rejeté un compère à cause de sa différence, le paye cash. Penses-tu comme les bouddhistes, que tout mal produit est payé en retour ?
Emmanuelle : Cette philosophie ne se retrouve pas seulement dans le bouddhisme, mais aussi dans notre bonne vieille éducation judéo-chrétienne avec ses notions denfer et de paradis. Sans compter la mythologie ou, plus près de nous encore, les fables ou les contes qui nous enseignent que le bien est récompensé et le mal puni.
Dans la pratique, un interlocuteur ne réagira pas de la même manière si on laborde avec agressivité ou amabilité. Nos attitudes influencent donc lautre de manière directe. En poussant ce raisonnement jusquau bout, pourquoi un battement dailes de papillon ne pourrait-il pas déclencher un typhon à lautre bout de la planète ?
Christophe : Tu parles dans «Résurgences » de thèmes comme « les enfants indigo » ou dune secte « les remparts du christ », existent-ils réellement ou proviennent-ils de ton imagination ?
Emmanuelle : Le mythe des enfants indigo circule dans certains milieux new age et a été récupéré par une secte américaine dénoncée, sans doute avec raison, par la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires.
Je ne cautionne en aucun cas ces mouvements que je ne ménage guère au travers de Résurgences par le biais des adeptes de « léglise des remparts du christ », mais lidée danciennes âmes qui se réincarneraient depuis le début des années 1980 afin daider lhumanité à franchir un cap décisif dans son histoire a titillé mon inspiration dauteur. Jai donc imaginé à quoi ressembleraient ces enfants, quels pourraient être leurs pouvoirs et leur mission. Il sagit bel et bien dune uvre de pure fiction, sachant que je nai trouvé, au cours de mes recherches, aucune preuve scientifique permettant détayer cette théorie.
En ce qui concerne les « remparts du christ », ce sont plutôt mes capacités dobservation et dempathie qui mont permis de créer cette secte de toutes pièces. Jai eu, ainsi que tout un chacun, loccasion de côtoyer des personnes affiliées à certains mouvements, sans rencontrer, heureusement, des individus aussi intégristes que René Losserand ou aussi dociles et malléables que ses proches. Malgré tout, je pense que mes convictions personnelles transparaissent en filigrane, puisque je ne suis guère tendre avec les adeptes des « remparts du christ ». En fin de compte, je reste convaincue que rien ne vaudra jamais la liberté de penser.
Christophe : Jai limpression que tu es assez “new age” dans tes opinions, es-tu de cet avis ?
Emmanuelle : Attention, ne confondons pas le livre et lauteur
Avec le recul, je constate que Julia, le personnage de Résurgences, est effectivement très new age dans ses réflexions, bien que ce roman ne manque pas non plus de références et de symboles judéo-chrétiens.
En ce qui me concerne, je nadhère pas à une religion ou une philosophie quelconque. Mais il est vrai que je cultive un respect de la vie et des tendances écologistes que lon retrouve autant dans le bouddhisme que dans les idées new age. A mon sens, lessentiel nest pas de se revendiquer de tel ou tel mouvement ce qui peut amener à certaines dérives, cf ci-dessus -, mais de prendre conscience que, si nous ne sommes pas indispensables à la Terre, la Terre nous est, elle, indispensable
Lorsque je songe à ceci, je ne peux mempêcher de revoir limage du bonhomme en train de scier en sifflotant la branche sur laquelle il est assis.
Depuis les années 1950 – 1960, nous vivons dans lopulence industrielle, et nous connaissons désormais les conséquences que cela aura sur notre environnement. Aussi, lorsque jentends à la radio le président Bush discourir sur limportance de lécologie, je ne sais si je dois en rire ou en pleurer, sachant que son pays a refusé de ratifier les accords de Kyoto sur les gaz à effet de serre. Un proverbe amérindien dit que : « la terre nous est prêtée par nos enfants ». Avons-nous vraiment le droit de leur rendre une poubelle ?
