Réalisée par :mail
Date :Septembre 2009
Yoann : Nathalie Dau, bonjour. Vous êtes romancière, nouvelliste (Prix Merlin 2006, Prix Imaginales 2008), éditrice, vous avez récemment publié aux éditions de lArgemnios : « Les Débris du Chaudron. » Cet ouvrage est la transposition au format romanesque dune novella publiée précédemment aux éditions du fleuve noir. Vous y exprimez votre passion pour la mythologie celte en réécrivant dune façon moderne, poétique et audacieuse la légende de la déesse Kerridwen, incarnant le pouvoir de la terre-mère.
Jai souhaité vous poser quelques questions sur votre démarche artistique et philosophique :
Quelles relations entretenez-vous avec la mythologie celtique et la mythologie en général ?
Nathalie : La mythologie me passionne depuis lenfance. Comme la plupart des gens, jai commencé par les mythes grecs et romains, égyptiens, sans oublier la mythologie judéo-chrétienne puisque jétais alors dans une école religieuse, avec catéchisme obligatoire. Très vite, en empruntant des ouvrages à la bibliothèque municipale, jai rencontré les mythes germano-scandinaves. Les mythes celtiques, je les ai découverts sur le tard, à 20 ans passés, même si je connaissais les noms des dieux gaulois pour avoir lu Astérix. Je les ai dabord rencontrés au travers duvres romanesques modernes, des romans de fantasy, et comme cela me frustrais de ne pas comprendre qui était Ogma, ou ce quétaient les Fomoires, jai fait des recherches, lu des essais de plus en plus ardus, jusquà minscrire par correspondance au cours de civilisation celtique de Rennes 2. Je suis tombée amoureuse de cette mythologie-là, de cette façon quavaient les peuples dits « celtes » de rêver leur histoire, à lopposée de la démarche romaine qui consiste à rationaliser et historiciser ses mythes. Les étudier, cétait comme renouer avec de très anciens souvenirs, découvrir les versions archaïques de mes contes de fées préférés, appréhender un mode de pensée plus égalitaire que celui que nos légistes ont hérité de Rome et de Napoléon, et une foi empreinte de respect pour la vie, la nature, pour les deux côtés du miroir, sans supériorité des dieux sur les mortels, les dieux étant eux-mêmes curieusement mortels et éternels à la fois. Surtout, une foi dénuée du complexe de culpabilité chrétien. Et le rire dans la forêt, lhumour de la mort, une espérance et un courage que je croyais avoir perdus
Une sorte de « chez moi » pour mon esprit, en quelque sorte. Jai cessé de me sentir seule et totalement différente, après cette rencontre.
Yoann : Pourquoi avoir choisi Kerridwen comme héroïne de votre saga, quest-ce qui vous fascine dans cet archétype ?
Nathalie : Le fait quil reste si peu la concernant, alors quelle est ancienne, bien plus ancienne que les récits qui la mettent en scène ! Myriam Philibert a démontré, dans son essai « les mythes celtiques et préceltiques », paru aux éditions du Rocher, que la racine KR était pré-indo-européenne. Cette racine, on la retrouve aussi dans le nom dautres déesses dont les fonctions sont proches de celles de Kerridwen, à commencer par Cérès-Déméter. Kerridwen est une déesse-mère, liée à lorge et au porc (ce qui mamuse dautant plus que le porc est tabou pour de nombreuses personnes), elle possède le chaudron dinspiration, elle incarne tous les âges de la femme, le cycle de lannée
Elle était tellement tout, et quand on regarde son évolution au fil des âges, on constate que son ultime avatar, cest la fée Carabosse. Jai voulu lui rendre un peu de son ancien éclat, la dédiaboliser, elle que les bardes gallois continuent dinvoquer avant de créer toute poésie
Et puis il y avait aussi le fait que ma fille aînée se prénomme Kerridwen (un prénom rare en France mais répandu au Pays de Galles). Je voulais écrire une histoire qui lui soit plus facilement accessible que les textes médiévaux, et dans laquelle elle comprendrait ce qui avait présidé au choix de son prénom, tout ce que ce prénom signifiait pour moi.
Yoann : La construction de votre récit à travers les époques et de nombreux narrateurs vous est-elle venue de façon évidente, est-elle le fruit dun long travail ?
Nathalie : Mon premier roman, Bleu Puzzle (éditions Tacussel, sous pseudonyme) était déjà construit de façon non linéaire. Cest une façon décrire qui mest assez naturelle. Jai le sentiment quun seul point de vue ne peut pas suffire à rendre la vérité des choses, on a toujours besoin de confronter les sons de cloche. Jaime souligner que tel personnage, qui peut sembler héroïque dun certain point de vue, apparaît soudain méchant, lennemi à abattre, si lon change de perspective. Je naime pas les visions manichéennes. Personne nest tout blanc ou tout noir. Je crois quil y a du bon et du mauvais en chaque personne, que le bien des uns cause la souffrance des autres, que lenfer est pavé de bonnes intentions, etc. Cest peut-être au niveau des relations entre les êtres que sexprime le mieux la relativité chère à Einstein.
