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Interview : Jean-Michel Archaimbault

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Allan : Bonjour Jean-Michel ! La dernière fois que nous t’avons interviewé, c’était en même temps que l’ensemble de l’équipe de traduction Perry Rhodan, donc je vais commencer par te laisser te présenter à nos visiteurs.

Jean-Michel : Cinquante et un ans, marié, trois enfants et un chien, j’habite à Bordeaux assez près du centre ville. Professionnellement, je travaille dans le domaine de la propulsion des missiles depuis 1982 après avoir obtenu un diplôme d’ingénieur civil des Mines en 1980. Voilà pour le dixième émergé de l’iceberg. Les neuf dixièmes invisibles de prime abord sont tout le reste : ma passion pour la littérature d’imagination, en science fiction de même qu’en fantastique, et pour la musique dans un très large éventail allant du romantisme au contemporain – en résumé quelque peu lapidaire, de Richard Wagner à Rammstein et au Dark Metal symphonique via Marcel Landowski, Loreena McKennitt et Dead Can Dance. Dans le domaine des livres, tout a commencé dans les années 60 avec Bob Morane, puis avec le Fleuve Noir Anticipation, ce qui n’est pas vraiment original. Cette passion a grandi sans cesse, me conduisant à passer du stade de lecteur consommateur à celui de l’écriture en amateur, de commentateur critique et de chroniqueur (dans les Années de la Fiction d’Encrage), de traducteur, de coordinateur d’une équipe de traduction et de directeur de collection (Perry Rhodan au Fleuve Noir), pour aboutir plus récemment à une sorte de retour à l’impulsion initiale – l’écriture – lorsque m’a été donnée l’occasion d’embarquer sur la Rivière Blanche en 2006. Tout ceci, évidemment, en parallèle avec mon cursus professionnel.

Allan : Comme je le disais plus haut, tu es le « chef de file » de l’équipe de traduction Perry Rhodan. Alors, quoi de nouveau de ce côté-là ?

Jean-Michel : La version française de Perry Rhodan est entrée, en août 2008, dans la phase majeure que constituent les cycles enchaînés du Concile et de l’Aphilie après avoir connu une « traversée du désert » avec celui de l’Essaim et, à un degré moindre, le court intermède des Vieux-Mutants. La remontée sensible des ventes enregistrée dès le début du Concile et confirmée par la suite – aidée par la sortie du premier jeu Perry Rhodan pour PC à être paru en version française, Le Mythe des Illochim (juin 2008) – a permis d’assurer quelques années de plus à la publication de la saga par Fleuve Noir. Il est très difficile d’accrocher de nouveaux lecteurs en cours de route, quand on en est déjà aussi loin, même si des efforts dans ce sens ont été faits par l’éditeur. Mais Perry Rhodan manque cruellement de publicité et de médiatisation : aucun film ni série TV n’est là pour focaliser l’attention sur les livres, qui doivent vivre par eux-mêmes et pour eux-mêmes… À noter qu’en Allemagne, où l’épisode hebdomadaire 2500 est sorti fin juillet dernier, des questions se posent aussi sur le renouvellement du lectorat. Dans le futur proche, l’événement marquant sera le cinquantième anniversaire de la série, qui sera fêté début octobre 2011 à Mannheim lors d’une énorme convention mondiale Perry Rhodan. Eh bien, il faut que la version française de la saga continue au moins jusque-là !

J’ai assez sensiblement réduit mon activité de relecture/correction des traductions depuis fin 2007, grâce à l’entrée officielle de José Gérard en tant que chargé de cette tâche pour plus de la moitié des douze parutions annuelles. Je l’assure toujours pour les traductions de notre « doyenne », Jeanne-Marie Gaillard-Paquet, comme pour celles de José lui-même, et je conserve évidemment les aspects éditoriaux incombant à un directeur de collection.

Allan : L’idée de rééditer la série depuis le début est-elle totalement abandonnée ?

