Réalisée par :mail
Date :mai 2004
Je reçois un mail, un jour, de Jess Kaan qui me prévient de la parution iminente de Dérobades aux Editions de lOxymore… Après quelques échanges de mails (et la lecture de son recueil) voici le résultat dun échange très sympathique :
Allan : Bonjour Jess. Tout dabord, je voulais savoir quelles raisons tont poussé vers lécriture ? Ce métier te fascinait-il depuis toujours ?
Jess : Bonjour Allan
Tu ne mavais pas dit que jallais devoir mallonger sur ce divan virtuel (rires). Les raisons qui mont poussé à écrire, eh bien tu attaques fort… Disons que jai toujours aimé raconter des histoires, mimprégner dimaginaire et rêver… Comme jétais fils unique et assez solitaire, il fallait bien que je me trouve des jeux intéressants pour ne pas mennuyer. Aussi, je me fabriquais un monde avec divers personnages. Bien évidemment, jy étais le boss, le capitaine du vaisseau spatial genre Capitaine Flam quand je jouais dans le jardin. Avec mes maîtres de lUnivers, mes G.I Joe vers 10 11ans, jai continué dapprofondir mes scénarios daventure et je méclatais vraiment. Ensuite, jai grandi et cette envie de mondes différents mest un peu passée (ah les filles, ça vous tourniboule la tête ! ). Puis au lycée des amis mont fait découvrir King, lun deux ma montré ses propres écrits et je me suis dit que javais envie de retrouver ce qui mavait fait trippé pendant mon enfance. Alors jai commencé à écrire au crayon de bois sur des cahiers
Lorsque jai eu mon bac, mes parents mont offert une machine à écrire et jai pu enfin avoir lillusion que jétais un vrai auteur
A la fac de droit, une amie ma fait découvrir la collection Terreur de chez Pocket et je suis redevenu Bibliovore
De fil en aiguille, jai affiné le style et jai proposé mes écrits avec lenvie que ça marche vraiment
parce que le besoin était maintenant incrusté en moi, comme un virus dont on ne peut et ne veut pas se défaire !
Allan : Avant Dérobade, tu avais publié les aventures dun triton
Mais doù tes venue cette étrange idée ?
Eidonius mon privé Triton me trottait dans la tête depuis un moment (en fait javoue je connais un privé triton, mais ne le répète pas ^-^). Quand lappel de Nicolas Cluzeau sest présenté pour une anthologie de science fantasy, jai écrit cette histoire « délirante.» Jai usé de parodie avec les privés des années 50, me suis inspiré de lactualité sans vergogne sans que cela se voit trop apparemment et je me suis laissé emporté par le délire, lhumour et lenvie den faire des tonnes. Il y a un petit côté manga comique dans ce texte, lhumour à la Ranma pour les connaisseurs
Et ça ma plu, jaurais voulu ne pas marrêter… Une idée, ça va, ça vient, mais parfois ça vous poursuit et quand on la matérialise, on se sent très bien (rires)
Allan : Cette nouvelle a reçu en 2003 le prix Merlin : est-ce une reconnaissance importante à tes yeux ?
Jess : Question difficile car pouvant être mal interprété
Javoue le Prix Merlin ma énormément fait plaisir car jétais en concurrence avec dexcellents textes au second tour et que luvre de Didier Graffet qui ma récompensé est magnifique
Toutefois cest surtout un prix des lecteurs et ce sont eux qui ont voté pour voir cette nouvelle élue. Tandis que je remerciais les participants à la Convention de SF, je pensais à ces lecteurs qui avaient aimé et avaient défendu cette nouvelle
Ca avait un côté solennel, magique. En outre Laffaire des elfes vérolés avait été nominé à Epinal pour le premier prix Imaginales et dune certaine manière, ça confirmait le côté « à part » de cette nouvelle
Mais il me semble que parler de « reconnaissance » est quelque chose de prématuré. Je pense que cette récompense ma ravi, je ne peux pas le nier car je sautais au plafond, mais elle nest pas un aboutissement en soi. Ce qui mintéresse cest décrire encore et encore les aventures dEidonius ou des textes plus noirs, de rencontrer la faveur du public parce quil se reconnaît dans ce que jécris
Si un prix vient couronner un texte de temps à autre, je serai comblé, mais bon je ne suis quun homme
Dis Allan je ne suis pas trop philosophe au moins ? (rires)
Allan : Venons-en maintenant à ton actualité, en mai est paru chez Oxymore le recueil Dérobade : Comment ty es tu pris ? Sagissait-il de nouvelles anciennes mais non encore utilisées ou des nouvelles spécialement écrites pour loccasion ?
