Réalisée par :mail
Date :décembre 2003
Allan : Bonjour Léa,
Léa Silhol : Bonjour Allan, ravie dêtre ici !
Allan : Vous êtes Auteur, Anthologiste et directrice littéraire et artistique chez les éditions Oxymore, toutes ces casquettes, ce nest pas trop dur à gérer ?
Léa Silhol : Franchement si. Jai dû acheter un agenda taille XXL depuis quelques années, et je passe largement 12 à 15 heures par jour au boulot. Ce qui est assez amusant quand on sait que, dans mes jeunes années, les adultes autour de moi me traitaient volontiers de « cossarde » (paresseuse). Ce sont les mêmes qui, aujourdhui, me disent : « Léa tu travailles trop, lève le pied ». Mais tous les passionnés de caractère vous le diront : pour se vouer sans compter à un travail, il suffit de laimer furieusement. Et cest mon cas. Jaurais vraiment beaucoup de mal à choisir entre toutes ces « casquettes », tant chaque angle de ce métier est passionnant. Je réalise tous les jours la chance extraordinaire que jai de faire ce travail-là. Je regrette juste, parfois, davoir si peu de temps pour mes proches, et si peu, paradoxalement, pour écrire.
Allan : Jai lu que vous aviez été responsable du Cercle dEtudes Vampiriques : quapporte ce genre dassociations ?
Léa Silhol : Je suppose que cest différent pour chacun différent par rapport à ce quon y recherche. Les principales activités du CEV étaient la publication dun Fanzine ( Requiem ), la tenue dune bibliothèque de prêt, et lorganisation dévènementiels (soirées, nuits cinéma, conférences, réunions-discussion ). Donc disons que, sans considérer laspect fascinant de créer et dalimenter un Fanzine, cela avait surtout une vocation déchanges. Un point de rencontre entre passionnés du vampire littéraire.
Allan : Jai lu votre dernier roman, /”La Sève et le Givre”/ et ce qui ma frappé est dune part la finesse des personnages et dautre part votre style à proprement parler : on a vraiment limpression de plonger dans un conte de fées rédigé “à lancienne” ce qui fait quon a limpression dune totale immersion dans laventure. Est-ce un style naturel ou un effort de tous les instants ?
Léa Silhol : Ah
oui ? Peut-être
A vrai dire, je pense que ce style mest assez naturel, mais que je lai tiré, ici, à lextrême. Javais envie, dans un sens, daller au bout de ma stylistique, de ne faire aucune concession à « lécriture blanche ». Je crois que lécriture, pour être fluide et naturelle, ne doit jamais, justement, tomber dans leffort.
Après, pour ce qui est de la finesse des personnages
jespère que vous avez raison. Ce qui est certain, disons, cest que je suis très misanthrope mais que, paradoxalement, jaime beaucoup les gens. Souvent je les trouve incompréhensibles, ou désespérants, mais ils mintéressent. Ce qui fait que je passe beaucoup de temps à les écouter, à essayer de les comprendre, et cela se retrouve forcément dans mes histoires. La complexité de la pensée humaine est un terrain daction fascinant. Extrapolée vers les états dâme des Immortels, ça lest plus encore !
Allan : Votre roman a reçu le Prix Merlin 2003 du Meilleur Roman fantasy et a été nommé au prix Rosny du Meilleur roman Sf francophone : quel effet, cela fait-il de recevoir ce genre de récompense ?
Léa Silhol : A vrai dire je ne sais pas (rires). Je crois que je nai toujours pas réalisé que des gens lisent ce que jécris. Quand jessaye dimaginer le Lecteur Inconnu en train de lire la Sève dans le métro, sur son canapé ou dans son lit cela me semble assez incongru. Pour moi ces histoires sont toujours des corps à corps avec mon clavier, des maelströms émotionnels. Dès quelles sont figées dans un livre, elles deviennent irréelles, et lidée quelles aient une vie à partir de là, que des vraies personnes les lisent, les aiment (ou pas), pleurent ou rient grâce à elles cest du domaine, pour moi, de linimaginable. Alors aller plus loin et réaliser que des dizaines ou des centaines de gens ont écrit le nom de mon roman sur un bulletin de vote cest carrément alien. Dun autre côté, le fait que ce soit un Prix Public, et que ce choix ait été celui des lecteurs me touche particulièrement. Cest assez impossible à analyser, comme impression.
