Retrouvez l’actualité des littératures de l’imaginaire (Science-Fiction, Fantastique, Fantasy, et autre) ainsi que des interviews de celles et ceux qui les construisent.

Entre poésie et Vallée du Carnage avec Romain Lucazeau

Romain Lucazeau nous a déjà proposé deux textes ambitieux. Le premier, Latium est un space-opéra uchronique, s’appuyant déjà sur une « survie » de l’Antiquité, récompensé du Grand Prix de l’Imaginaire. Le second La nuit du faune est un conte philosophique dans un univers de science-fiction. En ce mois de septembre, nous avons pu le retrouver dans le nouveau label des éditions du Seuil, Verso, avec deux titres : Langage Machine, un recueil de poésie de science-fiction et Vallée du Carnage, un roman de science-fiction uchronique où se mêlent Antiquité et guerre moderne.

J’ai pu échanger avec lui durant Les Utopiales…

Vous pouvez retrouver les chroniques de ses romans sur Fantastinet :

Sur Spotify

Et la retranscription 🙂

Bonjour Romain.

Bonjour.

Content de te croiser aux Utopiales.
De même.

La première question que j’avais, parce que tu as deux parutions cette fois-ci, donc, Langage machine et la Vallée du carnage, toutes deux chez Verso. Pourquoi Verso ?
Parce que c’est un nouveau label au sein des éditions du Seuil qui ne disait pas l’imaginaire avant. Ce label est fondé sur un concept qui est assez différent d’une collection de science-fiction ou de fantasy ou de romantasy ou de western ou de polars.

C’est le concept que m’a vendu l’éditeur, Glenn, que je salue au passage, c’est l’idée d’avoir un label qui regroupe des grandes histoires et des belles histoires, quel que soit le genre, dans la catégorie du genre, qui est beaucoup plus large que de la science-fiction, etc.

Ça, moi, ça m’allait bien parce que j’ai une écriture qui est assez, de mon point de vue, assez transversale. Ce que j’écris, c’est de la SF, mais ce n’est pas complètement que de la SF. Cette idée de faire primer la notion d’avoir une bonne histoire dans le monde du genre sur la catégorie éditoriale précise, je trouvais que c’était extrêmement stimulant.

e me retrouve dans une collection où il y a aussi de l’espionnage, où il y a aussi du polar, où il y a une variété de genre du roman historique, une variété de genre importante et c’est très bien.

Avant de parler de Vallée du carnage, je voulais parler un peu de Langage machine parce que ça fait un peu un chaud froid quand même.
Ça m’a aidé à écrire le chaud d’écrire le froid en même temps ?

Oui, c’était écrit en même temps ?
Oui.

D’accord. Donc, Langage machine, c’est un recueil de poésie, un recueil de poésie SF avec des machines, etc. Finalement, c’est assez surprenant d’avoir de la poésie en SF.
Ouais, c’est pour ça que je l’ai fait. Parce que je me suis dit… La poésie, ça a une vertu, c’est de faire ressentir au lecteur, à travers des mots, le choix des mots, le choix des images qui sont dans les mots, le choix des sons, des émotions. Et d’essayer de caractériser précisément ou de faire vivre certaines émotions plutôt que d’autres, parce qu’elles ont quelque chose d’intéressant. Je me suis dit l’émotion, par exemple, liée à la solitude face à la ville, la solitude urbaine, c’est une émotion qui existe depuis le XVIIIe ou XIXe siècle, évidemment, mais il y a des nuances spécifiques de cette émotion qui existent aujourd’hui parce qu’on est dans un monde qui est déjà contaminé par la science-fiction, par des éléments de la science-fiction qui ne pouvaient pas être ressentis en 1880.

Je ressentais une espèce de besoin de tricoter ce truc-là et de proposer à mes lecteurs quelque chose qui est… J’ai essayé de faire vraiment de la poésie, techniquement parlant, mais qui parle de toutes ces facettes d’émotion, toutes ces facettes d’expérience, qui leur fasse ressentir ça, qui sont celles de notre modernité à nous. Je ne veux pas dire par là que la solitude de maintenant et la solitude d’avant, ce n’est pas la même solitude.

