Nous vous proposons de découvrir Mélanie Fazi, une auteure-traductrice dont la qualité d’écriture n’est plus à prouver.. En espèrant que ce petit échange vous incite à découvrir ses oeuvres : Encore Merci Mélanie d’avoir accepté notre invitation !!
Allan : Bonjour Mélanie et merci beaucoup d’avoir accepté cette interview…
Mélanie : Bonjour Allan, et merci de l’invitation !
Allan : Tout d’abord, je voudrais vous demander si vous acceptez de vous présenter un peu…
Mélanie : Je suis née il y a 27 ans à Dunkerque, je suis arrivée à Paris il y a sept ans dans le cadre de mes études et la ville m’a tellement plu que j’y suis restée. Je travaille comme traductrice à temps plein depuis bientôt deux ans, après avoir traduit pas mal de nouvelles pour des revues et anthologies. J’ai publié une dizaine de nouvelles, un roman, Trois pépins du fruit des morts (chez Nestiveqnen), et un recueil, Serpentine (chez l’Oxymore).
Allan : Comment devient-on écrivaine – si vous me permettez le terme ?
Mélanie : Question toujours un peu étrange… Déjà, je ne crois pas qu’on le « devienne », ni que ce soit quelque chose qui se décide. En ce qui me concerne, j’ai toujours inventé des histoires, depuis l’enfance, et j’ai toujours été attirée par le dessin et l’écriture. Je crois aussi que le fait d’être devenue très tôt une lectrice boulimique explique en partie ma fascination pour les histoires écrites. À l’adolescence, j’ai abandonné le dessin mais je me suis remise à écrire des nouvelles, et je n’ai plus arrêté depuis. Ensuite certaines de ces nouvelles ont été publiées et tout s’est enchaîné.
Allan : Vous écrivez – et traduisez – du fantastique : qu’est ce qui vous attire particulièrement vers ce genre actuellement ?
Mélanie : L’imaginaire au sens large m’a toujours intéressée, mais je suis venue au fantastique vers 16 ou 17 ans et une fois tombée dans la marmite, je n’en suis plus ressortie. Je ne sais pas pourquoi ce genre-là plutôt qu’un autre, sinon qu’il m’apporte des émotions ou réflexions que je ne trouve pas forcément ailleurs. Une certaine manière de représenter le réel à travers un filtre, des images, des symboles… Au départ, je lisais plutôt du fantastique pour me faire des frayeurs, pour sortir de mon quotidien, mais petit à petit j’en suis venue à préférer un fantastique qui m’apprenait des choses sur moi-même et sur les gens qui m’entourent. C’est un genre qui se prête vraiment bien à l’étude de personnages, et qui peut nous renvoyer à nos propres troubles d’une manière assez dérangeante.
Allan : Je sais que la question est récurrente – et peut-être un peu lassante – mais pouvez vous nous parler des auteurs qui ont « marqués » votre vie de lectrice et en quoi ils vous ont marqués ?
Mélanie : C’est vrai qu’on me pose assez souvent la question… Et le nom qui vient en premier, c’est toujours celui de Lisa Tuttle. J’ai lu ses nouvelles à un moment où je découvrais de nouvelles manières d’aborder le fantastique (après avoir lu King et Lovecraft) et c’était aussi l’époque où j’écrivais mes premières nouvelles. Je crois qu’il en est resté quelque chose. Je parlais plus haut du fantastique qui met les personnages face à eux-mêmes, et Lisa Tuttle est à mon sens un des auteurs qui l’illustrent de la façon la plus troublante. En matière de fantastique, il y a eu aussi Poppy Z. Brite, surtout ses recueils de nouvelles. J’adorais ses atmosphères et la musique particulière de son écriture. Elle a pris une voie totalement différente récemment, et c’est un auteur que je prends toujours beaucoup de plaisir à suivre. Récemment, mon dernier grand choc a été la découverte de Nancy Huston, dont j’ai dévoré tous les romans à la suite. Il y a une grâce incroyable dans son écriture, une intelligence et une sensibilité qui m’émerveillent. Et aussi une façon à la fois très honnête et très pudique de parler d’elle-même. Dolce agonia est le plus beau livre que j’aie lu depuis très longtemps.
Sinon, il y a eu beaucoup d’autres auteurs, d’autres livres. Carson McCullers pour ses ambiances et ses personnages, Stephen King parce que j’ai découvert le fantastique grâce à lui, Tolkien parce que Le Seigneur des Anneaux lu à onze ans a été un de mes plus grands chocs littéraires, Graham Joyce ou Neil Gaiman récemment… Difficile de répondre à cette question sans citer des dizaines de titres et de noms.
