Marguerite Imbert a vu deux romans publiés chez Albin Michel… Qu’allons-nous faire de ces jours qui s’annoncent, roman qui nous plonge dans la ZAD de Notre Dame des Landes et Les Flibustiers de la Mer chimique chez Albin Michel Imaginaire qui nous plonge dans un monde post-apo « positif ». Il est à noter que Les « Flibs », comme elle les appelle elle-même, ont reçu le Grand Prix de l’Imaginaire !
Pour parler un peu plus du roman sur la ZAD, nous allons pouvoir y suivre la vie des deux côtés de l’opposition et allons pouvoir découvrir les différents courants au sein des zadistes tout autant que du côté des forces de l’ordre 🙂
Durant les Utopiales, j’ai eu la chance de pouvoir échanger avec l’autrice sur ces deux romans et sur des sujets aussi d’actualité.
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Et en retranscription
Marguerite, bonjour.
Bonjour.
Comment ça va ? Ça va. Pas trop stressée ?
Si, toujours bien.
J’avais une petite question déjà sur ton parcours d’autrice. Comment tu es venue à l’écriture ? Qu’est-ce qui t’a poussée à te lancer ?
Je l’ai toujours un petit peu fait, gentiment encouragée par mes proches qui m’ont toujours dit que c’était bien ce que je faisais, mais à un moment où je pense que ce n’était vraiment pas bien du tout. J’ai écrit des petites des histoires. J’ai honteusement plagié les bouquins de Paolini quand j’avais 12 ans, etc. en racontant à tout le monde que c’était plus ou moins moi qui avait eu l’idée à la base de cette histoire de dragon comme si personne n’avait jamais eu. J’avais sorti plusieurs centaines de pages. C’était vraiment très, très nul. Je l’ai jeté à 14 ans, de honte. J’ai envoyé un premier manuscrit à Albert Michel de recueil de nouvelles.C’est comme ça que j’ai rencontré Lina Pinto, au service des manuscrits qui était très gentil avec moi et qui m’a guidé vers l’écriture d’un premier roman qui est sorti chez Albert Michel. Et puis après, j’ai enchaîné sur la SF.
Oui, et là, c’est intéressant parce qu’il y a deux romans. Il y en a un qui est plutôt tourné vers le passé, un deuxième qui est plutôt dans notre futur. Je voudrais parler d’abord de ton premier roman, même s’il n’est pas SF, qui est Qu’allons-nous faire de ces jours qui s’annoncent ? Ce contexte de la Zad, ça représentait quelque chose d’important pour toi d’en parler ?
Oui, pour moi, ça représentait une matière romanesque extrêmement puissante. Et puis surtout, c’était au cœur de mes préoccupations à ce moment-là, parce que je venais de découvrir cette zone-là. J’étais en train de me politiser, j’étais en train de me poser plein de questions. Et puis, J’ai découvert un endroit qui m’a rappelé pas mal mon enfance et les communautés de la débrouille que j’avais rencontrées quand j’étais plus jeune. Et j’ai trouvé ça passionnant.
Je n’arrivais pas à croire que de telles micro-sociétés puissent exister en marge de la mienne. Je me suis rendu compte que je ne connaissais vraiment rien à rien sur la façon où les gens s’organisaient, réfléchissaient à l’avenir, pensaient au territoire. J’ai eu envie d’écrire là-dessus. J’ai trouvé qu’il y avait quelque chose d’absolument épique dans la fracture idéologique se manifestait à la ZAD Notre-Dame des Landes. J’ai évidemment été choquée par la façon, la violence de la réponse politique, parce que je suis arrivée à un moment assez critique. Je suis arrivée après une espèce d’âge d’or, un moment où tout s’est effondré. Ça me paraît assez évident d’écrire là-dessus.
Tu l’as vécu de l’intérieur ou c’est totalement romanesque ?
Non, je me suis rendue plusieurs fois. Je n’ai jamais vécu plusieurs mois sur la ZAD comme peuvent le faire beaucoup de gens, des gens de passage, des militants, des gens très actifs, des gens qui sont compétents, par exemple, pour construire, pour cultiver, pour apporter leur conseil sur l’organisation de la ZAD. Moi, rien du tout. Je suis venue en tant que volontaire, j’ai discuté avec des gens, j’ai posé des questions et j’ai été très bien reçue. J’y suis retournée au moment des évacuations. D’ailleurs, ça a été un de mes premiers contacts avec les lacrymos et ça m’a marquée.
Dans le roman, il y a deux aspects qui sont mis en avant. Il y a d’un côté, évidemment, les zadistes, sur lesquels on se rend compte qu’il n’y a pas un courant, il y a plein de courants. Et de l’autre côté, les forces de police sur lesquelles tu trouves aussi qu’ils ont bien morflé, finalement ?
C’est une question compliquée parce qu’il y a forcément une asymétrie, c’est-à-dire que la façon dont l’histoire s’est faite, c’est-à-dire qu’il y a quand même un camp qui a écrasé l’autre.
