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Interview de Bertrand Campeis

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Si vous ne connaissez pas Bertrand, sachez qu’il est l’anthologiste de la trilogie “Dimension Uchronie” dont vous pouvez trouver la chronique du premier sur Fantastinet. L’Uchronie vous ne connaissez pas ? Je vous invite à découvrir ce que c’est au travers des réponses de Bertrand…

Bonjour Bertrand, nous avons eu l’occasion d’échanger un peu tous les deux durant les Utopiales, mais comme tout le monde n’a pas eu cette chance, pourrais-tu te présenter à nos visiteurs ?

Bonjour ! Je m’appelle Bertrand Campeis, j’ai (très bientôt) 42 ans, je suis fonctionnaire au ministère des Armées (où je m’occupe des anciens combattants) et je vis chez mes deux chats noirs Neko et Jiji.
Je parle beaucoup, suis tête en l’air, j’ai énormément de mal à me rappeler le prénom des gens que je croise et j’ai encore plus de mal à regarder les gens dans les yeux (ce qui est très déstabilisant quand on me parle).
Je lis beaucoup (mais pas autant que je le voudrais), pioche dans tous les genres, sors beaucoup avec des ami.e.s et boit beaucoup de café.

Tu as l’air d’avoir un truc avec l’uchronie (Le guide de l’Uchronie avec Karine Gobled chez ActuSF, Une postface de Underground Airlines de Ben H. Winters chez ActuSF et trois Dimension Uchronie chez Rivière Blanche) alors peux-tu nous dire comment tu décrirais l’uchronie ?

L’uchronie pour moi n’est pas vraiment un genre mais un moyen d’arriver à ses fins. Je garde toujours en mémoire le thriller uchronique Fatherland, de Robert Harris, qui imagine une victoire de l’Allemagne nazie pour mieux nous interroger, à travers une enquête haletante, sur la Solution Finale. Je suis un ancien étudiant d’Histoire (j’ai poussé jusqu’en maîtrise puis j’ai laissé tomber), je viens d’une famille où on lit beaucoup, et énormément en rapport avec l’Histoire : ma mère était professeur d’Histoire, et mon père lit énormément d’Histoire militaire, de romans de Science-Fiction et autres. Le jour où j’ai découvert qu’on pouvait mixer les deux en tombat sur l’essai d’Eric B. Henriet, L’Histoire revisitée ou panorama de l’uchronie sous toutes ses formes, j’ai plongé sans hésiter dans ce genre à part, qui m’a permis de concilier mon amour de l’Histoire et de la SF. L’uchronie c’est la formule « Et si ? » Et si on pouvait modifier l’Histoire en modifiant un évènement ? Qu’est-ce qui se passerait après ? L’uchronie commence là 🙂

L’exercice de « modifier » l’histoire est pour certains une abomination. Pourtant, nous voyons de plus en plus d’histoires s’appuyant sur le « Et si… » : quel à ton sens l’intérêt et la raison de l’intérêt autour de l’uchronie ?

Pour moi (et j’insiste bien là-dessus, ce n’est que mon point de vue et je ne prétends pas qu’il est juste) il s’agit avant tout d’un jeu intellectuel. En s’interrogeant sur l’Histoire, sur nous-mêmes aussi vu qu’il existe des uchronies personnelles, où vous réécrivez votre histoire, nous nous interrogeons sur l’Histoire : celle-ci est-elle tracée ? Peut-on la changer, la modifier ? En refaisant des guerres, en s’interrogeant sur la nature de l’être humain, en revisitant l’histoire de « grands » conquérants, on mixe les sciences humaines et la fiction, bref on revisite la Science-Fiction 🙂

Si nous devions mettre une origine au genre, où la situerais-tu ?

Sans hésiter 1836 avec la parution du roman uchronique Napoléon et la conquête du monde. L’important n’est pas tant qu’il y ait eu des romans jouant avec l’uchronie avant lui (on trouve quelques romans étonnants comme par exemple l’énorme geste de Tirant le Blanc écrit par Joanot Martorell et publié en 1490 qui imagine rien moins que la libération de Constantinople de la tutelle ottomane par un chevalier breton ! C’est à la fois un roman de chevalerie mais sans éléments fantastiques comme on en trouve tant dans ce type d’œuvre. Faut-il pour autant le considérer comme uchronique ? J’ai, pour ma part un doute, les romans chevaleresques prenant pas mal de libertés avec l’Histoire (songez à Charlemagne et à son neveu Roland), le tout sous couvert de propagande et de rêverie. Ici il faut y voir un grand roman d’aventures avec un élément uchronique qui ne connait pas de suite, et cela change tout. Louis-Napoléon Geoffroy-Château, lui, crée un genre à part entière en montrant le Point de Divergence dès le départ, en inventant le clin d’œil au lecteur et en introduisant des critiques subtiles à l’encontre de l’Empire de Napoléon. Par la suite, en 1876, Charles Renouvier écrit un roman qui donnera son nom au genre en France : Uchronie. On dénombre bon nombre de termes encore aujourd’hui, comme Histoire-Fiction ou Histoire Contrefactuelle, qui est plutôt utilisé en recherche historique, mais quelle importance ? L’uchronie et la formule qui lui est attachée le « Et si ? » m’ont plus marqué que bon nombre d’autres termes. L’autre chose importante étant le glissement vers la Science-fiction et son intégration à celle-ci en tant que sous-genre (sans parler du fait que l’uchronie se retrouve maintenant sous formes de romans, d’essais, de séries, de films, de jeux vidéos, etc.) mais ça, c’est une autre histoire 🙂

