Retrouvez l’actualité des littératures de l’imaginaire (Science-Fiction, Fantastique, Fantasy, et autre) ainsi que des interviews de celles et ceux qui les construisent.

Interview : Audrey Françaix

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Deuxième livre publié aux éditions Octobre, créées par Pierre Grimbert et Audrey Françaix, La Chair et l’Acier est probablement la première oeuvre française d’Erotic fantasy… Il était indispensable de rencontrer Audrey pour parler avec elle de son nouveau cycle…

Allan : Audrey bonjour et merci de t’être prêtée à notre petit jeu des questions-réponses. La première question, qui est généralement posée aux écrivains, est quel a été leur cheminement, leur premier contact avec le monde de l’édition, leur maître à penser et à écrire… Peux-tu nous parler un peu de tout cela ?

Audrey : Bonjour, c’est un plaisir !

Mon frère aîné est également auteur. Nous avons dix ans d’écart et, quand je n’avais que neuf ans, je me faufilais le soir dans sa grande bibliothèque pour lire Lovecraft ou Jean Ray à la lueur d’une bougie… Un régal ! Puis, je filais dans sa vidéothèque lui emprunter des films avec Price, Cushing, Lorre, Lugosi, Christopher Lee… Bref, j’ai grandi dans le fantastique, tout en imaginant aussi que des elfes et des gnomes habitaient la forêt proche de chez moi ! J’avais bien lu Tolkien, mais je ne le classais pas dans la fantasy à l’époque. Je croyais que ce genre ne comprenait que barbares rustauds, guerres et combats à l’épée : ça ne me tentait pas. Puis, à dix-sept ans, j’ai découvert James P. Blaylock  » Les Contes de l’Oriel  » et je me suis mise à adorer le genre. J’apprécie tant d’auteurs que je ne saurais désigner mon  » maître à penser « . Jean Ray m’a appris à être réceptive aux ambiances, Blaylock à aimer la fantasy, et Lacarière et son « Chemin Faisant » m’ont prouvé que la littérature générale pouvait aussi être magique… A treize ans, j’ai abandonné l’école pour suivre des cours par correspondance et tenter ma chance dans l’écriture. A dix-neuf ans, mon premier roman, « le Cercle des Elfes », était publié aux éditions Degliame, et par-là même ma série, « les Frontières de Féerie », était lancée. Je n’ai pas à me plaindre, j’ai plutôt eu de la chance !

Allan : Avant de parler de ton dernier livre – ou premier roman adulte – je voudrais discuter un peu avec toi des Editions Octobre que tu as créées avec Pierre Grimbert : Comment vous est-il venu l’idée de les créer et qu’est-ce qui t’a poussée/motivée dans la création d’une maison d’édition ?

Audrey : Nous étions un peu frustrés : ne pas nous sentir totalement libres dans nos écrits, savoir que l’éditeur nous demanderait des corrections, que la couv’ du bouquin ne nous plairait pas forcément… Bref, nous rêvions de veiller sur la totale création de nos ouvrages. Et nous avions aussi envie de construire quelque chose de nouveau ensemble, d’aller plus loin dans nos passions. Nous nous entendons très bien, partageons les mêmes rêves, alors nous imaginions que, forcément, ça ne pourrait que fonctionner si nous travaillions tous les deux sur ce projet. C’est magique d’écrire… mais choisir le format, la mise en page, l’illustrateur, aller voir l’ouvrage se construire à l’imprimerie, donner un ton, une ambiance à la collection : c’est fabuleux ! Et puis, nous comptons aussi publier, à l’avenir, d’autres auteurs que nous apprécions beaucoup. Bref, nous nous faisons plaisir en espérant que de nombreux lecteurs auront envie de visiter  » le pays d’Octobre  » et s’y sentiront bien !

Allan : Le métier d’éditeur est nouveau pour toi… Quel est ton ressenti par rapport à ces premiers mois d’existence, quelles difficultés as-tu ressenties ?

Audrey : Que du bonheur ! A part tout ce qui est administratif (et qui nous donne parfois l’envie de nous arracher les cheveux), le côté création du livre est fabuleux. Certes, nous sommes un peu stressés, les nuits sont courtes car on démarre avec peu d’argent, et la publication de seulement quatre bouquins par an pour le moment… On bosse deux fois plus, mais c’est notre passion.

