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Interview de Foerster

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A l’occasion de la parution de Certains l’aiment noirregroupant une cinquantaine de saynètes de l’auteur, parues chez Fluide Glacial dans les années 79 à 90, nous avons pu échanger quelques mots avec Foerster qui manie horreur et humour avec un égal talent.

Philippe, viens de paraître chez Fluide Glacial un extrait des saynètes que tu as « produites » pour le journal dans les années 80 et 90. Que représente pour toi cette parution ?
Cette re-publication des histoires courtes parues dans Fluide Glacial, puis en album chez Fluide également, représente beaucoup pour moi, d’abord parce que ce projet a connu bien des déboires éditoriaux pour enfin se concrétiser… ensuite parce que voilà des années que des lecteurs me demandent (lors de séances de dédicaces notamment) :  » quand ces histoires vont-elles enfin être rééditées? » … Beaucoup de ces gens cherchent (en vain) les anciens albums, complètement épuisés maintenant… Certains de ces lecteurs me disaient avoir été marqués et avoir un souvenir fort de la lecture de ces histoires (souvent dans les magazines Fluide de leur parent!). Il y en a même qui m’ont dit (avec une certaine jubilation) avoir fait des cauchemars après les avoir lues, ces bd! Bref, je suis ravi que ces histoires trouvent une nouvelle vie, sous cette forme… Et, qui sait, peut-être toucheront elles un nouveau lectorat … dont les enfants feront également des cauchemars et qui transmettront… etc… etc…! Et puis, plus sérieusement, j’ai pu faire ces histoires comme je le voulais, sans aucune censure et en toute liberté. Fluide Glacial appartenait à l’époque à Marcel Gotlib et, une fois qu’il avait choisi de faire travailler un auteur, il lui laissait pleine liberté, sans jamais intervenir, ni demander à l’auteur en question d’être plus « plaisant »… J’ ai mis beaucoup de moi-même là-dedans. Elles sont très radicales, ces histoires,assez agressives souvent et pourtant c’est la partie de mon boulot qui a le plus frappé les gens. Ça représente beaucoup de travail et il aurait été dommage que tout ça disparaisse définitivement.

Le « recueil » contient une cinquantaine des histoires parues durant ces 20 années, je suppose que le choix des heureuses élues a dû être compliqué : sur quel(s) critère(s) as-tu fait ce choix ?
La toute première histoire est parue en 79. Il y a donc plus de trente ans… Eh, oui… Mais on peut dire que leur réalisation s’est étendue sur vingt à vingt-cinq ans… J’ai travaillé mensuellement pour Fluide durant une bonne quinzaine d’années, puis j’ai continué à livrer des histoires, mais moins régulièrement, et, enfin, plus du tout, depuis quelques années maintenant. En tout, onze recueils sont parus… J’ai donc fait un choix parmi ces onze titres… En gros, je pense avoir choisi les histoires tirant plus vers le fantastique que vers l’humour ( même si elles en comportent toutes une certaine dose) ainsi que celles où j’avais le mieux travaillé, me semblait il, le « noir et blanc ».

Chacune de ces nouvelles graphiques apporte son lot d’horreur et en même temps d’humour… D’ailleurs, dans le ton, on ne peut s’empêcher de penser aux « contes de la crypte » : est-ce que cette comparaison te convient comme moyen de présenter l’ambiance ou est-ce que cela te gêne ?
Non, ça ne me gêne pas du tout… le principe est effectivement un peu le même… mais les « contes de la crypte » auxquels moi je pense sont ceux du cinéma des années 70, de la Hammer, avec Christopher Lee, Vincent Price, Peter Cushing… Ces acteurs avaient d’ailleurs des « tronches » qui me sont restées en tête et dont on peu retrouver des « échos » dans les « gueules «que je fais à certains de mes personnages… Dans le genre, il y avait aussi, en bd, les magazines Creepy et Eerie dont j’étais friand.

