La Terre est devenue un immense champ de ruine et de désolation après une guerre nucléaire survenue il y a plus de mille ans. Au milieu des nations remplies de mutants tels que les nains, les grenouilles, les peaux bleues et les perroquets survit un état ou la pureté génétique est la règle. La république d’Heldon, telle est son nom, n’est peuplé que par des humains ayant échappé aux mutations, du moins en apparence. Grande nation auparavant, elle a peu à peu sombré dans la complaisance envers ses voisins dégénérés jusqu’à laisser entrer la population qui désire travailler. Mais, plus dangereuse encore est la menace des Dominateurs de Zind ( ou Doms), d’autres hommes dont la mutation est mentale puisqu’ils peuvent asservir des hommes par la seule force de leur volonté mentale, jusqu’à corrompre les gouvernements comme celui d’Heldon justement.
C’est à ce moment d’extrème gabegie que survient Feric Jaggar, un grand homme blond aux yeux bleus, disons tout de suite qu’il répond au type Aryen, qui après avoir passé son enfance en Borgravie, désire devenir citoyen de Heldon pour accéder au statut de Purhomme, qu’il sait déjà occuper officieusement eu égard à sa pureté génétique. C’est en remplissant les formalités administratives au poste frontière qu’il découvre avec horreur qu’un des douaniers est un dominateur. Pire encore, les formalités d’immigration sont si lâches que des hommes clairement mutants peuvent devenir Helders. En rentrant dans un bar de Ulmgarn, la ville-frontière, il tombe sur un rassemblement organisé par Bogel, le chef d’un petit parti répondant au nom du Parti pour la Renaissance Humaine, qui prône l’eugénisme, l’exaltation des valeurs helders et le renforcement de l’influence de la république sur la Terre entière. Il vient au secours de l’orateur qui commençait à se rendre antipathique des habitués du bar puis, par une habile manoeuvre oratoire, parvient à leur faire adopter les idées de Bogel, puis à exacerber leur haine des Dominateurs. Il lâche alors sa bombe en annonçant que l’un d’entre eux sévit à la douane. En un instant, la foule devient une armée dévastatrice qui part lyncher le coupable sous les ordres de Jaggar.
Suite à quoi, Bogel se rend compte des capacités du jeune homme et décide de démissionner de son poste de président pour l’offrir à Jaggar, plus susceptible de rassembler les foules. C’est sur la route de la capitale qu’ils sont attaqués par les Vengeurs Noirs, un groupe de bandits qui prétend lui aussi purger Heldon des Doms et des mutants. Feric réussit à passer leurs test d’entrée puis bat Stopa, leur chef, en brandissant la Grande Massue de Held, le sceptre royal des rois de Heldon, que seul un héritier du sang royal peut soulever. En le faisant, il prouve qu’il est le souverain légitime de la république, provoquant ainsi la soumission des Vengeurs Noirs, qui gardaient la massue depuis des années. La suite n’est plus que routine, Jaggar rentre dans la capitale en triomphe, Le Commandeur d’Acier à la main, rassemble des foules entières aux réunions du Parti, rebaptisé les Fils de la Svastika, puis se fait élire seul au conseil suprême, face aux huit autres conseillers des partis adverses. Une fois le pouvoir en main, ses velleités eugéniques s’affirment à la face du monde : mutants et doms doivent disparaître.
Rêve de fer, ou une incroyable pseudo supercherie littéraire qui n’a jamais été appliquée réellement. Pourquoi celà? Juste parce que sous ce titre banal se cache un deuxième, le vrai, Le Seigneur de la Svastika. Alors vous vous dites Svastika, comme le truc en forme de croix, un symbole religieux ou philosophique, c’est tout, Spinrad n’oserait jamais parler des Nazis voyons, c’est tabou. Et bien, il l’a fait, il a écrit un roman de SF tel qu’aurait pu le faire un quelconque auteur nazi de l’époque. Sauf qu’il ne l’a pas attribué à n’importe qui, car le soi-disant auteur n’est autre que Adolf Hitler. Oui, le célèbre dictateur lui même, la seule personne dont le nom est entachée d’une infamie éternelle. Car le propos du livre est une uchronie, Spinrad imagine qu’Hitler émigre aux USA, essaye de s’intégrer à la société, et profite de ses talents de peintre pour illustrer les pulps, puis se lance dans l’écriture, l’édition de fanzines amateurs et la publications de romans de médiocre qualité, tels ceux qu’on pouvait trouver chez Ace. Rien d’extraordinaire, sauf que son dernier roman, celui que nous allons lire, a remporté le prix Hugo 1954, rien que ça. Au final, si on compte la pseudo-biographie de l’auteur, la présentation du texte, on a 2-3 pages de Spinrad, le reste étant de Hitler, puis d’un universitaire qui propose un postface critique de l’oeuvre. ( postface entre nous soit dit fort intéressant quant à la genèse du texte et à l’interprétation possible en fonction du nouveau contexte créé par cette uchronie.)
Et autant le dire, si on exclut l’auteur potentiel du texte, les tragiques évènements de l’Allemagne nazie, on obtient un très bon roman de SF. Fortement marqué idéologiquement certes, on retrouve dans toutes les pages ( ou presque ) des mots tels que Svastika, pureté, race, génétique, sans parler du commandeur d’acier, dont la postface souligne le coté phallique. ( Ah les joies du freud appliqué à tout ce qui bouge, les psychologues sont pires que les chasseurs quand il s’agit de la psyché humaine ) Mais si c’est un bon roman, il ne va pas pour autant dans la finesse.
