Réalisée par :Mail
Date :Mai 2004
nterview réalisée par mail en mai 2004.
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Allan : Avant de commencer à parler de Transparences, votre dernier roman mais aussi votre premier polar, je souhaiterais que lon revienne sur vos oeuvres précédentes et sur les auteurs qui vous ont marqués, je pense notamment à Frank Herbert et son cycle de Dune : en quoi cet univers vous a t-il attiré ?
Ayerdhal : Si Herbert a une place articulière pour moi, cest surtout que Dune a révolutionné le genre par son caractère doeuvre totale maniant les micro et les macrocosmes, les décors, les personnages, les civilisations, leurs interactions, etc., avec maestria et sans jamais se départir du souffle romanesque.
Je suis beaucoup plus critique quant à lidéologie que véhiculent ses ouvrages
et cest un euphémisme ! Parmi les auteurs qui ont marqué mon éducation science fictive et, conséquemment, mon boulot, je me sens beaucoup plus proche de Norman Spinrad, Philippe Curval, John Varley, Pierre Pelot, Ursula Le Guin et Samuel Delany. Et, aujourdhui, cest Pierre Bordage qui, à lévidence, exerce le même métier que moi.
Allan : Pour continuer sur vos débuts : comment sest déroulée lécriture de votre premier roman La Bohême et lIvraie ainsi que sa publication ?
Est-ce que cela a été dur ou votre style a-t-il tout de suite fait fureur 😉 ?
Ayerdhal : En quelque sorte, jétais un grand naïf. Fin 87, alors que je ne savais plus quoi faire de ma vie professionnelle, jai demandé à ma femme si elle était prête à mentretenir le temps que le tout nouveau boulot décrivain que je venais de me choisir porte ses fruits. Elle a dit banco, jai écrit Le Chant du Drille et La Bohême et livraie, je les ai envoyés à quatre éditeurs qui les ont refusés ; un cinquième, chez qui ils ont atterri par hasard de groupe, a décidé de les publier en commençant par la Bohême (premier tome paru en juin 90). Entre temps, javais écrit Mytale. La machine était en route, sans que je naie eu conscience de me lancer dans une aventure
euh
aléatoire ( ?).
Allan : Vous avez reçu plusieurs prix (Grand prix de limaginaire en 1993 notamment) : quel effet cela fait-il ? Est-ce important pour vous ?
Ayerdhal : Cest toujours agréable de recevoir une distinction, et cette notion de distinction (en tant quelle distingue un ouvrage ou un auteur parmi dautres) est la plus importante puisquelle le fait ressortir auprès des lecteurs, des éditeurs et des libraires. Ceci dit la meilleure récompense que puisse recevoir un auteur apparaît dans la colonne «nombre dexemplaires vendus » de son relevé de droits parce que, dune part, nous écrivons pour être lus et, dautre part, ceux dont cest le seul revenu le font aussi pour bouffer.
Allan : Vous êtes fréquemment taxé dauteur “moral”
Jimagine que lécrivain de SF nest pas uniquement pour vous quelquun qui vend une histoire mais aussi un acteur de la société qui à le devoir (ou la possibilité) davertir
Est-ce que je me trompe ?
Ayerdhal : « La fonction de lécrivain est de faire en sorte que nul ne puisse ignorer le monde et que nul ne puisse sen dire innocent
» Jean-Paul Sartre.
Allan : Passons maintenant au Chant du Drille, un de vos premiers romans réédité il y a quelques mois (en octobre 2003 pour être précis) aux éditions Au Diable Vauvert : quel regard portez vous sur ce roman écologique (me le permettez vous ?) 10 ans après son écriture ?
Ayerdhal : Quinze ans ! Mon regard est celui dun écrivain ayant maintenant une certaine bouteille sur ses péchés de jeunesse : attendri, agacé, surpris, déçu, amusé
bref, tout sauf impartial, mais ce nest heureusement pas à moi davoir une opinion.
Allan : Ce qui ma impressionné par rapport aux autres livres du même genre est la facilité avec laquelle vous arrivez à nous mettre le nez dans notre façon de traiter la nature sans pour autant quon est pourtant limpression dêtre moralisé
Arrivez vous à cet effet naturellement ou avez vous passé de longues heures à peaufiner chaque phrase ?
Ayerdhal : Je récris beaucoup. Le premier chapitre de Chroniques dun rêve enclavé a connu soixante-quinze versions. Pour Transparences, jai pondu plus de quinze cents pages. Mais il sagit moins de peaufiner le style que dobtenir des équilibres.
Allan : Ce roman est intéressant à un deuxième niveau
Plus proche de votre actualité : bien que situé dans un monde éloigné, il est plutôt orienté enquête policière
Peut-on en conclure que Transparences nest pas vraiment un nouveau projet, mais que vous souhaitiez depuis longtemps écrire du Thriller ?
Ayerdhal : Je ne suis pas un auteur de SF. Je suis romancier. Point. Je situe mes ouvrages dans le contexte où ils me semblent le mieux exprimer ce que jai à dire. En ce sens, Transparences ne pouvait pas être autre chose quun thriller. Jai dautres projets qui safficheront de nouveau dans le genre et dautres qui tendront vers la fantasy, le fantastique et la SF bien sûr.