Jean-Michel : Totalement abandonnée, non. Disons plutôt « gelée » pour un bon moment. Un seul et unique volume (contenant les trois premiers romans de la version française) est paru en avril 2005, rappelons-le pour les non initiés. Peu de temps après, grâce à l’action de certaines personnes bien intentionnées, il est devenu impossible à Fleuve Noir de rééditer les traductions jadis effectuées par Jacqueline H. Osterrath. Certes, cette situation s’est clarifiée dans le bon sens il y a environ un an, mais rien ne pourra être relancé tant que le problème n’aura pas été complètement réglé. Et pour cela, il faudra encore attendre. La question du bien fondé de la reprise de cette réédition se reposera alors. Quant à savoir quelle réponse pourra lui être donnée…

Allan : Nous n’allons pas nous éterniser plus longuement sur ce sujet car aujourd’hui, ce que tu souhaites nous présenter est ton roman « Seentha » paru dans la collection Rivière Blanche de Black Coat Press : quelle est l’origine de ce projet ?

Jean-Michel : Février ou mars 1981, sous les drapeaux de l’Armée Française… Je faisais mon service militaire tout près de Bordeaux, en tant que scientifique du contingent. Et je réhabitais chez mes parents, après mes trois années d’indépendance à l’École des Mines de Saint-Étienne. « Schubert », un bon copain de promo lui aussi fan de SF et de musique, était alors en coopération en Arabie Saoudite. On s’écrivait régulièrement, ne serait-ce que pour maintenir un niveau assez élevé d’activité intellectuelle dans un contexte de grisaille. Un jour, on décide de se lancer dans ce que les Américains appellent un round robin, une histoire élaborée à plusieurs, chacun y ajoutant un morceau à tour de rôle. Comme il fallait le temps que le courrier parte et revienne, cela faisait à peu près une séance de rédaction toutes les deux ou trois semaines. C’est moi qui ai fourni l’idée de départ : le suicide, face à l’océan, d’un personnage qui s’est lui-même assimilé au Hollandais Volant et qui, à l’instant de sa mort, va se retrouver sur le navire maudit dont il est vraiment le capitaine. Implicitement, j’avais choisi de prolonger le destin de cet anti-héros sombre très loin par-delà les limites de la légende marine. Ainsi, un texte assez composite et hétéroclite s’est bâti durant deux ou trois mois, puis tout s’est arrêté quand nous nous sommes rendu compte que la chose nous échappait – ou plutôt, que nous étions de moins en moins d’accord sur l’évolution future de l’intrigue.

Seule la première partie de cette version zéro du roman, après avoir été maintes fois remaniée et étoffée par mes soins, est présente dans la « Seentha » d’aujourd’hui dont elle constitue l’Acte II. C’est encore et toujours ce que j’ai de plus personnel dans le roman, notamment la Scène I où figurent de très nombreux éléments qui me sont familiers, et où l’état d’esprit très loser du personnage correspond au mien de l’époque. Les scènes suivantes de ce même Acte II se sont développées sous des influences hodgsoniennes (le reflux total de la mer), steineriennes (le navire vivant, les voiles de chair et de sang, le naufrage final…), et surtout wagnériennes : dans la Scène III, le cirque central de l’île est directement inspiré de l’extraordinaire rocher des Walkyries de la Tétralogie du Centenaire, mise en scène à Bayreuth de 1976 à 1980 par Patrice Chéreau dans les décors et costumes de Richard Peduzzi. En fait, c’est précisément l’image obsédante de cet amphithéâtre façon « Île des Morts » qui m’a poussé à confronter le Hollandais Volant, le capitaine du Vaisseau Fantôme, aux dieux Wotan et Loge tels qu’on les voit et les entend dans « L’Or du Rhin ». J’y reviendrai un peu plus loin au cours de cette interview.

