Il y a deux mois, nous apprenions le placement en liquidation judiciaire des éditions ActuSF, acteur majeur des littératures d’imaginaire.
Il y a une semaine est tombée la nouvelle : les éditions ActuSF sont reprises par Pollen Diffusion et le groupe éditorial Salomon-Sansonnet.
Jérôme nous dit ce que cela signifie et répond aussi aux questionnements autour de cette reprise.
Pour ceux qui ne sont pas amateurs / amatrices de Youtube, voici la retranscription :
Bonjour Jérôme
Bonjour Allan
Content de te voir aux Utopiales
Merci.J’y serai venu quoiqu’il advienne puisque les Utopiales, tout de suite, Non seulement m’ont apporté leur soutien, mais en plus, m’ont proposé de continuer à modérer des conférences. J’ai dit que je venais et effectivement, je suis venu.
Aujourd’hui, l’actualité, c’est la suite de la liquidation de ActuSF. Concrètement, qu’est- ce qu’il se passe aujourd’hui ?
Concrètement, l’offre qui a été émise a été acceptée par le juge. Il a choisi entre deux offres. Il a choisi l’offre de Pollen et du groupe Salomon-Sansonnet, qui sont deux investisseurs passionnés de littérature. On est en train de monter les nouvelles éditions ActuSF, donc une nouvelle société. On a racheté globalement les 100 000 livres, le stock. Il va falloir rapatrier le stock, voir un petit peu avec les droits d’auteur qui continuent pas pour les remettre disponibles en librairie. On est en train de renouer les liens qui avaient été un petit peu défaits sur la diffusion numérique, etc. Et puis, une fois que ça, ce sera fait, on va redéployer un programme avec des nouveautés à partir de mai- juin prochain.
Ce que j’ai noté aussi dans cette reprise, c’est que tu restes à la tête des nouvelles éditions Atus, SF en associé, donc une continuité aussi pour toi.
Ce qui est intéressant, c’est que l’offre qui est sur la table et qui l’a remportée, c’est donc le distributeur Pollen, Nicolas Sansonnet et Laura Salomon. Et très vite dans les discussions qu’on a eues, puisqu’ils m’ont rapprochée pour ça, ils m’ont dit « On souhaiterait que tu restes au moins à la direction éditoriale. »
Donc, ce que j’ai accepté. Il y a pas mal de discussions encore là- dessus, donc je vais être en sorte de directeur général de cette société-là. Et puis, comme on a un très bon relationnel et qu’ils montaient une nouvelle société, ils m’ont dit « Mais on te propose de prendre des parts dans cette nouvelle société. » Donc, ça a marqué quand même une confiance et une continuité. Voilà exactement où aujourd’hui on en est. Aujourd’hui, on a les statuts à déposer, on a le pacte d’associés à faire. On est en train de constituer véritablement cette nouvelle entité.
Donc, d’un point de vue purement juridique, les nouvelles éditions ActuSF ne sont plus les éditions Actu SF ?
C’est ça. Mais comme on a demandé à tous les auteurs une prorogation des droits, c’est- à- dire qu’ils soient d’accord pour qu’on puisse reprendre leurs bouquins, les commercialiser, leur payer les droits d’auteur afférents à partir du moment où ils sont de nouveau en librairies, on va repartir pas à neuf puisqu’on va repartir avec des dizaines de milliers de bouquins en fond, de façon à pouvoir les rendre tout simplement disponibles et qu’ils continuent à vivre.
Aujourd’hui, tu es en mesure de nous dire certains des auteurs, des autrices qui continuent et d’autres qui s’arrêtent ?
Oui, mais je ne vais pas le faire parce qu’il y a beaucoup de polémiques et plein de choses qui se mettent… Il y a une soixantaine d’auteurs et d’autrices qui ont signé, qui sont tout à fait d’accord. Il y a des gens avec qui il y a des discussions. Il y a des gens, et c’est légitime, qui veulent reprendre leurs droits. En vrai, c’est un bouillonnement là aujourd’hui.
Et du coup, moi, le distributeur Pollen, je ne connais pas trop. Comment il fonctionne ?
Un distributeur qu’on comprenne bien. Dans l’édition, il y a le distributeur qui est sur la logistique. Il envoie le livre aux librairies, il prend les commandes et il fait faire les factures aux éditeurs en disant « Ton livre a été commandé en librairie chaque mois et donc il y en a pour 6 000, 10 000, 20 000 € à nous facturer. » Donc, c’est vraiment l’interface importante parce que c’est lui qui a les stocks de livres, c’est lui qui récupère les retours, qui les remet en place, qui les détruit, etc. C’est un maillon essentiel.