Bien sûr, c’est la même solitude, mais il y a des nuances spécifiques. Quand on est face au paysage déshumanisé de certaines entrées de villes, quand on est face à des dialogues absurde avec des qui ne pensent pas et qui sont des chatbot, qui se multiplient. Et que d’une certaine manière, notre sociabilité, elle se consume de la relation digitale, voire des interlocuteurs qui sont des automates. Ça crée des nouvelles nuances d’une expérience humaine qui peut être horrible, dans lesquelles il y a aussi des choses positives. Et c’est ça que je voulais tricoter un peu. Et je me suis dit : Comment je fais autrement que… ?

En faisant de la poésie, c’est-à-dire en essayant de créer une espèce de tissu de mots, de sons. La dimension sonore, pour moi est très importante, de façon à ce que le lecteur se dise : OK, ça correspond à une certaine forme d’expérience ultra-moderne, ultracontemporaine, qui est celle de maintenant ou dans quelques années, entre les deux, mais qui correspondent à notre modernité envahie par des items qui, il y a 20 ans, étaient de la science-fiction.

Dans le même temps, j’ai aussi vu un appel à écouter le monde, à être attentif aussi aux belles choses qui existent.
Dans la trajectoire d’un monde dans lequel il y a une dimension de déshumanisation, qu’on le veuille ou pas, Les réseaux sociaux, d’une certaine manière, ça déshumanise la relation amicale. Vous avez des gens, vous ne les voyez plus, vous ne pouvez qu’interagir avec eux par écrit. À un moment donné, vous vous dites : Si on le remplaçait par un chatbot…

Les biotechnologies, c’est en train de changer des choses, qu’on le veuille ou pas, dans ce qui est l’expérience de la mort, la médecine, la biotechnologie, etc. Le fait qu’on vive, que la plus grande partie de l’humanité, et bientôt la totalité, soit urbaine. Je veux dire, il faut se rendre compte quand même des dimensions des choses. Vous partez à pied, c’est un de mes poèmes, vous partez à pied du Centre de Paris et vous marchez. Combien de temps faut-il marcher pour arriver dans la nature ? C’est énorme comme durée. À pied, évidemment, en voiture, c’est rapide, mais à pied. Le mec au Moyen Âge qui part du Centre de Paris, en combien de temps il est en pleine nature ? Même pas quelques heures. On est maintenant arrivé là… Nos gamins, c’est la troisième génération d’urbains. Ça, ça change profondément un certain nombre de choses très profondes dans l’expérience humaine, mais il y a aussi de la beauté à capter.

Mais par contre, il faut regarder la laideur et la déshumanisation d’un certain nombre de choses pour voir qu’effectivement, il y a encore la possibilité d’une certaine forme de beauté. Même d’ailleurs dans la description de la laideur, vous pouvez en faire du beau, mais ce n’est pas un exercice simple. D’où, effectivement, ce recueil de poèmes. Je n’ai pas trouvé de meilleure manière de cristalliser un truc qui n’est pas narratif, ce n’est pas du roman. Je n’avais pas envie de raconter une histoire, j’avais envie de montrer des trucs.

Et ça marche.
Si ça marche. C’est toujours ça.
Le marché de la poésie étant ce qu’il est, si ça marche pour une personne, je suis content.

Quand on parle de Vallée du Carnage, là, on est carrément dans autre chose. Comment vous présenteriez en quelques mots la Vallée du Carnage ?
Vallée du Carnage, techniquement, c’est un roman uchronique de guerre. Ça raconte une guerre terrible dans un monde qui technologiquement ressemble au nôtre, disons dans une dizaine d’années ou une quinzaine d’années. Il y a un peu d’éléments de science-fiction, mais pas tant que ça.

Dans ce monde, la culture, la géopolitique, les relations entre les pays, la politique interne, la religion, tout ça, c’est l’Antiquité et c’est l’Antiquité assez ancienne, l’Antiquité assez archaïque. Donc, ça raconte une histoire où deux grandes puissances, une puissance orientale qui est la Perse, avec à sa tête un tyran, le roi des rois, Erode, entre en guerre avec une autre puissance, la dans le sens occidental, qui est Carthage, à la tête d’une coalition de cités libres, mais ce n’est pas l’Occident tel qu’on le connaît, et s’ensuit une guerre épouvantable.