Dans mon esprit, peu à peu, toute la problématique d’arrière-plan du roman s’est échafaudée à partir de cette extrapolation intertextuelle. C’est d’ailleurs sur l’aboutissement final de cette trame que nos avis ont divergé, à « Schubert » et à moi. Lui, il a tout laissé tomber car il aurait voulu poursuivre dans le style d’une épopée spatiale plutôt positive. Moi, un samedi soir de fin mai ou début juin 1981, assis face à l’océan et l’esprit éclairé par quelques bières, j’ai eu l’illumination subite. Une illumination noire, d’un pessimisme assez effrayant, où la résolution finale ne pouvait être que destructrice et négative. Dès lors, j’ai su comment le roman se terminerait, du moins dans le principe. Pas encore dans le détail des images, des visions et des symboles, qui se sont cristallisés au fil du temps et des versions successives pour renforcer la cruauté méchante des ultimes scènes d’explication et de conclusion.

Huit ans après, vers la fin de l’été 1989, j’ai repris de A à Z tous les morceaux existants de ce début de roman et, pour la première fois, je l’ai mené à son terme selon le plan méthodique que j’avais tracé juste avant de m’y remettre. Je l’ai proposé tel quel à deux ou trois éditeurs. Les réponses ont été assez similaires : « Non, ça ne va pas, c’est trop compliqué, il y a trop de références qui échapperont au lecteur habituel. De plus, il n’y a pas assez d’action et ça ne se bat pas, dans votre livre. » Très bien… Moi, les batailles matérialistes conventionnelles ne m’intéressent pas, et je n’avais aucune envie d’en rajouter. L’affaire s’est donc rendormie pour un peu plus de sept ans. Début 1997, nouveau réveil : il s’est avéré que la trame du roman intéressait un petit éditeur, S.I.P.E., pour sa nouvelle collection SF appelée Les Quatre Dimensions. Je l’ai donc complètement remanié – et cela s’imposait grandement, avec le recul ! Sa structure est quasiment devenue l’actuelle, au prologue près, qui était alors noyé par morceaux dans le premier chapitre. Mais hélas… « C’est trop complexe, trop littéraire, beaucoup trop difficile pour le public que nous visons à atteindre. Dommage, il nous plaît beaucoup mais nous ne pouvons pas le prendre. » Je l’ai proposé dans la foulée à Fleuve Noir, où je commençais à collaborer en tant que correcteur et un peu superviseur pour Perry Rhodan. La responsable d’Anticipation m’a envoyé une lettre d’éloges quant à l’originalité thématique du roman, et de suggestions pour qu’il soit accepté dans sa collection : relâcher un peu le style et le langage, étirer la chose en une saga de trois ou quatre tomes, alléger des références… Comme je venais de passer à la traduction et à la correction de traductions qui allaient très largement occuper mes loisirs pendant nombre d’années, j’ai encore une fois laissé le roman se rendormir. Pour onze ans, jusqu’à fin 2008, où j’ai reçu l’acceptation enthousiaste de Philippe Ward pour la publication de la version 1997 chez Rivière Blanche. J’ai quand même voulu me relire, et le texte m’est encore apparu très perfectible. Je l’ai entièrement révisé, par moments réécrit, et partiellement rebâti durant le premier trimestre de 2009. C’est alors que sa structure m’a sauté aux yeux : sous la forme d’un roman, c’était un opéra, d’où son découpage en un prologue, quatre actes et une coda.

En conclusion, « Seentha » 2009 est l’aboutissement d’un projet qui s’est étalé sur vingt-huit ans et a connu au minimum quatre versions différentes. C’est une Œuvre de jeunesse devenue une Œuvre de maturité, une tentative de premier roman qui a eu la chance énorme de se faire refuser plusieurs fois et d’attendre que son auteur acquière de l’expérience. Heureusement pour celui-ci, pour le texte, et pour ses lecteurs !

Allan : N’est-on pas tenté, lorsque l’on a baigné dans l’univers de Perry Rhodan, de faire une saga plutôt qu’un « One Shot » (NdW pour les visiteurs : livre isolé) ?

