Retrouvez l’actualité des littératures de l’imaginaire (Science-Fiction, Fantastique, Fantasy, et autre) ainsi que des interviews de celles et ceux qui les construisent.

Rencontre avec Norman Jangot

A la fin du mois d’août, Norman Jangot nous proposait deux histoires.

L’interview a été réalisée dans les locaux d’Héloïse d’Ormesson et je remercie l’équipe pour leur accueil et bien sûr Norman de s’être plié à l’exercice !

Interview de Norman Jangot

Merci Norman d’être avec moi aujourd’hui. Avant de commencer à parler de l’œuvre du serpent, j’aurais voulu savoir ce qui t’a amené vers les littératures de genre ?

Alors vers la littérature, c’est déjà quelque chose parce que j’étais pas du tout prédestiné, entre guillemets, à faire de la littérature parce que moi c’était un hors champ total. On m’avait toujours dit « non non la littérature c’est pour ceux qui savent écrire, toi tu fais des fautes d’orthographe, t’es nul, laisse tomber ».

Et du coup pendant des années j’ai toujours voulu écrire des histoires et pendant des années je me suis cherché, j’ai fait de la musique, j’ai fait du cinéma… Du cinéma c’est un bien grand mot, j’ai fait de l’audiovisuel donc j’ai fait des web-séries, des courts-métrages pour essayer de trouver une manière de m’exprimer. Ça a été beaucoup d’échecs, du coup je me suis dit mince ce n’est pas ça et un jour je me suis dit bon il faut que j’essaie d’écrire.

J’ai écrit une nouvelle, une nouvelle de genre, mais ce n’était pas un choix, je ne me suis pas dit, il faut que j’écrive une nouvelle de genre. Et ça m’a pris 3 jours, et pendant 3 jours hors sol total, j’étais trop bien. Et là je me suis dit, ok il se passe un truc, et la nouvelle a été publiée derrière, donc je me suis dit, bon il y a quelque chose qui se passe, faut que je creuse dans cette voie.

Après de genre, je n’ai pas l’impression… en fait pour moi le genre ça n’a pas de sens. Ça a un sens pour les lecteurs, pas pour l’auteur. Je ne me dis jamais, tiens, je vais écrire une histoire d’horreur. Je me dis quelles émotions je vais susciter. Je pense plutôt en termes d’émotions. Et après, comme je n’ai pas de limite de genre, du coup, ça ne m’empêche pas d’aller dans des territoires…

Et donc l’œuvre du serpent, on a la planète qui nous fait une sale blague quand même, alors tout est cassé mais pas que… C’est quoi les synchronicités ?

Alors les synchronicités… on a des personnages, des personnes qui auraient dû mourir, qui ne sont pas mortes. Qui vont développer un pouvoir qui aide à percevoir les synchronicités. C’est un terme développé par Carl Jung qui veut dire les coïncidences. On va suivre des policiers, eux, qui vont utiliser ce don pour retrouver les criminels. Ils vont entendre une chanson qui va parler d’un hibou, ils vont voir un hibou sur une fenêtre, et ils vont suivre comme ça les pistes dans un Paris que j’ai remodelé, fissuré.

Et ce qui est marrant, c’est qu’au début, quand on commence à avoir les synchronicités, c’est quand même complexe le principe. Donc il y a toute une première phase où on le travaille avec Nathaniel, et Nathaniel, il ne va pas aller bien après.

Non, effectivement, on a un personnage principal qui est très très bon, c’est un policier qui est très très bon dans ce don, et ça me permet du coup, dans une première scène, d’expliquer comment ça fonctionne exactement, ce système. Et après, ce personnage va se faire agresser, il va perdre ses yeux, et comme les yeux servent à voir les pistes, il va complètement abandonner jusqu’à ce qu’une équipe de policiers le récupère parce qu’eux, ils sont complètement à la ramasse ; parce qu’ils ne savent pas aussi bien faire que lui, et font appel à lui parce qu’une sorte de serial killer commence à faire son apparition.

Ce qui est intéressant avec Nathaniel, c’est que le personnage, on se pose toute la question tout au long du roman, qu’est-ce qu’il cherche ? Il cherche quoi Nathaniel ?