Allan : Comment construit-on un recueil comme « Serpentine » (Editions de l’Oxymore – Janvier 2003) ?
Mélanie : Il s’est construit à la fois progressivement et très vite. Progressivement parce que l’écriture de ces textes s’étale sur plusieurs années : certains étaient récents, d’autres n’avaient pas trouvé le support adéquat. Et très vite parce qu’à compter du moment où Léa Silhol m’a proposé de participer à la collection Épreuves, le sommaire s’est construit en quelques mois. J’ai choisi quatre textes à republier, trié les inédits que j’avais en réserve, écrit spécialement « Petit théâtre de rame » pour compléter le sommaire. Le tout était de trouver une cohérence tout en évitant les redites, mais tout s’est mis en place assez facilement.
Allan : Toutes les nouvelles sont basées sur la mort ; est-ce un sujet de prédilection ou plutôt une inquiétude vis à vis de la mort ?
Mélanie : Je ne sais pas trop moi-même. C’est un des thèmes-clé de la littérature fantastique, donc je devais forcément être amenée à m’y pencher. Mais quant à savoir pourquoi il revient si souvent… Mes tout premiers textes tournaient beaucoup autour de la mort, parce que je croyais que c’était la seule manière d’écrire du fantastique. Mais ça relevait du réflexe adolescent qui consiste à écrire des textes très noirs, jusqu’à l’excès, sans trop se poser de questions. Après, j’ai pris un peu de recul, mais le thème de la mort est resté. Peut-être moins comme un thème littéraire que comme une réalité dont je prenais conscience, je ne sais pas trop… Tout ce que je peux dire, c’est que le fantastique permet d’écrire sur les choses qui nous font peur. Ou du moins, c’est mon cas : je suis quelqu’un de très angoissé, et j’ai parfois l’impression d’écrire sur ce qui me fait peur pour le tenir à distance. Et la mort, forcément, on y pense tous…
Allan : La nouvelle Matilda est très « musicale » : la musique représente-t-elle une composante importante dans votre vie ?
Mélanie : J’écoute beaucoup de musique, et c’est aussi une de mes sources d’inspiration principales pour l’écriture. Vers l’époque où je suis venue à Paris pour mes études, je me passionnais pour la musique de manière un peu obsessionnelle, je passais beaucoup de temps dans les salles de concert. J’y ai vécu des moments très intenses, j’en garde des souvenirs assez précieux. Ensuite, après mon entrée dans le monde du travail, j’ai eu moins de temps à y consacrer, et j’ai découvert d’autres préoccupations, d’autres centres d’intérêt… J’écoute toujours de la musique du matin au soir, je vais encore voir des concerts, mais plus tout à fait avec la même passion. « Matilda » a été écrite vers la fin de cette période, et le texte est né de l’envie de parler de ces expériences, d’essayer de retranscrire dans un texte l’ambiance des salles de concert.
Allan : Y a t-il des nouvelles qui vous sont plus précieuses que d’autres ?
Mélanie : Il y en a forcément, mais j’ai du mal à juger mes textes : à la relecture, je ne vois que les maladresses et les défauts. J’ai tendance à être assez sévère avec ce que j’écris. Mais il y en a auxquels je tiens particulièrement. « Matilda », justement, parce que l’accueil réservé à ce texte m’a beaucoup surprise, je ne m’attendais pas à des retours si enthousiastes. « Le nŒud cajun », mon tout premier texte publié, parce que cette première parution a été une belle expérience et que j’ai l’impression que ce texte m’a porté chance. Parmi les nouvelles du recueil, il y en a trois en particulier qui me tiennent à cŒur : « Serpentine », pour le thème du tatouage, « Nous reprendre à la route », pour son ambiance, et « Mémoire des herbes aromatiques », parce que je me suis vraiment amusée à l’écrire. Ces trois-là font partie des rares textes que j’arrive à relire sans grincer des dents toutes les deux lignes. Mais cela dit, mon rapport avec chaque texte varie énormément avec le temps.
Allan : Quel « accueil » ont jusqu’à présent vos nouvelles et romans ?