Lorsque j’ai lu tes histoires, j’ai été épaté par ta capacité à mêler des histoires d’horreur (parce qu’on ne peut pas dire que le sort de vos personnages soient enviables) et un humour corrosif : y-a-t-il une recette spécifique pour réussir ce délicat mélange entre ces deux extrêmes ?
Non, il n’y a aucune recette… J’ai toujours voulu mettre un maximum de choses dans mes histoires, on m’a d’ailleurs souvent reproché à ces contes d’être « fatiguants » à lire, parce que trop riches… J’ai tâtonné au fur et à mesure, je n’ai pas trouvé d’un coup un système reproductible à l’infini… L’humour, de toute manière, il fallait en mettre, puisque ces contes étaient prépubliés dans « Fluide Glacial », mais je n’ai jamais voulu tomber dans la parodie totale… Il y a un mélange des genres dans mes histoires, mais je n’ai jamais eu l’intention d’aller jusqu’ à la parodie. J’ai continué à prendre le genre Fantastique au sérieux et à croire que je pouvais en faire au premier degré, même avec un graphisme et un ton « comique ». Je n’ai jamais eu pour but de démonter le genre, comme l’a parfois fait, génialement d’ailleurs, Daniel Goosens, chez Fluide aussi… Ce que je fais s’apparenterait plutôt à du grotesque, je pense… de l’humour noir… J’avais aussi pour référence les comédies italiennes des années 60-70 où les réalisateurs parlaient de choses très glauques, souvent de drames sociaux, mais toujours sous un angle humoristique ce qui, à mon avis, rendait les choses d’autant plus touchantes! Ou encore les romans de Louis-Ferdinand Céline ou ceux de Kafka. On dit toujours que Kafka est le maître de l’angoisse, c’est vrai mais ses textes sont aussi bourrés d’humour… Même chose pour Philippe K. Dick ou Thomas Pynchon. Pour moi le sommet, dans ce mélange des genres réussi, toujours « sur le fil », c’est le « Brazil » de Terry Gilliam. C’est un film total… Plus récemment, j’ai découvert « Féérie pour les ténèbres » un roman de Jérôme Noirez qui va aussi dans ce sens-là. J’ai adoré ce mélange de glauque, de malsain, de carnavalesque, de fantastique et d’humour. En BD, un maître du mélange des genres, c’était Will Eisner. Il arrivait à être aussi riche dans une histoire de sept pages du « Spirit » que n’importe qui en 50 pages!
Sans vouloir me comparer à ces génies, évidemment… Ce sont des références… autant en avoir de bonnes! C’est peut-être ça ma recette!

D’ailleurs, on retrouve certains personnages récurrents, je pense notamment à ce vendeur, Théodule Gouâtremou et on ne peut pas dire qu’il brille par leur humanité… Le monde est si sombre que cela ?
Ben, quand même… C’est difficile de répondre à ce genre de question… Je n’ai aucune excuse, aucun alibi pour faire ce que je fais : j’ai une vie assez heureuse, en gros… Je ne fais pas du tout partie de ces humoristes perpétuellement déprimés… Mais si je regarde autour de moi, ben, je ne vois rien de très
lumineux…. L’autre jour j’ai été dédicacé chez un libraire, un type archi-sympa, gentil et drôle, mais quand il s’est mis à raconter une partie de sa vie, je me suis rendu compte qu’il avait vécu quelque chose de terrible, d’atroce… Et c’est toujours comme ça (pas spécialement avec les libraires, je veux dire, en général!)… De toute façon, il n’y a rien qui se termine bien, on le sait tous! Pourquoi faire comme si c’était le contraire? … De toute façon, c’est de l’humour noir… C’est un angle de vue, c’est tout….. On peut en avoir d’autres mais j’ai choisi celui-là. Il me paraît pertinent par rapport au fonctionnement absurde des humains…

Gouâtremou est toujours plongé dans des situations horribles et fantastiques. Ce qui exacerbe encore son côté minable et mesquin. Il reste toujours aussi moyen, médiocre, même face aux évènements les plus extraordinaires.