Donc, le roman suit les destines individuelles de sept ou huit personnages qui sont pris dans un engrenage de guerre. Ce livre Là, vous pouvez le lire de deux manières complètement différentes. Vous pouvez vous dire que c’est une sorte de dialogue un peu complexe, un peu miroir, avec un certain nombre de choses de notre actualité. C’est vrai. Moi, ce roman, j’ai eu l’idée de l’écrire en regardant les premières heures de la guerre en Ukraine.

Tout le monde était là en train de dire : Les Russes ne vont pas envers l’Ukraine. Ce n’est pas possible. On est en 2024, c’est l’Europe, on n’envahit pas ses voisins. Je me suis dit : Imaginons une histoire où, face à l’invasion russe, il y avait eu une réaction occidentale énorme. À quoi ça aurait ressemblé, cette espèce de guerre titanesque qu’on n’appelle pas de nos vœux ? Et à quoi ça ressemble cette guerre d’aujourd’hui ou du prochain quart d’heure ? J’ai voulu raconter ça.

Et puis, il y a une autre dimension. Moi, j’assume depuis toujours d’écrire des trucs avec une dimension de conte philosophique, où je voulais explorer à travers la guerre un truc qui me travaille beaucoup, qui est la profondeur du mal au sein de l’homme. C’est à quel point les hommes, les humains, sont des créatures horribles et jusqu’où ça va cette histoire. J’avais envie d’écrire un bouquin suffisamment immersif pour que le lecteur, il rentre là-dedans et il vive l’expérience de cette déshumanisation. Vous voyez, il y a quand même un lien avec le recueil de poésie de cette déshumanisation jusqu’au bout et qu’il en dorme moins bien la nuit. Vous pouvez lire de deux manières en disant que c’est une sorte de miroir de l’actualité, voire du proche futur. C’est ça la guerre future. Ce n’est pas complètement faux. Ou alors, vous pouvez lire comme un conte. Moi, j’assume vraiment que ce soit lisible des deux. Après, c’est aussi un roman de guerre. Il y a un lecteur qui m’a dit : Ça me fait penser à Warhammer 40000. Je lui dis : OK, d’accord, si ça te fait penser à avoir Warhammer 40000, très bien. Il y a de la guerre, il y a des chars, il y a des trucs comme ça.

C’est marrant parce que j’ai vu que vous aviez commencé la rédaction et vous l’avez rappelé au moment de la guerre en Ukraine. Finalement, quelqu’un qui le lirait aujourd’hui, ça pourrait faire écho à ce qui se passe actuellement au Moyen-Orient, entre le Liban, Israël, etc. On est sur une thématique qui reste universelle.
C’est pour ça que je voulais aussi repartir de l’Antiquité, parce qu’il y a de la guerre depuis qu’il y a des hommes, des humains. Et sur une thématique qui reste universelle. C’est pour ça que je voulais aussi repartir de l’Antiquité, parce qu’il y a de la guerre depuis qu’il y a des hommes, des humains. Et Pourquoi il y a de la guerre depuis le début de l’humanité ? On n’en sait rien, mais depuis qu’il y a des traces écrites, il y a des récits de guerre. Pourquoi ? On y est habitué, c’est-à-dire on se dit : C’est ballot pour eux, il y a la guerre. Mais en fait, c’est profondément incompréhensible Pourquoi les gens s’organisent de façon aussi massive pour s’entretuer ? Déjà, ce truc-là est un scandale. Je me suis dit : Ça vaut le coup de l’explorer.

Je ne suis pas le premier. Il y a Tolstoï, donc ça vous calme. Je voulais l’explorer et je voulais l’explorer, encore une fois, avec la nuance exacte qui est celle des technologies qui arrivent… J’ai écrit aussi l’avant du space opera qui se passe dans 10 000 ans.