Allan : Les genres liés à limaginaire (SF, Fantasy et Fantastique) ont toujours été considérés comme des littératures “populaires” et, à ce titre, bénéficient rarement des oreilles des médias (si on excepte quelques oeuvres comme le Seigneur des Anneaux ou Harry Potter – puisque cest la période) : A quoi est-ce dû à votre avis ?
Léa Silhol : En partie à un snobisme crétin de la Presse généraliste, des éditeurs et dune catégorie de lecteurs de lit-gen que je préfère, en tout état de cause, ne pas compter parmi les miens. Mais aussi des auteurs dImaginaire qui écrivent toujours la même vieille soupe, et des lecteurs qui la plébiscitent.
Schématiquement : la grosse Fantasy plaît à certains lecteurs, donc les éditeurs en produisent, et les gens qui, eux, nen lisent pas, en déduisent que tous les lecteurs dImaginaire sont des attardés. Finalement le pire, Allan, cest que je crois que si lImaginaire se traîne cette image de Littérature pour débiles, ce nest pas tant par la faute des tenants snobinards de la Littérature Générale (volontiers confondue avec la Grande Littérature) mais, oui, par la nôtre. Ce milieu de lImaginaire français manque cruellement cest triste à constater dambition. Les auteurs y sont incités à abaisser leur style ou la complexité de leurs intrigues, à sen tenir à des modèles facilement déchiffrables. A ne surtout pas revendiquer de démarche artistique. Pourquoi ? Parce que les acteurs bien installés de ce milieu pensent que le lecteur dImaginaire nest pas très éveillé. Quil faut lui donner, pour le satisfaire, sa provende habituelle : barbares, trolls et épées à deux mains. Les critiques ont dit de la Sève : « trop intelligent / complexe / poétique pour le public français ». Merveilleux, non ? Le public a dit, lui : « meilleur roman Fantasy de lannée ». Est-ce quon ne devrait pas en tirer quelques conclusions ?
Pour ma part, je ne pense pas que le public français soit aussi primaire que certains dinosaures le croient. Il peut être ouvert à bien dautres choses, si on les lui propose, tout en continuant à apprécier de la littérature daction quand son humeur ly pousse. Reste à démontrer, donc, que nous pouvons lire autre chose que du AD&D. A partir de là, les idées réductrices de ceux qui, pour linstant, nous regardent de haut, se déliteront peut-être ? Cela doit venir deux mais aussi, réalisons-le, de nous.
Allan : Et puisquon parle du petit sorcier, quel regard portez-vous sur le phénomène Potter et sur la littérature pour enfants en général ?
Léa Silhol : La première chose que jaurais envie de dire cest que je suis contente pour Mrs Rowlings. Ce qui lui arrive est en un sens un conte de fées. Pour le reste je nai pas lu Potter, honte à moi. Non par manque denvie, mais par manque de temps. Mais jai vu les films, et jaime beaucoup cet univers. Cest très jubilatoire. Je crois que cest une création littéraire intéressante, vraiment. Après, la vogue quil y a autour ma foi, ce nest pas plus outré que ce qui se met en place pour le moindre groupe de rock. Alors pourquoi pas ? Ca ne me choque pas.
Allan : Pensez-vous que cest un bon moyen dinciter les jeunes à lire à une époque où nombreux sont ceux qui rentrent en collège sans avoir ouvert deux-même un livre ?
Léa Silhol : Je le pense, oui, et ma propre expérience conforte cela : le premier livre que ma fille ait lu était un Harry Potter. Et cela à lâge de 9 ans. Je perdais un peu espoir. Maintenant elle est dans Tolkien. Franchement, il faudrait être un ronchon professionnel pour ne pas y voir un bien !
Allan : En tant quéditrice et anthologiste, peut-on vous demander sur quel critère vous choisissez les textes ou livres qui seront publiés chez Oxymore ?
Léa Silhol : Lamour. Je ne publie pas un texte, ou un livre, sil ne me passionne pas. Après, évidemment, il faut quil ait des chances de se vendre un peu, si lon veut que lOxymore continue son chemin. Mais le critère principal nest jamais « cest vendeur ». Du moment quun livre a un minimum de chances, et quil nous emballe, il est susceptible de trouver sa place chez nous. La voie royale, bien sûr, cest la soumission de textes à nos anthologies. Là le fait dêtre en début de carrière ne représente aucun obstacle, et cest un bon tremplin vers des livres en solo.
Allan : Quest ce qui vous a poussée dans la voie de lédition et quest-ce qui vous attire dans une maison dédition comme Oxymore ?