Alors Nathaniel… Justement, j’ai créé mes personnages en fonction du savoir. Et ils ont tous une quête de savoir. Et lui, il veut savoir la vérité. Lui, dès le début, quand il rentre chez lui, il a plein de petites pierres, etc. Il a une sorte d’obsession pour les pierres parce qu’Il pense que ça va lui donner la révélation du pouvoir qu’il a, parce que le pouvoir s’est déclenché quand les humains ont trop creusé dans la terre. Et donc du coup, il a l’impression qu’en collectionnant ses pierres, il va trouver une vérité. Quand il va perdre ses yeux, il va vouloir savoir à tout prix qui lui a pris ses yeux. Et en fait, lui, il pense que savoir va le sortir de son marasme. Il pense que c’est la solution à tout. Et les autres personnages ont d’autres points de vue.

Oui, et on a notamment Milo, c’est le deuxième personnage qui m’a particulièrement marqué. Il a le don mais pas trop, ou il a le don mais il ne sait pas s’en servir. Il a l’air un peu jaloux.

Oui, alors Milo, il a tous les défauts d’un personnage jaloux. Lui, il peut même être insupportable au début du roman. Il est un peu nul, il n’est pas à sa place, et c’est quelqu’un qui est vraiment à côté de ses pompes. Et il ne sait pas pourquoi. Et lui, il ne cherche pas à résoudre le problème, il subit. C’est un personnage qui subit, qui subit. Et en fait, c’est un des personnages que j’aime beaucoup, parce que lui, dans sa quête de savoir, il a quelque chose à savoir, mais il ne sait pas que cette chose existe. Et d’ailleurs, moi, quand je l’ai écrit, ce personnage, je ne savais pas que cette chose existait aussi. Je voulais un personnage comme ça, un peu, qui avait un problème de personnalité. Et je l’ai appris en même temps que lui, presque. Quand je l’ai écrit, je me suis dit, ah mais oui, c’est incroyable, ça. Donc ça, c’était un moment assez merveilleux.

Et ce qui est intéressant dans ton roman, c’est que chacun des personnages a un peu sa petite faille. On a l’impression d’avoir des vrais personnages, pas des caricatures ou mannequins. Tu attaches beaucoup d’importance à cette dynamique.

Oui, alors ça me ferait vraiment plaisir que tu dises ça parce que c’est toujours ma peur absolue, c’est que je sois trop manichéen, trop figé et que ça soit pas assez réaliste comme personnage. Mais effectivement je les construis par leur faiblesse. Quand je construis un personnage, de n’importe quelle histoire, je prends d’abord la faiblesse parce que je trouve que c’est le point moteur d’un personnage. Quand on trouve une bonne faille, une faille vraiment intéressante, ça nous donne un truc hyper complexe. Et après la faille, je cherche son objectif, et souvent son objectif est complètement décorrélé de sa faille. Et c’est assez drôle de voir comment un personnage comme ça évolue. Et surtout de les confronter ensemble avec leurs propres failles, c’est un vrai bac à sable que j’adore.

L’autre élément qui m’a un peu perturbé et qui m’a rappelé d’autres romans, j’ai pensé à Asimov, c’est que finalement tu as créé les synchronicités avec toute une règle de fonctionnement et on a l’impression qu’à partir du moment où il y a cette enquête qui démarre avec le tueur en série, t’as trouvé le moyen de contourner les règles que t’avais toi-même établies.

Oui. Alors Asimov, je m’y suis mis récemment, je m’y suis mis après le roman parce que je me suis dit qu’il faut quand même que je vois ce que c’est. Effectivement, il établit ces trois lois, et après il pousse le plus loin possible. Mais je pense que c’est ça qui est hyper important, même quand on apprend à écrire. Il y a des tonnes de règles pour faire bien un personnage, pour construire une histoire, pour faire un rythme, etc. et en fait l’important c’est de maîtriser les règles pour pouvoir après les transcender et je pense que dans la vie c’est un peu pareil pour tout en fait on adore connaître les règles quand on maîtrise quelque chose on connaît les règles et ensuite on s’amuse à les transcender et c’est ce que j’ai fait avec mes synchronicités.

On n’a pas parlé du tisseur, mais ça serait trop risqué de dévoiler de l’intrigue. Par contre, on a une dimension artistique très présente. J’ai trouvé qu’il y avait des questionnements, d’une part, entre à quoi on est prêt pour l’art, jusqu’où on peut aller, et d’autre part, aussi la question de qui possède l’art. Ce sont des thématiques qui, toi, te résonnent.

