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Interview d’Audrey Pleynet

Durant les Utopiales, Audrey Pleynet a reçu le Prix des Utopiales pour son roman Rossignol publié dans la collection Une Heure Lumière du Bélial.

Sa présence aux Utopiales m’a permis de lui poser quelques questions

Si vous préférez la version écrite, voici la retranscription 🙂

Bonjour Audrey. Une petite interview aujourd’hui, le jour de la remise de ton prix, ça fait quoi ?

Ça fait monter la pression qui était déjà quand même pas mal haute.

Et donc, Rossignol, parue à Une Heure Lumière chez Le Belial. Aujourd’hui, tu es la première femme autrice française publiée à une heure lumière. Qu’est- ce que ça veut dire ?

Ça veut dire que c’est super cool, je pense. J’espère que je ne serai pas la dernière, surtout. Et puis, je pense que ça montre aussi qu’il y a de la place pour des beaux textes de tout type d’auteurs et d’autrices qu’il faut oser aussi, je pense, pour les femmes écrire de la SF, l’envoyer aux éditeurs, parce que derrière, il y a des possibilités de publication, une belle réception.

Aujourd’hui, tu avais commencé en auto édition, auto- publication. Pourquoi tu avais fait ce choix de l’auto- édition, l’auto- publication plutôt que de passer directement par un compte éditeur ?

J’avais écrit mon roman, ça m’avait pris beaucoup de temps et je l’avais fait un peu comme un projet secret. Je n’avais pas du tout de bêta-lecteur, à part une ou deux amis qui n’étaient pas lectrices de SF par ailleurs. C’était quelque chose de très brut et c’était vraiment un premier jet que j’avais envoyé aux éditeurs. J’ai eu des réponses encourageantes mais négatives d’un certain nombre d’éditeurs que je connais maintenant. Le Bélial aussi d’ailleurs. Et je m’étais dit que j’avais pas de bêta-lecteur, j’étais pas dans le milieu, donc j’avais pas de soutien de bêta lecteur qui allait me corriger mon texte ou m’aider à faire un travail d’éditorial pour améliorer ce texte- là. Donc je me suis dit “OK, on va le faire vivre direct. Je vais vraiment le confronter au lecteur direct”.

Je l’ai fait en auto- édition. Je l’ai confronté au lecteur. C’était mon roman Noosphère que j’ai auto-édité en 2017. Ce sont ces retours de lecteurs après qui m’ont beaucoup appris et qui m’ont donné un regard sur ce texte. C’est ainsi aussi que j’ai trouvé l’opportunité d’aller sur les salons du livre dans les festivals où j’ai rencontré la communauté, notamment tout ce qui pouvait se faire autour d’appels à texte, de nouvelles.

C’est là où je me suis mis à écrire des nouvelles qui m’a amenée à encore plus affuter ma plume et travailler mes thématiques et mon approche de l’écriture. Et voilà. Et en fait, après, c’est ce qui m’a permis, quand ma plume a été fort affûtée, que je comprenais aussi beaucoup mieux comment ça marchait, le milieu de la SF, que j’ai trouvé des soutiens de vloggeurs, de coachs, de quasi agents, que là, j’ai pu faire Rossignol et la nouvelle Ellipses.

Je pense que c’était peut-être pas le meilleur choix du monde, mais je ne sais pas. On va pas refaire le film. Peut-être que je n’aurais jamais pu retravailler toute seule dans mon coin mon roman auto-édité et que j’avais besoin de m’insérer plus dans une communauté de passionnés, avec des soutiens et ce regard critique apporté par les lecteurs.

Du coup, tu l’as dit, très présente sur les festivals, énormément présente sur les festivals, très présente aussi, j’imagine, familialement, professionnellement. Combien de litres de café ?

