.Les éditions Callidor publient des livres de fantasy d’auteurs plus anciens et souvent méconnus. Si vous voulez découvrir cette collection, nous avons déjà chroniqué deux titres : Sweeney Todd et Les Centaures.
Thierry Fraysse, directeur des éditions Callidor, a accepté de répondre à quelques unes de nos questions.
Bonjour Thierry, peux-tu te présentez à nos visiteurs ?
Bonjour, je m’appelle Thierry Fraysse, je dirige les éditions Callidor, dont je suis le fondateur et le directeur éditorial. Je suis un passionné de littérature et plus particulièrement de fantasy, que j’ai tenu à mettre en avant à travers ma maison d’édition.
Pourquoi fait-on le choix de devenir éditeur ?
Je pense que chacun aura une réponse différente, bien sûr, mais en ce qui me concerne, c’est une envie qui m’est venue alors que j’étais à l’université. J’ai compris lors de mon premier stage en quoi consistait ce métier et j’ai rapidement voulu en faire ma vocation. Je pense que ce choix vient avant tout d’une passion pour la littérature, bien entendu, mais être éditeur, c’est surtout avoir la volonté de créer quelque chose – et cela peut paraître étonnant quand on y réfléchit, puisque l’éditeur n’est pas censé “créer” quoi que ce soit, contrairement à l’auteur. Mais je ne vois pas de meilleure définition, puisqu’en y réfléchissant bien, il est essentiel de se pencher très sérieusement sur la ligne éditoriale (qui doit être cohérente) ainsi qu’une charte graphique bien définie (reconnaissance visuelle obligatoire en librairie). Finalement, l’objectif premier de tout éditeur est de “créer” une bibliothèque dans laquelle ranger ses parutions, qui se doivent d’être aussi attractives que possible tout en respectant les exigences fixées au départ, de façon à garder la cohérence que tout lecteur est en droit d’attendre.
Oui, je crois bien que c’est pour ça que je me suis lancé.
Comment sont nées les éditions Callidor et quelle est leur histoire, en particulier pour la collection l’Âge d’Or de la Fantasy ?
Ma passion pour la fantasy m’a rapidement mené sur des sentiers peu fréquentés, surtout quand je me suis intéressé aux influences de ses écrivains les plus connus. Tolkien semblait avoir “inventé” un genre à lui tout seul, selon un grand nombre de lecteurs, mais des recherches plus poussées m’ont rapidement conduit à découvrir des auteurs insoupçonnés et tout aussi importants dans l’histoire du genre. Et quand j’ai réalisé que des Grands Anciens comme E. R. Eddison, Hope Mirrlees ou James Branch Cabell n’avaient jamais fait l’objet de traduction en français, j’ai rapidement voulu combler ce manque en créant la collection “L’Âge d’or de la fantasy”, une collection qui s’attache à réhabiliter des pionniers de l’imaginaire. Je l’ai imaginée pendant plusieurs années avant de publier les premiers ouvrages en 2015.
Certains écrivains paraissaient évidents tout d’abord. C’était le cas de Hope Mirrlees, qui publiait en 1926 un chef-d’oeuvre inclassable de l’imaginaire, Lud-en-Brume, que Neil Gaiman décrit comme “le roman le plus beau, le plus convaincant, le plus mystérieux et le plus injustement négligé du XXe siècle”. Je ne crois pas avoir quoi que ce soit à ajouter… D’autres, comme Abraham Merritt, avaient déjà fait l’objet d’une traduction en français, mais le rôle de Merritt dans l’essor de la fantasy ne pouvait être négligé, et cet auteur tombait peu à peu dans l’oubli, alors qu’il est le véritable créateur de ce qu’on a appelé l’heroic fantasy. Enfin, Harold Lamb, auteur prolifique des pulps américains, est un incontournable dont l’influence a eu un tel impact sur Robert E. Howard (le créateur de Conan, Solomon Kane ou Kull) que son ombre et sa plume ont eu une influence énorme sur la fantasy.
Avec ces trois auteurs, dans un premier temps, je pouvais faire un lancement digne de ce nom, et je l’ai fait tout en planifiant les titres à venir.
Comment se fait le choix des titres de la collection ? Y a-t-il des critères spéciaux ?
Oui, comme je le disais, tout éditeur se doit d’avoir une ligne éditoriale cohérente, de façon à avoir un noyau de lecteurs fidèles. Il est donc essentiel de ne pas se disperser. Chaque titre que je publie est un précurseur de la fantasy, en ce sens qu’il a écrit des récits issus de ce genre avant que celui-ci n’explose véritablement avec la parution du Seigneur des Anneaux de Tolkien. L’importance du titre pour le genre peut être déterminante. Ainsi, je ne pouvais pas laisser le fameux Serpent Ouroboros d’E. R. Eddison dans l’ombre. Ce texte fondateur a eu une telle importance, aussi bien pour J. R. R. Tolkien, C. S. Lewis, Fritz Leiber, Robert Silverberg, Ursula K. Le Guin et tant d’autres, qu’il m’était impossible de ne pas l’inclure au catalogue.
Cependant, l’importance de l’ouvrage pour le genre n’est pas un critère en soit, puisque j’ai également tenu à intégrer à la collection un titre d’André Lichtenberger intitulé Les Centaures, qui n’avait pas connu de publication depuis 1924. Cet auteur français n’a pourtant pas eu de véritable influence sur les auteurs du genre, et je ne crois pas en connaître un seul qui se réclame de lui aujourd’hui. Mais sa plume incisive et d’une poésie à tomber m’ont tant touché que je me suis fait un devoir de le réhabiliter pour ce qu’il était vraiment : peut-être n’en avait-il pas connaissance alors – la fantasy n’étant à l’époque (il publie les Centaures en 1904) pas un genre à proprement parler -, mais il venait d’écrire le premier roman de fantasy français.
