Le Damasio est une substance volatile, particulièrement lors des festivals de SF, et encore plus quand il est président du jury cinéma. Si vous avez la chance de l’accrocher, il risque toujours de s’échapper. L’interview qui suit est surtout basée autour de La Horde du Contrevent, Grand Prix de l’Imaginaire, roman francophone, 2006.
Ceci est une reconstitution de l’interview, avec quelques interventions de Mathias, éditeur de La Volte (parce que le Damasio est vraiment trop volatile…).
Marie : Certains lecteurs sont amateurs de boîtes ou de classifications dans les littératures de l’imaginaire. Je trouve que ton roman est inclassable, où le mettrais-tu ?
Alain : Nulle part. C’est le genre de choses auxquelles je ne pense pas. Ce que j’ai voulu faire à travers « La Horde du Contrevent » c’est avant tout construire un univers autour d’une idée et appeler l’imagination du lecteur. J’ai créé un livre-univers auto-suffisant, dans lequel je souhaite immerger totalement le lecteur. J’ai appris plus tard que mon roman était une achronie topologique, mais ce n’est pas la définition du genre qui m’intéresse en premier lieu.
Marie : Sur le plan de l’écriture, ton roman est plutôt difficile pour le lecteur « de base ». Ton style et le vocabulaire sont très recherchés. Je trouve que c’est une grande qualité, mais n’as-tu pas peur de faire fuir les lecteurs ?
Alain : Lorsque j’écris, je ne pense ni au genre, ni au lectorat potentiel. J’ai un niveau d’exigence par rapport à mon travail, et non une volonté de créer un roman accessible à tout public. Je souhaite que le lecteur arrive à rentrer dans cet univers, mais je comprends que certains soient rebutés par l’écriture. C’est mon exigence personnelle.
Je souhaitais réellement insérer le lecteur dans la Horde, et pour cela, le panachage entre les points de vue, la polyphonie, m’a semblé le meilleur moyen.
Marie : Dés le début, ou presque, nous savons comment va se dérouler l’ensemble de l’histoire.
Alain : Oui, je voulais raconter le voyage de la Horde sur le mode du conte. Dès le départ, on sait comment l’histoire va se terminer, grâce aux « prédictions » de Caracole. Mais on a toujours l’espoir que les choses ne se passeront pas ainsi.
Marie : Avoir 23 narrateurs est vraiment un pari, surtout que tu précises qui raconte tel ou tel passage que par un signe identifiant le narrateur en début de paragraphe. Avais-tu prémédité tes changements ?
Alain : Non, pas du tout, mais cela correspond à un besoin. Au cours de l’écriture, je changeais de narrateur en fonction de mes humeurs, selon les moments. Ces passages d’un narrateur à l’autre sont comme des respirations dans le récit, mais ce sont aussi des respirations pour l’auteur. Cela m’a permis d’exprimer toute une gamme de sensations, d’émotions.
Marie : Même si on passe d’un narrateur à un autre, il y a au cours du roman des « zooms » effectués sur certains personnages. Tu voulais leur donner une densité particulière ?
Alain : Ces focus sur les personnages sont tout à fait délibérés. Cela me permettait de marquer leur évolution dans leur quête. Les personnages sont un miroir. On n’écrit vraiment bien que sur ses propres enjeux personnels. Au cours de l’écriture, j’ai laissé Pietro de côté parce que je n’arrivais plus à le faire évoluer. Je ne savais plus quelle voie lui faire prendre. Il reste dans son idéal de la noblesse et n’évolue plus. Chaque personnage a ainsi été un moyen d’exprimer une recherche intérieur, en allant plus loin dans mes propres émotions. Il n’y a cependant pas d’évolution simultanée. C’est plutôt comme une table de mixage, où l’on pousse les uns en avant pour un moment, avant de passer aux autres.
Marie : Tu m’as dit que tu avais prévu une suite, pour la Horde. Je ne pense pas être la seule à être impatiente, alors c’est pour quand ?
Alain : Pas avant trois ans, je pense. Je travaille actuellement sur un autre projet, et je veux prendre mon temps. Je suis totalement incapable d’écrire un livre en trois mois. J’ai besoin d’éprouver l’émotion. Je n’ai pas de recettes de cuisine pour écrire un livre. Je veux prendre le temps de m’immerger dans l’univers et dans les émotions que doivent ressentir mes personnages, pour que cela transparaisse dans l’écriture. Le temps que l’on passe à l’écriture fera que le lecteur sera marqué par le roman, ou pas.
Dès le départ, j’ai pensé cette histoire comme un double boléro : une première partie va en se fermant, la seconde ira en s’ouvrant.
Marie : Le livre est accompagné de la « bande originale du livre », ça aussi c’est un pari.
Mathias : Ce n’est pas le seul livre de La Volte à avoir une bande originale du livre. Le texte reste toujours le coeur, mais nous voulions travailler sur la rencontre des genres. Nous essayons de faire du multimédia qui ne soit pas du gadget. Mon rêve est de publier un livre et la musique, écrit et composée par un auteur–musicien. C’est aussi un moyen d’amener les gens à des livres par le biais de la presse musicale.
Marie : Tu dis que tu ne lis pas beaucoup de SF, c’est vrai ?
Alain : Oui, et j’ai honte. Je lis surtout des essais, des ouvrages de philosophie.
Marie : Je vais poser une question stupide : recevoir le Grand Prix de l’Imaginaire « roman francophone », ça fait quel effet ?
Mathias : C’est évidemment extraordinaire, surtout quand tout le monde avait dit que ce livre serait un échec car beaucoup trop compliqué. Nous avons cependant eu notre récompense avant, avec les rencontres avec les lecteurs, les échanges. Le GPI, ça a été la cerise sur un immense gâteau, car les lecteurs ont répondu présent bien avant.
Questions pour plus tard :
– Tes lectures philosophiques nourrissent le roman. Il y a des références assez faciles à saisir, mais quelles idées ont alimenté tes écrits ?
– Quelle part as-tu pris dans la création de la musique, si tu y as pris part ?
Un seul regret, en raison de la volatilité du Damasio, je n’ai pas eu droit à ma dédicace. Mais qu’est-ce qu’une signature comparée à un échange avec l’auteur ? Franchement ?
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