Cycle de Hain 12
Sur une planète, les habitants choisissent leur sexe une fois qu’ils atteignent leur période de reproduction, tantôt femme, tantôt homme. Un moment de grande réjouissance qui permet de créer des liens durables entre les partenaires, sans pour autant la moindre union, les relations sexuelles n’existant que durant cette période de «rut».
Sur une autre, les enfants sont enfermés dans un château dès qu’ils atteignent l’âge de 11 ans, pour être formés au combat, à la danse et au sport. Car là bas, les hommes ne vivent que pour divertir les femmes et leur faire des enfants, lorsqu’ils ont le droit de fréquenter la forniquerie. Maintenus dans un état de servilité, certains aspirent pourtant à échapper à leur rôle prédestinée, dans cette société où il existe un homme pour seize femmes.
Dans une autre société, les femmes vivent dans des villages tandis que les hommes vivent à l’extérieur, dans la nature. Parvenus à l’adolescence, ils sont chassés et doivent se battre pour s’imposer face aux autres mâles, voire pour s’installer près d’un village, ce qui permettra aux femmes de venir leur rendre visite pour avoir un enfant avec eux. Une Hainienne décide de s’installer sur cette planète pour y éduquer ses enfants, son fils est ainsi soumis à la dure vie des mâles.
Sept mondes, autant de moeurs différentes où les gênes et les structures sociales diffèrent jusqu’à former des sociétés originales, qui ont toujours un quelque chose de tordu. Sans oublier la huitième histoire, celle de ce vaisseau interstellaire dont les habitants sont partis coloniser une planète lointaine. Mais, alors que le voyage doit durer 200 ans, un hasard galactique leur fait gagner 40 ans, mais rien n’est prêt, et pire encore, une faction religieuse voudrait empêcher l’atterrissage.
A travers ce recueil, Ursula Le Guin nous offre une vision surprenante et totalement inattendue de son cycle de l’Ekumen, nous montrant grâce à l’exemple de ces sociétés combien l’entreprise des hainiens a pu être terrible, sur le plan génétique et social, car de grandes transformations ont frappé les individus et des sociétés totalement nouvelles, voire improbables en sont sorties. Et généralement, l’inégalité y était plus forte que ce qu’on a connu ( «La question de Seggri»), sauf quelques exceptions harmonieuses. ( «Puberté en Karhaïde»)
Avec précision et pragmatisme, ses narrateurs, observateurs hainiens ou autochtones, démontent les mécanismes sociaux en prouvant leur originalité, leurs qualités ou leurs défauts, là où ça coince et où, au fond, la situation ne peut qu’empirer. Ainsi, dans «Coutumes Montagnardes», les mariages se font à quatre, un mariage homosexuel, un mariage hétérosexuel et un mariage non consommable car apparenté sinon à un inceste. Un système très compliqué, totalement figé, d’où l’amour peut être totalement exclu lorsque les contingences de la vie l’obligent. ( dans cette nouvelle, il faut fonder une descendance pour reprendre une exploitation agricole). Si l’humour et l’émotion ne manquent pas, la cruauté de situations injustes non plus.
Entremêlant étroitement et habilement la fantasy et la science fiction, Ursula Le Guin nous présente des scènes de la vie quotidienne qui, sous leurs apparences banales, sont tout sauf simples. Les héros doivent apprendre à vivre, surmonter les obstacles internes à leur société, ou tout simplement affronter un destin qui leur a été imposé, tel l’héroïne de «L’anniversaire du Monde» qui, fille de Dieu, doit vivre en fille de dieu et donc en futur dieu.
Mais hormis ces nouvelles de l’Ekumen, il reste «Paradis perdus», le récit de ce vaisseau à générations. La vie s’y est organisée tant bien que mal, et la société de ce vaisseau semble même être proche de la perfection, le malheur en être absent, le tout grâce à un fort contrôle de tous hélas. Mais parvenus à la cinquième génération, les voyageurs en viennent de plus en plus à douter de leur but, se demandant si le vrai but ne serait pas le voyage lui même, qui permettrait d’atteindre la béatitude, la planète décrite au départ n’étant que sa métaphore. Mais ce monde clos est traversé par deux tendances opposés, car il y a aussi les pragmatiques, les mécaniciens et navigateurs qui eux n’ont pas oublié leur vrai rôle pour le pratiquer tous les jours. Mêlant la description de cette société de nomades sédentaires avec l’imbrication des évènements, Ursula le Guin arrive subrepticement jusqu’au point de rupture, là où les lignes de forces s’affrontent.
Les huit nouvelles sont toutes remarquables, empreintes d’un profond humanisme qui les rend toutes si uniques. Les héros sont des hommes, mais pas comme nous. Différents, vivant dans des mondes qui ne ressemblent à rien de ce qu’on peut connaître, leur humanité parvient tout de même à s’affirmer envers et contre tout. Ils ne connaissent pas de grande quête épique, ne sauvent pas le monde, mais vivent, tout simplement.
Robert Laffont – Ailleurs et Demain – (2002)– 399 pages 9.99 € ISBN : 0060509066
Traduction : Patrick Dusoulier
Titre Original : The Birthday of the world
Couverture : J.Paternoster
A l’origine, la planète Hain, il y a des centaines de milliers d’années, a essaimé l’humanité sur des centaines de planètes, dont la Terre.
Ivres de leurs capacités technologiques, les Hainiens ont d’abord multiplié les expériences génétiques et sociologiques, installant sur chaque monde colonisé une humanité différente.
Puis, se rendant compte des atrocités auxquelles avaient conduit certaines de ces manipulations, ils en ont ressenti une intense culpabilité collective et ont créé la Ligue de tous les mondes puis l’Ekumen pour tenter de réparer.
Sur les huit nouvelles de ce recueil, pour la plupart couronnées par des prix, sept se situent dans l’espace de l’Ekumen, et en complètent la description. Avec un sens aigu de l’humanité et une précision d’ethnologue, Ursula Le Guin y décrit des sociétés différentes en mettant l’accent sur leurs variations sexuelles et sentimentales. La huitième histoire renouvelle le thème classique du navire interstellaire à générations.
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