Jean-Michel : Dans mon cas personnel et celui de « Seentha », pas du tout ! Dès que j’ai bouclé la première version complète, à l’automne 1989, l’essentiel était dit et je n’ai jamais, par la suite, conçu la moindre manière d’étirer le texte par l’adjonction d’épisodes intercalaires. Avec le recul, « Seentha » m’apparaît de plus en plus comme une « course à l’abîme ». Et à ce titre, comment imaginer de prendre l’omnibus ou de se lancer dans un voyage autour du monde ? Après l’avis du Fleuve, en 1997, j’ai songé promener Gottfried Falkenberg à travers quelques aventures ici ou là, sur Terre ou ailleurs, autrefois, maintenant ou plus tard. Mais j’avais déjà embarqué sur le vaisseau Perry Rhodan, et je n’ai pas la chance de vivre dans deux dimensions temporelles – la sagittale et la fractale, telles que décrites dans Cathédrales de Brume ! Lors de la révision en profondeur de début 2009, je me suis reposé le problème de l’allongement de « Seentha ». Mais non, cela m’a encore une fois semblé la voie de l’affadissement et de la perte de dynamique. Si des détails et des décors se sont approfondis d’eux-mêmes, si de nouvelles références sont apparues, aucune péripétie supplémentaire ne s’est rajoutée. À noter que l’empreinte subconsciente de Kurt Steiner et de son « Ortog » s’est encore plus fortement marquée, comme pour anticiper le fait que Rivière Blanche publierait coup sur coup « Angoisses-1 », « Seentha » et « Big Crunch » quelques mois plus tard. C’est fascinant, la synchronicité !

Allan : Dans ce récit, un homme sort de son coma suite à un orage magnétique, mais il semble différent… Le suspense ne durera pas longtemps, on saura très rapidement que la personne qui s’est réveillé et celle qui était plongé dans le coma ne sont pas les mêmes… Pourquoi avoir fait le choix de donner cette information très vite ?

Jean-Michel : C’est plutôt un ébranlement de la trame spatiotemporelle, lié à un primum movens dont l’énigme sera résolue plus tard dans le roman. Révéler assez vite que le ressuscité est différent du mort est d’abord un artifice permettant la description dynamique de l’univers dans lequel s’est effectué ce retour à la vie : au départ, on croit que le ressuscité est amnésique, donc on va l’aider à reconstituer sa mémoire et chacun va y apporter sa contribution par discours direct. C’est ensuite le moyen de développer en parallèle la personnalité réelle de ce ressuscité infiniment complexe, torturé et décalé par rapport au présent dans lequel il a surgi mais qui est pour lui un très lointain futur. Puis cela s’avère une astuce pour commencer à faire intervenir les facteurs extérieurs qui ont tout architecturé à la façon d’une machinerie théâtrale, d’un immense opéra embrassant sinon le cosmos, du moins notre Galaxie. Le but étant d’obliger le ressuscité à se dévoiler en totalité et à ne laisser, à ceux qui l’entourent, aucun autre choix que de l’accompagner jusqu’au bout.

Allan : Ton récit est très riche scientifiquement parlant (en tout cas, c’est mon ressenti) ; n’as-tu pas peur de perdre une partie du lectorat ?

Jean-Michel : Très étonnante remarque ! J’ai pourtant eu l’intention et l’impression de me limiter au strict nécessaire pour tisser des arrière-plans technico-scientifiques et astrophysiques solides, puisque je voulais bien davantage me consacrer à la chronologie d’ensemble du passé et à la confluence entre légende, mythologie et théologie… Pour l’instant, je n’ai pas eu d’écho négatif sur le point que tu soulignes, au contraire. Et puis non, tout bien pesé, je ne pense sincèrement pas avoir versé dans la hard science ! ! !

Allan : Le roman est riche de mythologies : pourquoi avoir lié les mythologies à une Œuvre de science fiction ?

