Retrouvez l’actualité des littératures de l’imaginaire (Science-Fiction, Fantastique, Fantasy, et autre) ainsi que des interviews de celles et ceux qui les construisent.

La Horde du Contrevent de Damasio Alain

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Impératrice Moa

Il semble qu’une chose doive être précisée dès le début : La Horde est un roman totalement inclassable. Il s’agit de littérature de l’imaginaire. Il est impossible de le situer en science-fiction, car si la technologie exotique est présente, elle est avant tout un élément d’ambiance, un repère dans ce livre-univers et aide à la construction poétique. Ce n’est pas de la Fantasy, car si la magie est omniprésente à travers le vent, elle n’est concrétisée que par les Chrones, créatures extraordinaires condensées de vent, et les glyphes que dessine le vent. Ce n’est pas non plus du Fantastique, puisque les élements du genre ne sont pas présents, mis à part le thème de la quête.
Cela importe-t-il réellement ? A part pour les fervents admirateurs des classifications, non.

La Horde est l’histoire d’une double quête. La quête initiale est physique, géographique, à travers la découverte de l’Extrême Amont, de l’origine du vent et de ses neuf formes. De cette quête des origines ou de la redécouverte d’un monde naît les nombreuses quêtes intérieures des personnages, qui entrent toujours en résonnance avec l’ensemble de la Horde.

La Horde nous présente un univers achronique qui déploit dans quelques chapitres ses aspects les plus baroques. Le bateau des Fréoles ou Alticcio nous ouvre une porte sur une civilisation qui pourait presque ressembler à l’Europe de la Renaissance, alors que les pérégrinations des hordiers nous font principalement voyager dans des déserts humains. Il n’y a que la végétation, les animaux, un paysage qui n’en finit plus, et évidemment, ce vent toujours de face.
La technologie n’est pas au premier plan, mais assure une certaine cohérence du monde, le rend possible dans des conditions extrêmes de survie. Le détail du fonctionnement des diverses machines n’est pas expliqué, et heureusement. Ce qui compte réellement n’est autre que l’ambiance créée par ces machines et par les mots qui lui donnent une certaine réalité.

Entrer dans ce roman, c’est se retrouver directement plongé dans l’inconnu qui nous devient lentement familier. Pour toute introduction, le lecteur se retrouve injecté au coeur même de la Horde, en plein furvent, forme terrible, meurtrière, dévastatrice du vent. Le lecteur est perdu, parfaitement, tout comme l’est la Horde, en quête de repère et des moyens de sa survie. Alain Damasio a cette habileté rare de créer l’empathie immédiate avec ses personnages. Pas de découverte lente, le lecteur est plongé immédiatement au coeur des vies qui nous sont décrites.

Une des difficultés du roman, il ne faut pas se le cacher, réside dans la succession des 23 narrateurs possibles, chacun présenté par un symbole, pour certains une dictée du vent. S’il y a la difficulté d’apprendre à connaître les personnages au départ, cette succession est aussi créatrice du plaisir d’aller d’un hordier à l’autre, de voir le monde à travers les yeux de chacun, et de se sentir au coeur du groupe.

Au fil du roman, des gros plans sont fait sur différents membres de la Horde, montrant un moment de leur évolution. La petite Coriolis est le centre de tous les intérêts plus ou moins libidineux, puis le personnage de Caracole le troubadour se déploit. Nous suivons Sov le scribe à chaque pas, mais les focus sur Steppe et Aoi, ou encore sur Oroshi donnent un nouveau sens à leur quête commune. Les différentes personnalités apparaissent ainsi sous un jour nouveau à travers le regard des uns et des autres. On en arrive même a avoir de l’empathie, voir de la pitié, pour Golgoth qui semble pourtant incapable d’évolution tellement il rumine sa souffrance.
L’histoire d’Aoi et Steppe est une véritable respiration dans le texte. Au milieu des amourettes qui sont plus des tentatives de combler un manque immense, on se dit qu’enfin ! l’amour est possible !

