Pour la parution des Hauts Esprits, Claude Ecken a accepté de répondre à nos questions…
Allan : Claude, je te salue et te remercie tout d’abord d’avoir bien voulu nous accorder un peu de temps, temps qui doit t’être précieux… Bien entendu, tu es bien connu des lecteurs habituels du genre mais comme nous espérons aussi toucher un public plus large que les habitués, j’entamerais donc par la rituelle question : Claude, qui es-tu ?
Claude : Un simple écrivain désireux de gagner sa vie en racontant des histoires. J’ai toujours souhaité ne faire que ça. Depuis que j’ai découvert la science-fiction et le fantastique, je me suis spécialisé dans ces littératures, même s’il m’arrive d’écrire autre chose de temps en temps.
Allan : Tu n’es pas à ton coup d’essai avec Les Hauts Esprits, paru chez Nestiveqnen dans la collection fantastique, et je voudrais que tu nous dises : était-il plus facile de se faire éditer dans les genres fantastiques ou Sf à l’époque de la fameuse collection anticipation de Fleuve Noir ou alors les problèmes de recherches d’éditeur ont toujours été les mêmes ?
Claude : Tout dépend des périodes où on se situe. Jusqu’au milieu des années 70, c’était relativement facile, vu le nombre de supports. Le marché s’est rétréci ensuite et les Français n’y avaient guère leur place, sauf au Fleuve Noir qui, justement ouvrait ses collections aux jeunes générations. Ailleurs, il n’était guère possible de publier plus d’un livre par an – encore fallait-il correspondre aux choix éditoriaux. J’ai profité de cette ouverture, comme d’autres, Pagel, Wagner, Canal, Dunyach, Ligny, Brussolo, etc.. J’ignore si c’était plus facile qu’aujourd’hui. Pour les auteurs français, la grande traversée du désert a été les années 90, avec la disparition des revues, l’arrêt de la collection Anticipation et de quelques autres. Mais il me semble qu’aujourd’hui les éditeurs ne manquent pas et qu’une nouvelle génération d’auteurs est apparue, même si les tirages sont plus faibles qu’à l’époque.
Allan : Te souviens-tu de la façon dont s’est déroulée la publication de ton premier roman et quel souvenir en gardes-tu ?
Claude : J’avais appris par un ami, Bruno Lecigne, que la collection Engrenage cherchait des manuscrits et je me suis hâté d’écrire L’Abbé X. Je l’ai envoyé par la poste et ai reçu une réponse positive trois mois plus tard. Je garde un souvenir plus ébloui de ma seconde publication : j’avais rencontré au festival de Metz Patrick Siry, qui dirigeait alors le Fleuve Noir. Il se disait admiratif des auteurs et cherchait à encourager les débutants. Pierre Pelot lui a signalé que je venais de sortir mon premier roman et Siry m’a demandé ce que j’écrivais actuellement. J’étais en train d’achever La Mémoire totale, que je destinais à la collection Anticipation et il m’a conseillé de le lui envoyer directement. Le roman fut accepté un mois plus tard, ce qui était un record !
Bien sûr, voir pour la première fois son nom sur la couverture d’un bouquin est une émotion forte, moins forte cependant que la toute première publication professionnelle dans une revue.
Allan : Parlons un peu maintenant de ton dernier roman Les Hauts Esprits … Tout prend racine dans un petit village, et nous avons la curieuse sensation de vraiment être plongé dans la mentalité des petits villages, entre commérages et croyances populaires… Habites-tu un petit village et si oui n’as-tu pas peur de te mettre à dos une partie du monde « rural » ?
Claude : Pourquoi me le mettrais-je à dos ? Je n’ai pas le sentiment de l’avoir tourné en dérision. Je porte au contraire un regard attendri sur mes personnages et leur mode de vie un peu désuet mais bien plus simplet et franc. Je n’ai d’ailleurs pas l’impression d’avoir réduit la mentalité aux ragots et à la superstition. Les commérages, dans un village, il est difficile de les éviter. Mais il en va de même dans n’importe quel groupe ou communauté : est-ce que les rumeurs circulent moins vite sur une cour de récré ou au sein d’une entreprise où chaque employé espionne son voisin ? Pour ce qui est des croyances populaires, j’ai présenté dans mon roman aussi bien des superstitieux que des incrédules. Ceci non plus n’est pas propre à la campagne : les devins, astrologues, numérologues et autres marabouts prospèrent dans les villes. Les formes de croyances ne sont pas exactement les mêmes mais la pensée magique persiste, même chez nos hommes politiques, puisque plusieurs sont des clients assidus ! En fait, ce que j’ai voulu retranscrire ici c’est moins ces travers que cette atmosphère particulière aux villages, qui dégage un charme certain.
