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Nous parlons depuis les ténèbres – Anthologie

Juste avant le lancement du festival Ouest-Hurlant, les éditions Goater étaient à l’Astrolabe pour le lancement du recueil de nouvelles Nous parlons depuis les ténèbres. Ce recueil de nouvelles a une particularité : il s’agit d’un recueil de nouvelles d’horreur, écrit uniquement par des plus féminines.

Les femmes dans l’horreur

Comme l’explique Estelle dans sa préface, l’écriture de l’horreur en France ne semble pas être la meilleure décision, le genre étant considéré comme peu vendeur par de nombreuses personnes, Et que dire lorsque c’est une femme qui veut écrire dans ce genre dont peu de collections subsistent ? Comme l’explique à nouveau Estelle, c’est en marge d’un festival que cette idée est née, alors même que Widjigo était à sa table de dédicaces.

Nous avons en commun cette part d’ombre et de liberté, ce miroir que nous tendons à la cruauté du monde. Nous amenons avec nous les âmes tourmentées, les marginaux et les monstres. Nous montrons aujourd’hui que nous existons. Nous ne sommes pas seules. Nous parlons depuis les ténèbres, et nous ferons entendre nos voix.

Estelle Faye, introduction

Ramenant une tradition de contes et de récit oraux, où il faut bien avouer que les personnages centraux sont bien moins fréquentables que la majeure partie des romans que nous lisons habituellement, Nous parlons depuis les ténèbres nous permet de remettre un pied (et plus qu’un) dans ce genre discret, avec une palette d’autrices qui permettent de décliner sur de nombreuses thématiques l’horreur…

De l’horreur visant les enfants…

Comme souvent dans les romans d’horreur, les enfants sont présents, la crainte que nos enfants subissent des horreurs étant probablement la plus grande frayeur que nous pouvons avoir… C’est donc tout à fait naturellement que de nombreuses nouvelles tournent autour de cette thématique et qu’elles font partie de celles qui marquent le plus.

Le recueil commence par la nouvelle d’Aurélie Wellenstein (à qui l’on doit sans un genre proche Yardam), Petite sœur des fauves dans laquelle une jeune fille se voit retirer à son village pour un lieu et un destin inconnu… Nous sentons dès le départ que ce ne doit pas être une ballade de santé, car les prêtres de l’Homme Sain sont à la manœuvre… Cette première nouvelle nous plonge tout de suite dans l’ambiance, avec une noirceur et une montée de la tension scénaristique intéressante. Pour faire simple, Aurélie donne le ton !

La deuxième nouvelle autour de l’enfance va nous replonger dans le délice de nos ballades de jeunesse à la fête foraine. Ce retour en enfance nous est proposé par Barbara Cora dans La boutique où la jeune Lena, que je n’ai pas trouvé particulièrement sympathique, va se rendre compte de changement de comportement dans son entourage et particulièrement au lycée qu’elle fréquente. Le phénomène semble se répandre à vitesse grand V, et Lena va tenter de percer le mystère. Plus que les causes de ce mal, c’est la trajectoire de Lena qui va nous questionner, la façon dont elle va gérer la crise et surtout la chute de cette nouvelle qui, je dois l’avouer, m’ a bien surprise. L’occasion aussi de découvrir une nouvelle autrice !

Dernière nouvelle qu’on pourrait raccrocher au thème de l’enfance, Tu aimes les enfants de Morgane Stankiewiez est pour moi une des meilleures nouvelles de ce recueil, et je ne doute pas que tous les parents vont avoir des sueurs froides à la lecture de ce récit qui représente l’horreur et la violence ultime de notre société. Imaginez un directeur d’école, aux penchants inavouables et doté de capacités de manipulations fortes… Père de famille respectable, acteur majeur de la lutte contre le harcèlement scolaire (entre autre), il devient au-dessus de tout soupçon, notamment si ses cibles sont des gamins violents ou harcelants… Le récit de Morgane m’a donné froid dans le dos, la construction du récit, l’approche qui nous fait découvrir l’horreur peu à peu et le combo harcèlement sexuel – attaque de masse rend ce récit terrifiant au possible…

… en passant par la religion et les mythes…

Bien entendu, si des enfants victimes directes ou indirectes fait partie de nos plus grandes craintes, un deuxième axe est souvent utilisé dans les récits d’horreur, celui des légendes ou des religions qui, de par leur essence même, nous promettent les pires souffrances à venir (bon ok, pas que des souffrances) et nous rappelle à quel point les dieux et déesses peuvent être revanchard ou cyniques.

