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Paternoster de Julia Richard

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Paternoster est le deuxième roman de Julia Richard que je lis après Carne, les deux étant publiés aux éditions HSN. J’avais bien aimé le côté décalé de Carne et m’attendais, avec une histoire bien différente, à me replonger dans un univers à défaut d’être identique, au moins similaire… Grave erreur, Paternoster ne ressemble en rien à son prédécesseur et je dois avouer que Julia signe ici un roman qu’il vous faut absolument découvrir.

Une jeune femme comme une autre…

C’est ce qu’est Dana. Jeune fille issu d’un milieu modeste et d’origine Kabyle, Dana a réussi à se construire une carrière où elle trouve plutôt son compte et considère que son avenir se dessine plutôt bien. A une exception près, celle de la relation amoureuse puisqu’elle vient de rompre, une rupture qui lui sape le moral. Alors quoi de mieux pour oublier cela que de se rapprocher de Basil Paternoster pour une soirée, pour une nuit, l’histoire de se dire que la page est tournée ?

Mais cette nuit est destinée à se reproduire, car malgré leurs différences d’origine et de statuts, une connexion se fait entre les deux, un lien se créé, certains appelleraient peut-être ça un coup de foudre. Toujours est-il que la relation dépasse le stade de la soirée détente, et que leur relation se construit, page après page, étape après étape.

Si tu étais seule, dans un endroit que tu ne connais pas, avec des gens que tu ne connais pas, qui nourrissent de sordides projets, qu’est-ce que tu pourrais bien y faire ?

Il faut dire que le jeune homme est séduisant, qu’il est avocat et que tout semble s’aligner pour la jeune femme. La jeune femme commence à se projeter, d’autant plus qu’elle est invitée à rencontrer ses beaux-parents, dans un lieu coupé de toute civilisation et on ne peut pas dire que l’accueil qui lui est fait la mette en confiance et la rassure sur son avenir de couple.

La rencontre avec Homère et Célia va mettre la jeune femme mal à l’aise, avec le sentiment qu’elle n’est pas à sa place et qu’elle va devoir mériter si elle veut intégrer leur clan.

… dans une société qui conditionne les femmes

Les premières pages nous rappelle ces contes anciens, où la jeune Cendrillon rencontre le prince charmant, ils ont eu plein d’enfants et vécurent heureux. A ce détail que près que Cendrillon la souillon est désormais une jeune femme d’origine populaire issue de l’immigration et le prince charmant un fils de dentiste promis à un brillant avenir d’avocat dans un grand cabinet. Les métiers ont évolué, pas les rapports de force.

Alors, la jeune femme va s’accrocher à ce rêve, à ce possible amour qui lui permettra de combler la seule chose qu’elle n’a pas “réussi” jusqu’à présent. Bien sûr, il y a quelques petits couacs, ou des plus gros couacs, des petits et des gros sujets qui l’agacent ou l’inquiètent. Mais ne peut-elle pas juste profiter de ce bonheur ? Profiter de ce que lui propose Basil : il n’est pas parfait et lui joue quelques mauvais tours, mais malgré tout, n’est-elle pas heureuse, et n’est-ce pas elle qui en demande trop ?

Rien n’est de leur faute, et tout leur est dû. Ils se pensent plus méritants que les autres, bien aveugles au plafond de verre que les miens heurtent de plein fouet, aux avantages inhérents à leur classe, au patrimoine qui leur a été transmis. Alors, oui, j’imagine que c’est bien trop drôle de faire une démonstration de pouvoir.

Il sera difficile pour beaucoup de comprendre le personnage de Dana, mais aussi celui de la belle-mère Celia… Difficile de comprendre ses réactions, difficile de comprendre pourquoi elle n’a pas dit stop à un moment, comment elle a pu laisser les choses filer et lui échapper… et pourtant, c’est la réalité quotidienne de trop nombreuses femmes : on ressent dans le texte de Julia les ressorts qui amènent aux plus grands drames, aux féminicides mais aussi aux attaques racistes, antisémites, et autres.

Un texte fort et féministe (mais pas que…)

Comme vous l’aurez compris, nous ne sommes pas ici dans un simple roman distractif, il est fort et il est violent dans ce qu’il met en lumière. Chacun des protagonistes est conditionné par son éducation et par la société. Ne croyez pas que Julia fait une attaque et une liste à la Prévert des travers de notre société, elle ne fait que nous raconter l’histoire de cette jeune femme dans notre société. Aucun effet de manche et aucune manipulation du lecteur, Dana vit simplement sa vie de jeune femme du XXIème siècle.

Comme beaucoup, elle se retrouve prisonnière d’un carcan qui l’enferme et la conduit à accepter l’inacceptable : les petites phrases de Basil, ainsi que ses comportements, les attendus quant on est une femme, comme la maternité, mais pas que. L’attendu aussi d’une mère qui veut pour sa fille un ascenseur social qui semble être plus rapide par mariage que par le travail. Et puis à l’autre bout de la chaîne, Basil aussi qui ne fait que répéter les schémas qui lui ont été insufflés.

Les familles aussi ont leur rôle dans cette histoire, de la famille plutôt traditionnelle du côté de Basil à celle monoparentale du côté de Dana. Les hommes ne sont pas les seuls à reproduire certaines pratiques, il semble y avoir une espèce de silence coupable des aînées, une absence de solidarité générationnelle.

Je suis sorti un peu chamboulé de ce récit, superbement écrit et éclairant sur un quotidien que je n’ai jamais vécu. Julia Richard a réussi à écrire un roman poignant, percutant, féministe sans pour autant nous faire la morale.

Le choix de faire une alternance entre la construction de la relation de couple et le point culminant de leur relation avec la rencontre des parents nous permet de faire monter progressivement la tension du scénario, de faire monter la pression et de nous préparer au reste.

Je conclurai par le partage qui peut sembler anecdotique dans le fil de l’histoire mais qui prend du sens dans la globalité. Dana va voir une gynécologue, pour une visite de contrôle, un sujet qui commence à être abordé sur les “méthodes”.

Elle enfonce ses deux doigts gantés dans mon intimité dans un froissement de plastique horriblement sec. La surprise et la douleur me crispent un quart de seconde.

L’Homme Sans Nom (Mai 2023) – 254 pages – 21,90 € – 9782493714015
Couverture : François-Xavier Pavion

Pour Dana, jeune femme issue d’un milieu modeste, Basil Paternoster a tout du compagnon idéal : séduisant, éloquent et de bonne famille. Mais lorsque vient la rencontre avec les beaux-parents, dans leur vaste propriété de campagne lors d’un été caniculaire, les choses s’engagent mal.

Ballottée entre les apéritifs qui n’en finissent pas, les traditions qui lui sont étrangères, et les échos de sombres secrets de famille, Dana doute. A-t-elle vraiment envie de faire partie de ce clan ?

Alors que ses idéaux se brisent et que la réalité la rattrape, c’est tout son équilibre qui chavire. Et si le bonheur n’était qu’un piège bien cruel ?


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