Ce n’est plus en litres parce que c’est plutôt un débit continu. Je ne peux plus vraiment mesurer en termes de litres. Mais oui, pas mal de café, de stress d’organisation, surtout pour arriver à tout caler, tout planifier et puis à trouver des relais. Mon compagnon qui me relaie énormément, qui est incroyable sur la gestion des enfants. Et puis aussi des collaborateurs et des collaboratrices qui sont compréhensifs de ça. Je veux dire, ne serait-ce qu’au Bélial, ils savent qu’il y a ce que je peux faire en termes de quantité d’écriture, de travail, de salon, de festival et aussi du fait que je suis cadre, directrice et que j’ai aussi un métier très prenant à côté.

Donc je pense que c’est ça, c’est de pas le cacher en disant « Moi, je vais être Wonder Woman ou Superman pour les hommes et je n’existe que sur l’écriture et mon statut d’écrivain. » On n’est pas une seule personne, on n’est pas une seule identité. Il faut essayer de pour que ça fonctionne, il faut les dire. Il n’y a pas de raison de cacher. Je propose très clairement mes besoins aussi, pour ne pas burn-outer sur un plan ou un autre.

Si on parle de Rossignol maintenant, une expérience humaine et extra-humaine aussi, une grande base où tout le monde peut cohabiter. Comment c’est scientifiquement possible ?

Ça l’est parce que c’est quantique. Non, pas du tout. Pas du tout. C’est possible parce que la station spatiale, qui est le lieu de l’intrigue de Rossignol, s’adapte constamment à tous les paramètres biologiques, physiologiques des espèces non humaines qui cohabitent, dans le fait où également les espèces sont hybridée ensemble et donc quasiment les individus sont, comme le mot l’indique, individuels, ils sont vraiment uniques dans leurs paramètres physiologique, biologique, etc., et leurs besoins. Donc, effectivement, la station s’adapte. Mais ça vient principalement d’une fusion des technologies de ces différentes espèces. Il y a eu une mise en commun des savoirs de ces différentes espèces. Donc, scientifiquement, c’est très complexe, évidemment. Et même le savoir s’en est un peu perdu. Un des éléments que j’ai essayé de souligner dans votre signal, c’est que les personnes font confiance en la station pour qu’elle les maintiennent en vie dans l’espace et eux- mêmes n’ont pas la connaissance parfaite de comment ça marche. Parce qu’il y a eu des fusions de technologie et parce que, juste, ils ne savent pas. Moi, personnellement, là, tout de suite maintenant, je ne sais pas comment fonctionne un écran tactile de mon téléphone portable qui est pourtant l’objet que j’utilise le plus dans ma vie.

Avec la cafetière.

Avec la cafetière. La cafetière, encore, j’ai une vieille cafetière assez classique. Je peux y comprendre le côté de « j’ai une résistance qui chauffe de l’eau, une pompe qui aspire, qui fait passer le café, tata tata ». Ça va, encore. Parce que j’ai étudié au cas où ça se casse, que je puisse réparer. Mais voilà, il y a un mouvement de niveau de technologie où même nous, dans notre quotidien, on doit faire confiance à la tech, on doit faire confiance aux scientifiques qui nous ont amené ça et qui nous disent « Quand on roule en voiture, on est dans un avion, il y a un lâcher prise. On fait confiance à une technologie qu’on ne maîtrise pas. Il y a très peu de personnes qui peuvent dire quand ils sont dans les avions qu’ils maîtrisent la totalité du système quand même. Il y en a, c’est des gens super précieux. C’est ce que j’ai voulu quelque part mettre dans Rossignol, c’était que dans 10 000 ans, dans le futur, ce sera pareil. On n’est pas dans un roman d’ESF où tous les personnages savent exactement comment fonctionne toute la technologie qu’ils utilisent. Il y a toujours ce moment de confiance et de lâcher prise, ce qui ramène la technologie dans un côté très communautaire, de partage et de confiance, donc quelque part de questions sociétales et politiques.

