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Interview d’Anaïs Cros

A l’occasion de la réédition des Lunes de Sang aux éditions Armada, nous avons pu échanger quelques questions avec son auteur Anaïs Cros. Merci à Anaïs de nous avoir accorder du temps.

Est-ce que tu peux, et je sais que ce n’est pas très original, te présenter à nos visiteurs ?
Bonjour à tous ! Je me présente, je m’appelle Henry… Ah non, pardon, je m’appelle Anaïs et je fais des blagues moisies. ^^ J’attaque la trentaine (il faut dire qu’elle l’a bien cherchée) et j’ai décidé de le faire à coups de romans. Je suis alsacienne (à 50 % dans mes gènes et à 100 % dans mon cœur), j’aime Chopin et la musique en général (le meilleur stimulant intellectuel et le plus sublime vecteur d’émotions) et j’ai un goût immodéré pour les parenthèses (comme vous l’aurez constaté). Sinon j’écris des livres depuis aussi loin que remontent mes souvenirs et j’ai eu la chance d’être publiée à plusieurs reprises (c’est d’ailleurs pour ça qu’on est là). Voilà. Est-ce qu’il y a moyen que je gagne la Palme d’or de la présentation la plus foutraque ?

Au mois de juin, Les Lunes de Sang arrivent au catalogue des Editions Armada. Si je ne me trompe pas, la publication de la série a été très compliquée après un passage chez Nestiveqnen, Lokomodo et un passage en auto-édité… Je suppose que cela a été un soulagement de pouvoir éditer la suite des Lunes de Sang ?
Effectivement ! On peut dire que la série a connu un destin assez compliqué. Après le grand bonheur de la première publication, il y a rapidement eu la désillusion de découvrir que les petites maisons d’éditions ne sont pas toujours très solides, ni les éditeurs très corrects. Un passage raté par l’auto-édition m’a permis de constater que je savais écrire des livres, mais pas les vendre. Retour à la case éditeur avec Lokomodo. Les choses paraissaient bien partis, mais… Bon. Je ne vous cache pas qu’après la déconfiture de Lokomodo, je commençais à en avoir ras la casquette des Lunes de Sang. Mais maintenant la machine est relancée avec Armada, alors on croise les doigts (en plus, il paraît qu’elle est invincible, l’Armada, alors… ;).

D’ailleurs, les 4 premiers titres vont être édités en deux volumes avant qu’un troisième volume n’apparaisse… Peux-tu nous dire ce qui sera au cœur de cette nouvelle parution à venir ?
La reprise des premiers tomes devrait être intéressante, car les romans auront été retravaillés. Jérôme Baud, le boss d’Armada, est assez exigeant (meuh nan, je ne suis pas en train de râler) et il y a eu pas mal de retouches. Et puis bien sûr, la cerise sur le gâteau, c’est la présence des illustrations de Michel Borderie pour chacun des principaux personnages. On retrouvera ses dessins dans chacun des volumes et le rendu est très chouette. Au minimum, ce seront des livres qui feront classe dans votre bibliothèque ! (ok, je rappelle que j’ai dit que j’étais nulle comme vendeuse) Enfin, pour ceux qui auront accroché ou qui attendent la suite avec impatience, le dernier volume sera totalement inédit.

Est-ce que cela sera la conclusion du cycle ou vas-tu poursuivre l’écriture dans cet univers ?
Je n’ai pas clôturé l’histoire de cet univers, en revanche celle de tous les personnages principaux, oui. Le sixième tome se termine par une vraie fin, il n’y aura pas de suite pour les héros qu’on suit depuis le début. Je ne me suis pas totalement fermé la porte si un jour, j’ai envie de refaire un tour dans les Territoires Magiques, mais je doute que ça arrive ou alors ce sera sous un angle totalement différent. Je n’aime pas me répéter et, en ce qui me concerne, l’aventure des Lunes de Sang appartient déjà au passé.

Les Lunes de Sang sont un hommage au duo Holmes / Watson, transposé dans un monde de fantasy… Je suppose que tu es fan de Sherlock Holmes mais pourquoi dans un monde de Fantasy ?
Je suis effectivement fan de Sherlock Holmes, depuis que j’ai découvert ses aventures vers l’âge de douze ou treize ans. Plus je grandissais en tant qu’auteur, plus je caressais l’idée de reprendre ce personnage si fascinant. Mais au moment où j’ai commencé à écrire Les Lunes de Sang (ce qui remonte quand même à plus de dix ans), je n’avais pas encore assez confiance en moi pour m’attaquer à l’immense travail de recherche historique qu’exige une enquête de Sherlock Holmes dans le Londres victorien. Par ailleurs, même si je ne suis pas une intégriste de l’holmésologie (pas trop en tous cas) et que j’aime qu’on joue avec les caractéristiques du personnage, j’ai horreur qu’on trahisse ce que je considère comme ses traits fondamentaux (comme le font trop d’adaptations récentes). Je ne voulais donc pas trahir Sherlock et en même temps je refuse de me poser de limites quand je construis un personnage. Face à tous ces dilemmes, j’ai décidé de me simplifier la vie : j’ai créé mon propre monde, contrôlable de A à Z, et un personnage basé sur Sherlock Holmes mais sans être limité par le poids du mythe, un personnage qui m’appartient totalement. Voilà le pourquoi du comment.