Jean-Michel : En m’attaquant au Hollandais Volant sous l’angle de la familiarité personnelle, j’ai choisi un héros dont je me suis senti proche dès que j’ai commencé à approfondir ma connaissance du « Vaisseau Fantôme » de Wagner, à l’été 1970. Dès la rentrée suivante, j’ai commencé l’allemand en classe de quatrième dans le but d’arriver un jour à comprendre les textes de ses opéras – dont je m’étais naturellement mis à collectionner les intégrales en me les faisant offrir, pour mes Noëls ou pour mes anniversaires. Des cadeaux originaux, pour un gamin de tout juste douze ans… Comme déjà évoqué, la Tétralogie du Centenaire de Bayreuth – suivie en direct à la radio à partir de l’été 1977, visuellement découverte à travers des livres puis, plus tard, des vidéos – a marqué pour moi le plongeon corps et âme dans la mythologie nordique revue et corrigée par Wagner. Aux Mines de Saint-Étienne, entre 1977 et 1980, le rythme de travail étant infiniment plus relâché qu’en classes préparatoires, j’ai pu entrer à fond dans la Tétralogie dont je sais encore par cŒur de très nombreux passages. À cette époque, j’ai aussi pris des cours de chant classique… Grâce à l’ami « Schubert », j’ai fréquenté un nombre impressionnant d’Œuvres lyriques post-wagnériennes, en majorité dans le répertoire allemand, avec d’occasionnelles et saisissantes incursions dans ce que les nazis ont lamentablement condamné sous l’étiquette de musique dégénérée.

Début 1981, par conséquent, mon imprégnation « tétralogique » était quasi totale. Sans cesse, la vision du rocher des Walkyries inspiré de « L’Île des Morts » s’imposait. Il était inévitable que « mon » Hollandais Volant doive s’y rendre, de même qu’il était inévitable qu’il y rencontre Wotan, le dieu gris, et Loge, la flamme dévorante, dans un contexte étouffant de dévastation post-apocalyptique…

Partant de là, trois questions se sont formulées d’elles-mêmes. La première : pourquoi ces deux entités s’en prennent-elles ainsi au Hollandais Volant ? La seconde : comment arracher définitivement celui-ci aux océans de la Terre a priori désertifiée ? La troisième : pourquoi le faire ? Autrement dit, où son périple passé, futur et cosmique devra-t-il l’amener ? En résumé : qui est vraiment ce personnage, que sont les moteurs de son destin ?

Les réponses ne pouvaient être proposées que par la science fiction, n’est-ce pas ?

Allan : La musique est également très présente, à chaque page, ce qui donne une ambiance particulière et agréable : as-tu aussi écrit en musique ?

Jean-Michel : Non et oui… Non, parce que je n’écoute jamais de musique quand j’écris, quand je traduis, ou quand je travaille avec la nécessité de me concentrer. Si j’ai besoin d’un instant de détente, j’ai suffisamment de musique dans la tête pour ne pas devoir recourir à une source externe. Oui, parce qu’à chaque fois où une musique est évoquée dans « Seentha », je l’ai entendue et réentendue mentalement tout en rédigeant le passage correspondant. C’est vrai non seulement pour les Œuvres existantes, mais aussi pour les partitions imaginaires qui sont citées – comme l’Octandre aux Planètes Oubliées de Westlake. D’une manière ou d’une autre, j’ai entendu ces compositions fictives, et l’on peut véritablement parler d’onirisme musical.

Il est évident que certains extraits d’opéras de Richard Wagner sont particulièrement présents en arrière-plan de « Seentha », notamment « Le Vaisseau Fantôme » et nombre de pages de la Tétralogie. J’ai fait en sorte de ne pas abuser des citations littérales dans le corps du texte, pour ne pas rebuter le lecteur. Lorsque tel était le cas, j’ai moi-même retraduit et adapté les extraits de livrets pour obtenir une forme poétique satisfaisante, notamment en ce qui concerne la métrique, tout en demeurant fidèle au phrasé musical d’origine. Ceci s’explique par le fait que les traductions disponibles sont difficilement lisibles telles quelles, soit parce qu’elles datent, soit parce qu’elles n’avaient pas pour finalité d’être lues au sein d’un roman.