Si un élement est saisissant du début à la fin du livre, il s’agit de la qualité d’écriture. Certains trouveront sans doute qu’Alain Damasio en fait trop, que son texte est trop riche, trop dense, trop complexe, trop beaucoup de chose… L’écriture est extraordinairement travaillée et nous laisse découvrir des passages de prose poétique d’une grande finesse et sensibilité.
A travers l’utilisation de mot-valise ou la réutilisation d’un vocabulaire spécialisé, le monde prend forme, concrêtement et poétiquement.

Il y a quelques sautes temporelles dans le récit. Certains événements sont tellement générateurs de peur, tellement obsédant, que les raconter par le menu, dans l’action, n’est plus utile. Par contre, les personnages reviennent rétroactivement dessus, avec une charge émotionnelle forte. La douleur de la disparition est déjà intégrée mais re-surgit encore. Elle est vécue de l’intérieur et frappe directement au coeur.

La Horde est un roman poétique, mais Alain Damasio arrive à rendre accessible au moins quelques-unes de ses nombreuses références philosophiques. Celles à Ainsi parlait Zarathoustra de F. Nietzsche sont évidentes, mais d’autres sont plus complexes à cerner.

Un incontournable des littératures de l’imaginaire.

Etienne

Pas grand chose à rajouter à l’avis d’impératrice Moa, ce livre est vraiment extra-ordinaire (sortant de l’ordinaire) et justifie amplement le prix reçu. L’accroche est un peu difficile, d’une part par le changement régulier de narrateur et surtout par le changement de vocabulaire à chaque narrateur : primaire et brutal pour le leader de la horde, il devient exotique et rempli de néologismes pour le troubadour. Déroutant pendant 50 pages.

Un roman poétique effectivement, mais pas seulement : si le sujet n’annonce pas une action délirante, on ne s’ennuie pas une seconde, les héros non plus n’ont pas le temps de s’ennuyer, les sautes temporelles signalées plus haut permettant d’accélérer le rythme et de passer avec pudeur les passages les plus durs.

Je n’ai pas tout compris à la théorie du vent et j’ai un peu décroché dans certaines explications d’oroshi, mais il n’est pas nécessaire de tout comprendre pour apprécier.

Orcusnf

On vous dira que la horde du contrevent est un livre exceptionnel, qu’il est un objet littéraire non identifié ( OLNI pour les paresseux), qu’il était totalement inattendu, imprévisible, incroyablement hors des sentiers battus, et on aura raison. On pourrait aussi vous dire que c’est à la fois de la science-fiction, de la fantasy, ou de la science-fantasy, et on se tromperait sûrement parce que la horde est plus que cela. Une chose est sûre, qu’on l’ait aimé ou pas, qu’on l’ait fini ou pas, ce livre est étrange, incontournable, et définitivement différent de ce que vous avez pu lire avant.

Mais, avant de rentrer dans un commentaire complément dithyrambique, de s’enliser dans les éloges envers cette oeuvre extraordinaire, passons d’abord par la partie la moins agréable, les critiques. Car contrairement à ce que vous pourriez croire, ce livre n’est pas parfait. Oui, je sais, la désillusion est dure, mais nécessaire. Alain Damasio n’est pas le prophète tant attendu, même si il est en bonne posture. Car d’abord, la structure narrative souffre de nombreuses erreurs d’incohérences, notamment au niveau des dates, des liens entre les personnages. De petites erreurs qui plongent le lecteur dans la perplexité, même si finalement elles n’empêchent pas le bon déroulement de la lecture. Ce qui est par contre plus important, c’est qu’ Alain Damasio n’a pas été au bout de ses idées. Oui c’était génial de changer de narrateur, d’en faire 23, chacun ayant un symbole distinct pour annoncer qu’il prend la parole. Oui aussi au fait de changer complétementleur vocabulaire, d’adapter toutleur langage à leur vécu, à leur caractère. En fait, d’en finir avec l’anthropomorphisme de la sf. Mais ce n’est pas assez, car on s’en rend vite compte, ce sont toujours les même narrateurs qui reviennent. Alors, très logiquement, on se dit que ceux qui ne parlent jamais vont mourir. Un pronostic qui s’avère malheuresement exact. Alain Damasio tient à ses héros, il n’y a que les figurants qui ont le droit de crever, le fer au dessus du pack diraient les traceurs. Hélas.

