Allan : Bonjour Anne et merci d’accepter de répondre à quelques unes de nos questions. La première concerne votre travail en collaboration : comment vous est venu cette idée ?
Anne : L’idée ne nous est jamais venue. La réalité s’est imposée toute seule ! Gérard et moi nous connaissions à peine – nous étions fraîchement amoureux, tout ça – quand un ami de notre groupe de jeu de rôle nous a proposé d’écrire un livre dont vous êtes le héros. Nous l’avons écrit… Il n’est jamais sorti… mais nous nous étions déjà lancés sur d’autres projets!
Allan : Comment s’y prend t’on pour l’écriture à 4 mains : l’un de vous prend-il plus en charge l’aspect politique et un autre les aspects psychologiques ? Ou une autre répartition ?
Anne : Non, il n’y a pas de répartition officielle. Nous travaillons tous les deux sur tous les projets. On développe l’idée ensemble, ensuite on se relit mutuellement. Et nous assumons tous les deux les côtés psychologiques et politiques, surtout qu’ils sont souvent liés…
Allan : Vous avez écrit sous l’appelation d’Ange : cette décision avait pour volonté de rendre l’écrivain « asexué » ?
Anne : Initialement, notre pseudo était: « G.E.Ranne » (GERard et Anne). Nous avons sorti un certain nombre de romans et de BD sous ce pseudonyme, et nous avons participé à de nombreux jeux de rôles. Notre série « Les Héritiers », chez Vents d’Ouest, ayant été une catastrophe absolue, notre éditeur nous a aimablement « demandé » de changer de nom. Notre directeur de collection, Laurent Galmot, a alors trouvé « Ange » (ANne plus GErard).
Ce pseudo était parfait parce que primo, il était nettement plus joli, secundo, il était en effet asexué, et tertio, il faisait référence à notre collaboration au jeu de rôle « In Nomine Satanis/Magna Veritas », créé par Croc, un jeu d’anges et de démons, dans lequel nous nous étions beaucoup investis.
Etienne : La geste des chevaliers dragons dispose d’un univers propre, pourquoi l’avoir enrichi d’un roman et comment s’articule t’il avec les BD ?
Anne : A-ha! Non, le roman… (Le Grand Pays, premier tome de la trilogie de la Légende des Tueuses Démon, Ed Bragelonne) ne fait pas partie de l’univers de la série de BD (La Geste des Chevaliers Dragon, Ed Soleil).
Il en est parfaitement indépendant et se lit totalement par lui-même.
Mais… il y a un sacré mais… Il y a des points communs. Entre autre, le principe du dragon qui apparait et tord la réalité autour de lui est remplacé par un démon qui apparait et tord la réalité autour de lui… et dans les deux cas, des « chevaliers » dans un cas, des « tueuses » dans l’autre, seules des jeunes filles vierges peuvent le combattre.
Et là vous me dites: « Vous vous fichez de moi!! C’est la même chose! »
Eh bien je vous promets que non. L’ambiance, le récit et le propos sont complètement différents. Et je le prouve :
- Le monde du Grand Pays – le premier tome de la série « La Légende des Tueuses-Démon » est un monde très sombre, très « magique », avec une ambiance un peu asiatique, un monde où le destin est une réalité et où la sorcellerie imprègne la vie de tous. (Ce qui n’est pas du tout le cas de la série de BD, où l’ambiance est médiévale/européenne, où il y a très peu de magie et certainement pas de destin).
- Le héros du « Grand Pays » est un garçon de quatorze ans, et il va rester le protagoniste principal des trois tomes. C’est son histoire qui est racontée… et les Tueuses Démon ne sont en vérité qu’assez
secondaires, elles ne sont qu’une force parmi d’autres dans un monde très complexe…
- L’histoire parle de vengeance, de destin et de la rédemption… d’un homme, alors que celle de la série de BD parle de changement, de chevalerie et de l’irruption des femmes dans une société patriarchale.
Donc, c’est très différent! Je vous le promets ! Mais il y a quand même à l’intérieur deux trois clins d’oeil pour les lecteurs de notre série de BD…
Etienne : Pourquoi n’avoir repris qu’une partie de l’univers de la geste, notamment en changeant quelques mots de vocabulaire (Veill/voile, tueuses démon contre chevalier dragon…) ?
Anne : Pour toutes les raisons citées ci-dessus. Je vois « Le Grand Pays » comme « La Geste des Chevaliers Dragons » à travers un miroir déformant… Une sorte d’exercice de style, en fait. Prenons la même idée… et dans un univers complètement différent, créons une histoire qui n’a rien à voir… J’aimerais le faire une troisième fois, et refaire quelque chose d’entièrement différent là encore…
Etienne : en combien de tomes avez vous prévu de développer cette nouvelle série ?
Anne : Trois tomes. Ce sera une trilogie! Depuis que j’ai découvert la fantasy avec « Le Seigneur des Anneaux » quand j’étais petite, je « pense » en trilogie. Du moins pour le roman de fantasy…
Etienne : alors que les BD sont centrées sur des héroines, le roman met plus en avant un héros : une volonté de rupture ?
Anne : Oui. En plus, en roman, les personnages masculins me viennent beaucoup plus facilement que les personnages féminins. Dans ma trilogie précédente, Ayesha (Ed Bragelonne), l’histoire est vue par un héros – à forte personalité – qui s’appelle Arekh… Et honnêtement, le personnage d’Arekh coulait tout seul de mon clavier, il s’écrivait tout seul. Même chose dans « Le Grand Pays »… Malïn, le héros, coule beaucoup plus facilement sous la plume qu’Alia, sa co-héroïne.
