Allan : Que représente pour toi Cal de Ter ?
Laurent : Je vais peut-être te surprendre, mais jusqu’en mars 2006, je ne connaissais pas Cal de Ter. Tu le crois ça? Il a fallu que je découvre le premier tome de la série (Le rescapé de la Terre) chez un bouquiniste pour que débute une longue quête : me procurer l’intégrale de Cal de Ter avant d’étendre mon rayon d’action et acquérir l’intégrale des ouvrages de PJ Hérault. Cela étant, non, je ne suis pas un péjihéro-maniaque, je ne me prends pas pour Cal ou Guise ou Gurvan ou je ne sais quel héros de PJ. Dans la vraie vie, je me prends simplement et alternativement pour Marty McFly ou Dude Lebowsky. Ce qui n’a rien à voir.
Seulement, le problème est que tu ne peux pas te pointer chez ton libraire préféré pour passer commande, « salut Jean-Louis (si ton libraire s’appelle Jean-Louis), tu me mettras un Hors-Contrôle, un Planète Folle, et avec ça je prendrai un petit Jérome Noirez, tout le monde en parle en ce moment, ça fait chier, c’est gonflant, mais bon faut bien suivre le mouvement et pas passer pour un con en société ». Non, tu ne peux pas. Tu dois donc te démerder autrement. C’est donc à ce moment là que tu vas sur e-bay et que tu t’aperçois qu’il y a des enfoirés qui font de la spéculation sur PJ Hérault – j’ai payé Cal de Ter (le dernier volume de la série) un peu plus de 15 euros et pour un bouquin dans un état juste correct (le pire, c’est que j’étais content de l’avoir eu à si bon marché). Devrait y avoir des lois contre la spéculation péjihero-esque, c’est un véritable scandale – j’attends de Sarkozy des actions concrètes sur le sujet. J’ai bon espoir.
Bref.
Cal de Ter représente donc, pour moi, à la fois la découverte tardive (et presque honteuse) d’un personnage de fiction (ainsi que de son auteur) et le bouquin du Fleuve Noir le plus cher sur le marché de l’occasion exception faite de la collection fusée de la fin des années cinquante (et des Oiseaux de cuir de Gilles Thomas).
Sinon, pour répondre à ta question d’une façon plus classique, Cal de Ter représente la quintessence de ce que la SF populaire française peut offrir de meilleur. Tu peux le ranger à côtés des Gilles Thomas/Julia Verlanger sans aucun souci. Ou à côté de la Compagnie des Glaces. Admettons qu’il faille choisir les 100 meilleurs Fleuve Noir (les 5 ’bons’ % du total, partant du principe que 95% de n’importe quoi est de la merde – principe qui se vérifie formidablement bien avec le Fleuve) ; tu peux être certain que la série de Cal de Ter sera dedans.
Allan : Dans quelle optique as-tu accepté ce défi ?
Laurent : Dans l’optique évidente de gagner du pognon et de me faire plein de nanas. Y’a-t-il une autre raison possible ?
En me lançant dans cette aventure, je me disais que ce serait de la balle d’avoir un bouquin avec mon nom dedans (ou sur le 4ème de couv’). Comme ça, je pourrais me balader dans la rue avec, le montrer à tout le monde dans le métro, « salut-salut, moi c’est Laurent, je suis écrivain, ouais, bon c’est de la SF, d’accord mais tu vois, là, tout de suite maintenant, est-ce que ça te dirais de baiser avec un écrivain, comme ça après tu pourrais en parler à tes amies, elles voudraient me connaitre, on baiserait tous ensemble, jambes et culs mêlés, sans lendemain, sans capotes, l’orgie, la régression, devenir un animal, graouu miam miam ».
Et en fait, non, ça se passe pas comme ça. Je sais pas pourquoi. Pourtant, mon plan était parfait. J’aurais du pouvoir baiser la terre entière.
Plus sérieusement, lorsque j’ai appris que Rivière Blanche lançait son concours sur Cal de Ter, j’étais en pleine découverte de la série. Si certains attendaient le retour de Cal de Ter depuis plus de 20 ans (le dernier épisode a été publié en 1984 – j’avais pas encore dix ans bordel !, je lisais encore Oui-Oui et j’attaquais à peine la bibliothèque verte), pour moi Cal ne s’était pas encore barré, puisque je n’avais pas encore lu le dernier volume de la série.