Allan : On a reproché à Pierre de profiter du succès de la première tétralogie du Secret de Ji pour lancer les Editions Octobre : pour toi, cela sera différent puisque – quoique connue au rayon jeunesse – on te découvre dans la littérature adulte. Nous avons notamment un visiteur qui a lancé un message vous accusant de prendre les lecteurs pour des Vaches à Lait : qu’as-tu envie de répondre à de telles accusations ? (voir la discussion)

Audrey : Je vis avec Pierre et je peux t’assurer que c’est d’abord l’envie de renouer avec Grigan, Bowbaq et les autres persos du Secret de Ji qui l’a poussé à écrire la suite ! Ce petit monde lui manquait : il en parlait depuis des années, mais c’était un énorme projet et on devait d’abord bosser sur des romans jeunesse pour assurer le quotidien. Avant Pierre, je n’avais jamais vu un écrivain s’émouvoir à ce point en parlant de ses persos ! Bref, il se fait plaisir, et si ça aide la boîte à prendre son essor, reconnaissons qu’on est bien contents !

Quant au visiteur dont tu parles, je dirai que, malheureusement, l’ignorance fait parfois dire de grosses bêtises. Nous lui avons d’ailleurs répondu sur le site afin de lui expliquer comment fonctionne une maison d’édition, et de lui préciser que nous ne touchons aucun salaire en tant que gérants. Notre but premier est de poursuivre nos passions et d’avoir un contact plus proche avec les lecteurs, les imprimeurs, les libraires… et tout le petit monde du livre ! Il est évident que nous espérons de tout cŒur que nos ouvrages se vendent, pour nous permettre de publier d’autres écrivains et de continuer notre métier d’auteur !

Allan : Parlons maintenant du Cycle de la Chair dont le premier volume est sorti ce mois-ci : le genre est nouveau en France (nous avons pu lire récemment deux Œuvres d’Erotic-Fantasy de Laurell K. Hamilton aux éditions Fleuve Noir) et on pourrait te retourner ce livre en parlant d’effet de mode… Pourtant, ce n’est pas ton premier écrit dans le genre, tu as même été primée… Peux-tu nous en dire plus ?

Audrey : Je n’ai jamais rien lu en Erotic-Fantasy. J’ignore même ce qui existe dans le genre (honte à moi !). Au départ, je voulais écrire pour Octobre un ouvrage classique, une quête… Mais j’ai eu peur de m’ennuyer. Il me fallait trouver une histoire originale pour ne pas me lasser, et l’idée était longue à venir… Et puis, Pierre m’a rappelé qu’effectivement, j’avais déjà écrit une nouvelle érotico-fantastique (celle primée en 97) et que je devrais peut-être réfléchir à ça… Moi, de l’érotique ? Non… Et puis, ce fut plus fort que moi : les idées ont surgi par dizaines… Si bien que La Chair et l’Acier, qui ne devait être au départ qu’un roman, sera un cycle ! Mais attention : pas de X, ni de l’eau de rose ! Le but est de ne rien cacher, mais sans en rajouter ou s’étendre vulgairement sur des scènes de c.. J’accorde le rôle principal à la fantasy, non à l’érotisme, même si, quand il n’est pas présent, il est toujours latent !

Allan : Le Cycle de la Chair est donc le premier cycle d’Erotic-Fantasy française… Dans ce premier volet La Chair et l’Acier, on découvre l’héroïne – Mantii – jeune pucelle d’un peuple primitif… Ce qui frappe est le décalage entre la personnalité de la jeune femme –relativement effrontée – et ce qu’elle est sensée être, femme soumise notamment… D’où as-tu tiré une personnalité aux caractéristiques aussi opposées ?

Audrey : De l’adolescence, je crois… A cette période on se sent parfois faible, et certaines épreuves de la vie nous font découvrir qu’on est plus fort qu’on ne l’imaginait. Alors, on se pose des questions, on a peur de faire de mauvais choix, on se cherche, on se découvre : plusieurs personnalités s’affrontent en nous, puis s’assemblent pour n’en former qu’une. C’est ce qui se passe chez Mantii, de manière certes plus violente que chez d’autres personnes. Mais c’est l’extrémisme de sa civilisation qui rend son caractère si contradictoire et virulent.