Il faut faire confiance pour que ça marche. Quand la confiance se délite ou doute ou se brise, ou qu’on commence à avoir des petites théories complotistes qui remettent en cause certaines choses au niveau scientifique, là, la confiance se brise et c’est là où ça devient fort problématique

Une des grandes dimensions, tu viens de le dire, c’est la dimension sociologique. Au niveau de ton roman, on voit ces différentes espèces et finalement, toutes ces espèces, c’est ces assemblages d’espèces aussi, ces mélanges, etc, ces hybrides, on se rend compte qu’ils ont toujours le respect de l’autre, le consentement. En tout cas, ils essayent. Je parle du consentement, notamment sur la dimension télépathique. C’est une société idéale ?

C’est une société idéale. Oui, presque. C’est une société qui essaye de poser des choses pour que ça marche. Ça reste une société, comme je le mentionne dans Rossignol, on a l’impression que c’est un mélange multiculturel, et ça l’est, de nombreuses espèces non humaines, mais ça reste un entre- soi, parce qu’il y a d’autres espèces mentionnées plus ou moins dans la novella, qui n’ont pas le droit de venir sur la station, soit parce que physiologiquement, ils sont trop différents et on n’a rien à arriverait pas à adapter la station pour leur permettre de vivre avec nous, soit parce qu’ils ne peuvent pas respecter certaines règles de base du vivre ensemble. Moi, la règle première que j’avais mis sur la station, c’était le respect du consentement. La capacité… Ne peut vivre sur la station que des espèces et des individus surtout, qui ont la capacité d’émettre un consentement éclairé et libre et de respecter le consentement éclairé et libre des autres. Ça, c’est un petit parallèle avec mon autre métier dans lequel je travaille, qui est notamment le droit des femmes, où la question du consentement est très, très importante puisqu’on est dans un système juridique qui n’est pas basé sur le consentement.

C’est comme ça. La base juridique n’est pas la base du consentement, c’est la base sur le droit français. Le droit espagnol essaye d’évoluer pour intégrer la question du consentement comme fondation du droit. Le droit en France est plutôt basé sur la propriété et la violation de la propriété. C’était un peu le pionnier qui dit « On va essayer une utopie où le consentement est la première règle, la première loi juridique».

Là, on a parlé jusqu’à présent autour du roman et plutôt un contexte plutôt que l’histoire en elle-même. L’histoire, on arrive sur une guerre entre deux factions, finalement. Cette guerre entre deux factions, ceux qui sont plutôt pour une race pure, on peut le dire comme ça, et ceux qui sont pour une forme d’évolution encore, du rapprochement des espèces. Ce n’est pas très SF, ça.

C’est peut- être un peu remettre dans des contextes sociologiques qu’on connaît aussi aujourd’hui. Moi, ce que je voulais montrer aussi, c’est que dans 10 000 ans, on serait toujours paumés sur ces questions-là, sur la question de l’identité, sur la question de « est-ce que l’autre menace mon identité ou l’enrichit ? »… On aura toujours ça.

L’intrigue et ce que l’héroïne apporte, j’espère, comme regard, c’est la nuance dans tout ça. Je voulais pas d’une héroïne qui arrive en disant « Moi, je sais, je suis certain. » Certaines, il y a le bien, il y a le mal, il y a ce qu’il veut. Elle est dans la nuance. C’est-à-dire que les deux côtés de ces conflits ont des explications, ont des arguments. Ça vient aussi d’un vécu qui est aussi un vécu de souffrance, de rejet. C’est légitime et ça doit aussi peut- être être entendu, remis dans une complexité et surtout, et ne pas perdre la nuance et ne pas simplifier. Parce que c’est quand on simplifie qu’on m’appauvrit. Donc c’était rester sur ces dimensions-là. Alors oui, c’est une grosse dimension sociologique qui fait peut- être pas SF, mais finalement, la question est toujours de comment moi, je m’identifie et comment je gère cette relation à l’autre dans le conflit, dans l’entraide, dans l’enrichissement ou dans la peur.