Ce qui fait qu’avant d’écrire la première ligne, je me posais déjà la question de la légitimité : avais-je le droit d’écrire sur Cal de Ter, alors que je n’étais qu’un nouveau venu, un newbie ? Je n’étais pas certain d’avoir droit au chapitre. J’ai hésité, tergiversé. Trois pas en avant, trois pas en arrière. Et je me suis finalement dit ’et pis merde, on y va, on verra bien, si ça plait ça plait, si ça plait pas ça plait pas’. (J’aime ces platitudes. J’aime ce bon sens paysan).
En envoyant ma nouvelle, j’étais certain à 95% qu’on me rétorquerait un ’vous êtes bien gentil monsieur, mais ramassez vos billes et allez jouer ailleurs’.
D’autant que je n’avais pas pris l’approche la plus évidente dans ce contexte de littérature populaire. J’ai évacué l’action (sauf une petite partie de rugby au début) et ai tout misé sur l’introspectif. J’avais un compte à régler avec Cal qui avait eu le mauvais gout de céder aux sirènes de la quasi-déification et d’abandonner sa femme juste après son accouchement. Le bébé n’avait pas de nom, il n’était personne. Six cent ans plus tard, lorsque Cal se réveille et qu’il s’aperçoit que sa descendance n’est plus, c’est à peine s’il a une pensée pour sa famille disparue (600 ans dans le passé ok, mais à peine quelque jours pour lui), juste un ’c’est triste, c’est dommage, mais c’est la vie’. D’où l’atypique ’Fils du héros’.
Je voulais faire un truc que l’on n’attendait pas dans ce cadre-là. J’aime être le sale gosse. Etre en décalé. Faire du mainstream pour un sujet de SF populaire. Ou le contraire.
Puisque tu parles d’optique, je te dirais que j’ai envisagé Cal de Ter en parallaxe : j’ai regardé la même chose mais avec un léger décalage angulaire.
Allan : Quel regard portes-tu sur le résultat ?
Laurent: J’en porte plusieurs, des regards. Trois, en fait. Un sous le bras gauche, un sous le droit, et le dernier entre les dents, ce qui n’est pas hyper pratique. En plus comme je bave, ça lui coule partout sur la gueule à mon troisième regard.
En premier lieu, mon regard porte sur mon propre travail : je suis bien content mon brave monsieur, oui, bien content. Mon gros Légo est flatté. C’est un Légo pour enfant de trois à quatre ans, mais je joue encore avec. Je voulais le remplacer par pleins d’autres petits Légos, mais, déjà, je ne pouvais en garder qu’un (parait qu’on a droit qu’à une seul Légo par personne dans cette vie) et de toute façon ils étaient trop petits. Donc je garde mon Légo surdimensionné. Et je le flatte.
Parfois, en le flattant trop, j’ai un orgasme.
Là, tu vois, j’ai mon Légo a côté de moi, je le caresse.
Maintenant, c’est cool, j’ai été publié, je peux crever en paix. J’ai fait ce que je devais faire sur cette terre. Tout est accompli, comme disait l’autre
Quant au reste (le second regard donc), l’objet en tant que tel ou les nouvelles des autres auteurs, je trouve ça très bien. Tout le monde a fait du super boulot – attention, c’est ma minute lèche-cul, faut en profiter, ça va pas durer longtemps. Il y a eu un formidable investissement de temps, de sueur de la part de tous (les auteurs, Philippe Ward, PJ Hérault …) pour livrer au monde ce bel objet de passion et d’amour. Et puis il a de la gueule le machin. Je suis hyper fier d’être dedans.
Total respect à tous. Longue vie à la Rivière Blanche.
Et enjoy.
Quant au troisième regard, il est tellement dégueulasse avec ses filets de bave qui dégoulinent de partout qu’il vaut mieux ne pas en parler. D’autant que la morve est entrée dans la danse, c’est pas beau à voir comme regard, je t’assure. J’ose même pas le toucher, je vais être obligé de le recracher. De toute façon, il était pas bon.
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