Jess : Pour Dérobade, jai essayé dêtre le plus novateur possible du point de vue texte, et ce, par respect du lecteur qui me connaît déjà et vient acheter le recueil et pour les autres. Donc dès le départ, jai décidé en accord avec Léa Silhol de limiter le nombre de reprises tout en respectant une thématique assez sombre, je dirais même réaliste. On a repris « Quand Lune saigne », le texte que tu naimes pas car cest mon premier publié chez Oxymore et quil recèle une atmosphère de cauchemar qui ne laisse personne indifférent, nest-ce pas ? Léa connaissait la version longue de Bloody Venise et elle tenait absolument à ce quon lintègre, ce contre quoi je navais aucune objection. Dérobade est lultime version dun texte qui faisait la moitié de ce que lon trouve maintenant dans le recueil. Quant à Sukkal et Iliana Letchawa, ils appartiennent à ce que jappelle le cycle des Sukkalin, inauguré dans la nouvelle Nitro (anthologie rock stars, ed Nestiveqnen), ceux-là je les avais en réserve faute dappels adéquats. Pour le reste, je les ai écrits spécialement pour le recueil. De toute façon ces idées étaient en moi, je portais le Bayou depuis cinq ans et je voulais le laisser mûrir à tout prix par exemple
Il y en avait dautres qui nont pas trouvé leur place car « An Urban
» est venu sintercaler dans lintervalle. Parce quà ce moment, javais envie décrire sur ce thème.
Allan : Parlons maintenant du contenu : certaines nouvelles sont “sanglantes” (je pense essentiellement à Quand Lune Saigne et Bloody Venise). Tu nas pas peur de passer à côté dun public friand dun fantastique plus soft à la Stephen King (dont je crois savoir que tu apprécies les écrits) ?
Jess : Sanglante, « parangon de lexcès de violence » comme le disait lun de tes collègues dans une critique, en fait je rétorquerai à ces propos que ce nest pas moi qui suis violent ou sanglant mais le monde et ceux qui le font, jen suis juste un minuscule révélateur. Le monde nest pas blanc, ni noir mais gris comme le dit mon personnage dans Rustbelt. Quant à Quand Lune saigne ou Bloody Venise, il sagit de nouvelles violentes, noires daccord, mais en même temps cette violence doit être replacée dans son contexte proche de la folie, de ce qui est censé ne pas représenter lhomme dans lidée que lon en érige. Un ami auteur et psychiatre me disait que ces scènes violentes (ce nest pas non plus tout le recueil, rappelons-le !) avaient un sens, ce qui leur conférait une certaine portée. Elles ne laissent pas indifférents, ce nest pas de lhorreur pour lhorreur, une complaisance malsaine à la Jason ou autres Slasher Movies
En ce qui concerne lidée de passer à côté dun lectorat friand de « softitude », cela voudrait dire que je cherche à faire du politiquement correct au niveau de lécriture, à me brider
Si jagissais ainsi, je natteindrais pas mon but, écrire un texte qui marque, qui fait réagir y compris de façon viscérale
Pour moi, cest le rôle essentiel de lécriture, faire réagir, interpeller le lecteur, le laisser pantois parfois. Lorsque je lis le recueil Ring Zéro, jen fais des cauchemars car lauteur me prend au piège dune ambiance que je qualifierais de
malsaine, idem avec Brume dont on ne ressort pas indemne. Ce qui me ramène à King que jadmire réellement. Ok, il a des livres moins bons que dautres, mais comment pourrait-on être toujours à 100 % de ses possibilités, nous ne sommes que des hommes ! Son livre Ecriture est une merveille, une conversation au coin du feu avec un grand, idem pour certaines de ses nouvelles
Cet auteur nest pas toujours très soft, jen veux pour preuve Brume où lon nous décrit un homme décapité. Dans une autre mesure certains de ses textes sont des bijoux de perversité, lhistoire du type qui finit par se bouffer les doigts sur une île déserte en est larchétype.
Allan : Tu abordes à deux reprises le thème du côté obscur de deux grandes villes (Venise dans Bloody Venise et Londres dans London Calling)
Pressens-tu quil y aurait une réalité cachée ?
Jess : La vérité est ailleurs
forcément (rires).
Allan : Iliana Letchawa et Sukkal appartiennent à ce que tu nommes le cycle des Sukallin, peux-tu nous en parler ?
Jess : Jai « inauguré » ce cycle de nouvelles dans lanthologie Rock Stars chez Nestiveqnen avec un texte appelé Nitro
Lambition affichée est de raconter la chute de lhumanité confrontée aux émissaires de créatures toutes puissantes les aspirants Dieux, puis la façon dont notre race tente de surmonter cette déchéance. En fait, je montre que cette chute est aussi le fait de notre espèce engagée dans une mauvaise voie, entre accroissement du désespoir dune partie de la population, dévastation de lenvironnement, haines
Cette époque de noirceur attire les aspirants dieux qui envoient leurs armées danges pour mettre lhomme au pas
Allan : Dans Sukkal toujours, nous terminons sur une note optimiste. Un espoir pour lavenir de lhomme ?
