Retrouvez l’actualité des littératures de l’imaginaire (Science-Fiction, Fantastique, Fantasy, et autre) ainsi que des interviews de celles et ceux qui les construisent.

Interview : Léa Silhol

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Allan : Bonjour Léa,

Léa Silhol : Bonjour Allan, ravie d’être ici !

Allan : Vous êtes Auteur, Anthologiste et directrice littéraire et artistique chez les éditions Oxymore, toutes ces casquettes, ce n’est pas trop dur à gérer ?

Léa Silhol : Franchement… si. J’ai dû acheter un agenda taille XXL depuis quelques années, et je passe largement 12 à 15 heures par jour au boulot. Ce qui est assez amusant quand on sait que, dans mes jeunes années, les adultes autour de moi me traitaient volontiers de « cossarde » (paresseuse). Ce sont les mêmes qui, aujourd’hui, me disent : « Léa tu travailles trop, lève le pied ». Mais tous les passionnés de caractère vous le diront : pour se vouer sans compter à un travail, il suffit de l’aimer furieusement. Et c’est mon cas. J’aurais vraiment beaucoup de mal à choisir entre toutes ces « casquettes », tant chaque angle de ce métier est passionnant. Je réalise tous les jours la chance extraordinaire que j’ai de faire ce travail-là. Je regrette juste, parfois, d’avoir si peu de temps pour mes proches, et si peu, paradoxalement, pour écrire.

Allan : J’ai lu que vous aviez été responsable du Cercle d’Etudes Vampiriques : qu’apporte ce genre d’associations ?

Léa Silhol : Je suppose que c’est différent pour chacun… différent par rapport à ce qu’on y recherche. Les principales activités du CEV étaient la publication d’un Fanzine ( Requiem ), la tenue d’une bibliothèque de prêt, et l’organisation d’évènementiels (soirées, nuits cinéma, conférences, réunions-discussion…). Donc disons que, sans considérer l’aspect fascinant de créer et d’alimenter un Fanzine, cela avait surtout une vocation d’échanges. Un point de rencontre entre passionnés du vampire littéraire.

Allan : J’ai lu votre dernier roman, / »La Sève et le Givre »/ et ce qui m’a frappé est d’une part la finesse des personnages et d’autre part votre style à proprement parler : on a vraiment l’impression de plonger dans un conte de fées rédigé « à l’ancienne » ce qui fait qu’on a l’impression d’une totale immersion dans l’aventure. Est-ce un style naturel ou un effort de tous les instants ?

Léa Silhol : Ah… oui ? Peut-être… A vrai dire, je pense que ce style m’est assez naturel, mais que je l’ai tiré, ici, à l’extrême. J’avais envie, dans un sens, d’aller au bout de ma stylistique, de ne faire aucune concession à « l’écriture blanche ». Je crois que l’écriture, pour être fluide et naturelle, ne doit jamais, justement, tomber dans l’effort.

Après, pour ce qui est de la finesse des personnages… j’espère que vous avez raison. Ce qui est certain, disons, c’est que je suis très misanthrope mais que, paradoxalement, j’aime beaucoup les gens. Souvent je les trouve incompréhensibles, ou désespérants, mais ils m’intéressent. Ce qui fait que je passe beaucoup de temps à les écouter, à essayer de les comprendre, et cela se retrouve forcément dans mes histoires. La complexité de la pensée humaine est un terrain d’action fascinant. Extrapolée vers les états d’âme des Immortels, ça l’est plus encore !

Allan : Votre roman a reçu le Prix Merlin 2003 du Meilleur Roman fantasy et a été nommé au prix Rosny du Meilleur roman Sf francophone : quel effet, cela fait-il de recevoir ce genre de récompense ?

Léa Silhol : A vrai dire… je ne sais pas (rires). Je crois que je n’ai toujours pas réalisé que des gens lisent ce que j’écris. Quand j’essaye d’imaginer le Lecteur Inconnu en train de lire la Sève dans le métro, sur son canapé ou dans son lit… cela me semble assez incongru. Pour moi ces histoires sont toujours des corps à corps avec mon clavier, des maelströms émotionnels. Dès qu’elles sont figées dans un livre, elles deviennent irréelles, et l’idée qu’elles aient une vie à partir de là, que des vraies personnes les lisent, les aiment (ou pas), pleurent ou rient grâce à elles… c’est du domaine, pour moi, de l’inimaginable. Alors aller plus loin et réaliser que des dizaines ou des centaines de gens ont écrit le nom de mon roman sur un bulletin de vote… c’est carrément ’alien’. D’un autre côté, le fait que ce soit un Prix Public, et que ce choix ait été celui des lecteurs me touche particulièrement. C’est assez impossible à analyser, comme impression.