Mélanie : Plutôt positif, dans l’ensemble. Certaines réactions très enthousiastes m’ont vraiment surprise. La manière dont certaines personnes m’ont dit avoir ressenti la lecture de « Matilda » par exemple. Avec le roman, ce qui m’a le plus touchée, c’est d’entendre des interprétations auxquelles je n’avais pas pensé, mais qui pouvaient effectivement être contenues dans le récit, entre les lignes. Je ne m’attendais pas du tout à ça, mais c’était assez gratifiant : comme si je venais de créer des personnages réellement vivants, qui menaient une existence distincte dans la tête de chaque lecteur. On m’a fait aussi un certain nombre de remarques sur des longueurs ou des maladresses dans ce roman (qui variaient beaucoup d’une personne à l’autre), j’essaierai d’en tenir compte à l’avenir. Mais pour l’instant, c’est une très belle expérience.
Allan : Maintenant le sujet qui fâche 😉 : vous avez l’air de réagir vivement quand on vous parle du roman, sous-entendant que le roman est la réussite ultime de l’écrivain : pouvez vous nous dire ce que vous pensez de cette attitude ?
Mélanie : Ce n’est pas vraiment un sujet qui fâche, juste une tendance que je trouve énervante, et un peu insultante pour les auteurs qui sont nouvellistes par choix. C’est vrai que dans un premier temps, comme je me croyais incapable d’écrire un jour un roman, je prenais ce genre de remarque d’autant plus à cŒur. Comme si la nouvelle n’était pas un format littéraire digne de ce nom, juste un exercice pour débutants avant de passer aux choses sérieuses. Mais j’aime profondément le format de la nouvelle. Surtout dans le genre fantastique d’ailleurs : les livres qui m’ont le plus marquée étaient souvent des recueils de nouvelles. « Le nid » de Lisa Tuttle, « Les contes de la fée verte » de Poppy Z. Brite, « Danse macabre » de Stephen King, « Miroirs et fumée » de Neil Gaiman… Quand j’ai commencé à écrire, je rêvais de publier un jour un recueil de nouvelles, bien plus qu’un roman. Ce qui m’a énervée après ma première publication, c’était qu’on me demande régulièrement quand je comptais écrire un roman. Pas juste publier un livre à mon nom, mais spécifiquement un roman. Comme si c’était une étape obligatoire. Maintenant que j’ai publié deux livres, je n’ai pas l’impression de vouloir défendre Trois pépins du fruit des morts plus que Serpentine, sous prétexte que l’un est un roman et l’autre un recueil. Ce sont deux types d’ouvrage différents, point final, je ne pense pas que l’un soit plus « important » que l’autre.
Allan : Quels sont à votre avis les points faibles et forts du roman et de la nouvelle ; à quel niveau se situe la différence ?
Mélanie : Je ne parlerais pas de points forts et de points faibles : ça implique déjà un jugement de valeur, ce qui rejoint la question précédente. Mais chaque format a ses particularités, forcément. Dans la nouvelle, j’apprécie cette impression d’être face à une moins grande part d’incertitude : j’ai une idée plus claire de ce que sera le texte que je commence. C’est quelque chose que je peux, pour ainsi dire, embrasser d’un seul regard, ce qui n’est pas le cas avec le roman. Et puis la plupart des idées qui me viennent sont plus adaptées à la nouvelle, et même après deux romans, je me sens toujours plus à l’aise dans la nouvelle.
Ce que j’ai aimé dans le roman, c’est la possibilité de prendre mon temps et de me laisser surprendre par mes personnages. Même en ayant tout planifié à l’avance, un roman, c’est le saut dans le vide… Je crois que le roman m’effraie un peu aussi à cause du temps qu’on passe immergé dans une même atmosphère, c’est assez étouffant par moments. Je ne suis jamais tranquille tant que le premier jet d’un texte n’est pas terminé, j’ai l’impression que je vais me bloquer, que je n’arriverai pas au bout, etc. Sur une nouvelle, c’est déjà pénible, mais sur un roman, ça peut vite devenir éprouvant.
Allan : En plus d’être auteure, vous êtes traductrice, j’ai même cru comprendre que vous aviez commencé la traduction d’une série : comment traduit-on un livre ? quel est le « process » si on peut le dire ainsi ?
Mélanie : Difficile à décrire. Il s’agit essentiellement de se plonger dans l’ambiance d’un livre pour essayer d’en restituer la voix le plus fidèlement possible. Il y a aussi tout un travail de recherches et de vérifications, surtout quand le livre traite de domaines assez pointus (par exemple, pour les romans d’Elizabeth Moon que j’ai traduits pour Bragelonne, j’ai eu à rechercher aussi bien du vocabulaire militaire que des termes d’équitation). Mais pour ce qui est de rendre le style, c’est assez instinctif et difficile à expliquer. Chez certains auteurs, on trouve la voix tout naturellement, pour d’autres il faut tâtonner un peu plus… Et il y a toujours la peur de trahir le texte, de ne pas réussir à rendre toutes les subtilités, l’humour ou les tournures de phrase.