En tant qu’amateur, quel.le autrice / auteur recommanderais-tu pour commencer ?

C’est toujours délicat de donner une réponse à ce type de question car cela nous amène à nous en poser une autre : que recherche la personne comme type de lecture ?

Ma première grande claque uchronique c’est Fatherland de Robert Harris, décrivant une enquête cauchemardesque dans un Berlin nazi en… 1964 ! L’Allemagne a gagné la guerre et règne sur l’Europe. Un flic, pas très en odeur de sainteté avec ses supérieurs, va devoir enquêter sur la mort d’un vieux ponte nazi, et ce à quelques jours de la visite officielle du Président américain, Joseph Kennedy (le papa de John) qui vient fêter les 75 ans d’Adolf Hitler et signer un traité de paix avec celui-ci… L’ambiance est lourde, monstrueuse et palpitante de bout en bout. J’ai également adoré SS-GB de Len Deighton, qui suit une enquête fiévreuse dans une Angleterre qui, en 1941, vient d’être conquise par les Nazis. Un enquêteur londonien va devoir collaborer avec un SS sur un assassinat impliquant la résistance britannique. Là aussi l’ambiance est prenante, noire, désespérée. Comme on le voit ici, comme dans Le maître du haut-château de Philip K. Dick on joue sur l’ambiance, sur l’enquête, en projetant des gens ordinaires dans un système monstrueux qui est là pour broyer l’être humain, pour l’annihiler. On joue avec nos peurs en montrant que personne ne ressort indemne d’une collaboration avec un système aussi inhumain. Si je recommande les deux premiers romans, je ne peux faire de même pour celui de Dick, car s’il joue avec l’uchronie on sent que ce n’est pas le propos principal du roman, et quand je l’ai lu jeune je n’y ai rien compris ^_^ c’est après bien des lectures que j’ai compris que Dick jouait avec la notion d’univers parallèles, de projection de l’être humain au sein d’un système destiné à le broyer.
Je recommande les différentes œuvres mises en avant par le Prix ActuSF de l’Uchronie, dont je fais partie, et où nous essayons, année après année, de mettre en avant ce qui sort en France.

Pourquoi as-tu décidé de faire une anthologie spécifiquement autour de cette thématique et la recherche de textes a-t-elle été facile ?

Philippe Ward m’avait proposé il y a quelques années de faire une anthologie autour du thème (il connaît ma passion pour le genre) mais je m’en sentais largement incapable… Et puis un jour je me suis dit que merde, il fallait se lancer et au moins cela serait fait. J’ai donc lancé un appel à textes et j’ai eu pas mal de textes. J’ai eu la chance d’avoir l’aide d’ami.e.s, comme Hermine Hémon qui m’a donné plus qu’un coup de main sur la relecture et la correction des textes (sans oublier que son compagnon et elle-même traduisent les nouvelles étrangères). J’ai eu la chance d’avoir dans mes amies une artiste talentueuse, en la personne de Tiffanie Uldry, qui me fait de très belles couvertures. Techniquement nous serons à près de 50 nouvelles uchroniques avec la parution du troisième et dernier volume, mon rêve c’était ça : présenter des anthologies Mammouth pour montrer qu’on peut jouer avec les codes du genre, mélanger des autrices et auteurs novices avec des noms connus. Bref se faire plaisir. C’est toute la philosophie du truc en fait, il faut se faire plaisir, et c’est tout ce qui compte.

Sur certaines nouvelles, indépendamment de la qualité intrinsèque du texte, j’ai eu du mal à percevoir la dimension uchronique… La connaissance de l’histoire « d’origine » est-elle pour toi importante pour apprécier à sa juste valeur l’uchronie qui en découle ?

J’ai eu des indications sur le fait qu’on ne voyait pas trop le Point de Divergence, du coup j’ai demandé à chacune des personnes de bien vouloir répondre à une interview pour expliciter sa nouvelle, parler de son point de divergence et de son rapport à l’uchronie. Pour moi oui, c’set important, c’est jouer au Sherlock Holmes de l’uchronie en découvrant le pivot de cette autre histoire qui diverge de la nôtre, mais c’est surtout, dans mon cas, un plaisir de fin gourmet. Qu’importe qu’on le voie ou pas ce fameux point de divergence, l’important c’est le plaisir de lecture, c’est ce moment où tu suspends ton incrédulité, où tu rêves les yeux ouverts.

