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Interview : Remy De Bores

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Réalisée par :mail
Date :avril 2006
47 : l’année des anges est un polar futuriste qui nous mène dans une petite communauté créée suite aux différents chaos ayant secoué le monde industrialisé… Et où l’on voit que les vieux démons du rejet de la différence ressurgisse… Rencontre avec l’auteur

Allan : Avant toute autre chose, j’aimerais que tu te présentes à nos lecteurs.
Remy : Je suis né en 47 (d’où le titre de mon bouquin en forme de clin d’Œil) à Versailles et j’ai vécu 25 ans en région parisienne. En 1968, juste après avoir lancé mes derniers pavés, je suis devenu informaticien. Depuis j’exerce cette profession comme concepteur de logiciels de gestion, au point que j’ai même inventé un mot pour qualifier mon emploi : gestionnicien. Il y a une telle similitude entre la création de logiciel et l’écriture que je passe de l’un à l’autre sans même m’en apercevoir. La passion de l’écriture me vient de l’enfance ; j’ai écrit mon premier roman à onze ans et je n’ai jamais cessé d’écrire sans même penser un instant être édité.

Allan : Quels sont les auteurs qui t’ont marqué ?
Remy : Les grands auteurs du XXe siècle comme Faulkner et Hemingway, et bien sûr, les classiques comme Hugo et Zola. Et puis tous les grands maîtres de la SF : Van Vogt, Ballard, Silverberg, Herbert, Pohl, Asimov, avec une mention particulière pour Vance et une tendresse pour Tolkien qui campe sur la fragile frontière entre SF et Heroïc. Et bien entendu, plus proche de nous, l’incontestable chantre du fantastique au quotidien Stephen King.

Allan : En plus d’être auteur, tu es aussi responsable des éditions Rebelyne. Pourquoi as-tu fait le choix de créer ta propre maison d’édition ? Que reprochais-tu aux éditeurs déjà en place ou quel plus veux-tu apporter par rapport à eux ?
Remy : Je suis devenu éditeur par hasard. Il y a en Alsace Lorraine une tradition millénaire des Marchés de Noël où les artisans viennent vendre les décorations indispensables à un sapin digne de ce nom. C’est dans cette atmosphère festive que j’ai rencontré mon ami Bernard Colin, auteur méconnu, rejeté par quatre douzaines d’éditeurs. Nous avons longuement discuté entre écrivains frustrés et nous avons décidé de fonder notre propre maison afin de faire connaître nos Œuvres au commun des mortels.
Je ne reproche rien en particulier aux éditeurs, si ce n’est leur mercantilisme qui est devenu le moteur de toute économie fut-elle artistique. La loi du marché veut qu’un produit soit immédiatement vendable avec un retour sur investissement à très court terme. Cela n’est possible en littérature que si l’auteur (?) est déjà suffisamment connu. Je dis parfois, en plaisantant qu’il faut sortir de prison, être sur le point d’y entrer, avoir été violé ou être soi-même violeur, bref exister déjà au plan médiatique. C’est rarement le cas d’un auteur qui débute. Le passage par une petite maison d’édition est donc inévitable. Alors de là à la fonder soi-même, il n’y a qu’un pas que nous avons franchi. Nous sommes six auteurs, à présent, regroupé en association.

Allan : Peux-tu nous dire plus sur ce qu’est à ton avis le rôle d’éditeur ?
Remy : L’éditeur est, avant tout, un être doué d’une patience extrême, psychologue, maternel, attentif à l’ego de ses auteurs. Plus sérieusement, il doit veiller à la qualité des ouvrages et faire en sorte de fixer des règles et de les faire respecter. Les six auteurs de Rebelyne sont de nature et de style totalement différents. Mon rôle est de faire en sorte de conférer une unicité à l’ensemble.

Allan : Quelles sont les conditions pour être sélectionné par Rebelyne : comité de lecture, coup de cŒur,… ?
Remy : Le recrutement se fait avant tout sur l’originalité, la volonté d’écrire, le sérieux de l’engagement, l’individualisme et, un peu paradoxalement, l’envie de partager une aventure humaine dans la chaleur de l’amitié. Le comité de lecture est sévèrement ironique. L’auteur qui résiste à notre humour déchirant est généralement coopté.