Allan : Donc Transparences est votre premier thriller : comment sest déroulé lécriture ; est-il facile de passer de la SF (même teintée de polar) à une oeuvre totalement “réelle” ? Quest ce que cela a impliqué pour vous et quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
Ayerdhal : Quil sagisse de polar, de roman historique, de SF ou de nimporte quel domaine littéraire, le contrat implicite entre lauteur et le lecteur repose sur leffet de réel, même lorsque celui-ci est sciemment détourné. Les contraintes, les problèmes sont donc étroitement liés à cet effet de réel. La meilleure façon den venir à bout consiste à se documenter. Le hic, quand on écrit une histoire qui se déroule ici et aujourdhui, cest que nous avons tous une intuition de ce quest le monde et que celle-ci est partielle, partiale et subjective. Jai passé de nombreuses heures à me documenter et encore plus à construire des compromis entre la réalité et la perception que nous en avons.
Allan : Venons en maintenant à lhistoire en elle-même
Pouvez-vous nous présenter laction du roman ainsi que les principaux personnages qui prennent part à lhistoire ?
Ayerdhal : Lhistoire ? Cest assez classique. Un psychologue spécialisé en criminologie compulse pour Interpol les dossiers concernant les crimes en série de ces dernières décennies pour chercher déventuels liens entre de vieilles affaires et une vague de meurtres qui touche le monde entier. Il tombe sur le dossier dune gamine de douze ans qui a assassiné ses parents, diplomates américains, et un couple de leurs amis à Berlin en 1985. Il dresse son profil et essaie de savoir ce quelle est devenue. A partir de là, toutes ses certitudes partent en vrille.
Les personnages ? Stephen, le criminologue, est un garçon au demeurant fort sympathique, plutôt cérébral mais dont lémotionogramme est assez plat, dont le seul ami est un SDF et qui ne sait pas manger les croissants sans redécorer ses vêtements de miettes pur beurre. Ann X est une jeune femme franchement asociale qui manie les armes blanches avec la même aisance quelle tue quand dautres se contenteraient dun coup de gueule ou dun procès. Michel est plus une cloche, version années soixante-dix, quun sans-abri, qui manie le bon sens avec philosophie et inversement.
La CIA, la NSA, le FBI, Interpol sont
non, eux, chacun a une petite idée de ce quils sont.
Allan : Comme dans chacun de vos écrits, il y a un message que vous voulez faire passer et une prise de position franche
Lécriture reste-t-elle pour vous le seul moyen de faire passer vos coups de gueule ou vos inquiétudes ?
Ayerdhal : Jécris parce que je ne sais pas parler. Il est à craindre que, dans le cas contraire, je ne serais quun politicien de plus. Non, je déconne. Je pense que chacun doit exprimer son engagement citoyen et les idées qui vont avec au quotidien, en commençant par le faire dans son job. Mon job, cest décrire.
Allan : Une petite question me vient à lesprit (et na rien à voir avec ce qui est dit précédemment) : vous avez écrit à quatre mains Etoiles Mourantes (avec Jean-Claude Dunyach), comment vous y êtes-vous pris ?
Ayerdhal : Un an de tac au tac scénaristique, une bonne répartition des tâches en fonction des compétences (nous avons chacun écrit les parties que nous pensions le moins bien maîtriser), le droit absolu et lusage dintervention dans lécriture de lautre, le travail, le travail, le travail par phone, par mail, en bugne à bugne, et un passage final côte à côte pour éliminer les dernières traces dego. Au bout du compte, seules deux phrases du bouquin sont dun unique auteur. Nous nous sommes régalés et nous avons beaucoup appris.
Allan : Maintenant que vous avez brillé dans la SF, fait vos premiers pas dans le polar, écrit à plusieurs, dans quels domaines allez vous nous épater la prochaine fois ?
Ayerdhal : Sais pas. Je veux dire : je ne sais ni dans quel ordre, ni quand. Je sais seulement ce dont jai envie. Gilles Francescano et moi avons un vieux projet de BD quil faudra que nous nous décidions à concrétiser. Je mélangerais volontiers la biographie et le roman historique pour pondre un truc autour de Flora Tristan. Je tâterais bien du mainstream avec un truc sur les années soixante-dix. Et le cinoche, bien sûr, avec quelques idées de scénarii qui ne demandent quà voir le jour.
En attendant, jécris un space opera, je mets en place une fantasy, janticipe un autre thriller, je mimbibe dun sujet plus proche de Demain, une oasis, je rêve avec Pierre Bordage de ce que sera la collabo dont nous parlons depuis longtemps, je me dis quil faut que je relance celle dont nous avons parlé avec Roland C Wagner.
Allan : Avez vous eu le temps de passer nous voir sur Fantastinet et si cest le cas, quen pensez vous ?
Ayerdhal : Site très sympa qui manque un tantinet de références européennes.
Allan : Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?
Ayerdhal : Que lhumanité humanise et, en attendant, que les gouvernements mettent en place un système de taxation des transactions financières, que les méfaits et les exactions du capitalisme soient aussi médiatisés que ceux des dictatures qui se revendiquaient du communisme, que le libéralisme et ses avatars seffondrent.
Allan : Un petit mot de conclusion ?
Ayerdhal : Nacceptez jamais les « ça ne te regarde pas ».