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Interview : Pierre Bordage

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Comme c’est noël, qu’on pense à vous et que Pierre Bordage a récemment sorti une trilogie fantastique chez l’atalante, nous avons pensé qu’une deuxième interview s’imposait. Suivez le guide…

Orcusnf : Pensez vous que la SFFF arrivera à surmonter la crise qu’elle traverse actuellement?

Pierre : Je ne suis pas devin, mais toutes les crises sont faites pour être surmontées, non ? D’où vient la crise, telle est la question. Les gens, devant l’instabilité du monde, ont-ils tendance à se réfugier dans des littératures plus archétypales, type fantaisie ? Ou bien sont-ce les auteurs qui n’ont pas su se renouveler ou qui n’ont pas su respecter les critères romanesques ? Crise de la SF pour qui ? Pour les fans du genre ou le grand public ? Comment expliquer alors l’énorme succès de B. Werber avec Le Papillon des Etoiles ? Est-ce que les auteurs n’ont pas oublié un principe essentiel de la SF, qui est à mon avis d’émerveiller ? Le fameux sens of wonder ? Est-ce que les auteurs bossent vraiment ? Est-ce que nous savons nous remettre en cause ?

Orcusnf : Les auteurs populaires de SF, tels Dantec ou Werber, sont injustement mal considerés par leurs pairs, ne craignez vous pas de les rejoindre suite à votre succès actuel?

Pierre : Eh bien, il y a plus malheureux comme sorts. Le milieu de la SF se méfie des succès populaires parce qu’elle a l’impression que le genre lui échappe et n’est finalement guère partageur. Mais, même si on n’aime pas forcément Werber ou Dantec, il faut leur reconnaître d’avoir su élargir le cercle des lecteurs et c’est tout à leur honneur. Qui aurait pu penser qu’une histoire de vaisseau génération (le dernier Werber) intéresserait autant de monde ? Alors tant pis pour les pairs ou le milieu. Les auteurs écrivent pour des lecteurs.

Orcusnf : Avez vous été marqué par un livre ces derniers mois?

Pierre : un livre assez ancien, curieusement, le Parfum, de Suskind, que je n’avais jamais lu et que j’ai dévoré ! Un bonne vieille claque pour la façon dont l’auteur a su exploiter son sujet. Et quel style ! Même traduit, ça reste du haut niveau. Et un autre récent : les fabuleuses aventures de l’indien malchanceux qui devint milliardaire, de Vikas Swarup, que j’ai adoré pour sa construction et son humanisme. Pas de SF, donc.

Orcusnf : En tant qu’auteur expérimenté, que diriez vous à des auteurs débutants?

Pierre : Je n’ai rien d’autre à leur dire que d’aller jusqu’au bout de leurs envies, de leur chemin, de ne pas tenir compte de ce qui se dit ou se raconte, mais de suivre leur voie, coûte que coûte. De trouver leur musique, qui n’est sans doute à nulle autre pareille. C’est de cette façon qu’ils pourront embellir le jardin.

Orcusnf : On remarque un lien très fort entre vous et les éditions l’Atalante, peut on espérer vous voir encore chez eux?

Pierre : Oui, bien sûr. Je considère désormais avoir deux éditeurs principaux, l’Atalante, le plus ancien, le plus fidèle, mon vieux complice, et le Diable Vauvert, plus récent, et qui m’intéresse pour d’autres raisons. J’ai un projet de space opera pour l’Atalante, probablement cinq volumes, et mon prochain roman devrait sortir au Diable Vauvert en mai ou en octobre. (ndlr, noté dans nos futures parutions)

Orcusnf : Vous vous concentrez beaucoup sur les romans uniques et les trilogie depuis quelques années, êtes vous lassés des séries fleuves comme Rohel le conquérant.

Pierre : Je viens justement de dire que je prévoyais un space opera en 5 volumes… Tout dépend du sujet, des envies, je ne m’inflige aucune contrainte, ni aucune interdiction.

Orcusnf : On sent dans votre oeuvre une forte animosité à l’égard de la religion, pouvez vous nous en expliquer les raisons?

