Réalisée par :mail
Date :août 2004
Après un échange de mail, débuté à son initiative, jai eu la chance de pouvoir découvrir les yeux troubles de Claude, un recueil fantastique divers, variés et surtout très inquiétant. Jen ai profité pour poser quelques questions à “notre” premier auteur québecquois
Allan : tout dabord Claude, merci davoir accepté de nous permettre de te connaitre un peu mieux
La première mission que je te confie est de présenter le parcours qui ta conduit vers lécriture 😉
Claude : Cest un parcours tortueux, qui commence assez loin et qui a subi une très longue pause, une espèce de période à mi-chemin entre maturation et décrépitude. Déjà, vers les douze ou treize ans, javais commis quelques gribouillis, dont une histoire complète, ainsi que quelques numéros dune espèce de journal des monstres que jexpédiais à deux copains. Du fanzinat ! Puis, mon cerveau sest endormi pour presque quinze ans. Cest à loccasion dun retour aux études quil sest réveillé. Je me suis retrouvé à lautre bout du Québec, où je ne connaissais personne, et cest pour passer le temps entre les cours que jai commencé à écrire toutes sortes de choses, surtout pas sérieuses. De fil en aiguille, jai fini par écrire de petites histoires, puis par rencontrer quelquun qui collaborait à une revue de science-fiction et de fantastique (cétait Solaris), pour finalement commencer à envoyer des nouvelles un peu partout. Et quelques années plus tard, il y a eu les premiers livres.
Allan : Peux tu nous parler de ces uvres qui ont marqué ton esprit de lecteur et orienté tes écrits vers le Fantastique et plus particulièrement lépouvante ?
Claude : Pour ce qui est de pratiquer le genre fantastique, cétait écrit, soit dans le ciel soit en enfer. Depuis que je suis tout petit, jai toujours été attiré par les histoires de peur, quil sagisse de mes premières lectures ou des choses que je regardais à la télé. Dès que jai abandonné la littérature pour la jeunesse, vers les douze ans, je me suis résolument branché sur le fantastique. Ma mère machetait des livres sans dénigrer lun ou lautre genre. Pour elle, limportant était que je lise. À cette époque, au Québec, on trouvait notamment les livres des éditions Marabout et leur extraordinaire collection fantastique. On peut donc dire que, hormis les canons du genre (les Dracula, Frankenstein, docteur Jekyll et compagnie), ma culture fantastique sest développée au contact de lécole belge du genre, les Jean Ray, Thomas Owen, Gérard Prévot, enfin, nommez-les. Peu après, je me suis mis à la lecture des anglo-saxons, ce qui inclut, bien sûr, Lovecraft et sa bande. De façon générale, je crois que Jean Ray et Robert Bloch sont les auteurs qui ont le plus déteint sur moi. Je crois que jétais particulièrement sensible à cet habile mélange de terreur et dhumour, deux ingrédient qui, mal dosés, se détruisent lun lautre.
Avec les années, je me suis familiarisé avec de nombreuses variétés de fantastique. Je suis allé voir un peu partout, que ce soit chez les Sud-Américains, les Allemands ou les Italiens. Jai conservé un attachement particulier pour les Britanniques qui, de la fin du 19e siècle jusque dans les années 1930, se sont spécialisés dans la ghost story. Des gens qui excellaient à prendre un tout petit élément de rien du tout et à lamener, le développer et lamplifier jusquà subjuguer le lecteur, un art qui sest hélas perdu aujourdhui dans un foisonnement d « effets spéciaux » littéraires.
Allan : Comment sont perçus les littératures de limaginaire au Québec et plus largement au Canada ? Ont-elles bonne presse ?
Claude : Je ne connais pas la situation du côté anglophone, je men tiendrai donc au Québec. Je dirais que les littératures de limaginaire ont peu à peu gagné leurs lettres de noblesse, du moins dans la mesure où on a affaire à des oeuvres compétentes. Les revues littéraires, ou les cahiers livres des grands quotidiens, sils ne parlent pas si souvent de la littérature de genre, savent à tout le moins reconnaître les oeuvres de qualité. Je ne sais pas comment cest en Europe, mais en Amérique du Nord, le fantastique et la science-fiction sont des genres très étudiés dans les universités. Dailleurs, chaque congrès ou convention présente sa large part de panels universitaires. Pour la fantasy, je ne suis vraiment pas un expert et il mest difficile den parler (Mais on sait que Tolkien est très étudié). Ceci dit, il ne faut pas perdre de vue que, comme dans toute littérature, environ 10 % de la production mérite de passer à la postérité. Le reste est surtout composé de recyclage des clichés du genre par des gens qui sont convaincus davoir réinventé la roue, ou alors de textes à lécriture plus ou moins
comment dire, utilitaire. Il est évident que dans ces cas-là, laccueil est plutôt tiède quand on se donne la peine den parler.