Allan : Le deuxième trait de caractère qui la caractérise est un courage impressionnant… On sent dans ce personnage une nette supériorité de la femme par rapport à l’homme… Une Œuvre féministe est en cours ?

Audrey : Pas du tout. Je ne renvoie pas une très belle image des femmes, au contraire… La plupart sont idiotes, soumises, désespérées, geignardes… Seules quelques-unes se rebellent un peu et ont envie de sortir de leurs existences pitoyables. Mantii n’est pas supérieure aux hommes, ce sont ces derniers qui sont très primaires, dans l’histoire. Heureusement, là encore, quelques-uns sortent du lot… Je ne suis pas féministe, et ce ne sera en aucun cas une Œuvre féministe.

Allan : Les scènes « érotiques » sont relativement violentes comme en témoigne le dépucelage de l’héroïne… Elle n’arrive pourtant pas à paraître dominée par son bourreau. Est-ce un miroir de ta propre personnalité ou uniquement une création de l’esprit ? Aurais-tu aimé vivre certaines des aventures de Mantii ?

Audrey : C’est un amusement pour Mantii. Elle ne peut paraître dominée car elle joue les soumises ; ça l’excite de se sentir possédée. Avant son viol, jamais un homme ne l’avait dominée « sexuellement », et c’est pourtant ce qu’elle attendait de son promis : un peu de fermeté, si j’ose dire ! Le jeu est important, je trouve, excitant en amour, tant qu’il ne dégénère pas… Mais je n’aimerais pas vivre les aventures de Mantii, elles sont trop horribles, et je ne suis pas S.M !

Allan : Quelles sont les autres surprises qui se profilent dans les prochains volumes et quelle orientation va prendre le personnage ?

Audrey : Mantii ne sera pas la seule héroïne. Elle gardera une place importante dans l’histoire, mais nous allons aussi suivre les destins d’Ydelle, de Krel, apprendre ce que sont devenus la veuve Aunanii, Dsilée et bien d’autres persos auxquels je me suis attachée. Puis de nouveaux surgiront. Au programme : encore plus de chair, de sang… et un soupçon de magie.

Allan : Pour ce premier volume adulte, tu t’es orientée vers la fantasy, quelles sont les raisons de ce choix et a-t-on une chance de te voir dans d’autres genres – fantastique ou SF notamment ?

Audrey : Pierre et moi désirions commencer par une collection fantasy aux Editions Octobre, notamment pour permettre à Pierre de poursuivre Ji comme il en avait envie, en toute liberté. Pour ma part, je suis tentée par plein de choses : littérature générale, fantastique adulte, scénarios BD, ouvrages illustrés… C’est l’écriture qui me passionne, et non un genre en particulier. Mais je me sens par contre incapable de me lancer dans la SF… Elle n’a bizarrement jamais fait partie de mon univers.

Allan : On peut dire que tu as pris un tournant en te lançant dans ce cycle : était-ce un désir de changement et du coup de frapper un grand coup ?

Audrey : Je n’ai pas le sentiment de changer car j’ai toujours écrit pour adultes, seulement j’attendais d’être prête pour proposer mes ouvrages aux éditeurs. Il me fallait m’entraîner pour parvenir à maîtriser une histoire avec mon propre style. J’avoue que j’angoisse un peu, car j’ignore comment va être accueilli le Cycle de la Chair ; d’autant que les lecteurs de fantasy ne sont pas habitués à l’érotique… C’est un risque, mais c’est aussi un défi pour moi. Si Mantii parvient à toucher quelques personnes, je serai très heureuse d’avoir pu atteindre un public grâce à ce genre. Et je me lancerai de toute façon dans une nouvelle aventure : un roman de fantasy classique.

Allan : D’ailleurs qu’est-ce qui t’a attiré dans l’écriture des livres jeunesse et qu’est-ce qui te gênait ? Liberté de propos ? La littérature jeunesse est-elle plus dure à rédiger du fait des limitations ?