J’ai effectivement habité quelques années dans un village et je me suis aussi rendu dans de petits hameaux de vingt ou trente habitants. On y trouve de la rudesse et de la simplicité, beaucoup de chaleur humaine et un art de vivre en voie de disparition, que je trouve plaisant, même si j’aurais du mal à vivre en permanence loin du milieu urbain. Je synthétise dans mes personnages quelques figures mémorables croisées aussi bien en Bretagne que dans les Alpes, dans le sud de la France ou en Corse. C’est ce que j’ai voulu faire dans ce roman, la peinture d’un mode de vie rural en train de disparaître, à présent que les cadres s’en vont habiter à la campagne et y importent la technologie urbaine. À cet égard, Sandrine est emblématique : si Pascal est devenu un citadin qui ne regrette pas d’avoir quitté Vallargues, Sandrine tient à vivre dans un cadre rural. Elle a toujours souhaité rester dans son village, les événements l’en empêchent, aussi choisit-elle de déménager dans un cadre similaire, Vauvenargues, au pied de la Sainte Victoire.
Allan : L’ambiance que tu crées n’est pas sans rappeler (mais néanmoins sans le copier) la technique d’un King… Te sens-tu proche de cet auteur ? Quel effet cela te fais qu’on te compare à celui qui est considéré comme un maître de l’horreur ?
Claude : Stephen King est passionnant à lire. C’est vraiment un maître de la terreur. Sa technique passe justement par la peinture détaillée, voire minutieuse, d’un milieu social. Et c’est parce qu’il prend le temps de faire vivre ses personnages qu’il rend son lecteur particulièrement sensible à leur destin. J’ai effectivement cherché à imiter sa technique dans ce roman, parce qu’il me semble qu’elle convient parfaitement au fantastique (je ne l’utiliserais pas pour un roman de science-fiction) et le fait qu’on me compare à lui, même si c’est parfaitement exagéré, reste le plus beau des compliments.
Ceci dit, ce livre a déçu d’autres personnes, en particulier les amateurs de science-fiction qui s’attendaient à quelque chose de plus cérébral de ma part. Or, dans ce roman relativement ancien, (le départ de Nicole Hibert l’a empêché de paraître dans la collection Anticipation) je m’attachais à installer une ambiance plus qu’à nourrir une réflexion sur une thématique précise. Le temps a aussi affaibli l’originalité de l’idée qui a entre-temps été exploitée par d’autres auteurs comme Simmons, Koontz et… King. Dans Ça sévit également une entité psychique. King axe son roman sur l’enfance et moi sur un monde rural en voie de disparition.
Ceci dit, ce livre a déçu d’autres personnes, en particulier les amateurs de science-fiction qui s’attendaient à quelque chose de plus cérébral de ma part. Or, dans ce roman relativement ancien, (le départ de Nicole Hibert l’a empêché de paraître dans la collection Anticipation) je m’attachais à installer une ambiance plus qu’à nourrir une réflexion sur une thématique précise. Le temps a aussi affaibli l’originalité de l’idée qui a entre-temps été exploitée par d’autres auteurs comme Simmons, Koontz et… King. Dans Ça sévit également une entité psychique. King axe son roman sur l’enfance et moi sur un monde rural en voie de disparition.
Claude : Encore une fois, je ne partage pas cette vision de monde rural obscurantiste opposé à un milieu urbain éclairé. Je constate au contraire un fort retour de la pensée magique un peu partout. Les sectes recrutent davantage dans les villes que dans les campagnes.
J’ai choisi de situer ce récit dans un village car son relatif isolement servait mon récit. Les mêmes phénomènes dans un milieu urbain auraient généré une histoire très différente.
Si opposition il doit y avoir, c’est plutôt entre la simplicité de gens modestes et la manipulation que les Hauts-Esprits exercent sur eux. Il en est d’autres, du moins ils se considèrent comme de grands esprits et prennent des décisions sans trop se soucier des conséquences ; ces esprits forts habitent les ministères et sont infiniment plus redoutables que les miens.
Allan : Pardon, je m’égare peut-être, on a toujours tendance à penser que l’écrivain prend appui sur une expérience particulière ou sur un ressenti.. Est-ce ton cas ? Et si non, la question précédente perd du coup toute son utilité ?