Là, j’avais envie d’explorer ce que ça veut dire dans des technologies qui sont en train d’arriver, qui sont à notre porte. Ça vous raconte aussi des choses qui ont trait, en effet, à la pratique de la guerre ultra-technologique telle qu’elle est en train d’arriver et telle qu’on la voit dans des images en Ukraine En Azerbaïdjan, ensuite en Ukraine et puis maintenant au Proche-Orient. J’ai passé un petit peu de temps à bosser pour le ministère des Armées, donc ça m’a appris des trucs aussi. J’ai essayé de mettre en musique cette dimension-là. Une guerre ultra-technologique, ça ressemble à quoi ? Si on pousse les curseurs. Quand on pousse les curseurs, on voit des choses de façon plus pure que quand on ne pousse pas les curseurs. La SF, ça sert à ça.

On parle de guerre ultra-technologique. Effectivement, on voit énormément de guerres ultra-technologiques. C’est aussi la guerre qu’on nous vend aujourd’hui avec des missiles qui vont pratiquement taper à la porte avant d’exploser. Et finalement, dans votre roman, c’est un carnage.
Ça fait référence à une citation de l’Ancien Testament. C’est la même horrible guerre, la même guerre épouvantable qu’on a depuis l’Antiquité où à la fin des fins, il y a des gens qui s’étripent et il y a des viols et il y a des massacres et on tue de façon indiscriminée les populations civiles. En fait, c’est vrai que c’est paradoxal, mais en même temps, il y a une vérité de ce truc-là.

Ce qui se passe en Ukraine, ça n’a pas l’ampleur de certaines guerres du passé, parce que le nombre de gens qui se sont concernés est bien moins que la Seconde Guerre mondiale. La guerre en Ukraine pendant la Seconde Guerre mondiale, ce sont des millions de soldats. Mais pour autant, Il y a cette même horreur qui traverse effectivement le monde depuis qu’il est monde. Après, Vallée du Carnage, ça vise aussi à rappeler un truc qu’on peut parfois oublier quand on regarde l’actualité, c’est qu’on vit paradoxalement dans un monde extrêmement civilisé par rapport à ce qu’a été le passé. C’est-à-dire que la guerre de l’Antiquité, préchrétienne, c’est avant les stoïciens, les chrétiens, le travail de civilisation des Lumières, le droit international, la Société des Nations, l’ONU, etc.

Des choses que nous trouvons horribles sont normales dans l’Antiquité. J’aime bien citer cet exemple, mais il y a une histoire. Il y a une cité grecque, elle ne peut pas payer le tribut à Athènes. Les Athéniens, ils ont les nerfs, ils vont les voir, ils rentrent dans la ville et puis ils tuent tout le monde. Et c’est normal. Ils disent : On a gagné. Vous n’avez pas payé le tribut, on va tous vous tuer. On va réduire toutes vos femmes en esclavage. Et c’est normal. Je veux dire, c’est comme ça la guerre. C’est comme ça la guerre de l’Antiquité. Et nous, on se dit quand on voit les images, il y a raison, on se dit : Gaza, Ukraine ou d’autres endroits, c’est insoutenable. Et c’est vrai que c’est insoutenable.

Mais en même temps, c’est insoutenable aussi parce qu’on est, depuis plusieurs centaines, voire milliers d’années, dans ce travail de civilisation qui nous amène à considérer comme insoutenable des choses qu’à l’époque de l’Empire romain ou de la Chine antique, on les prend tous, on leur coupe les mains et puis après, on leur coupe la tête et puis après, on les coupe en morceaux et puis après, on danse sur leur cadavre.
C’est cool. C’est ça aussi, je voulais montrer ce truc-là. Là, il y a un travail un peu historique de dire… Je raconte un monde où il n’y a pas eu ce travail-là de civilisation. C’est un monde brut de décoffrage, antiquité archaïque et c’est affreux.