Evidemment ! Parce que comme j’ai voulu faire de la musique avant et du cinéma, je me suis vraiment confronté au milieu de l’art et ça a toujours été pour moi un truc hyper important et je pense qu’une société est malade si l’art est malade au sein de la société et ça j’en suis convaincu. Et après, évidemment dans mes échecs perpétuels à vouloir essayer d’exprimer des choses et de voir aussi tous les gens autour de moi qui essayent d’exprimer des choses et qui ne sont pas entendus, c’est quelque chose qui m’a un peu brûlé de l’intérieur en me disant mais il y a quand même quelque chose qui ne va pas. Parce qu’il y a trop de lumière sur des gens qui, quelquefois, font vraiment des trucs qu’on s’en fout, quoi. Et on se rend bien compte de ce qu’il se passe. Et alors que tous ceux qui sont en bas, il n’en arrive rien, et il y a un plafond de verre qui est increvable, et il faut un coup de chance inouï pour arriver à le passer. Et ça, ouais, ça m’a toujours perturbé. Et dans le roman, du coup, c’est ressorti parce que le roman parle de réalité, de la manière de percevoir la réalité, et c’était mon thème principal un peu, donc réalité, de savoir, mais savoir quoi ?

Quelle réalité ? Et du coup, l’art pour moi, c’est quelque chose qui m’interroge beaucoup sur la réalité. Je l’ai souvent dit, mais quand j’écris mes personnages, j’ai l’impression qu’ils sont réels, j’ai l’impression qu’ils vivent. Comme je te disais tout à l’heure avec Milo, qui m’a fait la surprise et qui m’a fait une révélation à moi, l’auteur, je me suis dit, mince ! Et autant je suis un auteur architecte, contrairement à un auteur jardinier qui va tout faire au fil de la plume, de mon côté je fais un plan. Même en ayant un plan nickel, bien ficelé, mes personnages me surprennent tout le temps à faire un pas de côté. Oh non, pourquoi il fait ça ? Et du coup, ce rapport à la réalité, je me suis dit que l’art pour moi, c’est le lien parfait en fait, de mon point de vue.

Et tu parlais de la musique en disant que tu faisais de la musique, alors j’ai cru voir que tu en faisais encore ?

Oui, mais beaucoup moins ; maintenant j’en fais pour moi.

D’accord, parce que j’ai écouté aussi ce que tu faisais, alors j’ai écouté Dive Bar. Qu’est-ce que ça t’apporte de différent par rapport à l’écriture ?

Alors, la musique, ce que ça m’a apporté, c’est une immédiateté, un compagnonnage aussi qu’on n’a pas en écriture, on est tout seul. La musique c’est génial parce qu’on a le droit de se tromper. On a le droit, en écriture on peut le faire, on peut faire des nouvelles et se tromper, mais on sacralise un texte en écriture plus qu’en musique. On peut faire une mauvaise chanson, ce n’est pas grave. C’est admis. Donc on peut se tromper, on peut faire des essais, on peut partir dans des directions complètement n’importe quoi, faire une chanson de 15 minutes si on a envie, sans paroles. Et ça m’a appris une sorte de liberté aussi dans les paroles. J’ai des textes très surréalistes, des fois ça ne veut rien dire du tout. Enfin en tout cas, de prime abord. et peut-être une liberté de création, et après ça m’a appris beaucoup sur la manière de créer, mais ça a été très très dur pour arriver à être entendu.

Et ce qui est intéressant aussi, alors j’ai relevé la citation directement, j’ai été voir un échange que tu as eu avec les camarades de Gruznamur, une interview, sur lequel tu as dit « tous les choix que vous faites en tant qu’auteur ont une signification, il n’y a pas d’histoire qui ne dit rien ». Tu fais partie de ces auteurs qui considèrent que le texte a un message nécessairement ?

Oui, je pense. En fait, malgré nous, même on fait l’histoire la plus simple du monde, on réalise un film d’action ou un livre d’action, une histoire amoureuse, un truc très simple, en fait, ça dira toujours quelque chose. Et souvent, c’est souvent la fin qui détermine le message final, le mot de la fin. On dit toujours quelque chose, et j’ai très peur des auteurs qui pensent qu’ils ne disent rien, qui pensent qu’ils font ça juste pour s’amuser. Ça me fait terriblement peur, parce que j’ai l’impression qu’ils ne vont certainement pas maîtriser ce qu’ils vont dire, et qu’ils ne seront pas conscients qu’en fait, ils transmettent un message. Et le message, ça peut être, je ne sais pas… Dans une romance, ça peut être l’injonction à l’amour… Je n’en sais rien, je dis des trucs au hasard. Et j’ai très peur de ça et moi du coup je fais toujours très attention à ce que je dis et récemment il y a un lecteur assidu qui a vu des choses dans mon texte que je n’avais pas prévu et ça m’a perturbé.