Audrey : Mon enfance a été chargée de mystères, de fantastique, de peurs. A treize ans je me baladais déjà de nuit, dans les forêts en quête d’ambiances magiques, et dans les cimetières, en chasse d’étrangeté, avec les amis de mon frère. Je me suis toujours sentie à la fois bien ancrée dans la réalité et capable de plonger dans le rêve quand bon me semblait. Voilà pourquoi, j’aime écrire pour la jeunesse. Elle est encore toute proche de moi (je n’ai que 23 ans !). La coucher sur papier, c’est la préserver, en espérant toucher le cŒur des enfants rêveurs. Je rencontre régulièrement des écoliers : avant l’entrée en sixième, tous sont encore sincères, simples et naturels. Ils disent les mots comme ils les pensent et c’est très agréable de faire des ateliers d’écriture avec eux, de les aider à développer leur imaginaire, ou plutôt à le décrire. Ils sont parfois surprenants ! Je ne renonce pas à l’écriture jeunesse, simplement j’ai besoin d’autre chose en ce moment… Notamment, de plus de liberté dans mes propos, comme tu le dis très justement.

Allan : Quel est ton avis sur les littératures de l’imaginaire et notamment sur l’attitude des éditeurs majeurs vis-à-vis d’une littérature encore trop souvent décriée ?

Audrey : Je suis pour toutes les littératures ! Chacune possède des textes qui apportent plaisir, détente, ou enrichissent le lecteur. Je ne suis pas enfermée dans mon petit monde, au contraire j’ai soif de découvertes. Et je pense que, de même, personne ne devrait critiquer bêtement ou snober les littératures de l’imaginaire. Souvent, ceux qui le font n’ont jamais lu ni fantastique, ni fantasy, ni SF… ou se sont contentés, avec des à priori, de feuilleter quelques ouvrages avant de les dénigrer : chose facile ! Bref, ce sont eux qu’on devrait blâmer plutôt que les auteurs des littératures de l’imaginaire, que certains voient comme des associables, des instables ou même des cinglés ! Depuis le film Le Seigneur des Anneaux, on observe un fabuleux retour des lecteurs à la fantasy, et j’espère qu’ils trouveront leur bonheur auprès des maisons d’éditions comme Mnémos, Bragelonne ou… Octobre. Si les éditeurs majeurs sont des éditeurs majeurs, c’est parce qu’ils ont de l’argent pour être médiatisés. Certains bouquins parviennent à réaliser d’excellentes ventes uniquement parce que ces grands éditeurs ont déboursé des centaines de mille pour leur faire de la pub, et pas toujours parce que l’ouvrage est génial ! On trouve aussi de vrais trésors dans les maisons d’éditions modestes. Malheureusement, les gens peinent à rêver, ou n’ont plus le temps. Ce qui marche à la télé : c’est la télé-réalité. Faut avoir le câble pour visionner de bons films fantastiques, c’est dommage ! Ce qui se vend en librairie : ce sont les potins, les ouvrages à scandales… Si chacun y trouve son compte tant mieux, tant qu’on ne m’empêche pas d’écrire mes bouquins !

Allan : Avant de te laisser, outre la rédaction du Cycle de la Chair, quels sont tes autres projets ?

Audrey : Y’en a plein ! Quand j’ai commencé à écrire, on me reprochait d’avoir des idées à la pelle et de ne pas les développer suffisamment… J’en ai tenu compte. Je prends des tonnes de notes, et je les trie, j’essaie d’être plus ordonnée. J’ai le projet d’un roman de littérature générale jeunesse, d’un ouvrage illustré pour les 7-117 ans et d’un recueil de nouvelles… Mais le plus important est un ouvrage qui succédera au Cycle de la Chair aux éditions Octobre : de la fantasy tout court ! Bref, l’écriture de chacun de ces projets est entamée et, selon mes humeurs et les ambiances dans lesquelles je baigne, je les poursuis.

Allan : Que peut-on te souhaiter ?

Audrey : Qu’au moins un de ces projets aboutisse ! Mais surtout que je puisse toujours vivre avec mon homme de ce fabuleux métier qu’est l’écriture… alors : longue vie aux Editions Octobre !

Allan : As-tu visité Fantastinet et dans l’affirmative, qu’en as-tu pensé ?

Audrey : Oui, je le connaissais déjà. Et je trouve ça chouette d’aller y farfouiller régulièrement en quête d’actualité des littératures de l’imaginaire. C’est toujours rassurant de savoir que, même sur le net, on trouve un peu de rêve et de magie ! Bref, il est dans mes signets !

Allan : Et le mot de la fin sera :

Audrey : Y’a pas de fin, y’a que des suites… Alors : à la prochaine !


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