Et puis, il y a la diffusion qui sont vraiment les commerciaux qui vont en livrer. Pollen, c’est un distributeur. Ils ont été diffuseurs, mais désormais, ils ne sont plus que distributeurs depuis plus de 30 ans maintenant. Ils doivent avoir, je ne sais pas, à l’essence 50, 200 éditeurs dans leur catalogue et ils sont affiliés à un diffuseur qui s’appelle CEDCEDIF. C’est un des diffuseurs qu’il y a sur la place en France. Pour la France, la Suisse, la Belgique et le Québec. Donc, on retrouve une solution de commercialisation efficace. L’avantage, c’est que là, on a le logisticien dans le capital de l’entreprise, donc ça change pas mal de choses parce que nos difficultés ont beaucoup été liées aux difficultés de notre ancien distributeur qui s’appelait MDS.
Il y a participation. À partir de ce moment- là, c’est un petit peu rassurant là- dessus. Reste l’autre pôle qui sont les deux financiers. Je n’ai pas de certitude, mais moi, ce que je vois, c’est le niveau des discussions qu’on a, le niveau de l’investissement qu’ils souhaitent mettre humainement parlant. Et puis, je vois leurs yeux qui brillent quand on parle de science- fiction et fantaisie. Donc on peut travailler ensemble de manière intelligente. Il y a beaucoup de discussions, on parle de gros sous, on parle de gros enjeux aussi. J’ai face à moi des interlocuteurs en tout cas, en qui j’ai confiance à l’instant témoin. Donc, donc voilà.
D’accord. Parce qu’aujourd’hui, en ne connaissant pas toute l’histoire de la diffusion et de la distribution, j’ai cru comprendre que le choix Pollen était une inquiétude aussi.
Pour un certain nombre de personnes. Il a été une inquiétude. Pourquoi ? Il y a 15 ans (NB : Jérôme a précisé post-interview 7-8 ans et non 15), il y a eu un problème avec les éditions Voy’el. D’accord ? Il y a deux choses à dire. D’abord, sur l’histoire Voy’el. Voy’el., c’est l’histoire d’un micro- éditeur, d’un petit éditeur qui passe en diffusion-distribution. Je l’ai vécu. C’est très compliqué parce que d’un seul coup, il y a beaucoup de commandes, on paye très cher des imprimeurs et il y a des retours. C’est des flux économiques qu’il faut comprendre. Il y a eu un problème entre Pollen, qui faisait la diffusion et la distribution, et Voy’el., il y a 15 ans. Mais il y a trois choses qui changent. Pollen est un groupe sérieux, il ne faut pas déconner avec ça. Il y a des entrepôts, il y a un savoir-faire, il y a le logiciel. Ça, c’est le premier point. Deuxième point, on n’est pas au même niveau de l’histoire que Voy’el à l’époque. Je le sais d’autant plus que nous, quand on est rentré chez Harmonia Mundi en 2011, ActuSF faisait sa propre diffusion. Évidemment, ça a posé plein de problèmes, plein de questions. Deuxièmement, on n’est pas Voy’el et ce n’est pas leur faire injure, on n’a juste pas tout à fait le même catalogue et pas tout à fait la même ampleur.
Trois, aujourd’hui, Pollen n’est plus diffuseur, ils sont distributeurs, donc eux, ils gèrent les flux. Globalement, il n’y a pas forcément d’inquiétude à avoir et je pense que tous les éditeurs qui sont distribués par Pollen, il y a évidemment des gens contents et des gens pas contents.
Quand on est éditeur, il y a une blague. Gains. Est-ce qu’on peut être content de son diffuseur distributeur ? On a toujours l’impression qu’on est mal placé, qu’il y a trop de retours, qu’il y a des problèmes logistiques. Moi, aujourd’hui, mon partenaire principal, pas principal parce qu’il y a Nicolas et Laura, mais mon partenaire dans mon capital, c’est le logisticien. Ça change tout. Chez Media, nous étions un éditeur tiers, pas un éditeur maison, un éditeur avec qui il y avait un contrat qui se rajoutait. Là, en fait, on n’est pas un éditeur tiers, on est un éditeur maison. Évidemment, quand on est en face, ça ne change tout. Qu’il puisse y avoir des inquiétudes liées à Voy’el ? Sans doute, mais aujourd’hui, elles n’ont pas lieu d’être. De facto, c’est une autre histoire aussi. On va apprendre à travailler ensemble. Un diffuseur-distributeur, des commerciaux, des logisticiens, c’est une histoire.