En résumé, mes critères sont avant tout d’ordre temporel, puisqu’il me semble nécessaire de respecter une antériorité par rapport au géant Tolkien. Ensuite, il faut que la plume de l’auteur reste lisible pour un auteur moderne, et enfin que je sois touché par le texte et le style de l’auteur. Beaucoup d’écrivains se sont adonnés à ce genre, mais c’est avant tout la qualité de leur plume qui doit justifier une traduction en français.
J’ai eu dans les mains Les Centauresd’André Lichtenberger avec un bandeau « premier roman de fantasy français » : que dis-tu à ceux qui la situerait bien plus loin dans l’histoire, à l’époque médiévale (on pense notamment au Graal et aux chevaliers de la Table Ronde) ?
Je leur réponds simplement que la fantasy moderne se démarque de ce type de récits en ce sens que la notion de fiction est bien différente au moment de leur écriture. Ainsi, il me semble nécessaire de considérer les oeuvres médiévales comme des bases sur lesquelles ont pu s’appuyer les auteurs de fantasy. On s’accorde en général à dire que la fanasy moderne naît vers la fin du XIXe siècle, et son écriture romanesque est aussi un élément qui permet une différenciation nette avec les oeuvres antérieures. Sinon, ne pourrait-on pas dire que Shakespeare est un écrivain de fantasy, avec notamment Le Songe d’une nuit d’été ?
Ce que je retiens, en plus de la qualité du récit, est la qualité de l’objet en lui-même et donc la question qui me vient concerne les illustrations : comment se fait le choix ?
Je voulais créer une collection très reconnaissable, de façon à ce que chaque titre fonctionne aussi bien indépendamment des autres qu’entouré de l’ensemble de la collection. Et l’idée d’orner les oeuvres d’illustrations m’avait toujours plu. Je voulais en faire, comme tu le dis, de véritables “objets”, que l’on pourrait aussi bien conserver qu’offrir à ses proches. Et comme, en publiant ces textes, je mettais en relation un lecteur moderne avec un auteur ancien, l’idée m’est venue de réaliser le même parallèle avec un illustrateur moderne, de façon à ce qu’il montre que même un titre “ancien” pouvait plaire au public d’aujourd’hui.
Restait donc à trouver des illustrateurs qui soient complémentaires avec les titres publiés, et ce n’est pas une mince affaire. Ainsi, la plume de Hugo de Faucompret, très éthérée et légère, convenait admirablement au style de Mirrlees, tandis qu’il aurait été difficile de lui donner les aventures de Harold Lamb à illustrer. Et Ronan Marret, au trait tranchant et direct, complétait parfaitement le style incisif de cet auteur américain. De même, Sébastien Jourdain avait tout le talent nécessaire pour illustrer la prose de Merritt, et je crois que je n’aurais pu faire de meilleurs choix que celui d’Emily C. Martin pour retranscrire la poésie et les incroyables descriptions d’E. R. Eddison.
Finalement, la seule entorse que j’ai faite jusqu’à maintenant, c’est pour Les Centaures d’André Lichtenberger, qui avait déjà été illustré par un grand artiste symboliste issu de l’école de Nancy. Et quand j’ai vu l’oeuvre de cet artiste du nom de Victor Prouvé, je n’avais d’autres choix que de l’intégrer à ma publication. En même temps, je vois mal comment surpasser un tel style.
Est-ce que ce serait trop demandé de savoir quels sont les titres prévus pour 2018 ?
Si tout se passe comme prévu, il devrait y avoir le second tome du Serpent Ouroboros d’E. R. Eddison. Il devrait être accompagné de deux autres titres, un américain et un français… Mais pour l’heure, je préfère ne pas trop m’avancer…
Est-il prévu d’autres collections dans les mois, années à venir ?
Je commence à être tenté par l’idée de publier des titres issus d’autres horizons, mais pour le moment, je ne veux pas faire l’erreur de trop me disperser. J’ai des projets de collection, mais cela pourrait bien prendre un moment avant qu’ils n’aboutissent. Mais qui sait, peut-être qu’un jour…
Où peut-on se procurer les titres de Callidor ?
Les titres de Callidor sont diffusés dans une bonne cinquantaine de librairies à travers la France entière, aussi bien chez les spécialistes de littérature de l’imaginaire que chez des libraires généralistes. Et si par malheur un titre était introuvable dans la librairie la plus proche de chez vous, pas d’inquiétude, le libraire peut s’adresser à moi sans souci et il sera livré dans les 24 à 72h. Sinon, il reste bien sûr la solution des sites marchands.
Que souhaites-tu pour cette année 2018 ?
Je crois que ce que je préfère dans ce métier, c’est finalement découvrir un nouvel auteur. Ce que je fais se rapproche assez de l’archéologie, et rien de tel pour un aventurier comme moi que de dénicher une perle rare et oubliée. Aider à la faire ressortir de l’ombre dans laquelle on l’a mise et la propulser en pleine lumière est un véritable plaisir. Celui pour lequel j’ai voulu faire ce métier.
Je te laisse le mot de la fin 🙂 :
Si vous êtes féru(e) de littérature de l’imaginaire et que la fantasy vous attire, sachez qu’il existe une fantasy différente, bien éloignée de la production actuelle, qui lui doit pourtant tout. Celle des Grands Anciens, les premiers à s’être aventurés dans ce genre encore balbutiant. Les premiers à avoir rêvé de mondes différents et avoir fait de la fantasy ce qu’on en connaît aujourd’hui.
Et surtout : bonne année à toutes et à tous !!