Allan : Les genres liés à l’imaginaire (SF, Fantasy et Fantastique) ont toujours été considérés comme des littératures « populaires » et, à ce titre, bénéficient rarement des oreilles des médias (si on excepte quelques oeuvres comme le Seigneur des Anneaux ou Harry Potter – puisque c’est la période) : A quoi est-ce dû à votre avis ?

Léa Silhol : En partie à un snobisme crétin de la Presse généraliste, des éditeurs et d’une catégorie de lecteurs de lit-gen que je préfère, en tout état de cause, ne pas compter parmi les miens. Mais aussi des auteurs d’Imaginaire qui écrivent toujours la même vieille soupe, et des lecteurs qui la plébiscitent.

Schématiquement : la ’grosse Fantasy’ plaît à certains lecteurs, donc les éditeurs en produisent, et les gens qui, eux, n’en lisent pas, en déduisent que tous les lecteurs d’Imaginaire sont des attardés. Finalement le pire, Allan, c’est que je crois que si l’Imaginaire se traîne cette image de ’Littérature pour débiles’, ce n’est pas tant par la faute des tenants snobinards de la Littérature Générale (volontiers confondue avec la Grande Littérature) mais, oui, par la nôtre. Ce milieu de l’Imaginaire français manque cruellement – c’est triste à constater – d’ambition. Les auteurs y sont incités à abaisser leur style ou la complexité de leurs intrigues, à s’en tenir à des modèles facilement déchiffrables. A ne surtout pas revendiquer de démarche artistique. Pourquoi ? Parce que les acteurs bien installés de ce milieu pensent que le lecteur d’Imaginaire n’est pas très éveillé. Qu’il faut lui donner, pour le satisfaire, sa provende habituelle : barbares, trolls et épées à deux mains. Les critiques ont dit de la Sève : « trop intelligent / complexe / poétique pour le public français ». Merveilleux, non ? Le public a dit, lui : « meilleur roman Fantasy de l’année ». Est-ce qu’on ne devrait pas en tirer quelques conclusions ?

Pour ma part, je ne pense pas que le public français soit aussi primaire que certains dinosaures le croient. Il peut être ouvert à bien d’autres choses, si on les lui propose, tout en continuant à apprécier de la littérature d’action quand son humeur l’y pousse. Reste à démontrer, donc, que nous pouvons lire autre chose que du AD&D. A partir de là, les idées réductrices de ceux qui, pour l’instant, nous regardent de haut, se déliteront peut-être ? Cela doit venir d’eux mais aussi, réalisons-le, de nous.

Allan : Et puisqu’on parle du petit sorcier, quel regard portez-vous sur le phénomène Potter et sur la littérature pour enfants en général ?

Léa Silhol : La première chose que j’aurais envie de dire c’est que je suis contente pour Mrs Rowlings. Ce qui lui arrive est en un sens un conte de fées. Pour le reste… je n’ai pas lu Potter, honte à moi. Non par manque d’envie, mais par manque de temps. Mais j’ai vu les films, et j’aime beaucoup cet univers. C’est très jubilatoire. Je crois que c’est une création littéraire intéressante, vraiment. Après, la vogue qu’il y a autour… ma foi, ce n’est pas plus outré que ce qui se met en place pour le moindre groupe de rock. Alors pourquoi pas ? Ca ne me choque pas.

Allan : Pensez-vous que c’est un bon moyen d’inciter les jeunes à lire à une époque où nombreux sont ceux qui rentrent en collège sans avoir ouvert d’eux-même un livre ?

Léa Silhol : Je le pense, oui, et ma propre expérience conforte cela : le premier livre que ma fille ait lu était un Harry Potter. Et cela à l’âge de 9 ans. Je perdais un peu espoir. Maintenant elle est dans Tolkien. Franchement, il faudrait être un ronchon professionnel pour ne pas y voir un bien !

Allan : En tant qu’éditrice et anthologiste, peut-on vous demander sur quel critère vous choisissez les textes ou livres qui seront publiés chez Oxymore ?

Léa Silhol : L’amour. Je ne publie pas un texte, ou un livre, s’il ne me passionne pas. Après, évidemment, il faut qu’il ait des chances de se vendre un peu, si l’on veut que l’Oxymore continue son chemin. Mais le critère principal n’est jamais « c’est vendeur ». Du moment qu’un livre a un minimum de chances, et qu’il nous emballe, il est susceptible de trouver sa place chez nous. La voie royale, bien sûr, c’est la soumission de textes à nos anthologies. Là le fait d’être en début de carrière ne représente aucun obstacle, et c’est un bon tremplin vers des livres en solo.

Allan : Qu’est ce qui vous a poussée dans la voie de l’édition et qu’est-ce qui vous attire dans une maison d’édition comme Oxymore ?