Jess : Jai toujours été très pessimiste de nature
Un peu comme lagent Kadal dIliana Letchawa. Entre problèmes environnementaux, maux de civilisation, jai limpression que nous sommes à la croisée des chemins, il faut remettre pas mal de choses à plat, cest certain, mais de là à dire que nous y parviendrons avant quil ne soit trop tard et sans trop de dégâts… Tout dépend de notre volonté, des chefs que nous nous choisirons
En ce qui concerne la nouvelle à proprement parler, je dirai que Sukkal ouvre de nombreuses pistes
Allan : Ma nouvelle préférée sur ton recueil est “An Urban and Modern Faery Tale” : cette incursion des contes de fées dans notre réalité est un pur moment de plaisir : mais avoue le cest une idée étrange : un hommage aux contes qui ont bercé ton enfance ?
Jess : Lan passé, je me trouvais à lIUFM pour apprendre mon métier de prof des écoles, et notre prof de français nous invitait sans cesse à revenir aux Contes. Alors jai suivi son conseil et quel choc ! En fait, tu parles du côté sanglant de certains de mes textes, mais je nai rien à envier à mes prédécesseurs
La notion de conte de fée recèle un côté trop souvent gnangnan dans le quotidien. Or il suffit de les lire pour se convaincre quils dépeignent le monde dans toute sa dureté
Aussi en les redécouvrant, jai eu envie de leur rendre une partie de ce côté, par lentremise de personnages truculents. Et puis il me fallait délirer, cest plus fort que moi
Jai donc utilisé tous ces personnages, réalisé un mélange et je me suis lâché.
Allan : Tu nécris pas seulement des nouvelles : tu réalises des interviews, tu as codirigé lEmblèmes consacré à la route
Que retires tu de toutes ces expériences ?
Des rencontres, des échanges fructueux
Jaime interviewer, entrer dans un dialogue constructif avec lauteur
Pour la codirection danthologie, cest un peu différent
LEmblèmes la Route me tenait vraiment à cur et en le codirigeant, jai pu mesurer combien il était difficile de bâtir une anthologie. Le plus difficile cest de devoir sadapter à ce que lon te propose, à faire des choix entre tous les textes et refuser à des auteurs leur uvre
Ce sont des expériences diverses, mais très enrichissantes ; toutefois, je préfère lécriture, il ny a pas photo. Quoique rediriger une antho me tente assez
Avis aux éditeurs désireux de relancer les Territoires de lInquiétude
(rires)
Allan : et le roman, cest pour quand ? (je précise que jai lu que tu voulais en faire un alors je me disais peut-être pourrions nous avoir un peu plus dinfo ;-))
Jess : Le roman ressort tel le serpent de mer (rires). Bon, il faut que javoue également que Philippe Ward a lancé des tueurs à gages qui vont mobliger à lécrire
Sérieusement, jai envie de répondre que « le roman ce sera pour quand je serai prêt, assez mûr ». Javoue, jai commencé quelques petites choses, jai notamment un roman avec mon privé Eidonius très avancé (+de 250 000 signes), je lavais écrit pour une collection jeunesse et le projet ne se fera pas finalement, alors je vais le rendre plus adulte, cest à dire permettre à Eid de se lâcher vraiment avec ses allusions habituelles et le soumettre à un éditeur ! Jen ai un autre de fantastique terreur entamé depuis 3 / 4 ans et pas encore achevé (celui là jy tiens aussi car il se déroule dans le Nord Pas de Calais) et enfin, jai envie de me lancer dans un diptyque de fantasy, mais je me laisse trop souvent séduire par le chant des nouvelles
En tout cas, je pense sérieusement que dici deux ans, il y aura au moins lun de ces romans terminés et soumis à divers éditeurs
Allan : Quels sont tes projets pour cette année ?
Jess : Me remettre sérieusement aux romans cet été, terminer quelques nouvelles, faire des travaux dans la maison, souffler, faire du sport
Et surtout continuer à écrire ! Tout en me montrant de temps à autre dans des salons du livre pour discuter avec des lecteurs et les fans dimaginaire en général. Il y aussi des projets top secret donc désolé
Allan : tu avais lair de connaître Fantastinet : comment las-tu découvert et quels conseils nous donnerais-tu ?
Jess : Je suis un surfeur invétéré et je vais périodiquement consulter les sites de fantastique, sf
pourvu quils se téléchargent vite et quils proposent des infos intéressantes. En fait, jaime trouver des critiques, des interviews et de ce côté là, vous vous débrouillez bien, il faut surtout continuer de la sorte !
Allan : un petit mot pour conclure ?
Jess : Hm
Encore une question difficile. Inspiration profonde, je vous remercie de mavoir invité à donner cet interview et jespère ne pas trop avoir radoté
En tout cas, si vous avez envie de suivre un peu ce que je fais, nhésitez pas à venir sur mon modeste site. Merci à toi Allan, à Fantastinet à et à tous les fans dimaginaire.