Elle dure du temps, ce sont des humains. Mireille Rivalland, de l’Atalante, quand elle a changé, qu’elle est arrivée chez CDE, elle m’avait dit « Il faut recréer l’histoire. » Elle a tout à fait raison, il faut reprendre des liens, etc. Donc on va s’y atteler. Je vais m’y atteler dans les prochaines semaines. Après, c’est Pollen, c’est un des dix plus gros distributeurs en France. On peut ne pas être contents. On a vu d’autres diffuseurs distributeurs dans l’histoire de la SF qui avaient des reins bien moins solides et qui étaient bien plus problématiques. Là, on n’est pas là-dessus.
Et donc, du coup, là, aujourd’hui, tout est à refaire. Cette décision a été prise et communiquée au début de semaine. Il va falloir reconstruire maintenant le catalogue. Il y a le socle qui est là, mais il y a la planification des programmations. Quel délai il y a entre cette décision, finalement, et la réapparition de nouveaux titres ?
Ce que je sais et ce que je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que là, on a deux temps maintenant. On a récupéré les stocks, les droits, recommercialisés en livraison, constitué les nouvelles éditions actuelles. Et puis, ce sera quasiment en même temps, il y aura plein de réunions, quelle va être la nouvelle direction de la nouvelle ligne éditoriale ?
L’idée de mes associés, c’est de baisser un petit peu le nombre de publications. Je commence déjà à avoir une idée de ce qu’on va faire, toujours entre fiction et essai, mais l’idée, c’est de voir et de réfléchir, et je n’ai pas toutes les réponses, sur comment est-ce qu’on peut s’appuyer sur l’existant et continuer tout en faisant parfois différemment.
Nous sommes morts. Il y a eu des problèmes de diffusion-distribution, très bien. Sans doute qu’on en porte aussi une partie et que j’en porte aussi une partie. L’idée, c’est quand même d’avoir une réflexion et de ne pas faire forcément les mêmes conneries de manière assez simple. C’est le travail qui commence maintenant. Je ne peux pas avoir toutes les réponses maintenant, mais le travail commence maintenant. L’objectif pour moi, c’est d’avoir des nouveautés aux Imaginales.
Les premières nouveautés sortiront des Imaginales. Il y a évidemment des projets qui étaient prêts à être diffusés, mais il faut imaginer toutes les discussions qu’il y a en cours. Comment est- ce qu’on discute avec les uns les autres ? Là, on n’arrête pas de me proposer plein de projets depuis lundi dernier, évidemment. C’est formidable. Il va falloir faire le tri, choisir. Qu’est- ce qu’on publie ? Qu’est-ce qu’on publie là ? Selon quel rythme ? Quel planning ? Comment on fait ? Où est-ce que ça arrive ?
Aujourd’hui, une des questions qui se posent, c’est celle des salariés. Quand il y a une liquidation judiciaire, évidemment, tout le monde est mis à l’arrêt. Est- ce que dans la trajectoire des nouvelles éditions ActuSF, il y a une potentialité ou en tout cas une possibilité de reprendre ?
Il y a trois choses à prendre en compte, vraiment trois choses. D’abord, c’est une liquidation, ce n’est pas un plan social. Il n’y a pas d’obligation légale de reprendre les anciens salariés d’une entreprise à une autre, simplement parce que ce ne sont pas les mêmes entourages.
Premier point, les gens ont été licenciés, ils sont au chômage, il y a un licenciement économique, ils sont pris en charge par les autres. Ça, c’est le premier point.
Deuxième point, aujourd’hui, je ne sais pas exactement quelle sera la constitution de l’équipe à venir. Peut-être une personne avec moi, mais sans doute que deux personnes, en tout cas elle et moi. Cette personne là, on ne sait pas encore si ce sera une embauche, un freelance. On va voir. En tout cas, l’idée, c’est de repartir à deux. On était quatre. Donc c’est encore un peu tôt pour dire qui sera cette personne-là.
Troisièmement, on verra effectivement s’il y a des compétences les uns des autres. D’accord ? Mais encore une fois, il n’y a pas d’obligation légale. Ce qu’il faut comprendre aussi, c’est un peu compliqué, mais une liquidation, humainement, c’est lourd. On a été, nous, en sauvegarde depuis février.
C’est compliqué une vie d’équipe dans la difficulté. Être dans la difficulté, ça veut dire des liens qui sont parfois forts, parfois distendus. On verra bien à l’instant T. Il est trop tôt pour en parler. Là, on se précipite. Je vois bien des gens qui se précipitent là- dessus, mais il y a un nouveau projet, il n’y a pas d’obligation et il y a des discussions. On va voir.
Il y a un autre point aussi qui a été évoqué, qui est la communication enthousiaste un peu rapide.
