Retrouvez l’actualité des littératures de l’imaginaire (Science-Fiction, Fantastique, Fantasy, et autre) ainsi que des interviews de celles et ceux qui les construisent.

Rencontre avec Christopher Priest

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Si vous vous baladiez durant les Utopiales, vous aviez toutes les chances de croiser Christopher Priest, l’auteur du Monde inverti et de Le Prestige, récemment adapté par Christopher Nolan.

Nous avons pu échanger autour de la parution de Conséquences d’une disparition chez Denoël, ainsi que des Fake News, de Trump ou encore du Brexit.

L’occasion de découvrir un écrivain au regard acéré sur notre monde actuel.

Bonjour et merci d’avoir accepté cette interview. Avant tout, pourriez-vous vous présenter à nos visiteurs ?

Mon nom est Christopher Priest, je suis anglais et réside en Ecosse du fait du Brexit. J’ai beaucoup de choses à dire sur le Brexit. Je suis un auteur, un romancier. J’ai notamment écrit deux romans qui sont probablement mes plus connus en France : Le Monde inverti, que j’ai écrit il y a déjà quelques temps et Le Prestige qui a été adapté par Christopher Nolan, il y a peu. Ce sont deux livres que les personnes connaissant parmi la trentaine que j’ai écrit, tout aussi bons.

Et de ce que je vois de vos romans, c’est de la Science-Fiction. Pouruqoi ?

Pas de la science-fiction. C’est du fantastique, de la spéculative fiction. Je sais que cela peut paraître être jouer sur les mots mais la science-fiction est maintenant vraiment un genre. Il y a des règles ou des limites plutôt bien définies et je me souviens de ce que m’a dit une fois John Landis « C’est Hollywood, c’est juste que le « mainstream » c’est la science-fiction ». Comme vous le voyez, c’est devenu une sorte de chose générique avec de grands vaisseaux spatiaux, des explosions, des extraterrestres et des robots. Ce n’est pas le genre de choses qui m’intéresse. Ce qui m’intéresse est la spéculative fiction : poser des questions, certaines gênantes, sur la nature des choses. Et mes idées sont peu alignées avec celles de la science-fiction. Je sais ce qu’est la science-fiction, j’ai grandi avec elle.


Ce qui m’intéresse est la spéculative fiction : poser des questions, certaines gênantes, sur la nature des choses

Du coup, quels sont les auteurs que vous avez lu, qui vous ont marqué et vous ont conduit sur le chemin de cette littérature ?

Un certain nombre. Quand j’étais enfant, j’ai lu H.G. Wells. Puis, adolescent, j’ai découvert la science-fiction américaine, qui décrivait des problèmes,  de l’ingénierie, des combats, des royaumes, des choses très bonnes. Mais pour moi, c’était toujours sur des chemins que prenaient aussi mes parents… 

Je me suis aussi intéressé aux femmes, j’ai été au cinéma, j’ai lu des livres, je me suis intéressé aussi à l’Art et à l’architecture, j’étais intéressé par les idées et c’est à ce moment que j’ai découvert J.G. Ballard. Il a écrit sur le cinéma et la vérité, mais aussi sur la conscience de la réalité, l’amour et la mort, sur tout mais toujours dans la spéculative fiction et je me suis dit : « Génial, c’est exactement le genre de chose que je voudrais écrire ». Je n’ai pas envie de m’étendre sur J.G. Ballard mais c’est comme s’il avait ouvert une porte en me disant, entre et rejoint moi, c’est bon !

Vous avez parlé plus tôt dans l’interview de Le Prestige et j’ai entendu un de vos échanges durant les Utopiales sur le fait qu’Hollywood vous a confisqué votre personnage, ou toute possibilité de préquelle : est-ce acceptable pour un auteur ?

Interview aux Utopiales

En fait, ce n’est pas bloqué, je peux quand écrire un roman, même plusieurs romans autour de le Prestige. Mais ils ont le sentiment d’avoir investi dans les personnages et dans l’histoire et donc, ils s’attendent à ce que que ce soit rentable et protègent leur investissement. Il ne souhaite donc pas que j’écrive quelque chose qui serait vu comme un abus. Donc, je peux écrire un livre, comme Le Prestige 2, mais si je le fais, ils en voudront la propriété et je n’en ai pas envie.

En fait, vous avez deux actualités en France ce mois-ci : la première concerne la réédition de Inclinaison en format poche, et dans le même temps, Conséquences d’une disparition  est publiée pour la première fois chez Denoël. Pouvez-vous nous présenter d’abord Inclinaison ?