Et ce qui est un peu inquiétant, malgré tout, dans l’intrigue que tu portes, c’est que cette station, elle va bien, tout se passe plutôt bien et les gens, pour autant, une partie de la population en tout cas, a toujours envie de rejeter l’autre.

Oui, parce que c’est trop beau. Il y a plein de différents aspects. Oui, la station va bien et tout d’un coup, on a l’impression qu’elle va moins bien. Il y a aussi le fait que mon personnage principal, qui est la narratrice, qui est vraiment un point de vue interne, elle grandit, c’est une histoire sur sa vie, donc elle passe de l’enfance à l’âge adulte. Dans son enfance, elle avait l’impression que tout allait bien. Elle vivait en complète fusion avec cette station qu’il avait presque élevée. Et c’est en grandissant qu’elle réalise que il y a des tensions, il y a des conflits, il y a des problèmes. Ce n’est pas tant que les problèmes arrivent à ce moment-là, quand elle arrive vers 20, 25 ans d’âge humain. C’est peut- être que son regard devient plus nuancé et critique et qu’elle s’autorise à voir des choses et finalement à se dire « Mince, mon enfance un peu idéalisée était peut- être qu’un doux rêve. »

Donc ce n’est pas seulement l’histoire d’une société utopique qui commence à se fracturer, c’est aussi l’histoire du passage à l’âge adulte où toutes nos thématiques, toutes nos valeurs peut- être un peu très claires, très simples, dans un sentiment très évident, se craquent, se nuant, se deviennent plus complexes et qu’il faut repenser à tout ça pour pouvoir de nouveau naviguer au milieu de ça et à c’était que non, ce n’est pas ça, que non, il y a des tensions, que nous, des choses qui nous portaient, nous rendaient extrêmement heureuses pouvaient être une source de souffrance pour une autre personne.

Ça n’en fait pas moins légitime et mon bonheur que j’ai cru avoir, est la souffrance que la personne a vécue dans son enfance, et là, voir que moi, une personne principale était trop contente et pensait que c’était trop bien et découvre que certains de ses amis d’enfance l’ont mal vécu. C’est ramener cette nuance aussi, ce passage à l’âge adulte, on va dire. Mais oui, il y a aussi la question que les tensions bien sûr, se cristallisent et s’amplifient, on va dire, notamment parce que d’un côté, la technologie se complexifie et qu’il y a question de faire confiance à quelque chose qu’on ne comprend pas, qu’on ne comprend plus, qu’on n’est plus capable de comprendre. À un moment, c’est vraiment beaucoup, beaucoup demandé.

Et du coup, publié en mai, si je me souviens bien.

Oui, 18 mai.

Ça va très vite pour toi. Quelle pression pour la suite ?

Énorme. Qui sera proportionnelle aux litres de café que je devrais ingérer pour faire face. Oui, énorme parce que j’ai eu un super accueil de Rossignol alors que j’imaginais que ça allait être un texte beaucoup plus clivant. C’est quand même un texte qui est très dense, c’est une novella, c’est 130 pages. Donc je pensais vraiment avoir des bons retours parce que j’espérais, c’est sûr. Mais voilà, et là, j’ai d’excellents retours et j’ai vraiment une grosse attente aussi sur la suite. Beaucoup de personnes qui me demandent de continuer dans l’univers de Rossignol pour en apprendre plus aussi sur cet univers-là. C’est des choses, je n’y avais pas du tout pensé. Je n’avais pas pensé à la suite. J’espérais déjà juste sortir un bon titre, un bon texte.

Un mot de conclusion ?

J’espère qu’il y aura encore beaucoup de lecteurs et d’actrices qui se laisseront embarquer par la novella et qui y trouveront ce que ils sont venus chercher. Il y en a un peu de tout sur la science, sur la socio, sur les rapports à l’autre, sur la transmission, sur les relations parentales, tout ça.

Merci beaucoup.

Merci beaucoup, Allan.


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