En vérité, cest de mefforcer à davantage de linéarité et dunité de point de vue qui me demande du travail.
Yoann : Pensez-vous que notre civilisation occidentale moderne expérimente à lavenir le besoin de puiser dans lantique sagesse des Celtes ?
Nathalie : Disons que cela nous ferait du bien, oui, que nos légistes sinspirent un peu de lancien droit irlandais, et que le monde se débarrasse du fardeau de la culpabilité que font peser sur ses épaules bien trop de religions et philosophies. Je trouve aussi que ce serait formidable si, plutôt que la peur du gendarme, ce soit le désir de toujours pouvoir se regarder sans honte dans un miroir qui motive les gens à bien se comporter les uns envers les autres. Après, je ne suis pas certaine que cette « sagesse » soit lapanage exclusif des Celtes. Je crois quà peu près tous les peuples cultivaient un certain sens de lhonneur, mais quil y a eu glissement des valeurs à partir du moment où, pour se faire bien voir et respecter dautrui, ce nest plus le comportement qui sert de critère, mais le mode de consommation et les signes extérieurs de « coolitude ». Notre civilisation occidentale moderne mise tout sur le paraître au détriment de lêtre, et cela me paraît totalement suicidaire.
Yoann : Pensez-vous que nous assistions actuellement à un réveil de lintérêt pour le monde féerique ? Que peut nous apporter le contact avec le royaume du merveilleux ?
Nathalie : Je crois que le malaise de lêtre au sein de ce monde dapparence et de superficialité, où trop de scandales ont anéanti la foi, où la religion se trouve davantage source de conflit que de réconfort spirituel, provoque de plus en plus cet appétit de croire tout de même en quelque chose, parce que mine de rien, au bout du chemin, nous devrons tous nous confronter à linconnu et aux incertitudes de lau-delà. Croire en lexistence dun merveilleux, quil soit peuplé danges ou de fées (voire dextra-terrestres), cest lutter au quotidien contre langoisse de la mort, la crainte dune disparition totale de ce que nous sommes et avons été. Le néant, linutilité de nos existences, cest un vertige insupportable. La solitude, aussi. Sil existe un autre royaume, alors on peut se dire que quelquun veille sur nous, ou encore que nos malheurs sont de mauvais tours que nous jouent les créatures invisibles. Si tel est le cas, alors tout nest pas entièrement de notre faute, et quelques comportements propitiatoires peuvent peut-être nous concilier ces créatures farceuses ou hostiles, histoire que la roue du destin se décide, entre leurs mains, à tourner en notre faveur. « Nous ne sommes pas seuls », cest à la fois effrayant, excitant et source despérance.
Yoann : La notion de cycle cosmique semble essentielle dans votre roman. Pouvez-vous nous en dire plus sur la nature de ce cycle ?
Nathalie : Le mot « cycle », je le revendique. Après, est-il cosmique ou pas ? Le cycle de lannée, oui. Des saisons, de la végétation, de la vie-mort-renaissance. Le cosmos, lui, est trop vaste pour que je puisse lappréhender.
Parfois, je songe que notre soleil mourra un jour, détruisant avec lui les conditions de la vie sur notre planète
Cela beau être programmé pour bien après mon propre trépas, je ne peux mempêcher dêtre angoissée par cette perspective. Cest un terrible orgueil, bien sûr : comment espérer quil reste encore même une infime trace de mon passage, dans tant de milliards dannées ? Mais dun autre côté, si la réincarnation est avérée, alors peut-être serai-je de nouveau là, confrontée à lanéantissement de tout ce que nous avons connu. Est-ce que ce sera douloureux ? Est-ce que ce sera vraiment la fin de tout ? Est-ce que nous aurons gagné un autre monde de type M3, comme nous le promettent les récits de science fiction ? Est-ce quun héros viendra sauver le soleil ? Est-ce que lespèce humaine existera encore ? Est-ce que les dinosaures ont éprouvé tout ça, quand leur dernière heure est venue ? Et qui viendra déterrer nos os pour nous tirer du néant, si la vie nest plus possible sur Terre ?
Ce qui est trop vaste mangoisse. Voilà pourquoi je préfère me concentrer sur des cycles davantage à mon échelle.
Yoann : Nathalie, quel sera le mot de la fin ?
Nathalie : Puisse-t-il exister pour de bon, le Pays Brillant de mes rêves, et maccueillir au plus profond du labyrinthe, lorsque ma fin sera venue. La cerise sur le gâteau, ce serait dy retrouver, le temps de ce séjour, des êtres tendrement aimés. Dy tomber les masques de nos apparences mortelles, et que nos âmes puissent se blottir les unes contre les autres, libres et sereines.