Léa Silhol : J’aime les livres. Enormément. Je suis une lectrice boulimique, et j’aime tous les processus de création du livre, du choix des textes au suivi librairie. Je suppose que cela me prédestinait à ce genre de job, même si j’en ai fait pas mal d’autres avant.

L’Oxymore, en particulier, est un microcosme unique en son genre. Un éditeur à taille humaine, tenu par des artistes pour des artistes. Avec un souci de rigueur et d’honnêteté que je n’ai jamais trouvé ailleurs, et une vraie relation de confiance avec ses collaborateurs. C’est aussi une énorme machine à travailler. A corriger, à relire, à parfaire. Sans compromis mercantile, sans concessions, et sans lâcher, jamais, un de ses auteurs. Une utopie ? En tous cas, comme le disent beaucoup des auteurs qui y passent (et bien souvent restent) une « famille ».

Allan : Quels ont été les principaux « obstacles » que vous avez rencontrés quand vous avez voulu être publiée la première fois et quels conseils (ou avertissements) donneriez-vous à un jeune talent qui voudrait se faire éditer ?

Léa Silhol : Le principal obstacle ? Moi. Je n’avais que peu envie de le faire, et confronter mes textes au regard des autres était limite insupportable ! Mais je n’ai jamais vraiment reçu de refus décourageant, ou eu de contacts propres à me dégoûter de tenter l’aventure… enfin à un ou deux près. Mais ensuite, ayant jeté un Œil aux supports en question, j’ai compris que je n’y avais effectivement guère ma place…

Le conseil que je donnerai aux jeunes auteurs qui arrivent ? Hum… en premier lieu, toujours le même : ne grillez pas les étapes. Faites vos dents, et vos preuves, dans des supports adaptés à votre carrière naissante. Publier dans de petites revues ou fanzines est une excellente école, où l’on peut mesurer ses faiblesses et ses forces sans trop se faire laminer par la critique (souvent irresponsable et blessante). On ne peut pas toujours s’asseoir au même sommaire que Tanith Lee ou Neil Gaiman du premier coup, mais ce n’est peut-être pas un mal. C’est bien de prendre son temps, que les choses n’aillent pas trop vite. Et si vous avez un vrai talent, vous réussirez. Il y a vraiment moyen de le faire, dans ce milieu.

Allan : Dans la première nouvelle de Conversations avec la Mort, nous voyons un écrivain un peu fou qui a besoin d’extrême pour pouvoir écrire (alcool et arme à feu) : qui plus est il se soupçonne d’avoir tué son jumeau in uterin :

Léa Silhol : Pas in utero, non, lors de leur enfance – en fracassant sa tête sur le miroir de leur mère ! carrément coupable ! (rires)

Allan : Comme vous le dites vous-même, une histoire à la Stephen King. D’ailleurs, cet auteur a écrit plusieurs livres sur le thème de l’écrivain « fou » (La Part des ténèbres ou encore Shining) : On imagine souvent les artistes excentriques ou un peu fous : pensez-vous que cela soit une attente ou une espérance du lecteur que de voir le « créatif » dans un état mental différent du sien ?

Léa Silhol : C’est une question intéressante… et je pense que la réponse doit être oui. Les artistes font, de fait, le contraire de ce que l’on attend des gens en bonne société : ils vont fouiller dans le vif, le sale, le pantelant. Les blessures et les crimes, les symboles, les fantasmes. On est ici, directement, entre Dieu et Diable sans intermédiaire. L’état dans lequel la plupart des écrivains se mettent pour écrire n’est pas un état, sans doute, « normal ». Dans le sens où il s’agit d’exacerber, de pousser à bout, des idées ou des sentiments. Alors sans doute le public attend-il cela de nous dans certaines circonstances. Et de fait c’est souvent le cas. Porter et dire les excès de nos sociétés. Si ce n’est pas le but de l’exercice, cela en fait indubitablement partie.

Allan : Si vous me permettez ce genre de questions, y a t-il des auteurs qui vous ont particulièrement marquée ces dernières années (français ou étranger) que ce soit en bien ou en mal ?

Léa Silhol : Ces ’dernières’ années particulièrement, pas tellement. Mais c’est aussi que je lis moins, faute de temps ! Si, bon, Braunbeck. Ce type est un génie ! J’ai aussi beaucoup de goût pour les nouvelles de l’ami Fabrice Colin. Et il y a la génération montante, que j’ai eu l’occasion de découvrir par leurs envois de textes chez l’Oxymore : messieurs Claude Mamier, Jess Kaan, Léo Henry, Jerôme Noirez, Sire Cédric, Karim Berrouka… Et puis mon « brelan de dames », les 3 auteures qui me touchent vraiment le plus : Luvan, Lélio, et Elisabeth Ebory. On voit se lever là une génération de Fantastique et Fantasy de toute beauté. Il y a des imaginaires, il y a du style, de la noirceur, de la grâce, du fucking talent. Et, ce qui est plus rare, c’est de la littérature. Osons ! comme dit l’autre. J

Sinon, c’est plutôt du ’plus vieux’ : Tanith Lee toujours, toujours (elle me marque à chaque fois !) ; Nina Kiriki Hoffman, A.S. Byatt (découverte tardivement).