Allan : Si je voulais t’interviewer, c’était surtout par rapport à la parution de 47, L’année des anges courant 2005… Pour commencer, comment présenterais-tu 47 ?
Remy : 47 c’est, avant tout, une ambiance où se mêlent deux mondes parfaitement opposés. C’est une alchimie précise dont chaque élément existe pour qualifier et révéler un autre élément. C’est un champ clos destiné à servir d’écrin à un ensemble d’histoires de vengeance qui se croisent, se côtoient ou se heurtent. Chaque personnage est, de près ou de loin lié à chacun des autres et participe à la conclusion de cet univers. C’est entre Kafka et Shakespeare, et c’est à dessein que j’ai choisi ces deux auteurs prestigieux, pas pour me comparer à eux, mais pour donner une dimension à ce livre.

Allan : Ce qui est étonnant, c’est que l’histoire prend racine après des événements chaotiques surgis dans les pays civilisés… Le livre serait paru un an plus tard, on t’aurait dit que tu t’étais inspiré des événements des banlieues de la fin d’année dernière… Étrange coïncidence ou flair ?
Remy : Flair, un peu, analyse, beaucoup. Il faut revenir à mon métier qui consiste à manipuler des chiffres et à les ordonner pour faire apparaître des solutions. André Malraux, plus grand visionnaire encore, a dit « le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas ». La montée des communautarismes, dont le point d’orgues se situe le 11 septembre 2001 à New York, n’en est qu’à ses débuts. Les échauffourées de novembre 2005 en sont le prolongement bien véniel. Il faut s’attendre, via la coalition inévitable des Palestiniens avec les intégristes radicaux, sans doute Iraniens, à des 11 septembre en série. Ces événements pousseront, à coup sûr, les trublions de banlieues (pas seulement en France) à se dresser face au pouvoir en place. Et ceci ne se cantonnera sûrement pas aux Islamistes. Chaque communauté a ses propres revendications. (Souvenons-nous des Utus contre les Tootsis). C’est ce que je décris dans mon ouvrage.

Allan : Un certain nombre d’habitants (ici de France) ont décidé de rejoindre la campagne : ce retour à la nature est-il une conséquence probable de la dégradation de la situation actuelle ?
Remy : Je suis moi-même un campagnard volontaire, bien tranquillement installé dans mon village de 500 âmes, au milieu des champs et des prairies et j’ai le privilège en sortant de mon travail de flâner le long du Madon, minuscule affluent de la Moselle. Après l’épisode des pavés, un certain nombre de mes camarades sont partis élever des chèvres dans le Larzac, pour montrer leur mépris de la civilisation. La plupart sont revenus (une fois les chèvres crevées), mais il y a encore quelques-uns de ces utopistes qui militent pour une version plus humaine de la société. C’est une solution, mais ce n’est pas la seule.

Allan : Malgré tout, les préjugés sont loin d’être bannis… Préjugés et refus de la différence sont-ils inscrits pour toi dans le génome humain ?
Remy : Ce qui restera à jamais inscrit dans le génome humain, c’est sa propension à ne pas vouloir vivre en paix avec son voisin si celui-ci n’est pas tout à fait de sa couleur. J’entends par là toutes les couleurs, que ce soit celle de la peau, de la religion, du rang social ou de la politique. Le gène de la domination est ancré en nous d’une façon indélébile avec celui encore plus répandu de la connerie (ce n’est pas un gros mot, c’est un fait).

Allan : J’ai été gêné par l’utilisation de termes trop ancrés dans notre actualité, trouvant le message trop direct, notamment le terme sarcoflic (même s’il est vrai qu’il n’est que très peu utilisé) : ne crois-tu pas que l’Œuvre de SF doit de se distancer de l’actualité « présente » tout en étant capable d’alerter sur les événements possibles de nos décisions actuelles ?
Remy : 2047, c’est dans 40 ans, maintenant. On parle encore de soixante-huitard, de Dany le Rouge, à la moindre révolte estudiantine, on reparle de mai 68. C’était il y a 40 ans. La narration commence dans les années 2020, soit dans moins de 15 ans, c’est l’actualité. Quant à ce néologisme qui te choque tant, je ne te ferai pas l’affront de t’apprendre ce que recouvrait le sigle GIR, ni de repréciser les conclusions des émeutes de novembre 2005 où le ministre de l’intérieur a décidé de laisser en place les compagnies de CRS déployées pour, je cite, « maintenir le calme et protéger la population ». Le nom officiel de mes sarcoflics est « Brigade pour la Tranquillité des Population Urbaines », dis-moi, ça ne ressemble pas un peu ? Sans compter que, si tu relis bien le premier chapitre, tu verras que le terme « sarcoflic » n’a rien de péjoratif (pas plus que le terme « flic », actuellement) et qu’il s’applique, entre autre, à des héros de série TV, comme le sont nos Navarro, Moulin, Maigret ou même les membres de BRIGAD qui, avec leurs gilets pare-balles, leurs cagoules et leurs fusils d’assaut n’en sont pas si éloignés. Je ne pense pas que le public soit encore prêt à accepter une série mettant en scène une compagnie de CRS… mais nos petits enfants…