Léa Silhol : Jaime les livres. Enormément. Je suis une lectrice boulimique, et jaime tous les processus de création du livre, du choix des textes au suivi librairie. Je suppose que cela me prédestinait à ce genre de job, même si jen ai fait pas mal dautres avant.
LOxymore, en particulier, est un microcosme unique en son genre. Un éditeur à taille humaine, tenu par des artistes pour des artistes. Avec un souci de rigueur et dhonnêteté que je nai jamais trouvé ailleurs, et une vraie relation de confiance avec ses collaborateurs. Cest aussi une énorme machine à travailler. A corriger, à relire, à parfaire. Sans compromis mercantile, sans concessions, et sans lâcher, jamais, un de ses auteurs. Une utopie ? En tous cas, comme le disent beaucoup des auteurs qui y passent (et bien souvent restent) une « famille ».
Allan : Quels ont été les principaux “obstacles” que vous avez rencontrés quand vous avez voulu être publiée la première fois et quels conseils (ou avertissements) donneriez-vous à un jeune talent qui voudrait se faire éditer ?
Léa Silhol : Le principal obstacle ? Moi. Je navais que peu envie de le faire, et confronter mes textes au regard des autres était limite insupportable ! Mais je nai jamais vraiment reçu de refus décourageant, ou eu de contacts propres à me dégoûter de tenter laventure
enfin à un ou deux près. Mais ensuite, ayant jeté un il aux supports en question, jai compris que je ny avais effectivement guère ma place
Le conseil que je donnerai aux jeunes auteurs qui arrivent ? Hum
en premier lieu, toujours le même : ne grillez pas les étapes. Faites vos dents, et vos preuves, dans des supports adaptés à votre carrière naissante. Publier dans de petites revues ou fanzines est une excellente école, où lon peut mesurer ses faiblesses et ses forces sans trop se faire laminer par la critique (souvent irresponsable et blessante). On ne peut pas toujours sasseoir au même sommaire que Tanith Lee ou Neil Gaiman du premier coup, mais ce nest peut-être pas un mal. Cest bien de prendre son temps, que les choses naillent pas trop vite. Et si vous avez un vrai talent, vous réussirez. Il y a vraiment moyen de le faire, dans ce milieu.
Allan : Dans la première nouvelle de Conversations avec la Mort, nous voyons un écrivain un peu fou qui a besoin dextrême pour pouvoir écrire (alcool et arme à feu) : qui plus est il se soupçonne davoir tué son jumeau in uterin :
Léa Silhol : Pas in utero, non, lors de leur enfance en fracassant sa tête sur le miroir de leur mère ! carrément coupable ! (rires)
Allan : Comme vous le dites vous-même, une histoire à la Stephen King. Dailleurs, cet auteur a écrit plusieurs livres sur le thème de lécrivain “fou” (La Part des ténèbres ou encore Shining) : On imagine souvent les artistes excentriques ou un peu fous : pensez-vous que cela soit une attente ou une espérance du lecteur que de voir le “créatif” dans un état mental différent du sien ?
Léa Silhol : Cest une question intéressante et je pense que la réponse doit être oui. Les artistes font, de fait, le contraire de ce que lon attend des gens en bonne société : ils vont fouiller dans le vif, le sale, le pantelant. Les blessures et les crimes, les symboles, les fantasmes. On est ici, directement, entre Dieu et Diable sans intermédiaire. Létat dans lequel la plupart des écrivains se mettent pour écrire nest pas un état, sans doute, « normal ». Dans le sens où il sagit dexacerber, de pousser à bout, des idées ou des sentiments. Alors sans doute le public attend-il cela de nous dans certaines circonstances. Et de fait cest souvent le cas. Porter et dire les excès de nos sociétés. Si ce nest pas le but de lexercice, cela en fait indubitablement partie.
Allan : Si vous me permettez ce genre de questions, y a t-il des auteurs qui vous ont particulièrement marquée ces dernières années (français ou étranger) que ce soit en bien ou en mal ?
Léa Silhol : Ces dernières années particulièrement, pas tellement. Mais cest aussi que je lis moins, faute de temps ! Si, bon, Braunbeck. Ce type est un génie ! Jai aussi beaucoup de goût pour les nouvelles de lami Fabrice Colin. Et il y a la génération montante, que jai eu loccasion de découvrir par leurs envois de textes chez lOxymore : messieurs Claude Mamier, Jess Kaan, Léo Henry, Jerôme Noirez, Sire Cédric, Karim Berrouka
Et puis mon « brelan de dames », les 3 auteures qui me touchent vraiment le plus : Luvan, Lélio, et Elisabeth Ebory. On voit se lever là une génération de Fantastique et Fantasy de toute beauté. Il y a des imaginaires, il y a du style, de la noirceur, de la grâce, du fucking talent. Et, ce qui est plus rare, cest de la littérature. Osons ! comme dit lautre. J
Sinon, cest plutôt du plus vieux : Tanith Lee toujours, toujours (elle me marque à chaque fois !) ; Nina Kiriki Hoffman, A.S. Byatt (découverte tardivement).