En vrai, il y a quoi ? Imagine la vie. C’est-à-dire qu’ on a une audience le 4 octobre où les deux offres sont présentées au jour. Le délibéré est mis au 24 octobre. La date du 4 octobre, je ne sais plus, mais bon. En gros, le délibéré, c’est le 24 octobre, le mardi. Donc le juge prend la décision, tant que ce n’est pas passé aux greffes, tu n’as pas le droit de savoir. Donc il a fallu attendre mercredi, on n’avait pas de nouvelles. Jeudi, nous n’avions pas de nouvelles et on a eu l’information vendredi à 16h00 ou 17h00. A partir de ce moment- là, avec mes camarades, on s’est dit « Réunion lundi matin, c’est le week-end », super.
Réunion lundi matin, 9h00 pour faire un communiqué de presse. Il se trouve que Nicolas Sansonnet, par enthousiasme, on en est quand même à reprocher de l’enthousiasme aux gens, il faut bien comprendre la chose, a fait un post. Repéré par Lloyd (Note : Lloyd Cherry) qui la reposté… Donc dimanche soir, la nouvelle s’est répandue, on a fait un communiqué lundi matin. Qu’est-ce que je peux dire là- dessus ? Tu vois ? Oui, il y a des gens qui ont été froissés parce qu’ils n’étaient pas les premiers.
Ils n’étaient pas les premiers. Très bien. Puis, il y a d’autres gens qui m’ont appelé ou qui m’ont envoyé un mail en disant félicitations. Du coup, il faut savoir un peu dans quelle est-ce dans quel camp on se place. Oui, il y a une nouvelle. Il y a plutôt une bonne nouvelle, il va y avoir de nouvelles éditions ActuSF. Sauf pour les gens qui ne le souhaitaient pas. Il y a des gens qui souhaitaient plutôt d’autres solutions. Pas de soucis.
C’est quoi comme polémique ? Ça a été trop vite, on a blessé des égos ? Ça va. Nicolas, il a péché par enthousiasme, il n’est pas de ce milieu-là, il n’est pas de son monde. Il est très content et ravi, sinon, il n’aurait pas fait de post et peut- être qu’on aurait dit « Mais les associés, ils n’ont pas repris… » On a fait un communiqué de presse, ça a été repris. Fin de l’histoire.
Les épreuves, tu l’as dit toi-même, ça a été très dur pour toi personnellement, pour l’équipe. Qu’est- ce qui ressort aujourd’hui avec cette reprise ?
C’est trop tôt pour le savoir.
Humainement, pour toi ?
Humainement, en parlant, il faut imaginer que c’est des mois d’enfer.
En 2021, la machine se grippe avec les problématiques de logistique de média.
En 2022, ça va tellement pas bien qu’on est obligé de partir. Quasiment, on nous demande de partir, donc on change de diffuseur-distributeur.
En 2023, on a eu plein d’autres problématiques. Ça a été des mois très lourds parce que vivre la petite entreprise en difficulté, quand on est ce qu’on est, il faut moralement l’assurer et l’assumer. Tout le monde n’a pas été top cool. 95 % des gens l’ont été et on se base là-dessus. Il y a eu la réaction de défiance qui n’était pas toujours très agréable à entendre. Il est trop tôt. Il se trouve que l’offre a été choisie par le tribunal. Notre offre. Donc, on recrée un début de l’histoire. Moi, je ne dis pas « ce qui ne tue pas rend plus fort », je suis très humble par rapport à ça. J’ai déjà beaucoup de chance qu’on fasse appel à moi sur cette offre- là. Ce n’était pas le cas de l’autre. Voilà, j’ai une deuxième chance. C’est plutôt cool. On va essayer de faire moins d’erreurs et moins de conneries.
Et puis voilà, pas plus pas plus pas moins. Qu’est-ce que tu veux que je dise ? Je ne suis pas un maître ying, je n’ai pas de grandes leçons sur la vie. Je sais que je me suis bien fait chier et que je m’en serais bien passé. Tout le monde me dit là, on est aux Utopiales, on est en disant super, le Phoenix. Alors j’accepte la joie et avec plaisir. Mais à la vérité, je m’en serais bien passé. On préfère le succès à la difficulté et toutes les personnes qui jugent sans avoir été dans la difficulté, tous ceux qui jugent sans m’avoir appelé, c’est un petit peu peu dommage parce qu’il n’y a pas toutes les clés de l’affaire. De manière globale, là, il y a un nouveau défi qui commence. On verra bien dans un an, deux ans, trois ans, quatre ans, ce n’est pas une assurance de succès, ce n’est pas une assurance que tout ira bien maintenant. On va voir.
D’accord. Merci beaucoup. Bonne chance aux nouvelles éditions ActuSF.
Merci Allan. Et allez voir L’Observatoire de l’imaginaire.