Les Utopiales ont été l’occasion de découvrir pour moi les éditions Agullo… L’Installation de la peur dont vous aurez prochainement la chronique ainsi qu’une interview de son auteur Rui Zink, a raflé le prix des Utopiales 2017.
Curieux de découvrir qui se cache derrière les éditions Agullo, j’ai proposé à Nadège Agullo de répondre à quelques unes de nos questions… que vous retrouvez ici !
Bonjour Nadège, avant toute chose, pouvez-vous nous parler de votre parcours jusqu’aux éditions Agullo.
Tout d’abord un grand merci, Allan, pour cet entretien !
Je suis arrivée dans le monde de l’édition après des études de droit à Bordeaux suivi par des passages plus ou moins longs chez les éditeurs parisiens Stock et Grasset, puis chez un éditeur londonien pendant une dizaine d’années où j’ai pris la voie spécifique des droits étrangers. J’ai beaucoup voyagé à ce moment-là pour le travail et le plaisir un peu partout en Europe et ailleurs.
En 2008 retour à Paris où j’ai travaillé trois ans chez Michel Lafon, toujours aux manettes des droits étrangers. En 2011, retour à Bordeaux où j‘ai consacré les 4 années suivantes à imaginer, co-fonder et développer la maison d’édition Mirobole ; en 2015 une discussion s’entame avec Estelle Flory éditrice de littérature étrangère rencontrée chez Michel Lafon, Sébastien Wespiser libraire rencontré à Paris quelques années auparavant et Sean Habig directeur artistique avec qui je travaillais déjà depuis plusieurs années déjà, qui donne naissance à Agullo Editions en mai 2016.
Vous êtes donc l’éditrice qui se cache derrière les éditions Agullo : pouvez-vous nous les présenter ?
Notre volonté d’ « abolir les frontières » (notre slogan 😉 nous guide dans tous les choix de la maison. Et on ne parle pas que d’abolir les frontières géographiques, mais aussi les frontières culturelles, entre les genres littéraires et entre les différentes formes d’expression (photo, littérature, cinéma, musique)…
Cette intention s’illustre à travers les territoires littéraires peut-être plus confidentiels que nous arpentons (Roumanie, Pologne, Russie, Ukraine, Portugal, etc); la littérature est un formidable moyen pour découvrir un pays ou une culture!
Elle illustre également par le caractère hybride de certains de nos textes, le dénominateur commun de nos livres c’est cette envie de découvrir l’Autre, c’est ce qu’un texte peut nous dire du Monde, quel que soit le genre littéraire emprunté.
Et pour finir, par le décloisonnement des formes artistiques sur lesquelles se base notre identité visuelle avec la création de photogrammes uniques créés en studio pour chacun de nos titres, une typo empruntée au cinéma (elle rappelle la typo utilisée pour le sous-titrage des vieux films américains des années 50). Comme pour le choix de nos titres, nous souhaitions également sortir des sentiers battus en proposant une charte graphique différente mais reconnaissable entre toutes.
Quelles sont les genres que nous pouvons nous attendre à trouver dans votre catalogue ?
Nous présentons deux collections : Agullo Fiction et Agullo Noir. Mais rares sont nos titres qui appartiennent tout à fait à l’une ou l’autre de ces deux collections. Nos titres se révèlent souvent des mélanges de genres : un livre peut à la fois relever du domaine de l’imaginaire, de l’humour noir et de la critique sociétale comme Héros secondaires par ex où des cobayes médicamenteux vont développer des supers pouvoirs liés aux effets secondaires des médicaments qu’ils testent ; du fantastique et du politique comme dans L’Organisation de la russe Maria Galina, roman d’aventure où l’élément fantastique est intégré au fond historique très réaliste de la stagnation économique brejnévienne de la fin des années 70 ; ou encore de la dystopie, du philosophique et du politique comme dans Espace Lointain, roman ukraino-lituanien: dans un monde d’aveugles, un homme recouvre la vue et découvre la misère du monde dans lequel il vit… Une ode à la vérité et la liberté, un livre qui a inspiré de nombreux ukrainiens pendant la révolution de Maïdan en 2014…
Il en est de même pour notre collection Agullo Noir où le polar rencontre la politique fiction, la critique sociétale ou encore la géopolitique…
Bref les combinaisons littéraires possibles sont sans fin !
Quelle est la ligne éditoriale et comment choisissez-vous les auteurs ?