Nous assistons, à lheure actuelle, à une sorte deffet de mode autour du développement durable, et ce nest pas si mal. Mais ce qui me chagrine, là-dedans, cest que certains y voient le moyen de senrichir. Dans notre monde matérialiste, les bénéfices et les exigences des actionnaires ont remplacé laltruisme.
En fin de compte, on saperçoit que, comme pour les produits bio (un autre effet de mode), il faut avoir les moyens financiers de ses convictions. Est-ce à dire que les classes moyennes ou défavorisées (soit la majeure partie du globe) sont condamnées à manger de la m
?
Dans le même registre, je me suis intéressée aux banques (normal, me direz-vous, pour une Suissesse). Là encore, la seule dans mon pays à garantir des placements financiers éthiques offre des taux dintérêt inférieurs à celles qui sont moins regardantes quant à leurs investissements
Javoue que ce genre dinformation me laisse perplexe.
Christophe : Une autre constance dans tes romans est limportance que tu accordes aux personnages. Quelle méthode utilises-tu pour les rendre particulièrement vivants et crédibles ?
Emmanuelle : Eh bien je les laisse vivre ! Plus sérieusement, ce sont les protagonistes qui me guident. Autant jai toujours du mal à leur trouver des noms (qui changent parfois en cours décriture), autant leurs caractères simposent deux-mêmes. Et que ce soit dans la Croix du Néant ou Résurgences, jai eu la surprise de voir des personnages naître de manière spontanée. Je songe par exemple aux trois voyous de la Croix du Néant, ou à Stéphane Vitali, dans Résurgences, qui devient pourtant une figure centrale du récit.
Je pense aussi que mon profond intérêt pour lêtre humain me permet dabsorber quantité de vécus, dattitudes, de convictions, de modes de fonctionnement, et que cela nourrit le terreau dans lequel puisent mes protagonistes. Mais cest une alchimie inconsciente, et je suis plus sensitive quanalystique.
Christophe : Revenons aux personnages principaux de « Résurgences » : les enfants indigo. Ceux-ci ont une conscience supérieure à leurs congénères humains et semblent être le chaînon nécessaire à lhumanité pour évoluer. Sont-ils ta vision du surhomme cher à Nietzsche, permettant enfin à lhumanité datteindre lâge adulte ?
Emmanuelle : Cette vision utopiste dun monde meilleur peut aussi être imputée à René Barjavel avec son excellent « Ravage » ou à Stephen King avec « Le Fléau », dautant que jai lu Barjavel ou King, mais non Nietzsche (hé oui, personne nest parfait). Néanmoins, je pense que nous sommes à un tournant de notre histoire. Dhomme moderne, nous devons passer au stade dhomme évolué, et cela ne se fera pas sans prendre conscience de notre interdépendance avec notre milieu.
Les enfants indigo sont surtout une métaphore, leurs facultés leur concédant une écoute que les adultes naccordent pas forcément à la jeunesse. Je pourrais comparer cet intérêt à celui quobtiennent les artistes au travers de leurs uvres, cette aura qui les entoure, qui fait deux des individus un peu particuliers et pourtant si humains.
En fin de compte, que ce soient les enfants, les artistes ou les hommes politiques qui fassent évoluer les choses, limportant nest-il pas dy parvenir vraiment ?
Christophe : Un autre aspect intéressant est le personnage de « la Chose », qui peut être vu comme lopposé des indigos. Comment tes venue lidée de cette créature et quelle importance a-t-elle pour toi?
Emmanuelle : En débutant lécriture de Résurgences, il me paraissait nécessaire dopposer ces forces qui ne sont, en fin de compte, que les deux parties dun tout. La Chose me rappelle le personnage de Gollum (le Seigneur des Anneaux) ou de lAutre (Chasse à Mort), une créature pour laquelle on éprouve un mélange daversion et de compassion. Elle nest, en fin de compte, quun pantin dans une lutte qui la dépasse, un jouet entre les mains malveillantes du Maître.