Inclinaison est un roman simple qui débute pour Alesandro Sussken dans un pays en guerre. Ce n’est pas compliqué. Mais l’histoire est compliquée. La façon dont je l’ai composée fait qu’un compositeur va découvrir que tout son travail a été changé par un rocker, de l’autre côté du monde, un rocker qu’il n’a jamais rencontré et dont il n’a jamais entendu parlé. Mon personnage, un musicien classique, a écrit plusieurs symphonies et lors d’une tournée, il va découvrir cette étrangeté et en plus, à son retour chez lui, il va se rendre compte que deux ans et demi de sa vie ont disparu. D’un coup, sa femme est partie ses parents sont morts et il doit vivre avec ça.

 Et c’est aussi autour de la perception du temps….

C’est vrai. La musique est question de temps. Tempo, silence, temps en musique. La littérature, tout particulièrement la bonne littérature, a un rythme narratif. Lorsque vous le lisez, vous le savez et vous y répondez. Et je vois au travers des problèmes de cet homme les mêmes que ceux des écrivains : penser aux temps morts et comment les personnes vont le percevoir.


La littérature, tout particulièrement la bonne littérature, a un rythme narratif.

Parlons maintenant de votre autre actualité Conséquences d’une disparition (An American story) : dans celle-ci, ce n’est pas sur les attentats du 11 septembre, mais cela y prend racine : pas trop dur d’aborder ce sujet ?

En français, Conséquences d’une disparition (NdW : exprimé en français par l’auteur). Quand j’ai écrit ce livre, Donald Trump est apparu. Je n’ai jamais entendu parler de Donald Trump, ou de manière très distante alors qu’aux USA, il est célèbre depuis 20 ans. Il devient toujours présent partout. La première chose donc est que je n’ai jamais entendu parler de lui avant la course à la présidence. Et lorsqu’il commence à parler de Fake News, et de la presse, je me suis dit « c’est intéressant ce qu’il est en train de faire ». Vous savez, c’est un homme dégoûtant. Et là j’ai réalisé que beaucoup de choses autour du 11 septembre sont des Fake News. Et d’une certaine façon, Trump, par une stupide attitude, a identifié quelque chose. La seule vérité qu’il n’est jamais dite concerne les Fake News.

J’imagine qu’il faut être très attentif lorsqu’on parle de ces événements qui restent un traumatisme pour le peuple américain, de montrer certains faits sans tomber dans le conspirationnisme. Comment l’avez-vous traité ?

Combien de temps vous avez (Rires). Rappelons qu’il a fallu 3 ans pour qu’une enquête du congrès soit déclenchée sur les événements du 11 septembre et qu’il a fallu quelques années de plus pour avoir le rapport qui est désormais disponible, probablement en français pour la France comme pour moi en Angleterre.

Ce rapport est épais… et complètement non fiable ! Certaines données sont fiables parce que les personnes impliquées dans les enquêtes y ont trouvé un intérêt et y donc mené un exercice objectif. Mais elles n’ont pas eu assez de financement, et vous savez que les américains ont besoin d’argent pour obtenir des choses et du fait de cet absence, elles n’ont pas pu échanger avec des personnes importantes comme Donald Rumsfeld ou le vice-président Dick Cheney ou même Georges W. Bush. Ils n’ont pas accepté d’être interrogés et ils auraient dû ! Du coup, lorsque vous lisez le rapport, c’est plein d’erreurs et d’approximations. De manques aussi dont le plus important concerne la tour 7, la troisième tour à s’être effondrée. Vous en avez entendu parler ? Ce n’est pas mentionné dans le document et on se demande pourquoi… C’est très étrange et on ne peut donc pas se fier au document. Et donc, à partir de là, beaucoup de personnes ont commencé à se dire « Quoi ? », ce n’est pas la vérité, qu’est ce qui se passe et ont donc commencer à utiliser leur accès, à téléphoner au FBI qui répondait qu’il n’avait rien à répondre sur le sujet. Et les gens se sont trouvés face à des murs…

J’imaingine que vous avez des difficultés à publier aux Etats-Unis, écrivant sur ce sujet…

Tout à fait ! Et ces personnes ont commencé à émettre des doutes sur ce qu’il y a dans la presse et ce que communiquent les agences gouvernementales et comprennent que ces derniers ne veulent pas parler de ces sujets et qu’il est plus simple de tout taire. Pour faire simple : ils ne veulent pas la transparence, et ne pas en parler. Mais un grand nombre ne sont pas des théories conspirationnistes : il s’agit de professionnels, d’architectes, d’ingénieurs, de spécialistes de l’aviation, de pompiers et d’officiers de police qui disent que ce n’est pas la façon dont cela s’est passé. Ils veulent comprendre mais ne sont pas écoutés. Et ce sont des professionnels d’expérience qui pointent du doigt ce qui ne peut être vrai, qui n’est pas scientifique. Et la chose qui suit est que fait-on de cela ?