Allan : Est-il difficile de traduire un texte qu’on a pas écrit et acceptez vous de traduire un livre que vous n’avez pas aimé ?
Mélanie : L’avantage de travailler régulièrement avec les mêmes éditeurs, c’est qu’ils finissent par nous connaître et mieux cibler les livres qu’ils nous proposent. Quant à savoir si je refuserais de traduire un livre qui me déplaît vraiment… Je ne sais pas, tout dépendrait des circonstances, des autres propositions qui me sont faites à ce moment-là. Comme je traduis depuis relativement peu de temps, je ne peux pas encore me permettre d’être trop difficile sur le choix des textes. Même si pour l’instant, le cas ne s’est pas présenté.
De toute façon, un texte mauvais ou ennuyeux à lire peut se révéler assez distrayant à traduire, on a parfois des surprises. Et c’est souvent un très bon exercice. C’est parfois difficile à déterminer à l’avance. Mais c’est vrai qu’on prend toujours beaucoup plus de plaisir à traduire un livre auquel on tient vraiment, qu’on a envie de porter et de défendre.
Et pour en revenir à la première partie de la question : je crois au contraire qu’il est beaucoup plus facile de traduire un texte dont on n’est pas l’auteur, parce qu’on a un recul que l’auteur du texte n’aura jamais. C’est autrement plus difficile de traduire ses propres textes : j’ai déjà essayé, de manière tout à fait informelle, et j’étais surprise de voir à quel point il est difficile de se détacher de ses propres mots.
Allan : Pensez vous, en tant que traducteur mais aussi en tant que lectrice, que la traduction est pour beaucoup dans le succès – ou l’échec – d’une Œuvre ?
Mélanie : Elle peut avoir une influence, oui, mais je ne sais pas si elle peut suffire à changer totalement l’impact d’un texte. J’espère que non, et qu’un texte fort conserve toute sa puissance même quand il est mal traduit : j’ai suffisamment conscience des dégâts que peut causer une traduction pour espérer qu’elle n’a pas une telle influence sur la lecture. Il y a souvent des pertes dans une traduction, même excellente, le tout étant de réussir à compenser ailleurs. Mais une mauvaise traduction peut causer des dégâts, ça oui, ne serait-ce que des dialogues maladroits, ou de l’humour mal compris. En même temps, je suis déformée par la pratique de la traduction, dont je vais sans doute tiquer sur des points qu’un lecteur moins impliqué ne remarquera jamais.
Allan : Quand au métier d’écrivain, avez vous des infos, des trucs à donner à quelqu’un qui voudrait s’y lancer ?
Mélanie : Si je devais lui donner un conseil, ce serait d’écrire avant tout ce qui lui tient à cŒur, sans essayer de se plier à des contraintes extérieures ou d’écrire de telle ou telle façon « parce que c’est ce qui se publie le plus en ce moment ». Je crois qu’il faut au contraire se donner à fond et ne pas hésiter à écrire des choses très personnelles. Et puis ne pas se laisser décourager, et attendre la rencontre ou le déclic dont tout le reste découlera. Je reste persuadée que quand un texte est bon, il finira par trouver preneur, même si les choses tardent à se mettre en place.
Allan : quels sont vos projets en cours ?
Mélanie : Je retravaille un roman, plus ancien que Trois pépins du fruit des morts, qui doit paraître vers la fin de l’année. Sinon, ma nouvelle « La cité travestie » qui était parue chez l’Oxymore (dans Emblèmes Venise Noire) a été traduite en anglais et doit paraître bientôt aux Etats-Unis dans le Magazine of Fantasy et Science-Fiction. A part ça, je n’ai pas d’autres publications à annoncer pour l’instant, juste des envies, de embryons d’idée, rien de vraiment concret.
Allan : Question qui n’a rien à voir : avez vous visité le site Fantastinet et qu’en avez vous pensé (en toute honnêteté – nous acceptons très bien les critiques ;-))
Mélanie : Je connaissais le site pour avoir été y consulter les critiques de livres. Je le trouve très intéressant, très bien conçu, et j’aime surtout les interviews qui donnent très envie d’aller découvrir les auteurs dont il est question. Surtout que les questions sont pertinentes et bien ciblées.
Allan : Peut-être ai-je oublié une question ?
Mélanie : Non, je ne vois rien à ajouter. Dans tous les cas, encore merci de l’invitation !
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