Trouvez-moi une explication psychanalytique pour ça… moi je n’en ai pas! En BD (clairement) je n’ai pas le même problème, étant donné que toutes les héroïnes – et il y en a des dizaines – de la série La Geste des Chevaliers Dragon sont des femmes. Il y a aussi, peut-être, le fait que dans un monde médiéval ou pseudo médiéval, il faut trouver une bonne raison pour qu’une femme soit l’héroïne. Les mondes médiévaux étaient machistes et à de rares exceptions les femmes ne combattaient pas. Donc si on crée une héroïne combattante dans un de ces mondes, il faut ou qu’elle soit exceptionnelle – comme Jeanne d’Arc – ou qu’il y ait un prétexte (comme dans « La Geste des Chevaliers Dragons », où seules les femmes peuvent approcher les Dragons), ou que l’héroïne soit plus ou moins une pariah. Dans tous les cas, le fait qu’elle soit une femme dans un contexte médiéval n’est pas neutre, et les réactions du monde autour d’elle doivent faire partie de l’histoire, elles doivent être un des thèmes abordés, sinon c’est complètement artificiel…
Donc prendre un homme comme héros du roman de fantasy permet d’éviter les thèmes de l’émancipation ou du changement social et de se concentrer sur autre chose, ce que nous avons fait dans « Le Grand Pays ».
Mais cela dit, après avoir utilisé le « prétexte » pour faire des femmes nos héroïnes dans « La Geste des Chevaliers Dragons », nous allons utiliser le principe de la « pariah » dans notre nouvelle série aux Editions Soleil, « Marie des Dragons »…
Etienne : Dans tout ce que j’ai pu lire de vous (ce qui se limite à la geste, ayesha et le T1 de la légende), j’ai trouvé que les héros non seulement avaient un côté obscur, mais surtout que le moins qu’on puisse dire était qu’ils souffraient, voire que les fins étaient souvent des victoires à la Pyrrhus. C’est presque rare des héros qui souffrent autant non ?
Anne : Je ne sais pas si c’est rare, mais le fait est que Gérard et moi avons tendance à écrire noir, très noir… Parfois, nous nous tapons sur les doigts pour ne pas tuer nos personnages à la fin. Quand au côté obscur, bien sûr! C’est ça qui rend les personnages intéressants… Pourquoi nous écrivons si noir, c’est difficile à dire. D’abord, ce sont les histoires qui finissent mal qui marquent le plus. Essayez de vous rappeler des classiques qui vous ont marqués… Phèdre, « Le Comte de Monte-Christo », les poèmes de Victor Hugo… Franchement, combien finissent bien? Et puis, si on veut de l’épique, du tragique, du dramatique… difficile de finir par « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants »…
Je dois dire que le cliché des personnages qui vous entraînent où ils veulent me parait assez vrai. Dans « Ayesha » (notre première trilogie chez Bragelonne), une fois les personnages et les enjeux posés… ça ne pouvait finir que comme mal. Toute autre fin aurait été ridicule, plaquée, une trahison par rapport à ce qui avait été développé auparavant dans le roman. Seules nos romanes jeunesses finissent bien. Mais ils ont un côté un peu « dark » quand même…
Allan : Au cours des différents salons auxquels j’ai pu participer, j’ai vu à chaque fois Anne… doit-on en déduire qu’Anne est plus chargée de la comm’ ?
Anne : ça c’est drôle, parce que d’habitude, on me dit exactement le contraire. En vérité, Gérard et moi faisons autant de salons, mais pas les mêmes. Nous avons chacun nos favoris…
Allan : N’êtes vous pas tentés chacun de votre côté d’écrire en votre nom « propre ».
Anne : Non!
Allan : Vous écrivez des romans, des bandes-dessinées, des romans jeunesses : avez-vous des préférences ?
Anne : Non. 🙂
Allan : Quel est la suite des évènements pour vous ?
Anne : Hou la là, plein de choses!
En romans, nous venons de sortir, en plus du « Grand Pays », « L’Arche de Noa », chez Intervista, et « A mille miles de toute terre habitée », chez Syroz. Nous sommes en train d’écrire deux romans: la suite du Grand Pays, chez Bragelonne, et le premier tome d’une série, « Alliance », dont le coauteur est Henri Loevenbruck !
En BD, nous continuons la série « La Geste des Chevaliers Dragons », où nous travaillons avec plusieurs excellents dessinateurs pour les tomes suivants: Fabrice Meddour, Francisco Ruiz, Edouard Guiton. Et puis il y a toutes nos séries, « Le Collège Invisible », « Paradis Perdu », « Mon Dragon et moi », « Tibill le Lilling »… etc.
Cet automne, nous lançons une nouvelle série « Marie des Dragons », avec un dessinateur exceptionnel qui s’appelle Thierry Démarez. C’est la série dont je vous parlais plus haut, une série de médiéval-fantastique, moins « heroic fantasy » que d’habitude, plus réaliste, plus moyenâgeuse, où nous essayons de retrouver l’esprit classique des séries de notre enfance comme Thorgal… Et justement, nous nous tapons sur les doigts pour ne pas la faire trop sombre!
Allan : Le mot de la fin sera ?
Anne : Brocoli.
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