Après, j’ai choisi un personnage de gendarme qui était jeune et qui a un passé de militaire, de chasseur alpin, parce que j’avais envie de parler de tout le monde et que j’avais envie de comprendre comment on pouvait se retrouver avec vraiment deux visages de la société aussi radicalement différents l’un de l’autre, des gens qui se regardaient vraiment en chien de ferme, c’est qu’ils ne se comprenaient pas, qui ne comprenaient pas comment l’autre pouvait se positionner comme ça et qui se prenaient mutuellement pour vraiment une bande de sauvages.
Du coup, j’ai essayé d’interroger des gendarmes sur place, sans le moindre succès, parce que je pense qu’ils se sont… Ils étaient vraiment…
Et puis, devoir de réserve.
Oui, ils étaient crevés, ils étaient à bout de nerfs. Beaucoup n’étaient pas trop d’accord non plus pour faire ce qu’on leur demandait de faire. Ils ne comprenaient pas les ordres qui leur étaient donnés. Donc, je suis revenue à la charge, mais en trouvant des gens qui étaient intervenus sur la ZAD Notre Dame des Landes, en dehors de Notre Dame des Landes et un peu plus tard, en leur posant des questions sur ce qu’ils en pensaient, comment ils l’avaient vécu, quel était leur parcours et tout.
C’est intéressant. Moi, j’avais lu le roman en préparation de notre rencontre en avril. Et du coup, deuxième roman totalement différent, toujours chez Albin Michel, Les Flibustiers de la mer chimique. Comment on twiste ? Comment on bascule de l’un à l’autre… ou pas d’ailleurs ?
Je n’ai pas eu l’impression de faire un twist. Ce n’était pas l’avis de mon éditrice, mais il me faisait un peu me demander ce que je faisais. Non, J’ai l’impression de parler toujours plus ou moins des mêmes choses, c’est-à-dire des gens et de leurs réactions face à la catastrophe, face à l’avenir. J’essaie de parler des réactions imprévues des gens. J’aime bien quand les gens ont des réponses loufoques à des problèmes qui pourraient se poser à tout le monde. Qu’il s’agisse de fin du monde où…
D’ailleurs, dans les deux cas, c’est un peu la fin du monde. L’évacuation de la ZAD de Notre Dame des Landes, ça avait une tronche de fin du monde. Il y avait des gens qui criaient, qui couraient, de la brume et des lacrymos qui se mélangeaient, des choses effondraient, des gens qui pleuraient. C’était un peu la fin du monde et la fin de beaucoup d’idées qui ont été tuées dans l’œuf, ce qui est exactement la même chose que l’apocalypse dont je parle dans Les Flibs. Je les appelle Les Flibs.
C’est-à-dire une humanité fauchée à un moment où elle est en train de se poser elle-même ses propres questions, les questions de son époque et qui d’un coup se retrouve à nouveau se confronter à des questions basiques, genre: Comment est-ce qu’on va faire pour manger et pour survivre au lendemain ?
Et dans le même temps, on est sur un post-apo, mais c’est un post-apo, je l’ai trouvé relativement drôle, finalement ? Est-ce qu’on peut avoir une fin du monde heureuse ?
Je pense que oui. Je voulais explorer un peu la dimension ludique de la fin du monde. Ce n’est pas très responsable comme position, mais en même temps, je pense qu’on a tous joué à ça. Je veux dire, on a tous fantasmé l’apocalypse zombie, comment moi, je m’en sortirais, comment je m’organiserais. Il y a cette espèce de côté : On monterait nos cabanes dans les arbres, je n’aurais que mes meilleurs copains avec moi, on s’organiserait, on prendrait des rôles. Il y a ce côté jeu de rôle, ce côté optimisation, microsociété, ce côté coup de pied dans la fourmilière, on peut recommencer depuis le début et on ferait tout mieux qu’avant. Il y a un côté jubilatoire là-dedans que je voulais un peu mettre en avant.
On maltraite les pauvres poulpes Ils sont quand même bien toxicos.
Oui, il y a des victimes collatérales comme dans tout. Il y a beaucoup de victimes collatérales en effet.
Il y a beaucoup de Freaks aussi.
Oui, il y a même que ça. C’est la revanche des Freaks.
Dans ce monde que tu as créé, on a deux zones d’influence, mais on se dit que peut-être qu’il y en a d’autres ailleurs, mais là, on voit principalement Rome et ce sous-marin. Finalement, dans les deux cas, on sur une forme de dictature, d’autocratie ?
Oui, c’est ça. Ça veut dire que les deux dictateurs sont partis du principe que c’était un peu ce dont l’humanité avait besoin, c’est-à-dire d’une poignée un peu ferme. Chacun a sa vision de ce qui convient à ses ouailles, a mis en place un ensemble de système, mais l’a fait avec une espèce de candeur, vraiment de ce que je vous disais tout à l’heure, ce côté un peu enfantin de: OK, maintenant, on décide qu’on faisait comme ça.