Claude : Je ne vois pas un auteur qui n’utiliserait pas son expérience pour bâtir un récit ou qui laisserait sa sensibilité de côté. Comment pourrait-il s’emparer d’un sujet s’il ne lui dit rien et n’a aucune expérience, même approchante, de ce qu’il s’apprête à traiter ? Un sujet m’inspire parce qu’il me parle, pour des raisons qui peuvent être très éloignées, et je le traite en cherchant au fond de moi ce qui lui correspond.
Allan : Ambiance soignée, personnages travaillés, suspens augmentant crescendo… On regretterait presque que l’histoire se termine… Pourtant, le final m’a laissé un petit goût, je m’attendais à une lutte plus « violente »… Tu ne voulais pas finir par un « feu d’artifice » ?
Claude : Une catastrophe à l’échelle d’un village et un combat final entre deux entités, c’est déjà pas mal, non ? De plus, il s’agit d’une lutte psychique, peu spectaculaire en elle-même, et je ne me voyais pas l’illustrer par des dommages collatéraux sans tomber dans le grand guignol ou dans une démesure moins crédible même si plus conventionnelle. Ce que perçoit Pascal du combat est déjà suffisamment éprouvant.
Allan : Les romans ne sont d’ailleurs pas ta seule contribution aux arts écrits, j’ai cru comprendre et lire sur le net que tu étais aussi scénariste de Bande-Dessinées… Qu’est ce que t’apportes en plus cet art ?
Claude : Je suis un fan de BD depuis tout petit. Voir ses histoires prendre vie sous le crayon d’un dessinateur, c’est fascinant ! L’écriture n’est certes pas la même : il faut penser en images, éliminer les scènes inutiles. Peu importent les belles phrases, tout est dans la façon de faire passer une idée par une succession de vignettes. Les seules phrases que je travaille sont les dialogues, qui doivent est courts et précis.
Allan : Tu es d’ailleurs à l’origine de la création du festival de BD d’Aix en Provence : pourquoi créer un nouveau festival ?
Claude : Ce n’est pas l’actuel festival que j’ai crée, mais celui de 1981 (il y eut un numéro 0 en 1979) qui a duré jusqu’en 1984. Il n’est donc pas nouveau. À l’époque, le nombre de festivals était plus réduit. Je voulais pour une fois inviter les auteurs dans ma ville au lieu d’avoir toujours à me déplacer pour les rencontrer. Résultat des courses : je n’ai vu personne tant j’étais pris par l’organisation ! Mon désir était également de réaliser un festival qui ne se limite pas à la simple séance de dédicaces ; j’y ai inclus conférences et tables rondes, mais surtout de la convivialité permettant au public de rencontrer ses auteurs préférés : on pouvait déjeuner avec les auteurs (c’était touchant de voir deux gamins de dix ans envoyés par les parents pour s’asseoir à côté de Walthéry) ; j’avais également prévu des temps de rencontre où les auteurs recevaient les auteurs débutants pour commenter leurs planches.
Allan : Tu écris aussi pour la jeunesse, critiques littéraires, ou alors anime des ateliers d’écriture alors au vu de cette activité entièrement consacrée – d’une manière ou d’une autre – à l’écrit, je me dis que tu dois faire partie de la minorité d’écrivain de « genre » à pouvoir vivre de ton art : est-ce le cas et sinon comment fais-tu ?
Claude : J’ai effectivement la chance de vivre de ma plume, même si mes revenus sont plus que modestes et que certaines années sont franchement détestables. Mais je ne m’en plains pas. Avoir la liberté de se consacrer à ses passions est inestimable.
Allan : As-tu d’autres projets en cours ?
Claude : J’ai toujours plusieurs projets d’avance. Je travaille depuis un moment déjà sur un gros roman de science-fiction, qui est régulièrement interrompu par d’autres tâches alimentaires ou des opportunités qui se présentent. En début d’année prochaine sortira le premier tome d’une BD de SF, Murels ! chez EP Editions. Mais j’ai plusieurs autres projets BD sur le feu, à divers stades d’avancement, dont un, historique, relatera la révolte des vignerons en 1907.
Allan : Nous as-tu rendu visite et si oui que penses-tu de Fantastinet ?
Claude : C’est un site sur lequel je me rends de temps en temps, que je trouve agréable et bien fait. Le fait de placer en regard d’une critique un extrait donnant une idée du roman est intéressant. Et puis, entre la SF et la fantasy, les sites dédiés au fantastique ne sont pas si nombreux que ça. Fantastinet est, à cet égard, indispensable.
Allan : Que peut-on te souhaiter ?
Claude : De mener à bien tous mes projets ?
Allan : Le mot de la fin sera :
Claude : À suivre…
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