En mal ?… hum. Je ne suis pas très fan des branchouilles trashy de la littérature blanche à la mode. C’est court, souvent écrit avec pas mal de complaisance et un (gros) poil d’égotisme. En général ça me tombe un peu des mains. Je préfère amplement, à ce moment-là, du Umberto Eco ou du Michel Rio, dont les écrits arthuriens sont littéralement sublimes.

Allan : Et au niveau cinéma, quel est votre avis sur la trilogie (non encore finie…) du Seigneur des Anneaux, je me permets la question car vous avez annoncé dans une interview à Oxymore que vous étiez une grande admiratrice de Tolkien…

Léa Silhol : C’est un fait avoué et assumé haut et fort que je suis une fan de Tolkien. Voir le Seigneur des Anneaux en version cinéma était un très vieux rêve. Bon, il y a des défauts, tant au niveau du choix des acteurs (Elrond, Haldir…) qu’au niveau de certaines libertés scénaristiques (Théoden et Faramir ’tirés vers le bas’) mais je pense que Jackson a réussi un tour de force. Evidemment il ne faut considérer comme valables que les versions longues (entre Les 2 Tours ciné et la version longue DVD il n’y a rien de commun !) et j’attends donc avec impatience la sortie du Retour du Roi version longue en DVD pour me faire mon avis final. Il manque des morceaux et cela se voit, ce qui est un peu dommage. Mais à partir du moment où Jackson est parvenu à me faire pleurer sur les 3 volets, je suppose qu’il a plutôt réussi son pari en ce qui me concerne ! Et encore, il m’a épargnée : le morceau qui me tire les pires chutes de larmes à chaque fois dans le livre (l’homélie de Merry sur le corps de Théoden) n’y est pas. Ouf ! J’ai pu garder figure humaine, malgré les grandes eaux sur le moment où Narsil/ Anduril est reforgée. (rires)

Allan : Y a t-il d’autres films qui sont à votre avis dignes de rentrer au panthéon des films Fantasy ?

Léa Silhol : « Conan le Barbare » de Milius. Je l’ai vu à sa sortie quand j’étais petite et… quel choc ! Cela reste, du coup, un film subjectivement très précieux pour moi. Après… ah, je vais forcément en oublier ! Bon, « Legend », de Ridley Scott, « Dark Crystal » aussi… Plus recemment, « Le Règne du Feu »… des Dragons brûlant Londres c’est de la Fantasy, non ? Mais la vérité c’est qu’en matière de cinéma, je suis une fan de films de maisons hantées bien plus que de Fantasy !

Allan : Si vous avez eu le temps de le regarder, que pensez vous du site Fantastinet ?

Léa Silhol : Je regarde toujours les sites où l’on m’invite pour une interview avant d’accepter 😉

Ce qui force toujours mon admiration dans des sites comme celui-ci, c’est la somme de courage et de passion qu’il faut pour les tenir à jour et actifs. J’ai tenu moi-même un fanzine il y a quelques années et je sais à quel point c’est une Œuvre ardue que de coller à l’actualité et de bouger sans arrêt. Surtout sur Internet, où la ’consommation d’info’ est si rapide ! Et Fantastinet bouge tout le temps ! Je pense (mais sans doute est-ce parce que je suis une vilaine maniaque du ’look’) que l’interface visuelle pourrait être un peu améliorée, et je me demande (en grande ennemie des étiquettes) si la classification en « Fantastique » / »Fantasy » etc. ne va pas poser des problèmes en cas de livres mixtes (où allez-vous ranger mes prochaines anthos ?!!). Mais aucun système de classification n’est parfait, et je trouve que Fantastinet évolue de jour en jour, et forge sa place dans les supports d’actu du genre, ce qui est très bien. Je suis particulièrement ravie de voir que les fans d’imaginaire sont aussi actifs, dernièrement. C’est un signe indéniable du dynamisme de ce genre que nous aimons tant !

Et donc je suis ravie d’être ici aujourd’hui !

Allan : Je vous remercie et vous dis à bientôt …

Léa Silhol : Mais c’est moi qui vous remercie, Allan, et ne manquerai pas de visiter souvent Fantastinet et lui souhaite l’avenir le plus brillant possible !


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