Ils tirent leurs idées, justement, de bouquins, de trucs, de SF, de ce qu’ils ont compris du monde d’avant. Ils ont fait une espèce de patchwork d’ensembles de règles et de références de mythologies en mélangeant religion de violons politiques, etc. Ils ont fait leur petit monde à leur image. Oui, ce sont des autocrates, donc ils ont fait une société qui ne ressemble qu’à eux.
Avec une vraie question sur la transmission du savoir et de la connaissance.
C’est ça. Je voulais parodier notre appropriation du savoir actuel. C’est-à-dire qu’actuellement, les archéologues qui nous rapportent des nouvelles du monde d’avant, le font à partir d’indices, de petites miettes de pain trouvées dans la forêt. Je pense que si demain l’humanité devait être balayée, ce serait la même chose en dix fois pire. C’est-à-dire que, par exemple, je ne sais pas, mettons là, tsunami sur Nantes. Et là, on retrouve la Cité des Congrès avec des affiches sur les Utopiales. Qu’est-ce qu’on comprendrait des Utopiales ? Est-ce qu’ils adoraient des petites créatures, des leprechauns des bois ? Je veux dire, c’est qu’est-ce qu’on comprendrait de tout ça ? Et est-ce qu’on n’interpréterait pas complètement l’histoire de travers ? Je trouve ça drôle comme idée.
Et du coup, tes deux romans ont quand même une dimension politique. Je ne dis pas que les romans sont politiques, mais on sent une sensibilité politique ?
En tout cas, une curiosité politique. Je n’ai pas l’impression d’avoir un point de vue politique particulièrement affirmé ou en tout cas, je ne crois pas essayer de faire passer un message particulier. Par contre, qu’il y ait de la curiosité politique et qu’il y ait une tentation d’aller s’y frotter, oui, ça, c’est clair.
C’est compliqué de ne pas faire de politique, je trouve. Oui
Oui, mais parce que c’est un grand débat qu’il y a dans la science-fiction. Est-ce que la science-fiction est engagée ou pas ? Est-ce que l’auteur doit s’engager ?
J’ai mes propres maniérismes. J’ai beaucoup de maniérismes et dans l’écriture, j’ai mes propres petits engagements personnels. Je n’aime pas forcément d’ailleurs expliciter parce que je n’ai pas envie qu’on les totémises.
En écrivant, il y a des choses que j’avais en tête et que j’ai essayé de faire pour respecter mes propres aspirations politiques, mais ce ne sont pas des choses que j’ai envie de placarder. J’ai envie que ce soit une sorte d’influence, d’être soft s’il y en a une, mais je ne sais pas si c’est très clair ce que j’aurais prévenu.
Si, c’est très clair. Il faut qu’on le dise quand même : primée, ça fait quoi d’être primée ?
J’ai eu l’impression que c’était un canular, je veux dire. Non, mais vraiment, jusqu’à la dernière minute, je me suis dit : Non, ça va être une blague, en fait. Ils vont dire : Non, déconne. En fait, c’était pour… Je ne sais pas, n’importe qui est plus Je ne suis plus qualifiée. Non, j’étais très flattée et j’ai beaucoup de pression. Donc, j’étais très surprise et très honorée.
La question qui vient naturellement C’est quoi la suite en termes d’écriture ? Et est-ce que ça te met une pression, justement, pour le prochain ?
Oui, ça me fait un blocage monstrueux. Je me suis d’immenses. J’ai fait quelque chose, je n’ai pas vraiment compris comment je l’avais Je ne l’avais pas planifié, je ne l’avais pas calculé. Maintenant, il va falloir que je reproduise quelque chose de similaire. J’ai eu l’impression dans les mois qui suivaient, quand j’écrivais, d’être en train de me parodier moi-même, ce qui était un sentiment de dissonance très désagréable. N’empêche que le deuxième tome des Flibustiers de la mer chimique qui censé sortir à la rentrée 2025. Le poche va sortir en 2025, enfin, le poche du premier tome.
Chez Folio, c’est ça ?
Oui, c’est ça. Ça, c’est bien d’avoir le format poche.
Je suis contente parce que je sais que les livres sont chers, qu’on est en pleine, enfin, on va parler politique, mais en pleine inflation. Je sais qu’il y a des gens qui sont venus me voir en me disant : Ça a l’air sympa, mais je n’ai pas les moyens de prendre trois livres comme ça par mois. Je trouve ça bien que ce soit plus accessible.
Qu’est-ce que je peux te souhaiter avant que tu rejoignes ta table ronde ?
Une fois que j’ai fini le deuxième tome des Flibustiers, d’enchaîner directement sur le manuscrit de Blanche que je suis en train de terminer et d’expédier ça pour pouvoir repartir ce nouveau projet.
D’accord. Merci beaucoup.
Merci à vous.
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