Soyons plus positif un instant, la horde du contrevent regorge de bonnes idées, non seulement bien développées, mais aussi très interéssantes pour nous lecteur. Cette idée de changer le narrateur, changement qui peut s’operer pour décrire une même scène sous divers angles, sous divers points de vue, ou tout simplement pour faire varier les styles et les impressions, est remarquable. Ce n’est certes pas l’essence du texte, mais dans un sens, elle va dans son sens en mettant en avant plusieurs respirations, plusieurs conteurs. Cela permet de rejoindre le fond et la forme dans un même travail, pas si différent de celui réalisé par des poêtes du début du siècle dernier comme Baudelaire. Ici, forme et fond sont les reflets l’un de l’autre, le style complète et illustre en même temps l’histoire, et réciproquement.

Ce qui peut aussi poser problème, c’est, je l’ai déjà précisé, la définition de cette oeuvre. Il y a bel et bien une mission à remplir – atteindre l’extrême-amont – mais nous ne sommes pas dans une optique manichéenne, à moins d’identifier l’extrême-aval et l’extrême-amont comme étant les deux protagonistes opposés ici. Dans un sens, c’est un peu le cas, mais la horde du contrevent est ici avant tout le récit du voyage de la horde, la 34e. Le but de cette horde s’efface rapidement devant le spectacle de cette étrange et insolite communauté d’individualités qui se rejoignent pour former un tout, une horde constituée du pack, la machine, et du fer, le soc qui va fendre le vent pour s’y engouffrer. Ils souffrent, ils rient, il aiment et détestent, ce sont des hommes et des femmes avant d’être des contreurs. Tout nous le rappelle, si leur mission est difficile, ils ne pensent pas à y renoncer, bien que les tentations soient grandes, etles désillusions nombreuses.

En outre, en ce mois de septembre, on peut introduire, ironiquement, une comparaison non anodine entre cette horde et une équipe de rubgy. Les gestes, les positions, sont similaires, et s’il n’y a pas de ballon à proprement parler, il y a cette fameuse ligne à atteindre, et ces adversaires en travers du chemin : tempêtes, embuscades, chrones ou lignes de joueurs, il n’y a pas tellement de différences au fond !!

Au final, la horde du contrevent est à lui seul une vaste saga, un livre-univers comme on en a peu lus, que ce soit en France ou à l’étranger. Les personnages sont vraiment très développés, leurs passés fouillés et expliquant des pans de l’histoire, et quand on les connait bien, on se rend bien compte qu’ils n’ont aucune liberté, qu’ils n’avaient d’autre choix que d’aller au bout d’eux même, au bout de leur mission, qui imprègne leur corps entier. Ils ont le vent dans le sang, ils sont le mouvement, et ils soufflent dans notre dos pour nous pousser à suivre leurs aventures. Pouquoi lutter, pourquoi contrer, laissons nous emporter par cette histoire magnifique. malheureusement trop courte, bien qu’elle fasse près de sept cent pages. D’autant que la fin reste ouverte, et nous laisse sur notre faim,plein de questions, sans espoir pour autant de voir une suite !

La Volte 28.00 € ISBN : 2-9522217-0-7 (2005)

Imaginez une Terre poncée, avec en son centre une bande de cinq mille kilomètres de large et sur les franges un miroir de glace à peine rayable, inhabité. Imaginez qu’un vnet féroce en rince la surface. Que les villages qui s’y sont accrochés, avec leur maisons en goutte d’eau, les chars à voile qui la strient, les airpailleurs debout en plein flot, tous résistent. Imaginez qu’en Extrême Aval ait été formé un bloc d’élite d’une vingtaine d’enfants aptes à remonter au cran, rafale en gueule, leur vie durant, le vent jusqu’à sa source, à ce jour jamais atteinte : l’Extrême Amont.
Mon nom est Sov Strochnis, scribe. Mon nom est Caracole le troubadour et Oroshi Melicerte, aéromaître. Je m’appelle aussi Golgoth, traceur de la Horde, Arval l’éclaireur et parfois même Larco lorsque je braconne l’azur à la cage volante.
Ensemble, nous formons la Horde du Contrevent. Il en a existé trente-trois en huit siècle, toutes infructueuse. Je vous parle au nom de la trente-quatrième : sans doute l’ultime.


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