Allan : Tu écris essentiellement en tout cas pour le public adulte des nouvelles
Pourquoi ce choix ? Quest ce qui tattire dans ce type décrit ?
Claude : Sans doute ma tournure desprit. La nouvelle, cest un véritable paradis pour qui aime sadonner à de petits exercices littéraires, essayer quelque chose de différent. Certains trucs qui seraient tout simplement assommants en version roman conviennent merveilleusement bien à la nouvelle. Cest là quon peut essayer des choses dans la narration, jouer sur les points de vue. De plus, dans la nouvelle, on peut se permettre de soupeser chaque mot. Pour un mot donné, il peut exister des tas de synonymes, mais lauteur en choisira un en particulier parce quil contient lexacte petite nuance dont il a besoin pour parvenir à ses fins. Et puis, dans une nouvelle, rien de gratuit. On ne mentionne rien qui ne servira à rien. Une nouvelle, cest aussi le médium idéal pour se payer la tête du lecteur, lui laisser croire quil sait exactement où on sen va, pour mieux le renverser à la fin. Enfin bref, il y a toutes sortes de raisons pour aimer la nouvelle.
Allan : La majorité de tes uvres sont orientés vers la jeunesse : pourquoi et quelle différence y a-t-il entre lécriture jeunesse et lécriture adulte ?
Claude : Cest un énoncé un peu trompeur, puisque je nai écrit moins de dix histoires expressément pour la jeunesse, alors quil y a près de quatre-vingts textes (toutes longueurs confondues) pour le lectorat adulte. Mais il est vrai que si on se fie aux livres dans ma bibliographie, tous les textes pour jeunes sont sortis en livres, alors que les nouvelles sont éparpillées dans toutes sortes de supports. Ceci dit, comme la littérature jeunesse est un genre plus « surveillé », il est évident quon ny met pas nimporte quoi. Il faut faire attention à des sujets comme la violence, la drogue, le sexe, et même, qui leût cru, à la religion. Alors, pour un auteur résolument tourné vers lépouvante, la littérature pour la jeunesse comporte certaines contraintes. Mais il y a plus que ça. On ne peut pas se permettre le même niveau dabstraction quand on écrit pour les ados et quand on écrit pour les adultes. Autrement dit, pas trop de choses entre les lignes. Par ailleurs, il semble quil soit préférable dutiliser des personnages adolescents, si jen crois lensemble de la production québécoise.
Allan : Pour me permettre de tinterviewer jai plongé dans ton recueil les yeux troubles, peux-tu nous expliquer comment tu as choisi les textes qui le composent ?
Claude : Si ce navait été que de moi, jaurais publié un recueil de nouvelles beaucoup plus tôt dans ma carrière. Mais un sage copain, qui est aussi en quelque sorte mon gourou littéraire, ma conseillé dattendre et dattendre avant de composer un recueil. Plus jaurais de textes à ma disposition, plus je pourrais composer un recueil solide. Si bien que, quand est venu le moment de passer à laction, je pouvais faire un choix parmi plus dune soixantaine de nouvelles, et jai décidé dorienter le recueil vers lépouvante plutôt que vers lhumour ou un fantastique plus « doux ».
Allan : La première chose que jai ressenti, dans lensemble, est que ton but nétait pas tant de nous expliquer le pourquoi des choses mais plutot de nous présenter des faits bruts, nous laissant fréquemment avec un sentiment de malaise
Effet voulu ?