En complément de ce qui a été dit plus haut, notre ligne éditoriale n’est pas gravée dans le marbre, nous ne voulons pas nous interdire de publier un roman parce qu’il ne rentrerait pas dans notre cadre éditorial ! Par contre si on devait tirer un fil conducteur dans notre catalogue celui-ci se matérialiserait par l’aspect « politique » de nos titres, sous le récit -de quelque genre qu’il soit-, on s’interroge sur l’humanité toute entière, on s’interroge sur la place de l’homme au sein d’une société existante ou fantasmée ici ou ailleurs.
Au cours des dernières Utopiales, un de vos auteurs Rui Zink, a reçu le Prix Utopiales 2017 pour l’Installation de la peur : qu’est-ce que cela représente pour vous, en tant qu’éditeur mais aussi en tant que « découvreur » ?
Nous avons était ravis par ce prix auquel nous ne nous attendions absolument pas ! C’est une consécration d’une nouvelle littérature de l’imaginaire, d’une nouvelle lecture du monde à travers ce genre littéraire.
Lorsque nous avons découvert ce texte en 2015 il nous est apparu comme une évidence et une urgence de le publier en réponse à l’état d’urgence, la manipulation des médias que nous subissons chaque jour, c’est un titre que nous avions positionné en littérature générale c’est pourquoi nous avons été d’autant plus ravis de le voir recevoir le Prix Utopiales !
Il représente tout à fait le type de littérature que nous souhaitons partager avec nos lecteurs, une fiction qui au-delà du genre donne matière à réfléchir.
Vous pouvez nous présenter « L’installation de la peur » ?
L’Installation de la peur est un court roman portugais de Rui Zink, auteur et universitaire reconnu là-bas, un huis-clos magistralement mené.
Deux hommes débarquent chez une femme avec une mission : la peur doit-être installée dans chaque foyer sous un délai de 120 jours selon un dernier décret gouvernemental.
Alors pendant des heures ils vont évoquer un vaste panel des peurs inhérentes à notre société partant des peurs enfantines aux peurs plus complexes comme la maladie, l’étranger, le terrorisme, la crise économique, etc dans le but d’installer cette peur. La tension monte, monte, avec un dénouement complétement inattendu symbolisant une certaine forme de révolte face au système.
Un vrai roman coup de poing ancré dans ce qu’est notre société contemporaine.
J’avoue que j’ai découvert votre maison d’édition au cours de cette soirée et la question qui me vient tout de suite à l’esprit concerne votre mode de diffusion : où peut-on trouver vos parutions ?
Il n’est jamais trop tard pour nous découvrir ! Nous sommes diffusés de façon nationale et dans tous les territoires francophones à l’étranger par le diffuseur Interforum, nous sommes donc présents dans la plupart des librairies indépendantes et grandes surfaces culturelles ainsi qu’en bibliothèques. De plus nous essayons de faire venir nos auteurs en France pour qu’ils puissent échanger avec les lecteurs français en librairie ou sur des salons (toutes ces infos sont dispo sur notre site www.agullo-editions.com)
Et maintenant, que pouvons-nous vous souhaiter ?
Au-delà d’une certaine reconnaissance déjà acquise parmi les professionnels du livre (nous avons en 2017 reçu 4 prix : Prix Libr’à nous catégorie Imaginaire avec La Destinée la mort et moi, comment jai conjuré le sort de SG Browne, Le Prix Imaginales pour le roman russe d’Anna Starobinets Refuge 3/9, le Prix Violeta Negra du festival Toulouse Polar du Sud pour le polar parmesan Le fleuve des brumes de Valerio Varesi et le Prix Utopiales pour L’installation de la peur), que notre lectorat se développe, embrasse notre catalogue et s’attache à la vision du monde que nous voulons partager.
Je vous laisse le mot de la fin.
Deux titres à paraître début 2018, pourraient particulièrement intéresser les lecteurs de Fantastinet :
En janvier, Le dernier rêve de la raison un titre russe de Dmitri Lipskerov, nous ressortons ce titre (initialement publié en 2008 par une petite association éditoriale) car il faut que l’univers magique de cet auteur devienne accessible au plus grand nombre. Cet auteur très connu en Russie, est considéré là-bas comme un représentant remarquable du réalisme magique russe à l’instar de Salman Rushdie ou de Garcia Marquez.
En février, Le dictateur qui ne voulait pas mourir deuxième roman publié chez nous du roumain Bogdan Teodorescu. Un court roman, véritable réflexion sur le pouvoir traité de façon dystopique et un brin satirique. Bogdan Teodorescu est déjà l’auteur chez nous du mi polar mi politique fiction Spada paru fin 20106, et finaliste du prix du livre européen 2017. Un roman étonnant que je vous encourage à lire !
Et c’est le clap de fin !