En parallèle, à travers les incipits ouvrant chacune des scènes, je me suis efforcé de souligner des convergences possibles entre Wagner – ou d’autres compositeurs postromantiques – et la science fiction.

Le cas du poème épique et de l’opéra intitulés « Aniara » est, quant à lui, un phénomène exceptionnel. Les Suédois Harry Martinson, puis Lindegren et Blomdahl, ont créé vers la fin des années cinquante une singularité littéraire et musicale dont l’impact émotionnel a été très fort pour moi, dès sa découverte en 1986. Dès 1989, j’ai introduit un peu de cette « Aniara » dans le roman, mais c’est en 1997 et surtout en 2009 que j’ai développé encore davantage autour de cette magnifique variante sur le thème de l’arche stellaire perdue. De Wagner à « Aniara », telle est finalement l’origine profonde de la coloration germano-scandinave de « Seentha ».

Pour terminer sur un autre aspect sonore, il me faut préciser que la plupart des noms de personnages ne sont pas nés spontanément, et que je les ai empruntés à de multiples sources. Les choix s’expliquent très souvent par la musicalité qui leur est attachée, ou par des souvenirs très précis de lectures dans de nombreux domaines.

À propos du visuel, deux images se trouvent à la base de l’illustration de couverture et de sa variante qui figure, en noir et blanc, au tout début du roman. Ma première vision de Dhalgren, la planète-océan, remonte au numéro de « Galaxie » de juillet 1970, dont la couverture était signée de Jean-François Jamoul. Le Hollandais Volant, alias Gottfried Falkenberg, n’est autre que le baryton américain Thomas Stewart dans la production du « Vaisseau Fantôme » de 1971 à Bayreuth. Dimitri Rastorgoueff a eu le génie d’aller plus loin que mon idée de départ, le personnage au premier plan sur le décor des îles-citadelles, en me proposant les traits de Falkenberg dessinés par les nuées de Dhalgren. Ce qui correspond infiniment mieux au contenu de « Seentha ».

Un dernier mot sur le titre du roman : au cours du temps, celui-ci a évolué de « Vaincre l’Ennui des Siècles » à « Les Dieux, et Falkenberg », « Seentha de Dhalgren », « Le Dragon sous le Voile », pour tout simplement finir en « Seentha ». Ce n’est pas l’anagramme de la capitale grecque, mais la transposition du prénom « Senta » qui est celui de l’héroïne wagnérienne du « Vaisseau Fantôme ». Avec, en supplément, une tonalité sonore qui renvoie à la « Sehnsucht » des romantiques allemands, proche parente du spleen baudelairien. Ainsi se referme le cercle, par le retour aux inspirations premières du livre…

Allan : Et maintenant : as-tu d’autres projets dans les tiroirs ?

Jean-Michel : Parlons d’abord de ceux qui viennent de s’en échapper, ou qui sont en train de le faire. Chez Rivière Blanche, j’ai une nouvelle dans la seconde anthologie « Cal de Ter » tout juste publiée, et une autre dans l’anthologie « Dimension Jimmy Guieu » à paraître en janvier 2010. Deux des prochains hors série du fan club BASIS sont des recueils de textes que j’ai jadis écrits sur et autour de Perry Rhodan : la disponibilité de « Nouvelles de l’Infini-1 » est imminente, et « Nouvelles de l’Infini-2 » est au programme de la première moitié de 2010. Une curiosité : j’avais rédigé certaines des histoires directement en allemand, à l’occasion de concours lancés par la rédaction Perry Rhodan ou par des fan clubs locaux, et j’ai bien sué pour m’auto-traduire en français !