Dans cette veine, quatre nouvelles nous sont proposées qui vont nous rappeler cette vérité, à commencer par Un arrière-goût d’éternité par une des autrices les plus en vue dans le domaine de l’horreur, j’ai nommé Morgane Caussarieu qui a récemment publié Vertèbre et dont Dans tes veines vient de ressortir au diable vauvert. Dans cette nouvelle, deux jeunes adolescents vont tenter de devenir immortel en s’attaquant à une sirène… en oubliant que tout a un prix…

Toujours dans les mythes gréco-romains, Isadora de Micky Papoz va nous permettre de redécouvrir un mythe légendaire dans un hôpital où une jeune femme reste endormie malgré tous les soins. Trouvée sur une plage, elle est placée sous la surveillance sous la surveillance d’un jeune homme… Je ne peux pas en dire plus sans dévoiler la chute et ce serait réellement dommage.

Avant dernière nouvelle dans cet univers, et qui va nous rapprocher de notre culture judéo-chrétienne, la fameuse âme est centrale du récit proposé par Louise Le Bars, à qui l’ont doit aussi Vert de Lierre. Dans âmes sœurs, les âmes existent donc et il y a des entités – à défaut d’autre terme – qui sont en charge de les récupérer pour des Maîtres que nous ne voyons que peu identifiés, mais qui semblent en être dépourvus. Nous suivons un·e de ces chasseurs·ses d’âmes et découvrir le danger qu’ils ont à se lier au butin de leur larcin…

Et cette “dimension” se conclut avec le récit d’Estelle Faye, qui ferme aussi le ban du recueil de nouvelles, avec La célébration de la mer. Nous rentrons ici dans un sujet plus délicat, en lien aussi avec l’enfance, L’arrivée de ce jeune garçon, Tholomeus, enlevé aux siens pour devenir l’enfant de chœur du monastère, victime de toutes les maltraitances et abus. Mais le temps peut aider à se venger… Le fond de l’histoire fait cruellement écho à l’actualité, autant sur la dureté de certains hommes d’église que sur la chappe de plomb qui pèse : on sait mais on ne dit pas… Un récit donc là aussi dur, et reflet d’une société qui l’est tout autant

… jusqu’à l’impact des sciences sur notre vie !

Bien entendu, si l’enfance et la religion font partie des thématiques préférées du domaine de l’horreur, ce n’est pas non plus exclusifs, comme le montre Val d’errance de Lizzie Felton qui est à cheval entre la dimension religion et psychiatrie. La nouvelle réussit à nous montrer l’horreur d’être enfermé dans son propre esprit comme cette jeune femme qui n’arrive plus à communiquer, et ne peut que hurler quand la mémoire de son vécu lui est trop douloureux.

L’éternel mythe de Frankenstein est bien sûr présent et nous le voyons cii au travers de Pas de deux avec les ténèbres où Cécile Guillo nous présente une jeune femme qui a du mal à reprendre le cours de sa vie après un terrible accident de voiture. Que ce soit la danse ou sa relation amoureuse, les traces de son accident sont très présentes et lui rendent la vie particulièrement difficile. L’autrice arrive à nous montrer toute cette horreur, dans un glissement progressif expliquant la situation.

Je garde une des meilleures nouvelles pour la fin, avec Planète 9 de Floriane Soulas et son horreur spatiale. Un équipage en mission pour découvrir la prochaine planète habitable et deux jumelles présentes sur le vaisseau avec des rôles plus qu’important : Evie capitaine du vaisseau et Camille. Inquiète par le fait que Camille soit ultra-connectée à son Intelligence Artificielle, Evie tente de la déconnecter et de lui faire prendre du repos… Mais cela n’est pas du goût de sa sœur, l’importance des calculs passant avant tout. La situation, au réveil d’Evie, est étrange : il ne semble plus y avoir signe de vie et Evie va devoir remonter le vaisseau pour comprendre les changements, les événements qui ont eu lieu et surtout où est passée Camille. Floriane nous amène à découvrir petit à petit une situation complexe, et ce que pourrait donner un monde où les IA sont (trop ?) en interconnexion avec nos cerveaux.

S’il fallait résumer

ce recueil proposé par les éditions Goater, il faudrait commencer par dire que c’est une vraie réussite. Toutes les nouvelles présentes dans Nous parlons depuis les ténèbres et si j’ai réellement trouvé que les nouvelles de Morgane Stankiewiez et Floriane Soulas sortaient du lot, cela n’enlève en rien la qualité des autres autrices qui sont su, chacune à travers leur regard, apporter quelque chose à cette anthologie.

Cela faisait longtemps que je n’avais pas dévoré une anthologie avec autant de plaisir, naviguant dans tous les domaines de l’horreur : l’horreur du quotidien l’horreur scientifique, l’horreur religieuse, bref, vous l’aurez compris, une anthologie à ne pas manquer !

Editions Goater (Mai 2023) – 236 pages – 16,90 € – 9782383670100
Couverture : Anouck Faure



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