Et par rapport à cette antiquité, on a quand même une image d’Épinal, un peu de l’Antiquité aujourd’hui, c’est-à-dire qu’on voit la mythologie, on voit la traversée des Alpes par Hannibal avec ses éléphants et on trouve ça vachement sympa comme moyen de faire la guerre. Et ce que ça rappelle aussi, c’est que cette image belle de cette époque-là, elle est totalement fausse.
Complètement fausse. L’horreur de la guerre n’est pas une invention moderne. C’est quelque chose qui est assez stable dans les civilisations humaines et ça, ça doit nous faire poser des questions. Pourquoi c’est stable dans la civilisation ? Je n’ai pas de réponse, mais ça doit nous amener tous à nous interroger. J’ai un dispositif narratif qui est conçu pour ça. Je m’adresse à chaque personnage, à la deuxième personne du singulier. Du coup, le lecteur peut le prendre pour lui-même. Parce que je veux que le lecteur se sente dans la peau de ces personnages. Certains sont des victimes, d’autres sont des bourreaux, mais des victimes deviennent des bourreaux. Le personnage le plus sympa de l’histoire, c’est quand même un bourreau à la fin. Tout le monde est entraîné dans ce truc-là. J’ai envie que le lecteur, il sorte de la lecture en se disant : C’est quoi la différence entre moi et l’affreux tyran ? Je ne sais pas dire exactement. Est-ce que moi, dans ces circonstances-là, je suis encore cette personne avec une vie sympathique et bourgeoise, civilisée, qui fait attention en traversant la rue ? Ou est-ce que je deviens cet abominable soldat génocidaire ? Stricto sensu, personne n’a la réponse.

Parce que s’il y a autant de guerre dans l’histoire humaine, s’il y a cette infinité de mal et de souffrance, c’est qu’il y a un ressort profond qui est activable. Et ça, ça doit nous empêcher de dormir la nuit. J’espère qu’il y a des gens, ça va les empêcher de dormir la nuit si possible en nombre, mais même si c’est quelques-uns, c’est bien.

C’est vrai que ça nous rappelle toujours ces questions. Il y a toujours cette question un peu philosophique : Moi, pendant la Seconde Guerre mondiale, de quel côté j’aurais été ? Et on ressent un peu ça. Et là, vous poussez le très loin parce que c’est super violent. Une des questions que j’ai est : en tant qu’écrivain, comment on sort de cette écriture aussi trash ?
On écrit de la poésie, déjà. Ça fait du bien. Ça a été super dur à écrire, de ce point de vue-là. C’est le roman que j’ai eu le plus de mal à écrire parce qu’effectivement, les scènes dures, en fait, moi, je n’ai pas particulièrement envie de les écrire. En plus, quand tu es écrivain, tu es aussi un technicien, donc tu dois écrire un truc dégueulasse, de façon que, pour autant, le lecteur, lui, le traverse et qu’il ait envie de tourner la page. Ce n’est pas plaisant, mais en même temps, les images de l’actualité, le retour de la guerre sur le continent européen, Aussi des réflexions personnelles. J’ai ressenti effectivement le besoin d’aller là-dedans et puis aussi de répondre à un constat. Je sais que ça va encore fâcher des gens, mais ce n’est pas grave. La science-fiction, globalement, il y a quelques exceptions, mais ne sait pas traiter la guerre. La science-fiction, elle a souvent un biais, c’est d’écrire avec des niveaux de discours, de censure ou d’auto-censure sur la réalité des choses qui en fait de la littérature jeunesse. Je suis désolé, mais en fait, les récits de science-fiction de guerre en phase avec la guerre, il n’y en a vraiment pas des masses.

Et souvent, du coup, la guerre, elle a l’air jolie, y compris pour des auteurs qui ont un propos antimilitariste. Voilà, C’est-à-dire que Étoile garde à vous de Heinlein, c’est profondément antimilitariste. Starship Troopers, c’est assez qui est inspiré d’Étoile garde à vous, c’est le grand roman de science-fiction de guerre, mais comme c’est traité d’une certaine manière comme si on écrivait pour des gamins et qu’on fait bien attention à ce que tout soit un peu Walt Disney-isé. Bilan des courses, vous ne voyez pas l’horreur du truc. Je pense, en le lisant, Vallée du carnage, vraiment, vous ne pouvez pas être militariste. Ça vous calme.

