Retrouvez l’actualité des littératures de l’imaginaire (Science-Fiction, Fantastique, Fantasy, et autre) ainsi que des interviews de celles et ceux qui les construisent.

Interview : Fabrice Anfosso

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Après la lecture du Bord du monde (Nestiveqnen – 2003), il me tardait de pouvoir discuter avec Fabrice Anfosso, de ce roman qui m’a particulièrement marqué… Merci à lui d’avoir accepté !

Allan : Je souhaiterais pour commencer, si vous le voulez bien, que vous vous présentiez un peu : votre parcours, vos goûts… en fait, quel homme se cache derrière l’écrivain.

Fabrice : J’ai toujours écrit, et dans les genres les plus divers. Je n’arrive pas à m’attacher à l’un des visages de la littérature en particulier. Mon premier texte publié, Ave Maria, était de la Science Fiction, mais le Prix pour lequel il avait été récompensé était un prix de littérature générale (prix du Jeune Ecrivain 1999) ! J’ai toujours fonctionné comme ça. L’écriture est pour moi un voyage – et à ce titre j’ai pris un immense plaisir à raconter les aventures d’Aplecraf le trouvère. Mais lorsque je voyage, j’aime changer de destination. J’ai donc toujours des projets très différents en cours. Théâtre, poésie, essais, nouvelles, romans. Il est peu de genres auxquels je n’ai pas envie de me frotter un jour. J’aimerais échapper à cette règle qui veut qu’un auteur soit classé une fois pour toutes. Mais j’ai conscience que c’est une affaire délicate.

Allan : Je vous ai découvert à travers le Bord du Monde (paru chez Nestiveqnen) : quelle est la genèse d’une telle épopée ?

Fabrice : L’idée de cet univers où le soleil ne se couche jamais m’est venue il y a plus de trois ans, lorsque j’ai commencé à publier des nouvelles de fantasy. J’aimais l’aspect « création totale », avec l’obligation d’ordonner les visions que je pouvais avoir dans une cohérence absolue (rigueur que je ne trouve pas en poésie, bien qu’il s’agisse, selon moi, d’un genre cousin de la fantasy). Pour tout mettre en place, sachant que je m’attaquais à quelque chose de sérieux, j’ai d’abord créé un petit jeu de rôle, et j’ai fait jouer mes amis en manière de test. Je les ai vus évoluer dans cet univers, j’ai pu apprécier les défauts, les insuffisances. Peu à peu, le Monde Jaune a pris sa cohérence tout seul. C’était facile. Ce qui est compliqué à gérer pendant une partie de jeu de rôle est aussi compliqué à gérer dans l’écriture d’un roman. Les deux supports ont en commun une semblable exigence de simplicité et d’évidence. Enfin, lorsque ces nouveaux repères me sont devenus familiers, j’ai commencé à rédiger l’histoire d’Aplecraf. Pour donner au lecteur le sentiment d’entrer véritablement dans ce monde, il était indispensable que j’y sois parfaitement à mon aise, d’autant plus que le roman est écrit à la première personne.

Prenons un exemple concret : si mon narrateur se mettait à expliquer que, dans son monde, le soleil ne se couche jamais, ça ne collerait pas, parce que c’est censé représenter pour lui quelque chose de parfaitement naturel. Pourquoi expliquer ce qui nous semble normal et universel ? Pour que la voix d’Aplecraf paraisse vraiment provenir de ce monde, lointain mais réel, il fallait tenir compte de milliers de détails semblables. Paradoxalement, le souci de réalisme est l’un des aspects fondamentaux de la fantasy.

C’est pourquoi j’ai eu besoin d’une phase de maturation de près d’un an. L’écriture, elle, ne m’a guère pris plus d’un an et demi.

Allan : Ce qui est impressionnant est la façon dont vous liez tous les personnages autour de Théodulf tout en leur laissant la possibilité d’évoluer individuellement : forcer la « fidélité » de l’équipage vous semblait il être la condition sine qua non à la réussite de l’expédition ?

Fabrice : Là encore, les amateurs de jeu de rôle retrouveront les astuces qui leur permettent de justifier le rassemblement arbitraire de personnages. Sur le plan narratif, la fidélité forcée de l’équipage, du moins sur la première partie du roman, était très pratique. Mais au-delà de cela, cette donnée de départ avait l’avantage du réalisme. Comment, autrement, une assemblée aussi hétéroclite aurait-elle pu voir le jour, à de seules fins scientifiques? La science, dans ce monde, n’existe pour ainsi dire pas. Qu’est-ce qu’un semi-loup ou un larron solaire pourraient bien avoir à faire que la terre soit plate ou ronde? Seule la volonté d’un Théodulf pouvait les rassembler. Du reste, cette façon d’agir peu défendable apportait un éclairage intéressant sur la personnalité de ce dernier. Théodulf est un homme de science, mais en aucun cas un personnage moral. Au départ, il n’est pas vraiment ce que l’on peut appeler un « gentil ». J’aimais l’idée de marquer d’emblée la frontière entre la connaissance et la morale. On les confond souvent un peu vite ; la faute au siècle des lumières, sans doute…

Allan : Chaque personnage a ses particularités, forces et faiblesses : Magie et Science se côtoient et s’affrontent en même temps… Pourtant, aucun ne semble réussir à prendre le pouvoir sur l’autre : une réalité de tous les jours ?