Pierre : Ma conviction est que les religions constituées sont l’exact inverse de ce que devrait être une religion, à savoir une formidable porte vers la liberté intérieure, et surtout pas cette caricature dogmatique qu’on nous propose un peu partout dans le monde. Mon rôle est donc de les critiquer pour démonter les mécanismes qui, à mon avis, maintiennent l’humanité dans un faux espoir, une illusion et la souffrance. Rien de pire que d’inciter les hommes à se battre au nom de Dieu. Je déteste les religions parce qu’elles brisent ce qu’il y a de plus précieux en l’homme : son élan spirituel.

Orcusnf : Et si les religions sont si nuisibles à l’homme, que proposez vous à leur place?

Pierre : Une spiritualité totalement libre, non basée sur les dogmes, mais sur l’expérience personnelle, un peu à la mode chamanique. On ne peut partager que ce qu’on connaît. Les prêtres, eux, remplacent l’expérience par la connaissance ; leur but n’est pas de partager, mais de contrôler. Or la vraie spiritualité n’est pas contrôlable, puis elle ouvre la porte vers la liberté.

Orcusnf : Dans nouvelle vie, la science et la technologie sont fortement critiquées, ne croyez vous pas en le progrès triomphant?(sic)

Pierre : Même problème que pour les religions : science sans conscience, etc… La science aurait pu être mise au service des hommes, elle sert avant tout des intérêts économiques ou politiques. L’acier a servi a fabriquer les épées, les poignards, l’atome a servi à fabriquer la bombe atomique; quelle que soit l’époque, les inventions sont détournées à des fins belliqueuses. En ce sens, la science n’a fait que s’installer sur les vieux mécanismes des religions et n’ont nullement apporté de progrès sur le plan de l’esprit. Ça m’amuse, même, ce scientisme ambiant, tout aussi irrationnel, tout aussi ridicule que les dogmes religieux.

Orcusnf : Après nouvelle vie, avez vous d’autres recueils de prévus?

Pierre : Oui, j’ai pris goût à la nouvelle après m’en être longtemps méfié. Et nous parlons à l’Atalante de publier bientôt mon deuxième recueil de nouvelles, Avec davantage d’inédits cette fois ci.

Orcusnf : Après l’adaptation d’Atlantis, nous avons eu droit à celle de Kaena, la prophétie, est ce une vocation tardive?

Pierre : Dans les deux cas, il s’agit de novellisation, un exercice qui m’a intéressé pour ses contraintes et ses règles. J’avais participé au scénario de Kaena, une expérience dont j’étais ressorti déçu. Quant à Atlantis, j’avais longuement discuté avec le scénariste du jeu et je m’étais installé dans ses frustrations.

Orcusnf : Avec Kaena, vous rentrez dans les collections jeunesse, une nouvelle vocation?

Pierre : Pas vraiment, histoire de circonstances. Cependant, j’ai d’autres projets jeunesse.

Orcusnf : Dans notre dernière Itw, nous vous interrogions à propos d’un projet avec Ayerdhal, où en est il maintenant?

Pierre : Pas avancé beaucoup. On a du travail tous les deux, et le temps nous manque un peu. Mais ça se fera, un jour ou l’autre.

Orcusnf : Dans une récente ITw, lehman parle d’un projet avec vous et Ayerdahl (encore), avez vous quelque chose à nous révéler sur ce projet?

Pierre : Juste que nous avons le désir de faire un livre ensemble, trois novellas donc, en ne s’interdisant rien, en étant le plus libres et le plus extrêmes possible.

Orcusnf : Parlons de l’enjomineur maintenant. Pourquoi un roman fantastico-historique? Et pourquoi la Vendée? C’est un tournant par rapport au reste de votre oeuvre.

