Premier roman de l’autrice américaine Jade Song, Chlorine, publié aux éditions Argyll est autant envoûtant que dérangeant. Au travers de l’histoire de Ren, c’est tout une société qui est mise en lumière.

Une adolescence marquée par le sport

Ren Yu nous prévient dès le départ : elle a utilisé son pouvoir de sirène pour nous attirer et ainsi partager son histoire. La jeune femme le sait : elle est une sirène. Une sirène pour l’instant coincée dans le monde des humains, mais tout son parcours va lui permettre in fine de se révéler.

Bercée dès les premières années de sa vie par les histoires de sa mère, Ren va voir son père quitter les Etats-Unis pour retourner en Chine pour développer ses affaires… Et surtout se rapprocher de son pays qui lui manquait beaucoup. Malgré des revenus très faibles, et des choix particulièrement douloureux, la mère de Ren va lui permettre de s’entraîner à la natation pour pouvoir devenir une nageuse hors pair.

Sous l’entraînement de Jim, la jeune femme va progresser jusqu’à devenir une contributrice clef de l’équipe. Cela lui permettra-t-il de se rapprocher de son objectif ?

Transformation et transformation…

Le récit de Jade Song nous parle de transformation. La transformation du corps, que nous voyons au travers de l’évolution de Ren. Cela inclue le passage à l’âge adulte, avec l’apparition des règles mais aussi les transformations du corps. Des transformations subies, sur lesquelles la jeune fille ne peut absolument rien faire. La transformation de son corps aussi, pour devenir ce qu’elle est fondamentalement, donnant à ce récit une dimension Body-Horror certaine.

Tout au long de ce roman de qualité, nous souffrons avec l’athlète, cette jeune femme qui voit son corps contrôlé par les règles d’une société dans laquelle elle ne se retrouve pas. Plus que tout, de nombreuses contraintes s’imposeront à elle. En premier lieu, les contraintes liés à la pratique du sport, des contraintes qui bloquent le développement de son adolescence. Mais aussi les contraintes des différents hommes qui soumettent à leur bon vouloir celui des femmes.

En tant que sirène, je reconnais à présent que la victoire place l’être au sein d’une construction hiérarchisée par rapport aux autres corps – une construction erronée. Il n’y a pas de victoire lorsque quelqu’un d’autre perd.

C’est aussi l’histoire d’un amour impossible ou en tout rendu impossible. Nous souffrons autant dans le vécu de Ren que dans celle de Cathy, qui lui voue un amour non partagé. D’ailleurs, seuls trois chapitres ne sont pas au travers du regard de Ren, et ces trois sont réservés au ressenti de celle qui a toujours été là…

Ce roman est poignant, dérangeant parce qu’il met en évidence les non-dits du sport, les vices supportées par les femmes dans une société qui reste très masculine. Avec un final qui est définitivement l’apogée d’un dérapage que nous sentions arriver…

Je vous le recommande vraiment très fortement !

Editions Argyll (Mai 2025) – 243 pages – 21,90 € – 9782494665842
Traduction : Marie Koullen (Etats-Unis)
Titre Original : Chlorine (2023)

Ren Yu est une nageuse. Ses journées commencent et se terminent à la piscine. Ses coéquipières sont ses seules amies, son coach son seul guide. Si elle nage assez bien, elle sera repérée, obtiendra une bourse et intégrera une bonne université. Ses parents l’aimeront. Son entraîneur sera gentil avec elle. Elle aura une belle vie.
Ren n’existe que pour la nage. Elle aime l’odeur du chlore, la sensation de l’eau sur sa peau et elle fera tout son possible pour être libre. Peu importe la douleur. Peu importe les sacrifices ou ce qu’en pensent les autres.
Depuis toujours, Ren a grandi avec des histoires de créatures des profondeurs, celles qui appellent les marins à leur perte et se régalent de leur chair. Alors, peu importe la quantité de sang à verser, Ren exaucera son rêve le plus fou : devenir une sirène.