Fabrice : Quelles que soient les civilisations auxquelles on s’intéresse, on ne peut sortir de ces deux lectures du monde : soit la magie et le mystère président, soit la raison et la science. La cohabitation semble très difficile. Dans le premier cas, on risque de tomber dans l’obscurantisme et la superstition ; dans le second, on finit par souffrir d’un certain manque de spiritualité, et l’on a tôt fait de se dessécher. Descordia et Théodulf représentent ces deux extrêmes. Tout l’intérêt de leur quête est la façon dont leurs chemins, apparemment si opposés, vont finalement se rejoindre. Notre monde est pareillement concerné. Le fossé séparant traditionnellement la spiritualité de la science doit être reconsidéré. Une grande partie des problèmes de notre société occidentale pourrait s’en trouver résolue.

Allan : Dans votre monde, Théodulf et Aplecraf sont détenteurs de deux magies particulières : les mathématiques et la lecture / écriture et ont de ce fait un ascendant certain sur les autres ; la connaissance devient même la seule chance de salut de leur monde : la connaissance est elle aussi importante pour vous que vos personnages ?

Fabrice : En réalité, ce n’est pas tant la connaissance qui compte, que le désir d’ accéder à une certaine vérité, quelle qu’elle soit. Seul Théodulf est réellement préoccupé par la connaissance en elle-même, mais tous ses compagnons sont en quête de quelque chose. Ce qui est important, c’est d’aller vers. Seule cette démarche compte à mes yeux. La connaissance n’est qu’une possibilité parmi d’autres.

Allan : Ce qui déroute est la similitude entre nos deux monde et si nous pensions partir au début pour une banale expédition scientifique, avec Théodulf dans le rôle de Galilée, nous sommes rapidement surpris : une manière de prendre le lecteur à contre pied ?

Fabrice : Bien entendu. Qu’on ne trouve pas du tout ce qu’on s’attendait à trouver au fil de ce roman, c’était la priorité. En lecture, bien souvent, le plaisir naît de la surprise. Raconter l’histoire d’un second Galilée dans un monde vaguement parallèle ne m’intéressait pas. En revanche, montrer que ses découvertes auraient pu trouver de toutes autres conclusions, c’était vraiment passionnant. Et si rien de ce que nous considérons aujourd’hui comme vrai, acquis de longue date, n’était exact ? Mon roman n’est pas si éloigné du principe de l’uchronie.

Allan : A la fin, une interrogation demeure : retour ou pas de retour pour Théodulf… Envisagez vous un jour – proche ou lointain – d’écrire une suite ?

Fabrice : Effectivement, la fin est assez ouverte, mais ce n’est pas dans l’intention d’écrire une suite. C’est seulement qu’il me semble maladroit, lorsqu’on a essayé d’ouvrir tant de portes dans un roman, de les refermer toutes. A quoi bon verrouiller définitivement un récit ? Une fin ouverte est bien plus porteuse, et permet à l’imagination du lecteur de prendre le relais. Il est nécessaire de lui donner le sentiment d’avoir seulement effleuré un monde beaucoup plus vaste que ce qu’il a vu. A ce titre, prétendre être exhaustif est une erreur. Pourrions-nous résumer notre monde, avec son histoire, ses climats, ses races, ses cultures en un seul livre ? Bien sur que non. Il est aussi vain de vouloir le faire pour un monde imaginaire. Nous ne pouvons sérieusement croire à un univers dont il est dit clairement qu’à la fin du livre nous savons tout à son sujet.

Donc, a priori, je ne pense pas que le Bord du Monde aura une suite, bien qu’on me la demande systématiquement. Il forme un tout, et je n’ai pas envie de m’enfermer dans un univers. J’ai d’autres idées en tête, d’autres mondes à raconter. Ceci dit, je ne m’interdis pas de remettre un jour les pieds dans le Monde Jaune. Il y aurait encore des choses à faire, sans aucun doute, et bien des aventures à y vivre…

Allan : Avez vous d’autres projets en cours ?

Fabrice : Des tas. Le plus immédiat est la sortie de mon recueil poétique, Un Chemin, aux éditions l’Amourier, au mois de Mars. C’est un projet qui me tenait à cŒur, parce qu’il s’agissait pour moi de changer un peu le principe des poèmes qui se suivent sans véritable lien entre eux. Un Chemin raconte une histoire. J’aime utiliser les genres un peu à contre-pied, ou d’une manière inattendue.

Allan : Avez vous visité Fantastinet et si oui, quelles ont été vos impressions ?

Fabrice : Je ne connaissais pas encore Fantastinet, mais je me suis empressé d’aller voir. C’est exactement le genre de sites de passionnés que j’affectionne. Je pratique peu internet, faute de temps, mais je pense sincèrement que des sites comme fantastinet font vivre les littératures de l’imaginaire. Cela créé un mouvement, de l’échange autour des parutions et je tire mon chapeau à tous ceux qui dirigent ce genre de projets avec l’amour de la littérature pour unique motivation.

Allan : Voulez vous rajouter quelque chose ?

Fabrice : Ma foi, il ne me reste plus qu’à vous remercier.


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