Jugeons en par nous même, lors des batailles qui oppose les Helders à leurs ennemis mutants, il ne s’agit que de duels à la massue, de charges sauvages en moto, de bouillie de corps, d’immenses charniers, de massacre à l’échelles de centaines de milliers de combattants. Et ce, uniquement quand il y a bataille, car évidemment, supériorité raciale et infériorité des mutants aidant ( sic), les Helders sont nettement plus forts et disloquent les armées adverses avant même d’arriver devant eux. Et donc, que ce soit par leur foi fanatique, par leur armement technologiquement supérieur ( et même trop, puisqu’on passe du véhicule à vapeur à la bombe atomique, puis le clonage en l’espace de quelques mois) ou par leur discipline implacable, les colonnes Helders déferlent inexorablement sur les territoires ennemis et écrasent sans faillir toute résistance. Les discours publics et défilés sont de gigantesques plebiscites, les sacrifices de la population sont dignes de Stakhanov, les qualités eugéniques sont exaltés. On est véritablement dans un discours racialement orienté, au racisme exacerbé, à la haine systématisée. Mais évidemment, ceci se justifie par l’existence même des mutants, qui souillent la Terre ( sic), entretiennent les radiations, dénaturent l’humanité, soutenus en cela par les ignobles doms, qui usent de leurs pouvoirs psychiques pour corrompre les purhommes. La rhétorique est efficace, et on en vient à comprendre comment les régimes fascistes ont si bien réussi à conquérir le pouvoir, avec un usage de la démocratie tout relatif.
Cependant, examiné à l’aune de l’Histoire, nous voyons très bien où Spinrad veut en venir. Et deux interprétations sont même possibles. Les purhommes sont évidemment les aryens, de manière indéniable puisque leur génotype est clairement exprimé dans le livre. Quant aux ennemis, on ne sait guère s’il s’agit des communistes ou des juifs, voire d’un mélange des deux. En effet, le système militaire des Doms, une grande masse decérébrée dirigée par un cerveau central et protégé, nous rappelle les visions nazies des deux. C’est-à-dire que ce peut être aussi bien les régiments russes forcés d’avancer sur l’ennemi, même si l’échec de la charge est évident, et dirigés d’en haut par des commissaires politiques impitoyables ( à ce sujet, le film Stalingrad montre bien cet aspect de la guerre 39-45 côté russe); ou une métaphore des pays européens ayant accepté la présence juive. Dans cette optique là, les soldats débiles ( sic) seraient les travailleurs prolétaires, menés par des Juifs manipulateurs et sournois, tels que les présentait la propagande nazie. Ceci, toujours acompagné de son contexte eugénique, avec notamment les camps de sélection, qui séparent les purhommes des hommes légèrement mutants, des mutants purs et des doms, nous rappellent bien sûr de plus funestes camps, sans parler de toute la ritualisation de la vie quotidienne, avec le salut du bras et le vive Jaggar, la svastika, etc.
Et c’est là que le bât blesse, car il peut ne pas être évident de discerner les intentions de Spinrad, bien connu pour son insolence littéraire et son rejet des normes en vigueur. Il signe là une oeuvre guerrière magistrale, horrible même dans ses descriptions de batailles qui, loin des récits napoléoniens auxquels nous ont habitués les récits de sf standards, nous livrent une histoire de tripes et de cervelles, une guerre physique où la mort est vraiment là, où les combats aseptisés sont du domaine du fantasme. Et à travers toute cette idéologie nationale socialiste retranscrite dans un livre-exutoire, issu de l’imaginaire torturé d’un pseudo-auteur insatisfait de sa vie, est parfois convaincante. Ca fait peur, surtout quand on sait qu’avec les problèmes actuels de l’institution scolaire, bon nombre de jeunes ignorent tout du nazisme et de ses modalités. Ainsi, Spinrad nous livre un récit époustouflant, car haletant, cohérent, complet, mais fait peur aussi dans sa retranscription uchronique d’un génocide mondial. Mal lu, Rêve de fer peut devenir l’équivalent de Mein Kampf, alors qu’au contraire, il essaye de dénoncer les méfaits de Hitler et de ses complices. C’est sans doute cette crainte qui explique la censure internationale qui a frappé cette oeuvre, qui n’a été autorisée en France que trente ans après sa première sortie.
En conclusion, un très bon roman, agréable, mais il faut auparavant savoir à quoi il se réfère, au risque sinon de se méprendre voire d’adopter ( pour les plus extrèmes) les idées exposées. C’est glauque, c’est horrible pour qui connait l’Histoire, mais c’est aussi magistral. Il fallait oser.
Gallimard – Folio sf – (2006)– 380 pages 7.00 € ISBN : 2-07-032052-9
Traduction : Jean Michel Boissier
Titre Original : The Iron Dream (1972)
Et si, écœuré par la défaite allemande en 1918, Adolf Hitler avait émigré aux Etats-Unis ? S’il s’était découvert une vocation d’écrivain de science-fiction ? S’il avait rêvé de devenir le maître du monde et s’était inspiré de ses fantasmes racistes et belliqueux pour écrire Le Seigneur du Svastika, un roman couronné par de prestigieux prix littéraires ? Etonnante uchronie et terrifiante parodie, Rêve de fer est une dénonciation sans appel et sans ambiguïté du nazisme.
préface de Roland C.Wagner
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