J’avoue que j’étais très intrigué par ce choix et curieux de voir comment on pouvait écrire sur des monstres sacrés tout en gardant dans le même temps un public fantasy et je dois avouer que tu t’en sors très bien. Comment construit-on un roman hommage sans dénaturer les règles de la fantasy ?
En n’essayant pas de faire un roman hommage et en ne tenant aucun compte des règles de la fantasy ! Ça peut paraître surprenant, mais je n’ai jamais pensé à en ces termes. Pour ce qui est du côté « hommage », j’ai toujours vu ça davantage comme un jeu ou éventuellement une minuscule contribution à la riche collection de pastiches existant déjà autour de Sherlock Holmes. Rien d’aussi sérieux qu’un hommage. Quant à la fantasy, pour être tout à fait honnête, je n’en connais pas les règles. J’ai lu très peu de fantasy dans ma vie, à l’exception notable du Seigneur des Anneaux et de l’Assassin Royal de Robin Hobb. Ce n’est pas mon genre de prédilection et de loin. Je l’ai donc abordé en toute innocence et avec l’audace des candides. Mon seul but était de développer mon histoire et mes personnages, comme je le fais toujours quand je commence un nouveau livre. Je ne réfléchis jamais en termes de genre ou de règles littéraires. A mon sens, en faisant ça, on ne peut obtenir qu’un résultat artificiel. Mes histoires sont organiques, elles grandissent comme des êtres vivants, elles vont là où le vent les porte, elles se fichent des genres et des règles et c’est, je l’espère, ce qui leur donne leur force et leur cohérence. Bien sûr, ça ne signifie pas que je ne réfléchis pas en amont, bien au contraire. C’est parce que j’ai beaucoup réfléchi avant que je peux laisser mon histoire se développer librement. Pas très clair tout ça, mais c’est difficile de mettre des mots sur un tel processus (ah bravo, l’auteur, quel comble !).

J’ai trouvé que la thématique la plus au cœur de l’histoire n’était pas vraiment l’enquête mais plus ce combat intérieur à Evrahl autour de la vengeance et de l’amitié. D’ailleurs, l’ensemble des personnages sont bien travaillés : comment t’y es-tu pris pour définir ces personnages et leur comportement, état d’esprit… Evoluent-ils au fur et à mesure au gré de l’aventure ou avais-tu déjà dressé leur profil « psychologique » ?
Tout d’abord, merci pour cette remarque qui me fait très plaisir. Les personnages sont au centre de tout pour moi et la véritable histoire des Lunes de Sang est celle de l’amitié entre Listak et Evrahl. C’est le fil rouge qui guide tout la série : la façon dont leurs destins sont liés et leurs sentiments par rapport à ce lien. Je savais dès le départ que leur amitié serait essentielle, parce que c’est une des choses qui me fascinent chez Sherlock Holmes : sa relation avec Watson. Partant de là, j’ai construit mes personnages sur la base de leurs célèbres modèles, mais aussi l’un vis-à-vis de l’autre. Je ne dresse pas réellement de profil psychologique, même si je prends quelques notes, je laisse les personnages grandir dans un coin de ma tête et, bien sûr, ils évoluent au fil des expériences qu’ils vivent, des épreuves qu’ils traversent, de leurs interactions… comme des vraies personnes. Encore une fois, c’est quelque chose de très organique, d’intérieur, d’instinctif. Comme si ces personnages existaient quelque part et que je me contentais de décrire ce que j’apprends d’eux au fil de l’histoire. Parfois, ils arrivent même à me surprendre. 🙂

Une population me semble moins « fantasy » : pâle, sortant le soir, buvant du sang… Serait-ce tout simplement des vampires ?
En effet, les lunaires sont des espèces de vampires revisités. J’avais envie de mettre mon grain de sel au milieu des autres peuples de fantasy plus classiques. Et puis qui peut résister à une bonne histoire de vampires ? (j’ai dit une bonne histoire, hein…)

Maintenant que Les Lunes de Sang ont une nouvelle vie, as-tu d’autres projets que tu aimerais voir aboutir ?
Sachant que j’ai mis le point final au dernier tome des Lunes de Sang il y a déjà trois ans, je suis passée à autre chose depuis longtemps au niveau de l’écriture. J’ai écrit plusieurs autres romans, tous orientés vers le fantastique qui est un genre qui me correspond davantage (même si j’ai tendance à déborder du cadre, comme toujours). Je finalise actuellement un roman centré sur l’Alsace. J’ai envie d’explorer l’histoire de ma région, ses lieux insolites, ses mythes, ses légendes. C’est un roman séparé en deux histoires parallèles se déroulant toutes deux à Strasbourg, l’une au XVIe siècle et l’autre à notre époque, peuplé de créatures étranges, une sorte de mélange entre enquête, aventure, roman historique, fantastique et psychologique… (quand je disais que je n’aimais pas les cadres). Je ne vais pas tarder à le soumettre à des éditeurs et j’espère vraiment qu’il saura plaire, parce que j’ai l’intention d’en faire une nouvelle série. Je touche du bois ! (aïe, ma tête !)

Je te remercie de nous avoir accordé du temps et, comme il est de tradition chez nous, je te laisse le mot de la fin.
Il n’y a rien de plus difficile qu’une bonne conclusion, alors je ne te remercie pas de cette lourde tâche. Par contre, je remercie ceux qui ont eu la patience de lire jusque là et plus encore ceux qui se sont dit « tiens, et si je tentais de me plonger dans ce bouquin de fantasy qui joue avec le mythe holmésien ? » (mais si, vous avez pensé ça, avouez-le. En plus je vous rappelle qu’il y a des super illustrations !). Dans tous les cas, quel que soit le bouquin sur lequel vous jetterez votre dévolu, je vous souhaite une bonne lecture !


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