Certaines histoires font intervenir des éléments du merveilleux (Vampires et dragons notamment) : reste-t-on dans le domaine uchronique lorsque nous insérons ces éléments ?

Oui. Je suis toujours subjugué quand on me parle d’uchronie réaliste. On peut essayer de bâtir une uchronie plausible, mais pour ma part c’est un rêve qui peut vite tourner à l’obsession, au point de détail qui l’emporte sur tout le reste et surtout au fait qu’on est persuadés d’avoir raison envers et contre tous et tout. L’uchronie est certes un jeu intellectuel où l’on joue à se faire plaisir (ou se faire peur quand on imagine la victoire de l’Allemagne Nazie) mais il ne faut pas lui donner une trop grande importance. C’est un divertissement. Un jeu. Ni plus ni moins. J’ai découvert l’uchronie quand j’étais étudiant en Histoire, j’ai poussé jusqu’à la Maîtrise d’Histoire en me spécialisant en Histoire Militaire. L’un de mes grands dadas quand j’ai découvert l’uchronie c’était d’imaginer une défaite de l’Allemagne Nazie en Mai-Juin 1940. Je dévorais beaucoup d’essais, d’articles, je lisais des pages entières de forums Militaria sur la question. C’était devenu une obsession. Au bout d’un moment, je me suis aperçu que ça ne servait à rien de trouver un Point de Divergence crédible car dans ce cas il aurait fallût réécrire rien moins que la Première Guerre mondiale en imaginant des tanks différents sur la fin de la guerre, des doctrines différentes et surtout réécrire tout l’entre-deux guerres… Ou revoir le plan Dyle-Breda ou… Bref ça n’en finit pas ^^. Je suis depuis près de 10 ans la Fantasque Time Line qui imagine que la France continue la guerre depuis l’Algérie après avoir perdu la guerre en métropole. C’est une équipe de passionnés qui réécrit, patiemment et avec passion (il en faut pour le faire depuis 10 ans), une autre Histoire. Techniquement on peut se demander si ça en vaut la peine, si ce n’est pas du temps perdu, moi, tout ce que je vois, c’est de la passion. On part d’une question et on déroule la pelote de laine jusqu’au bout.
Revenons aux dragons, vampires et autres créatures : en quoi cela ne serait-il pas uchronique ? Qu’est-ce qui nous dit que le vampirisme n’est pas une maladie transmise par les Huns ? (The Empire of Fear de Brian Stableford, jamais traduit) Que l’on n’a pas utilisé les Dragons comme arme aérienne lors des guerres napoléoniennes… Ou de la Seconde Guerre mondiale ? (Téméraire de Naomi Novak, série complète en 9 tomes chez Outrefleuve et Rosée de feu de Xavier Mauméjean qui imagine que la force aérienne du Japon de la Seconde Guerre mondiale est constituée de dragons) Que Louis XIV n’a pas fait venir à la cour de Versailles une sirène pour pouvoir goûter à sa chair et espérer ainsi devenir immortel ? (La Lune et le Roi-Soleil de Vonda N. McIntyre chez Le livre de poche). Comme on le voit simplement avec ces titres on peut mélanger les genres, c’est ce qui fait tout le charme de la Science-Fiction, donc non pour moi c’est plutôt une immense chance que nous avons en lisant des romans qui se réapproprient bon nombre de contes et légendes, ou de romans, et en nous les présentant sous un autre jour. Ce n’est pas Jean-Luc Marcastel avec son Louis le Galloup et sa trilogie Le Simulacre où il offre à D’Artagnan la plus grande de ses aventures qui va me contredire 😉 Relisez toute la série Lasser qui joue avec bon nombre de genres avec beaucoup d’humour. Faites-vous plaisir, foutez-vous des étiquettes. ^^

Nous avons déjà eu de très bons textes dans ce premier opus, quelles sont les nouvelles que tu es particulièrement fier d’avoir intégré dans les deux prochains ?

Toutes : je tiens à survivre au courroux de mes autrices et auteurs déchaîné.e.s de ne pas avoir été cité.e.s par ce cuistre d’anthologiste. ^^ Je les aime bien toutes et j’ai des préférences mais c’est très subjectif (et propres à moi-même) donc je ne vais embêter personne avec mes obsessions personnelles. ^^

As-tu d’autres projets sur le feu dont tu voudrais nous parler ?

Boucler le tome 3 et commencer à écrire un roman uchronique ! Je ne sais pas si j’y arriverais, ça va être un sacré challenge, mais j’ai envie d’essayer 🙂

Le mot de la fin t’appartient !

Eh bien Merci ! Tout simplement !


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