D’ailleurs, si on se réfère à ce Théodule Gouâtremou : est-il possible de trouver plus abjecte personne, couard et mesquin mais pas seulement ?
Oui, ce type est la caricature du pauvre type… Il doit s’agir d’une sorte d’exorcisme de tout ce que je n’aime pas dans mon chez moi (il faut dire que son physique est inspiré des caricatures de moi-même que n’arrêtaient pas de faire mes copains dessinateurs de l’époque sur les nappes de resto, : Riff Reb’s, Legall, Berthet, entre autres… l)… Mais est-ce que Robert Bidochon est très différent? Je ne crois pas. Il a les mêmes défauts. Simplement, Bidochon, lui, vit toujours des situations banales, du quotidien… C’est le français moyen type.
Gouâtremou est toujours plongé dans des situations horribles et fantastiques. Ce qui exacerbe encore son côté minable et mesquin. Il reste toujours aussi moyen, médiocre, même face aux évènements les plus extraordinaires.

Ce qui caractérise tes personnages est leur physionomie qui est loin de faire d’eux des top modèles… doit-on en déduire que la beauté protège des horreurs ou à l’inverse que l’horreur est plus facile à accepter quand elles touchent des personnes au physique ingrat ?
Non, je ne crois pas, au contraire. Les pauvres, non seulement ils sont laids, mais il leur arrive les pires horreurs! Je les aime bien, mais avec tous leurs défauts physiques comme psychologiques. C’est vrai qu’ils en ont beaucoup! Mais je n’arrive pas à lire ces bd où il faut d’office que les héros soient des top-modèles pour « que-le-lecteur-s’identifie-à eux sinon-ça-ne marchera- pas « , comme disent les éditeurs… Je ne parviens pas à le faire parce que je n’y crois pas… .Mes personnages sont des anti-héros, des perdants. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai toujours eu du mal à installer un personnage récurrent. Ça finit toujours tellement mal pour eux que je ne peux plus les employer! Gouâtremou, dont vous parliez plus haut, a fait deux albums puis a fini cul-de-jatte!

Que penses-tu de cet hommage de Manu Larcenet et Ferri en préface de cet album ? Ne connaissant pas, il a sonné comme un sévère avertissement sur ce que j’allais trouver par la suite.
Effectivement, cette préface est super bien vue. C’est un exercice difficile, et ils l’ont vraiment bien réussi, sans en faire trop ni trop peu Je ne m’attendais pas à ça. Je croyais avoir un petit mot sympa, mais pas trois pages dessinées! Je les en remercie encore. Et puis, qu’est-ce que c’est bien le dessin de Larcenet!

Et maintenant, certains de tes fans vont te dire que ce bel ouvrage n’est qu’une mise en bouche et bien loin de l’Anthologie alors : peut-on espérer un deuxième volume ?
Ça, il faudra poser la question à l’éditeur… Je suppose que ça dépendra des ventes de celle-ci… Evidemment, moi, je fais partie de ceux qui l’espèrent! De toute façon, un libraire de Bruxelles, Forbidden Zone, va publier tout le reste, c’est à dire tout ce qui n’est pas dans l’album actuel et tout ce qui est paru dans le magazine Fluide mais jamais en recueil. Et ça fait encore de la matière! Au moins autant! Ce sera, un plus petit tirage mais ça permettra à ceux qui seront vigilants d’avoir une véritable intégrale…

En dehors de cette parution, as-tu d’autres sujets sur le feu qui ne soit pas secret ?
Oui, après avoir réalisé plusieurs bouquins en couleur et de longue haleine (le dernier était un mélange de western et de fantastique, intitulé « La Frontière ») , j’ai eu envie de revenir aux sources , à ce qu’il y a dans la compilation, à l’humour noir, au format bref et au « noir et blanc ». Le prochain album réunira plusieurs histoires courtes à la « Fluide Glacial » (quoique chaque histoire pourra être plus étendue en nombres de pages, vu qu’il n’y a pas là de pré-publication). Ces contes seront réunis par un même thème (les mutants) et paraîtront chez Glénat, dans la collection « Mille feuilles ».

Et si tu devais conclure cette interview par un mot, ce serait lequel ?
Kadick


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