Et du coup aujourd’hui, est-ce que tu as des retours sur l’œuvre du serpent, sur la perception du public ? Est-ce que tu es content ?

Oui, je suis très content. J’ai ce que je voulais, parce que je voulais susciter la curiosité. Mon émotion, c’était la curiosité, donc la recherche du savoir. Se poser la question, qu’est-ce qu’il y aura après cette page ? Qu’est-ce que c’est que cette œuvre ? Qu’est-ce que c’est que ce truc-là ? Et j’ai l’impression que c’est réussi parce que les gens ont tous trouvé ça assez original de ce que j’ai entendu et ils sont assez curieux de l’objet et même de tout ce délire autour des synchronicités. Donc j’ai l’impression d’avoir assez réussi ce pari.

Et ce n’est pas la seule parution que tu as, parce que tu as une petite nouvelle, Le Gardien Blanc chez 1115. Tu nous en parles un peu ?

Oui, alors Le Gardien Blanc, et 1115 d’abord, c’est une aventure parce que Je les ai rencontrés pendant un salon aux voyageurs immobiles de Cherbourg, il y a, je ne sais plus combien de temps, en 2020, je crois, je ne sais plus. Non, ça me paraît… Je ne sais plus. Et en fait, on s’était bien entendus et ils ont un concept que je trouve génial, c’est qu’ils font des tout petits textes courts qui, en plus, peuvent s’avoir par abonnement. Donc, on s’abonne et tous les mois, on reçoit un texte dans sa boîte aux lettres. Et moi, j’ai trouvé ça génial parce que… Dans les salons, on voit un petit peu toujours les mêmes choses. Et je me dis, mais il faut susciter la curiosité des gens, il faut ramener les gens vers l’écriture, vers la lecture. Et souvent, je vois les gens qui disent plus, ils vont voir des gros pavés, ils vont se dire, l’histoire me plaît, ça a l’air bien, mais je n’y arriverai jamais. Et je me dis, mais pour les ramener, ces gens-là, il faut des petites choses, des petites nouvelles, il faut revenir aux nouvelles. Et je trouve que 1115 le font bien, donc je voulais à tout prix publier chez eux.

Et j’ai mis du temps avant d’arriver à ce qu’ils publiaient de mes textes, parce qu’ils ont une ligne très imaginaire, alors que moi je suis un peu à cheval entre l’imaginaire et la blanche. J’ai quelques curseurs qui sont imaginaires, mais je ne suis pas rentré complètement dedans. Et donc là j’ai dû me mettre dedans, et j’ai inventé l’histoire d’un être supérieur à une sorte d’être, une sorte de superman qui est capable de détruire la terre d’un claquement de doigts. Et en fait, l’histoire c’est sa relation avec son psy qui lui a la lourde tâche de faire en sorte que cet être ne pète pas un câble. Parce que cet être commence à se dire, si je peux le faire, pourquoi je ne le ferais pas ? Et voilà, toute l’idée est partie de là.

Et ce qui est intéressant dans ce petit texte que j’ai lu, effectivement je valide le côté chronopages qui est vraiment sympa, c’est la vue du petit finalement. Pour une fois c’est la vue du petit, c’est le psy qui parle majoritairement, et avec cette solitude aussi du puissant. C’est un peu les deux éléments que j’ai ressentis.

Oui, les failles. Encore une fois, le puissant qui n’a pas d’égaux, enfin pardon, d’égaux, de personnes comme lui, et d’égal, et le petit effectivement qui est écrasé par cet être que tout le monde connaît, que tout le monde adulte, qui est pourtant hyper dangereux, et lui qui joue un rôle hyper important. Et du coup, effectivement, je trouvais que ces deux personnages marchaient bien. Voilà, ça m’a fait marrer d’écrire ça.

Et j’avais une question. La suite, j’ai cru comprendre que tu envisageais d’écrire un livre à quatre mains.

