Impératrice Moa
Sus aux quatrièmes de couvertures mensongers !
Si vous vous attendez à une opposition entre un gentil magicien et un méchant magicien (l’achat de la couverture noire ou blanche serait déjà une prise de partie…) vous risquez de très graves déceptions.
Quelle est donc l’histoire ? C’est une histoire de magie hermétique. Mr Norrell en est la quintessence : un horrible vieux monsieur arrogant qui passe son temps dans sa bibliothèque a étudier ses livres. Si à la page 62, il ne vous est pas totalement antipathique, c’est que vous êtes un saint. De l’autre côté, nous avons Jonathan Strange, gentleman marié qui s’est piqué de magie presque par hasard et qui est particulièrement talentueux. Les deux s’allient, puis se fâchent suite à de trop nombreux désaccords sur la nature et la pratique de la magie, Norrell voulant être le seul véritable magicien anglais, Jonathan souhaitant un renouveau plus massif de la magie anglaise. Il va sans dire que Norrell refuse l’accès de sa bibliothèque à Strange, ou confie ses livres avec une radinerie sans nom.
Si vous rêviez de grandes batailles magiques et épiques, ce n’est pas ici que vous les trouverez. Il y a bien quelques méchancetés par voie de presse ou éditoriale, mais rien de véritablement spectaculaire.
Pour bien comprendre les tenants et les aboutissants de tout ceci, il faut encore savoir que Mr Norrell a réssucité la future Lady Pole (morte avant son mariage avec le premier ministre anglais) en concluant un pacte dont il ne maîtrise pas les clauses avec un être féerique, le gentleman au cheveux comme du duvet de chardon (retenez ce nom, c’est le seul qui soit attribué à la créature). Celui-ci se pique aussi d’amitié pour Stephen Black, le majordome de Sir Pole. S’en suivent des enlèvements sauvages vers des contrées féeriques.
Un des personnages fondamental est aussi le Roi Corbeau, créateur de la magie anglaise, mais à trop raconter, on gâche tout…
L’impression générale est d’avoir été transporté dans un roman de Jane Austen, sans l’humour. Les personnages sont pour la plupart gentillets, naïfs, si ce n’est niais. Les femmes sont belles, vont aux bals et font de la couture ; les hommes sont des gentlemen qui boivent du cognac dans des clubs enfumés. L’ambiance début XIXe telle qu’elle a pu être peinte dans divers romans est là, mais absolument pas dépassée. C’est du cliché réconfortant, mais du cliché tout de même. Le roman est parfois assez verbeux et on se perd dans des détails sans importance. Les notes de bas de pages sont d’une longueur parfois peu croyables et n’ont souvent que très peu d’intérêt. Passées les premières, je n’ai jeté qu’un oeil torve aux suivantes, en les lisant en diagonales.
Je suis étonnée par la vision très à la mode de la magie en général : de la pure magie hermétique, apprise dans des livres, une magie de formules qui fonctionnent on ne sait comment. Quand on parle de créer des écoles de magie, l’idée d’un Harry Potter revient en force. C’est une vision très norrellienne de la magie (sans les écoles, puisqu’il est impensable d’enseigner la magie à qui que ce soit… horreur ! ). D’un autre côté, nous avons Jonathan Strange qui, quasiment privé de livres, cherche à développer une magie partique, à commencer sur les champs de bataille de la guerre d’Espagne. Le point de vue de Strange serait presque original. L’impact de la guerre sur le personnage est cependant sous-exploité, et c’est bien dommage.
On reste quand même dans le manque d’inventivité patent.
Ceci dit, le roman en général est agréable à lire et ne vous donnera pas mal à la tête. Tout est simple et coule de source. Un bon roman pour les longues soirées d’hiver, si on accepte la mise en scène d’une forme très classique de magie.
Ca manque tout de même de noirceur. Malgré la présence du gentleman aux cheveux comme du duvet de chardon, qui comme la plupart des êtres-fées est un sacré frippon, cruel et plus égoïste que méchant, on reste entre gens gentils.
Je ne comprends pas les incohérences des éditeurs :
Les éditeurs sélectionnent leurs livres, pour peu que j’en sache, selon certains critères : l’action doit commencer à la page moins deux, avoir peu de personnages, ne pas excéder les 300 pages. Or, ce roman (Prix Hugo, je le rappelle), ne voit pas son action véritable commencer avant la page 200, a beaucoup de personnages, et a l’épaisseur d’un dictionnaire. Je hurle donc à l’incohérence, sans mettre en cause la qualité du livre qui est, somme toute, bonne.
En un mot, lire Jonathan Strange et Mr Norrell ? Oui, pourquoi pas.
Etienne :
Je ne serais pas aussi critique que la collègue sur ce livre. Certes, il ne bouleverse pas l’approche de la fantasy et n’invente pas grand chose, mais j’ai trouvé que l’auteur avait contruit un livre très cohérent, ce qui ne veut pas dire extraordinaire : le livre est très long et un peu lent, l’époque est un peu chiante (gentlemen et ladies dans un London sous le bouillard) et la magie peu spectaculaire. Mais tout cela va bien ensemble, va bien avec les notes de bas de page qui offrent des apartés utiles dans un texte long, va bien avec une action étirée sur des pages.
Bien sûr que l’histoire aurait pu tenir en 300 pages, elle n’est pas très dense, mais cela aurait altéré ce petit je ne sais quoi de mélancolique qui traine dans tout ce livre et en fait un bon roman de fantasy, sans être un chef d’oeuvre.
Robert Laffont – 841 pages 22.00 € ISBN : 978-2-221-10404-0
Traduction : Isabelle D. Philippe
(2004)
Le Livre de Poche – 2007
1806 : dans une Angleterre usée par les guerre napoléoniennes, un magicien à la mode ancienne, un certain Mr Norrell, offre ses services pour empêcher l’avance de la flotte française. En quelques tours, il redonne l’avantage aux Anglais. Norrell devient la coqueluche du pays.
Voyant sur sa gloire, il fait la connaissance d’un jeune et brillant magicien qu’il prend sous son aile, Jonathan Strange. Ensemble, les deux hommes vont éblouir l’Angleterre par leurs prouesses. Jusqu’à ce que l’audacieux Strange, attiré par les aspects les plus sombre de la magie, provoque la colère de Mr Norrell.
L’association tourne à la rivalité, causant bientôt des ravages insoupçonnables…
Entre le roman fantastique et le roman d’aventure, le féerique et le romantique, Jonathan Strange et Mr Norrell, paru en 2004 en Angleterre, a connu un immense succès public et critique. Largement récompensé, le premier roman de Susanna Clarke a notamment été élu meilleur livre de l’année par Time Magazine et reçu le Prix Hugo. Il est aujourd’hui traduit dans dix-sept pays.
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