Claude : Je ne suis pas un théoricien de la littérature, mais je vais vous répondre en quelques volets qui, je crois, illustrent ma façon de voir les choses. Jai toujours considéré que lexplication à outrance tuait leffet fantastique, contrairement à la science-fiction, par exemple, où elle est essentielle. Le fantastique bien construit possède sa propre cohérence interne et sait guider son lecteur à bon port. Par ailleurs, il y a tout un pan de la littérature fantastique dont leffet repose sur lambiguïté, sur le doute qui subsiste chez le lecteur, qui le fait sinterroger. Ensuite, je suis un partisan de ce fantastique qui aime bien faire travailler un peu le lecteur. Dune part, je naime pas donner tout cuit dans le bec du lecteur parce que je naime pas les histoires où on me le fait quand cest moi le lecteur. Dautre part, je pense que lépouvante gagne à ne pas tout montrer au lecteur. Elle gagne au contraire à le laisser se créer sa propre image dune fin ou dune scène, tout simplement parce que la plus grande horreur qui soit est celle qui gît dans lesprit du lecteur, pas celle quun écrivain voudrait lui décrire dans le détail. Finalement, parmi toutes les façons possible de raconter la fin dune histoire, je vais parfois opter pour la subtilité (mais pas toujours, rassurez-vous !).
Allan : Le Déterminateur participe à la régulation de la population
Penses-tu sincèrement que nous arriverons à ces extrémités car tu nes pas le premier à en parler (Par exemple Running Man de King) ?
Claude : Les mondes surpeuplés, cest un thème presque aussi vieux que la science-fiction elle-même. Je ne touche presque jamais à la SF, mais ce thème est tellement riche que je nai pas pu résister ! Je ne saurais dire si on aura un jour de braves fonctionnaires qui porteront le titre de déterminateurs, mais au rythme où vont les choses, il est difficile dêtre optimiste quant au futur. Déjà, en Chine, on chuchote quil se passe des choses avec les nouveaux-nés… Et puis, la surpopulation entraîne dautres problèmes guère plus réjouissants. Pensons à la pollution, pensons aussi à la capacité de notre terre à nourrir tout ce monde. Quelquun se souvient-il du film Soleil vert ?
Allan : Dans lAraignée dans le plafond, lécrivain a du mal à produire du texte
est-ce une crainte que tu ressens aussi ?
Claude : Je nai pas trop de problème avec la page blanche comme telle. Mais il y a certains jours où je narrive pas à générer leffort suffisant pour me mettre en marche. Cest un peu beaucoup une question détat desprit, et il faut savoir composer avec.
Allan : Le thème que tu reprends pour lheure du bébé ou plutôt pour être plus précis son « alimentation » – ma fait pensé à La villa des mystères de Fedrico Andahazi : connais-tu ce roman et si oui, est-ce un moyen de lui rendre hommage ?
Claude : Non, je ne connais pas ce roman. Comme je suis une créature de la nouvelle, je lis en fait peu de romans. Lorigine de « LHeure de bébé » remonte à 1995 environ. Je lavais écrite pour ma consoeur Natasha Beaulieu qui avait un projet danthologie fantastique. Connaissant les goûts personnels de lanthologiste, jai voulu lui offrir quelque chose de
comment dire, moite, un peu malsain. Le projet dantho na jamais abouti, et quand est venu le temps de composer mon propre recueil, « LHeure de bébé » était toujours parfaitement inédite.
Allan : Quels sont tes projets pour les mois à venir et quels écrits vont paraître ?
Claude : Un court roman, plutôt morbide dailleurs, devrait paraître dici la fin de 2004. Il aura la particularité de constituer la partie fiction dun gros livre de référence, « LAnnée de la science-fiction et du fantastique québécois », un livre annuel qui recense et critique toute la production québécoise en littératures de limaginaire. Un livre, donc, qui nest pas un succès de librairie, mais qui se retrouve dans les bibliothèques et chez les chercheurs. Je suis fier quon my ait invité, il va sans dire.
Il y a évidemment des nouvelles qui paraissent ici et là, de temps à autre. En fait de projets, je travaille en collaboration, depuis plusieurs mois, avec Serena Gentilhomme, une auteure de Besançon, sur quelque chose dassez sanglant (mais qui ne relève pas du genre fantastique) et qui aura vraisemblablement les proportions dun roman.
Allan : Tu as été à linitiative de notre échange
Peux tu nous dire comment tu nous a connu et ce que tu pense de notre site ?
Claude : Cest un peu le fruit du hasard. Je crois que je suis arrivé chez vous par le biais dune page de liens dun autre site. Fantastinet est une bonne source dinformation. Jaime bien, entre autres, vos entrevues avec les auteurs. Et la nouvelle cure de beauté du site est très réussie !
Allan : que peut-on te souhaiter ?
Claude : Une longue plume !
Allan : un dernier mot ?
Claude : Je vais conclure comme le Robert : Zythum.