Alors, non. C’est le truc avec ma compagne, c’est ça ? Alors, ce n’est pas un livre à quatre mains. En fait, à la base, c’était à la base de l’idée de l’œuvre du serpent. On ne devait pas écrire un livre à quatre mains, on devait écrire ensemble les deux plans, les deux livres, et que les livres se répondent par des effets miroirs. Ce n’est pas le même univers, pas les mêmes personnages, etc. Mais en revanche, on voulait qu’il y ait des objets en commun, des personnages qui avaient les mêmes objectifs et qui se répondaient entre eux, et que ça fasse presque un tout à la fin. Et on a déjà écrit le plan du premier livre, en commençant celui de l’œuvre du serpent, ma compagne avait d’autres choses à faire, elle a dit je ne peux pas, vas-y tout seul, je suis parti tout seul à faire l’œuvre du serpent et je l’ai fini. Et donc ce livre-là, c’est normalement elle qui devrait l’écrire, le plan existe. Le plan est hyper détaillé, mais pas de pression. Elle le fera quand elle le sentira.

Et donc là, aujourd’hui, tu pars en tournée pour l’œuvre du serpent. Un nouvel exercice pour toi ou tu avais déjà vécu une campagne comme ça ?

J’avais fait une petite campagne comme ça. J’ai déjà vécu des salons avec mon premier roman, Le Septième Continent, mais il est sorti en octobre 2019. Mars 2020, boum, on sait ce qui se passe. Et du coup, on s’est pris les confinements, confinements, confinements, plus Covid. Donc, du coup, le livre a un peu fait flop, même s’il a eu des très bons retours. Donc j’ai un peu connu ça en vagues successives très espacées. Et là non, c’est la première fois que je le vis, tous les week-ends j’ai un truc.

Et ça fait quoi d’être publié chez Héloïse d’Ormesson ?

C’est très bizarre parce que le moment où c’est arrivé, j’étais dans le train, j’ai poussé un petit cri. Une personne à côté de moi m’a fait « ça va ? » Je lui ai dit « oui, ça va très bien ». Mais en fait, comme ça fait 15 ans que je galère, j’ai toujours du mal à le rendre réel dans ma tête. Pour l’instant, c’est encore très… J’ai l’impression que ça peut disparaître à tout moment. J’ai l’impression que la loose, c’est un nuage qui est là tout le temps au-dessus de ta tête et que ça peut encore arriver et qu’il va se passer un truc. Que demain ils vont m’annoncer un truc horrible, je n’en sais rien, mais je ne souhaite pas. Mais du coup, je n’y crois pas en fait, je n’y crois pas encore. Je pense que… Non, j’allais dire, je pense qu’il faut 15 ans de succès pour annuler 15 ans de loose. Non, non, je pense qu’il faut, à mon avis, au moins un an pour vraiment que je me rende compte ce qui se passe. Je pense que c’est… On ne comprend pas.

Et du coup, je peux te souhaiter quoi pour la suite ?

Alors pour la suite, ce qu’il faudrait me souhaiter, c’est que j’arrive à publier un livre par an. Ça, ça serait trop cool. J’arrivais même à publier souvent des livres et que les gens soient au courant, qu’ils aiment ou qu’ils n’aiment pas, qu’ils me donnent leur avis et qu’en fait d’exister. En fait je pense que c’est ça la pire chose pour un artiste. C’est de ne pas exister. Quand on fait de la musique et qu’on joue devant trois personnes, on a préparé le set pendant des heures et des heures. On a répété, on a créé des morceaux, on donne tout sur scène, on arrache nos tripes. Quand on a fait des courts-métrages, on sait ce que c’est qu’un tournage, c’est l’enfer. Quand on a écrit un livre, c’est un an de solitude où on est dessus. Et quand on n’est pas lu, quand on n’est pas vu, quand on n’est pas entendu, c’est atroce quand on a l’impression qu’on n’existe pas. Et du coup, c’est un peu horrible de se dire qu’on existe à travers nos heures, mais en fait, un petit peu. Moi, c’est un peu ma force vitale. Quand je ne crée pas, je m’éteins.

Et quand je crée, je vis. Et si je n’arrive pas à faire résonner ça avec le monde, ça n’a plus de sens, en fait. Et voilà, tout ce qu’on peut me souhaiter, c’est que ça existe, ça résonne.

Merci beaucoup.

De rien. Merci à toi.


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