En mal ?
hum. Je ne suis pas très fan des branchouilles trashy de la littérature blanche à la mode. Cest court, souvent écrit avec pas mal de complaisance et un (gros) poil dégotisme. En général ça me tombe un peu des mains. Je préfère amplement, à ce moment-là, du Umberto Eco ou du Michel Rio, dont les écrits arthuriens sont littéralement sublimes.
Allan : Et au niveau cinéma, quel est votre avis sur la trilogie (non encore finie…) du Seigneur des Anneaux, je me permets la question car vous avez annoncé dans une interview à Oxymore que vous étiez une grande admiratrice de Tolkien…
Léa Silhol : Cest un fait avoué et assumé haut et fort que je suis une fan de Tolkien. Voir le Seigneur des Anneaux en version cinéma était un très vieux rêve. Bon, il y a des défauts, tant au niveau du choix des acteurs (Elrond, Haldir ) quau niveau de certaines libertés scénaristiques (Théoden et Faramir tirés vers le bas) mais je pense que Jackson a réussi un tour de force. Evidemment il ne faut considérer comme valables que les versions longues (entre Les 2 Tours ciné et la version longue DVD il ny a rien de commun !) et jattends donc avec impatience la sortie du Retour du Roi version longue en DVD pour me faire mon avis final. Il manque des morceaux et cela se voit, ce qui est un peu dommage. Mais à partir du moment où Jackson est parvenu à me faire pleurer sur les 3 volets, je suppose quil a plutôt réussi son pari en ce qui me concerne ! Et encore, il ma épargnée : le morceau qui me tire les pires chutes de larmes à chaque fois dans le livre (lhomélie de Merry sur le corps de Théoden) ny est pas. Ouf ! Jai pu garder figure humaine, malgré les grandes eaux sur le moment où Narsil/ Anduril est reforgée. (rires)
Allan : Y a t-il dautres films qui sont à votre avis dignes de rentrer au panthéon des films Fantasy ?
Léa Silhol : « Conan le Barbare » de Milius. Je lai vu à sa sortie quand jétais petite et quel choc ! Cela reste, du coup, un film subjectivement très précieux pour moi. Après ah, je vais forcément en oublier ! Bon, « Legend », de Ridley Scott, « Dark Crystal » aussi Plus recemment, « Le Règne du Feu » des Dragons brûlant Londres cest de la Fantasy, non ? Mais la vérité cest quen matière de cinéma, je suis une fan de films de maisons hantées bien plus que de Fantasy !
Allan : Si vous avez eu le temps de le regarder, que pensez vous du site Fantastinet ?
Léa Silhol : Je regarde toujours les sites où lon minvite pour une interview avant daccepter 😉
Ce qui force toujours mon admiration dans des sites comme celui-ci, cest la somme de courage et de passion quil faut pour les tenir à jour et actifs. Jai tenu moi-même un fanzine il y a quelques années et je sais à quel point cest une uvre ardue que de coller à lactualité et de bouger sans arrêt. Surtout sur Internet, où la consommation dinfo est si rapide ! Et Fantastinet bouge tout le temps ! Je pense (mais sans doute est-ce parce que je suis une vilaine maniaque du look) que linterface visuelle pourrait être un peu améliorée, et je me demande (en grande ennemie des étiquettes) si la classification en « Fantastique » / »Fantasy » etc. ne va pas poser des problèmes en cas de livres mixtes (où allez-vous ranger mes prochaines anthos ?!!). Mais aucun système de classification nest parfait, et je trouve que Fantastinet évolue de jour en jour, et forge sa place dans les supports dactu du genre, ce qui est très bien. Je suis particulièrement ravie de voir que les fans dimaginaire sont aussi actifs, dernièrement. Cest un signe indéniable du dynamisme de ce genre que nous aimons tant !
Et donc je suis ravie dêtre ici aujourdhui !
Allan : Je vous remercie et vous dis à bientôt …
Léa Silhol : Mais cest moi qui vous remercie, Allan, et ne manquerai pas de visiter souvent Fantastinet et lui souhaite lavenir le plus brillant possible !