Avant mi 2010, je me suis engagé à rédiger une nouvelle de type fantasy pour une anthologie joliment intitulée « De Cape et d’Esprit », toujours chez Rivière Blanche. Un sacré challenge ! J’ai très envie de saisir l’occasion pour prolonger sur quelques pages le terrible destin du chevalier-naute Dâl Ortog Dâl de Kurt Steiner, mais j’ignore si je vais oser… Heureusement, j’ai au moins deux autres idées en réserve. Il faudra ensuite que je songe sérieusement à un texte en deux versions, française et anglaise, pour « Les Compagnons de l’Ombre » de Jean-Marc Lofficier.

À plus long terme, je compte proposer à Philippe Ward le recueil de nouvelles fantastiques que j’ai composé durant l’été 1989, un véritable exutoire psychologique à travers lequel j’avais entre autres purgé mon subconscient de choses enfouies soudain remontées à la surface. Mais je dois d’abord retravailler tout cela très sérieusement sur le plan de la forme. J’y adjoindrai probablement quelques textes fantastiques jadis écrits pour « L’Angle Ouvert », auxquels je suis particulièrement attaché.

Là, je sens que je vais décevoir… Un autre roman ? Que nenni, mes braves, c’est bien trop de boulot et de souffrances s’il s’agit d’une galère trentenaire de l’ampleur et de l’ambition de « Seentha » ! Alors, lui mettre en route un petit frère ou une petite sŒur pour en accoucher aux forceps à quatre-vingts ans passés, gâteux et trémulant, je ne m’y vois pas. Par contre, je me lancerai peut-être pour la quatrième fois dans une suite originale à un vieil Anticipation de Maurice Limat, c’est plus facile et plus amusant. Jean-Marc Lofficier et moi avions planté Bruno Coqdor dans une situation piège à la fin du « Retour d’Hypnôs », mais j’ai déjà mûri un moyen de l’en faire sortir. Wait and see !

Un rêve tordu que je dois bien avouer : co-écrire un jour, avec cette très chère Gudule que j’adore (ah, « Le club des petites filles mortes » et « Les filles mortes se ramassent au scalpel » !), un petit roman fantastique bien méchant et cruel, peut-être avec une touche d’érotisme. Étonnant, je l’admets… Anne, ma sŒur Anne, ne me vois-tu pas venir ?

D’ici là, au gré des vents, des sollicitations et des mouches qui volent, je me distrairai assurément time and again à pondre quelques nouvelles.

Et puis, en parallèle, il y a toujours l’omniprésent Stellarque de Sol, l’indestructible Perry Rhodan, dont l’avenir francophone doit être assuré !

En fait, conditionnant la réalisation de tout cela, il y a un méta-projet sous-jacent, unique et permanent : conquérir en urgente nécessité la réponse à la question suivante…

Allan : Que peut-on te souhaiter ?

Jean-Michel : Du temps, beaucoup de temps – idéalement, l’accès au temps fractal qu’Oksana et Gil ont si brillamment évoqué dans leur remarquable livre. La retraite professionnelle, pour moi, ce n’est pas demain la veille. D’ici là, mes priorités iront aux inévitables problèmes familiaux découlant du vieillissement des ascendants. Actuellement, au contraire de mes habitudes antérieures, je bride donc à dessein mes projets futurs et m’astreins au minimalisme. Pour le scope and range façon « Doc » Smith, on verra plus tard, une fois les beaux jours revenus.

Allan : Le mot de la fin sera :

Jean-Michel : Une proposition de petit jeu-concours assez vicieux destiné aux lecteurs de « Seentha », qui se veut aussi un roman-hommage multiple. Il s’agit de localiser dans le texte tous les noms et titres que j’ai empruntés à d’autres Œuvres de fantastique ou de SF – en dehors de la version originale de la saga Perry Rhodan, tout de même – puis de retrouver les Œuvres concernées et leurs auteurs. Si FantastiNet est d’accord et sponsorise, banco, on y va ! Dites-le assez vite, afin que je compile la liste des bonnes réponses…

Ceci mis à part, mille mercis pour vos questions qui m’ont à peine inspiré !


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