Allan : De plus, j’ai trouvé un peu long le lancement de l’action… La mise en place était-elle à ce point nécessaire ?
Remy : Oui… J’ai horreur des romans qui mettent le lecteur devant le fait accompli sans prendre la peine de décrire les personnages ou le contexte. C’est une faute de goût. Tolkien met plus de 200 pages pour mettre en place ses personnages et ajoute 200 autres pages en codicille pour bien enfoncer le clou. Sans compter que « l’action » n’était pas précisément mon propos. Un livre de SF ne doit pas se lire exclusivement au premier degré. De même que le moindre des polars ne se résume pas toujours au trio assassin-victime-détective. Il lui faut l’atmosphère, le contexte, l’historique et au moins un mobile.

Allan : Néanmoins, j’ai lu avec beaucoup de plaisir ton livre, ce qui montre bien que ces « défauts » à mes yeux ne sont que broutilles. Quelle a été ta méthode d’écriture ?
Remy : Je suis un peu particulier, dans le domaine. J’enfile mes chaussures de marche, un K-way et je pars à l’assaut de la colline en face de chez moi, je marche deux ou trois heures et je redescends avec des images. Pour 47, j’avais deux visons : un homme sombre dans un univers sombre parti avec de mauvaises idées. Pour la pluie huileuse, je revenais d’un séjour professionnel à Arras, pour l’usine, c’est la fonderie de Neuves-Maisons, en Lorraine, devenue Neuve-ville dans le roman. L’autre vision était une jeune déesse rousse assise sous un arbre au bord d’un ruisseau en compagnie d’un chat. Je suis parti de là. Quand je dis vision, ce n’est pas seulement du point de vue pictural, c’est aussi quelques phrases déjà élaborées. Quand je m’assois devant mon écran, j’ai déjà 20 pages dans la tête. Après, les personnages se mettent à vivre et je n’ai plus qu’à les observer et les décrire. C’est pour cela que l’ambiance est aussi essentielle. Elle fait partie du récit. J’ai coutume de dire que ce n’est pas moi qui écris, mais que ce sont mes mains. Je ne connais jamais la fin. J’en ai juste une vague idée aux deux tiers du bouquin. Et encore, pas toujours avec certitude.

Allan : As-tu d’autres projets en cours ?
Remy : Oui. J’écris « Nereïah » un pur space-opéra, entre Vance et Asimov, avec méchants envahisseurs avides et gentils autochtones bucoliques, gentilles sorcières et effets spéciaux. Je promets que si mes auteurs me laissent un peu de temps, ça devrait être prêt à la rentrée.

Allan : Que penses-tu de Fantastinet ?
Remy : Je ne me suis pas encore fait une opinion, je découvre tout juste le site.
Juste une remarque d’un vieux littérateur : achète-toi un correcteur orthographique, grammatical et syntaxique, je t’en supplie ! Parce que : « Il est une qualité que l’on pas accordé sans problème aucun à son auteur, c’est le style. », honnêtement, je n’ai pas tout compris… peut-être doit-on lire : « Il est une qualité que l’on peut accorder sans problème aucun à son auteur, c’est le style. », et là, je te remercie

Allan : Que peut-on te souhaiter ?
Remy : De vendre un million de 47, traduit en 25 langues comme le regrettable « Da Vinci Code ».

Allan : Le mot de la fin sera :
Remy : Je trouve réducteur d’avoir axé ta critique sur le seul premier chapitre en laissant 240 pages à la portion congrue. Cet ouvrage méritait, à mon sens, plus que de le résumer au seul vocable de « sarcoflic ».

Encore un détail : j’ai pesé chaque mot et j’ai construit un ensemble cohérent ; ce concept s’adressant au professionnel de l’informatique, une base de données amputée d’une seule table n’est plus une base de données, alors par pitié essaye de conserver l’intégralité de mes réponses.


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