Pierre : Pourquoi la Vendée ? Parce que je suis Vendéen, tout simplement, et que j’ai toujours eu cette histoire en moi. Mais je ne voulais pas faire un roman purement historique, je voulais ajouter du merveilleux, de la fantaisie. Et puis c’est un genre qu’on ne défend pas beaucoup en France, et pourtant, notre histoire est riche. J’avais adoré La Lune et le roi soleil, de Wonda Mcintyre, et je trouve un peu dommage qu’on ne sache pas s’emparer de notre histoire, une formidable source d’inspiration, pourtant.(ndlr, n’empêche qu’elle a peu de chance d’être enseignée celle là, trop peu académique)

Orcusnf : Pourquoi nommer votre trilogie L’Enjomineur? Emile ne peut enjominer personne, juste porter la dague, et Cornuaud est un enjominé pour sa part.

Pierre : Je ne suis pas d’accord avec vous : Émile est un enjomineur, mais un enjomineur en devenir, le seul à pouvoir combattre le Père des Pères. Quant à Cornuaud, il est effectivement l’enjominé, et c’est toute sa relation avec la sorcière africaine qui m’a intéressé. Et puis aussi, peu importe ! Le titre est beau, non ? On n’est pas obligé de toute expliquer.(ndlr, il est vrai que c’est un très beau titre)

Orcusnf : Emile et Cornuaud ont vraiment l’air de n’avoir aucune emprise sur leur destin, ne pas évoluer comme dans le reste de votre oeuvre, ne seraient ils que des pantins?

Pierre : L’heure des critiques, hein ?(ndlr, quelle perspicacité) Question : avez vous une emprise sur votre destin ? Qui a une emprise sur son destin ? Pourquoi tel personnage va se retrouver dans telle situation et agir de telle façon alors que tel autre aura un tout autre chemin ? Qui tire les fils ? Je crois bien que si un personnage maîtrise totalement son destin, il perd pratiquement tout son intérêt. Emile a le choix ou non d’obéir à la fée Mélusine, mais il faut pour cela que le destin le mettre en relation avec cette même fée. Vous parlez de mes autres personnages : est-ce Tixu Oty maîtrise son destin dans les Guerriers du Silence ? Est-ce que Wang maîtrise son destin ? L’impression vient peut-être du fait qu’Émile et Cornuaud évoluent dans un monde historique, donc déjà figé. Je n’essaie pas de me justifier, mais je les ai traités exactement comme tous mes autres personnages.

Orcusnf : La trilogie semble traîner en longueur, les héros ne se rencontrent que rarement, pourquoi une telle mollesse?

Pierre : Deuxième critique. Vous avez trouvé que ça traîne en longueur, et certains de vos collègues aussi, et j’en suis désolé, je n’avais aucune intention de mollesse… D’autres n’ont pas été gênés par le rythme. Mais c’est votre vérité de lecteur, et je ne peux que la respecter. De toute façon, je ne peux plus rien changer maintenant; le vin est tiré, il faut le boire. ( ndlr, dommage, le beaujolais est déjà bu)

Orcusnf : Quels sont vos projets à l’heure actuelle?

Pierre : La fin du roman pour le Diable Vauvert, un projet dans le domaine de la BD, un autre dans l’audiovisuel.

Plus le projet de space opera pour l’Atalante.

Orcusnf : Où nos lecteurs pourront vous rencontrer dans les semaines à venir?

Pierre : Pas encore grand chose de fixé pour l’instant. Clermont en mars, Imaginales en mai à Epinal, le salon du livre de Paris sans doute (mars), plus quelques signatures dans diverses librairies. Je mettrai bientôt mon site à jour.

Orcusnf : Avez vous déjà visité notre site?

Pierre : Oui, bien sûr. On n’y est pas toujours très tendre avec moi, mais, encore une fois, la liberté du lecteur et du critique est sacrée.

Orcusnf : Que peut on vous souhaiter?

Pierre : Le meilleur !!! Mais je m’estime déjà comblé par la vie.

Orcusnf : Que sera le mot de la fin? ( pas en vendéen s’il vous plait)

Pierre : Bonne continuation à tous. Peu importe le domaine d’activité, l’essentiel est d’être sincère.

Et bonne année 2007.

Orcusnf : Et bonnes fêtes à vous aussi monsieur Bordage, que l’année à venir vous soit aussi favorable que les autres.


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