Je me suis beaucoup attachée à ce personnage. Me mettre dans sa peau, décaper le vernis des conventions pour nen revenir quaux besoins primaires et contempler notre société de lextérieur était une expérience savoureuse. Et, de tous les protagonistes de Résurgences, je pense que cest la Chose qui serait encore la mieux adaptée à survivre au chaos.
Christophe : Tu as sorti, on la vu 2 romans très différents, quelle a été la réaction des fans du premier livre « la Croix du Néant » face à « Résurgences » ?
Emmanuelle : Certains des lecteurs qui avaient adoré la Croix du Néant ont beaucoup aimé Résurgences. Dautres vouent une préférence à lun ou lautre.
Jétais consciente de changer totalement de registre avec ce second livre, mais je ne pouvais renier ces facettes de ma personnalité en tant quauteur et en tant que femme. Je nai donc aucun regret.
Etre auteur, cela se construit au fil des ans et des livres. Cest aussi prendre le risque de ne pas mentir
Jai choisi de courir ce risque.
Christophe : Justement dans quelle direction vas-tu torienter dans tes futurs romans ?
Emmanuelle : Le prochain se tourne vers un fantastique qui devrait être considéré comme plus classique par mes lecteurs, même si je ne pourrais en jurer, au stade où jen suis. Une fois encore, cest lhistoire et les personnages qui me guideront. Par contre, ceux qui ont aimé découvrir Genève au travers de Résurgences se réjouiront peut-être dapprendre que le prochain sy déroulera aussi.
Je nai pas, à lheure actuelle, le projet de me tourner vers dautres styles que le fantastique ou lanticipation, que ce soit en nouvelle ou en roman. Mais sait-on jamais. Le propre même de la vie, cest sa mouvance. Voilà bien une de ses plus grandes richesses.
Christophe : Pour ceux qui aimeraient te rencontrer, as-tu des dédicaces ou des salons de prévus ?
Emmanuelle : Certaines dates sont effectivement fixées, mais beaucoup restent encore à confirmer. Je peux cependant annoncer en avant-première aux internautes de Fantastinet les 7 et 8 octobre 2006 à Annemasse, pour un salon du livre, et le 18 novembre 2006 au Virgin dArchamps. Il y a aussi des chances pour que je retourne à Gerardmer, en janvier 2007, dédicacer au Grimoire durant le festival du film fantastique, FantasticArts.
Ces informations sont régulièrement annoncées sur mon site personnel, à ladresse http://misandre.free.fr , ainsi que les publications prévues. Il ne faut donc pas hésiter à y passer, voire à sinscrire à ma lettre dinformation. Je nai pas cédé à la mode des forums et des blogs, mais mon webmaster et moi-même nous efforçons de rendre la visite vivante et agréable.
Christophe : Je pense que nous avons passé un bon moment à te lire au travers de cet entretien. As-tu un dernier mot à dire à nos lecteurs avant de le clore ?
Emmanuelle : Voici donc venue lheure dajouter le mot que jadore et déteste tout à la fois : le mot fin. Adore parce quil marque le moment où un texte, quel quil soit, va voler de ses propres ailes, déteste parce que le résultat nest jamais aussi parfait que je laurais souhaité. Mais je me console avec lidée que jai été la plus sincère possible. Parce que sans la sincérité, les rapports humains ne vaudraient pas la peine dêtre vécus. Alors merci à toi et à Fantastinet de mavoir permis de mexprimer en toute liberté au gré de cette interview.
Jespère retrouver un jour ou lautre les internautes de Fantastinet, pourquoi pas lors dun salon ou dune dédicace, afin de poursuivre cette discussion dans un autre univers, plus matériel, celui-là.
En attendant, que vos lectures vous soient belles, sources de joie, dévasion, et pourquoi pas dun brin de réflexion. Parce que mon bonheur dauteur, cest avant tout de vous faire rêver.