Le message est donc pour les lecteurs d’être attentifs et d’avoir la curiosité de vérifier ce qui est dit ?

Oui, et c’est d’actualité en Angleterre où tous les jours on nous ment sur le Brexit. Tous les jours ! Le Brexit dans sa globalité est illégal, anticonstitutionnel, antidémocratique et supporté par des mensonges. Beaucoup des personnes ayant forcé le Brexit font faces à des affaires judiciaires criminelles. Et malgré cela, le Brexit devient une  vérité : c’est de la folie !


Le Brexit dans sa globalité est illégal, anticonstitutionnel, antidémocratique et supporté par des mensonges.

Oui, et je vois que dans votre livre, vous avez fait quitté le Royaume Uni à l’Ecosse pour leur permettre de rester dans l’U.E.. Vous êtes convaincu que c’est une erreur ?

Mais j’ai déménagé vers l’Ecosse à cause du Brexit. Il faut savoir que l’Ecosse est la seule zone du Royaume Uni à avoir universellement voter pour rester dans l’Europe. Chaque partie de l’Ecosse a voté pour. Il y a eu un résultat similaire en Irlande du Nord où la majorité voulait rester mais certaines zones ne voulaient pas. En Ecosse, c’est 100% unanime. Et c’est important pour moi ! Je suis européen et je veux rester dans l’Europe, et ne veux pas être une partie de Trump ou partager l’ambition de Poutine pour l’Europe. Je veux être avec mes amis français, allemands, italiens et espagnols.

Et en tant qu’écossais, avez-vous le sentiment que d’autres pays vont suivre ou c’est spécifique au Royaume-Uni ?

C’est le problème. La France était très proche de quitter l’Europe quelques années plus tôt lorsque le référendum avait été fait, tout comme l’Irlande ou encore le Danemark. C’est pour cela que le Brexit est pris très au sérieux. Ils ne veulent voir les personnes quitter l’Europe.

Vous avez parlé de Donald Trump, et le Brexit est d’une certaine façon un repli sur sa communauté… Vous avez peur de cet enfermement ?

Oui, c’est un problème. Nous voyons cela apparaitre en Allemagne, Pays-Bas, Italie, Hongrie, Norvège et Autriche. Les pays commencent à dire qu’elles n’aiment pas le système et qu’elles veulent parler aux personnes « normales » : ça n’a aucun sens.

Vous pensez que la Science-Fiction et la spéculative ficiton ont une responsabilité en alertant sur le futur possible ?

Je ne le pense pas. Je pense être la voix d’une large partie de la population qui n’a pas de voix. Je pense fortement que je ne connais personnes en faveur du Brexit mais vous ne les entendez pas. Lorsque vous voulez discuter avec des personnes en faveur du Brexit elles vous disent juste qu’elles sont pour et bon courage.


Je pense être la voix d’une large partie de la population qui n’a pas de voix.

Et elles ont quitté le gouvernement.

Oui, en ayant fait souffrir tout le monde. C’est de la folie. Je ne pense pas que l’Union Européenne soit la meilleure chose au monde mais c’est ce que nous avons de mieux. C’est mieux que d’avoir un populisme blanc de droit : il suffit de regarder le Brésil !

En France et dans d’autres pays aussi le populisme renait..

Le populisme court pour sa propre cause. C’est comme le narcissisme. Mais les populismes finissent par chuter du fait de la pression populaire.

Je vous ai entendu parler de vos traducteurs, indiquant qu’ils sont très bon : c’est important pour vous de les connaître, d’autant que vous lisez le français ? Avez-vous des relations importantes avec eux ?

Non pas avec tous. La vérité est que l’auteur écrit son livre et que l’éditeur l’achète ; il est vendu en France et 3 ans après, vous avez une traduction française. Les traducteurs ne me parlent pas. Ils le peuvent et s’ils m’écrivent pour me demander ce que j’ai voulu écrire, je vais leur dire mais la seule qui me l’a demandée, il y a une quinzaine d’années, est Michelle Charrier qui est présente aux Utopiales. Et aussi mon traducteur japonais qui m’a posé une question très intelligente.

Dernière question, sur les Utopiales, vous en pensez quoi ?

Je suis là. C’est épatant. Nous sommes des écrivains venus de partout et le sujet est intéresssant et sans fin. C’est très convivial, amical avec un bon bar et un bon restaurant. Alors, qu’est ce qui n’irait pas ? (Rires).


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