Oui, ça jette quand même un sacré froid. C’est aussi le sujet intéressant et ça revient sur le rebond en disant le mal profond, etc. On a affaire quand même à des gens qui, globalement, n’étaient pas destinés à devenir ainsi.
Oui, parce que c’est des gens comme vous et moi. Notamment, il y a un personnage qui est un soldat qui est là, qui est pris dans une guerre de sept ans où il devient effectivement un défenseur d’une cité dans les ruines de la cité. Et puis sa vie, c’est un enfer. J’essaie de montrer que c’est quelqu’un comme vous et moi et qu’en fait, Au bout d’un certain nombre d’années d’horreur, quelqu’un comme vous et moi, devient une machine. Et que les pires bourreaux de l’histoire, les personnages les plus atroces de mon histoire, c’est aussi profondément des victimes d’une immense violence psychologique qui leur a été infligée par un système, qui se sont infligés à eux-mêmes.

Le fait de faire du mal à autrui, c’est aussi une violence qu’on s’inflige. Et à un moment donné, ils sont tous, d’une certaine manière, profondément des victimes de souffrance interne, existentielle, psychologique. Dites-le comme vous voulez, mais il y a cette dimension-là, profondément de déshumanisation du côté des bourreaux et des victimes. Pour les victimes, c’est pire, mais pour les bourreaux aussi. Et c’est ce processus global de déshumanisation que j’ai voulu raconter. C’est pour ça que… Parce qu’il y a un lien entre la violence guerrière, la violence tout courte, la masculinité, c’est un personnage où il n’y a quasiment pas de femmes, parce que ça décrit pas un monde réel, ce n’est pas vraiment une uchronie[ad1] .

Je raconte un endroit qui est un enfer. Un enfer, ça peut être quoi ? Il y a plein de versions de l’enfer, mais la version de l’enfer que moi, je propose, elle assez réaliste, c’est un endroit où il n’y a que des mecs qui s’entretuent. Je pense que c’est une bonne définition de l’enfer. Voilà le propos du bouquin.

J’avais une question qui est en rapport aussi avec… C’est qui n’est plus votre actualité, si j’ai bien suivi, sur la Red Team Défense, est-ce qu’il y a un lien entre Vallée du carnage et les travaux que vous avez pu faire dans le cadre de Red Team Défense ?
Il y a un lien. Il n’est pas linéaire au sens où il y a des idées dans Vallée du carnage qui me sont venues en travaillant sur des choses qui n’avaient pas grand-chose à voir avec Vallée du carnage, parce que ce qu’on faisait pour la Red Team, ça n’a rien à voir avec un exercice littéraire. Je me suis dit : Ça, ce n’est clairement pas pertinent Non, mais il se trouve que ça a popé dans ma tête à l’occasion d’une discussion sur ceci ou cela et je me le garde et puis j’en ferai peut-être quelque chose.

Évidemment, le fait d’avoir brassé des choses… Le projet originel du bouquin, il date d’avant. L’idée d’écrire une sorte de grand roman de guerre antique, mais avec des armes de destruction massive, il date d’avant. Par contre, effectivement, j’ai baigné dans une certaine littérature, j’ai travaillé des trucs, j’ai lu des trucs, etc., et ça m’a nourri sur le plan technique. Le bouquin n’est vraiment pas déconnant sur le plan technique. D’accord.

Une dernière question, qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter maintenant ?)
Moi, j’aime bien prendre des bons niveaux de risques à chaque bouquin. Latium, j’ai fait un space Opera hors gabarit où j’ai essayé d’explorer la question de la liberté. La nuit du faune, j’ai fait un conte philosophique, donc rien à voir avec ce qu’on fait dans l’édition classiquement. J’ai essayé d’explorer la question de notre petitesse face à l’univers pour donner une expérience un peu dure au lecteur. Vallée du carnage, j’explore les profondeurs du mal. Langage machine, j’explore le risque de la déshumanisation. Donc j’essaie d’apporter des sensations fortes. Souhaitez-moi d’avoir ma prochaine idée qui me permette de faire un truc bien risqué, bien hors gabarit et puis avec plein de sensations fortes.

D’accord. Merci beaucoup, Romain.
Merci, au revoir.         


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